Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "RTL" le 1er août 2005, sur la procédure de privatisation des autoroutes engagée par le gouvernement et contestée par M. François Bayrou.

Prononcé le 1er août 2005

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Richard ARZT : Bonjour Thierry Breton. Donc, vous allez répondre aux arguments de François Bayrou qui sont de plusieurs types. Il y a d'abord des arguments financiers. Ce que dit François Bayrou, c'est que cette privatisation ne dégagera que des moyens à court terme. L'Etat va se priver de ressources régulières et en augmentation, pour récolter à la place 11 milliards d'euros qui seront dilapidés en quelques mois. Voilà ce qu'il dit. Qu'est-ce que vous répondez ?
Thierry BRETON : De la pédagogie. Je vais surtout répondre à Christine Clerc qui est en face de moi. Puisqu'elle a posé des questions, on va donc lui répondre. De la pédagogie. De quoi s'agit-il ? D'abord, il ne s'agit pas de privatiser les autoroutes. Les autoroutes continuent à rester la propriété des Françaises et des Français.
Deuxièmement, ça ne date pas d'aujourd'hui ce débat. Je rappelle que toutes les Françaises et les Français qui sont sur la route ce matin, et qui partent en vacances dans l'Ouest, notamment sur l'Autoroute A10, et bien ils utilisent depuis 1970 une autoroute privée. Une autoroute qui gère le service de concession privée. Elle s'appelle Cofiroute. C'est depuis 40 ans. On a une très vieille expérience de la privatisation des sociétés concessionnaires du service aux autoroutes.
Q - C'est ça que vous dites. Ce n'est pas l'autoroute. C'est le service autoroutier.
R - Vous savez, le service c'est quoi ? C'est les aires de repos, c'est les jeux pour les enfants, c'est le péage. C'est tout ce qui fait la qualité du service. Vous savez, du service sur l'autoroute, c'est de plus en plus une société de service. On est dans sa voiture, on écoute la radio - la radio de l'autoroute.
Q - On écoute RTL aussi !
R - Par exemple. On a de plus en plus du suivi par satellite et des technologies nouvelles. Une société qui gère le service sur l'autoroute, c'est une société de services. De la pédagogie. On ne va pas privatiser les linéaires, les kilomètres de macadam. On privatise tout simplement. On donne une concession pendant 23 ans et 27 ans. Du service sur ce macadam. Donc, ça c'est la première chose. Et les Français ne le comprennent pas. Peut être que Monsieur Bayrou l'a oublié.
Deuxièmement, ça ne date pas non plus d'aujourd'hui. La première société. Il y a quatre sociétés autoroutières en France. Il y a donc Cofiroute, on en a parlé. Elle est privée depuis 1970. Il y a l'ASF, qui a été mise en Bourse, par qui ? Par Monsieur Fabius, en 2002. 49,5 %. Selon les lois de privatisation, il n'y a jamais eu de problèmes. Ensuite APRR, l'autoroute du Rhône, 30 %. Mis en Bourse par qui ? Par Monsieur Robien, en 2004. Ça n'a jamais fait problème. Ensuite, Sanef, mis en Bourse quand ? Par Monsieur Sarkozy en 2005. Là aussi, pas de problème.
Q - Si vous faites de la pédagogie, là je ne comprends plus. Qu'est-ce vous vendez donc, dites le ?
R - On vend tout simplement la concession du service. Du service qui est sur les autoroutes. Vous savez on voit les agents qui vont nettoyer.
Q - Oui d'accord. Et alors, ce que je ne comprends plus, Thierry Breton, c'est quels étaient les arguments en 2003 de Gilles de Robien, lorsqu'il était ministre de l'économie. Il disait qu'il ne fallait pas privatiser parce qu'on allait se priver de sommes qui étaient utiles pour financer les infrastructures en matière ferroviaire, etc.
R - Voilà. Parce qu'il a été créé une agence qui s'appelle l'AFIT, qui finance précisément les infrastructures et dont il avait imaginé, à l'époque pour des raisons budgétaires, qu'elle serait financée uniquement par les dividendes. C'était à dire par les petits dividendes qui seront générés, année après année, de ces concessions. C'est entre 2, 300.000 millions par an.
Qu'est-ce que le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé ? Plutôt que d'avoir une gestion, pardonnez moi l'expression, mais un peu pépère, d'avoir une gestion de père de famille, un peu on ne se presse pas trop. On a dit quoi ? Plutôt que d'avoir ces dividendes qui viennent d'année en année, on va privatiser précisément le service qui est dessus. Donc, recueillir ces sommes pour les réinvestir immédiatement dans l'avenir. Pour les réinvestir dans l'infrastructure, dans l'économie.
Q - Bon d'accord. Et comment ce qui devait être payé par cette rente autoroutière, va être financé à ce moment là ?
R - Voilà la différence. C'est que le gouvernement a précisé précisément d'augmenter les ressources de cette agence, notamment en lui allouant des taxes pérennes, comme par exemple la taxe sur l'aménagement du territoire, qui vont donc abonder ces ressources de cette agence et qui seront supérieures à ce qui était prévu par les petits dividendes.
Et cela durablement ? Au-delà de 2007 comme le demande Gérard Longuet.
Rien que pour la période 2005-2012 on a prévu par ce biais, 12 milliards d'euros, c'est-à-dire à peu près autant que ce qui est attendu de la privatisation. Rien que sur 2005-2012. Et pour le reste, ces taxes évidemment vont abonder de façon pérenne l'ensemble des besoins pour le financement de cette agence.
Et j'ajoute par ailleurs que ce qui est important, c'est d'avoir la disponibilité de cette somme tout de suite, de façon à la réinvestir immédiatement dans l'économie, dans l'intérêt des Françaises et des Français.
Q - Ce n'est pas uniquement pour diminuer la dette.
R - Ça peut être aussi pour diminuer la dette. Ça peut être aussi, parce que je rappelle qu'on est aujourd'hui à plus de 60 % de dette, on est en infraction aujourd'hui par rapport à la réglementation communautaire et que donc, il faut, même si ces des gouttes d'eau. Vous savez gouttes d'eau plus gouttes d'eau. Et bien, on se remettra au niveau où on doit être.
Q - Alors, attendez. Dans ce que dit François Bayrou, il y a un autre argument. Il dit que tout ça, ce n'est pas possible de le décider comme ça, par décret. Il faudrait que ça passe devant le Parlement.
R - Non mais attendez. Les choses, elles sont très simples. Qu'est-ce qu'on a fait ? On s'est mis dans une situation où on a demandé aux candidats de se faire connaître. Qu'est-ce qu'on veut ? On veut tout simplement avoir les meilleurs actionnaires possibles, pour qu'ils puissent précisément, dans ces sociétés de services, apporter leur technologie, leur savoir-faire, pour avoir le meilleur service au monde sur nos autoroutes françaises. Et donc, on les met en concurrence. On leur dit : "présentez votre dossier". Il y en a qui ont de bons dossiers. Il y en a d'autres qui estiment qu'ils n'auront pas le bon dossier.
Q - Il n'y a pas un moment où il faudra que ça passe devant le parlement.
R - Attendez. On n'en est pas là. On en est aujourd'hui à faire en sorte que chacune et chacun qui ont envie de venir précisément apporter leurs compétences à ses autoroutes, se fassent connaître. On aura la réponse le 22 août. A ce moment là, on décidera. On décidera en fonction des besoins et en fonction des propositions qui nous seront faites.
Q - Est-ce que ça vous ennuie que le groupe Bouygues ne soit plus candidat au rachat ?
R - Ah non, alors là encore une fois, tout est ouvert. Il vaut mieux savoir avant qu'après. Donc, encore une fois, on ne force personne. On ouvre. Ceux qui ont leur savoir-faire, ceux qui ont la technologie, qu'ils se fassent connaître.
Q - Si ce sont des groupes étrangers ?
R - Encore une fois, si dans l'intérêt des Françaises et des Français, il n'y a aucun problème. Ce n'est pas le macadam qu'on va privatiser et qui va quitter, qui va se délocaliser. C'est uniquement le service, le meilleur service au monde que l'on veut apporter aux usagers français des autoroutes. Voilà ce que l'on veut.
Q - Donc, vous affirmez, à la différence - j'imagine - de François Bayrou, que la vente des autoroutes ne porte pas atteinte à l'intérêt national ? C'est ce qu'il dit.
R - Non seulement, ça ne porte pas atteinte, mais on va le renforcer. Encore une fois, il faut de la pédagogie. J'entends François Bayrou qui dit : "on va brader les bijoux de famille". Moi, je ne sais pas. Mais entre kilomètres de macadam qui ne sont pas privatisés- je le redis encore une fois - et le Viaduc de Millau. Le Viaduc de Millau, c'est une fierté française. Mais Monsieur Gayssot a décidé de privatiser la concession du Viaduc de Millau. C'est privé, le Viaduc de Millot. Les Françaises et les Français le savent ? Non ! Et pourtant, c'est la réalité. Donc, moi je dis que Monsieur Bayrou et moi on n'a pas les mêmes bijoux de famille.
Q - Tout est absolument faux donc dans ce que dit François Bayrou ?
R - Non, je crois qu'il faut de la pédagogie. Il faut expliquer clairement aux Français et aux Français.
Q - Il faudrait peut être l'expliquer d'abord à François Bayrou. Vous pourriez peut être lui téléphoner ? Vous avez le numéro de l'UDF ?
R - C'est un ami et je sais encore une fois qu'il faut de la pédagogie. Au moins l'intérêt, c'est que dans cette phase de consultation, et bien le grand intérêt de tout cela, c'est qu'on peut s'exprimer. Et puis, le 22 août, on verra les propositions et après ça, on discutera.
Q - Est-ce que vous comprenez le combat que mène François Bayrou contre cette privatisation?
R - Je crois qu'il faut de la pédagogie ?
Q - Ce n'est pas une réponse ça ?
R - Si, parce que de même qu'on a rassuré Gilles Carrèze qui dit que maintenant il est complètement rassuré, et bien je ne désespère pas de rassurer aussi François Bayrou.
Q - Donc, vous ne reprendrez pas contact avec lui ?
R - Je le vois souvent et je suis sûr qu'on s'expliquera. De toute façon, c'est tellement simple à comprendre quand on se donne les moyens, que je suis sûr que ceci sera derrière nous, dans l'intérêt encore une fois, des Françaises et des Français et dans l'intérêt de l'état. J'ajoute que la commission des participations et transferts veillera au bon déroulement de ceci. Ceci se fera dans le strict respect des lois de privatisations. Ni plus, ni moins.
Q - Il nous reste une minute. La baisse du Livret A. C'est un autre sujet. Ce sont les ménages qui risquent d'être pénalisés.
R - Il y a une bonne nouvelle. C'est qu'en France l'inflation est la plus basse qu'elle n'a jamais été. Donc, le Livret A est calculé en tenant compte de la part de l'inflation. L'inflation baisse. Le taux baisse un tout petit peu. Si l'inflation remonte, le taux remontera. C'est mécanique et c'est une bonne nouvelle, parce qu'au moins les politiques, ne s'en mêlent plus.
Q - C'est une bonne nouvelle. C'est-à-dire que ça pouvait aussi piloter l'épargne française ?
R - L'intérêt c'est que bien entendu, si jamais ça baisse, on va avoir un peu plus de moyens pour le logement social. Donc, c'est une double bonne nouvelle.
Moins d'inflation, une inflation qui se réduit énormément et puis par ailleurs, plus de moyens pour le logement social.
J'ajoute encore une fois, que l'inflation remontait, le tout remonterait mécaniquement.
Q - Merci Thierry Breton. Merci d'avoir été l'invité de RTL ce matin.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 août 2005)