Extraits d'une interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, avec les correspondants de la presse européenne le 25 octobre 2000, sur les négociations sur la réforme des institutions communautaires (commission européenne, majorité qualifiée, coopérations renforcées) et sur l'élargissement de l'UE.

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Média : Club de la presse européenne - Presse européenne

Texte intégral

Q - Etes-vous satisfaits des résultats de la PFUE ?
R - Il y a évidemment d'autres sujets que la réforme des institutions mais l'intérêt se concentre en ce moment sur la réforme des institutions. Je dirai simplement qu'il ne faut pas négliger tous les résultats que nous avons commencé à obtenir dans différents domaines, comme par exemple, l'adoption par la Convention du projet de la charte des droits fondamentaux, l'accord sur une directive et un programme de lutte contre les discriminations, l'accord sur une stratégie de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, l'accord sur la directive relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, l'adoption d'une position commune sur l'étiquetage de la viande bovine, l'accord sur des premières mesures en faveur de la sécurité maritime, l'accord sur une décision cadre en matière de droit des victimes, l'adoption du règlement MEDA 2. Il y a beaucoup de choses encore qui vont avancer. Comme l'attention de l'opinion publique européenne est concentrée sur la conférence intergouvernementale, celle-ci ne peut pas être jugée avant la fin. C'est après Nice que l'on pourra former une appréciation. Nous sommes aujourd'hui dans une situation où l'opinion publique dit " il ne se passe rien ", c'est parfois un peu injuste en ce qui concerne les commentaires. Car, on avance bien, méthodiquement dans beaucoup de domaines mais évidemment, c'est la réforme des institutions qui est au centre.
A cet égard, il y a eu plusieurs phases : la phase de lancement sous Présidence portugaise, les premières semaines sous Présidence française, puisque ce fut l'été. On s'est retrouvé début septembre, au Gymnich d'Evian où j'ai dit qu'on commençait à être préoccupé parce que les choses n'avançaient pas alors que chaque pays répétait simplement sa position nationale, ce qui est parfaitement légitime mais il faut bien commencer à discuter à un moment donné et nous avons vu que les choses commençaient à bouger un peu en septembre dans les réunions que nous avons animées, Pierre Moscovici et moi-même. Ensuite, il y a eu Biarritz. Pour nous Biarritz a été très utile parce que les problèmes apparaissent maintenant très clairement et cette opération de clarification devait avoir lieu suffisamment à l'avance pour qu'on ait le temps de discuter et de négocier vraiment pour préparer l'accord de Nice. On n'aurait pas pu faire cette opération de clarification à la veille de Nice. A Biarritz, on s'est expliqué. Nous avons quatre sujets :
- sur la majorité qualifiée, on voit qu'on progresse. On peut penser qu'on va atteindre à un moment donné à un accord.
- les coopérations renforcées, on voit que là-aussi, on va progresser vers l'assouplissement et on peut être assez optimiste sur le fait de définir même avant Nice, je pense, les contours de l'accord.
Il y a deux autres questions plus difficiles :
- il y a la question de la repondération
- la question de la Commission
Mais au moins, à Biarritz nous avons clarifié ces options. Il y a un sujet sur lequel il y a une opposition assez nette entre les petits pays et les grands pays. Donc, on ne peut pas dire que la négociation de la Conférence intergouvernementale oppose les grands et les petits, ce serait une erreur complète. On peut dire que sur un des quatre sujets, qui est celui de la Commission, il y a un désaccord mais il ne faut pas avoir peur non plus de la négociation, on sait bien que c'est difficile, si ça ne l'était pas, tout cela aurait été réglé par Amsterdam. Donc, c'est difficile, on a eu le courage de prendre les choses en face et nous sommes entrés dans la vraie négociation. Entre Biarritz et Nice, il y a un peu plus de sept semaines, 55 jours, et à partir d'aujourd'hui, il reste 43 jours jusqu'à Nice. Je pense que c'est un temps suffisant pour conclure à Nice, d'autant que nous avons beaucoup d'occasions, il y a deux conclaves ministériels, deux Conseils Affaires générales, cinq réunions du groupe préparatoire, les contacts bilatéraux qui vont se multiplier, la tournée de Pierre Moscovici dans ce que l'on appelle "les petits pays", il a déjà été à Bruxelles et il y a enfin la tournée que fera le président Chirac.
Voilà comment se présentent les choses et je crois qu'on n'y arrivera.
Q - Et si on n'y arrive pas à Nice, quel sera le scénario ?
R - Je ne veux pas me placer dans cette hypothèse. Notre objectif est d'avoir un bon résultat, on a dit à plusieurs reprises qu'on ne pouvait pas se satisfaire d'un accord au rabais. Il ne faut pas commencer à réfléchir à ce qui se passera si on n'y arrive, il faut y arriver. D'ailleurs, je disais tout à l'heure que les pays avaient défendu dans un premier temps leurs intérêts nationaux, ce que je trouve légitime mais dans un deuxième temps, et nous y sommes, il faut quand même se rappeler que nous avons un intérêt européen commun et c'est celui là qu'il faut faire émerger maintenant.
Q - Il y a plusieurs pays qui résistent, est-ce que vous pourrez les convaincre que c'est une bonne solution ?
R - Je peux simplement rappeler nos arguments. Nous n'avons pas poser ce problème brusquement, uniquement pour créer des difficultés. Nous avons poser ce problème, parce que nous allons vers le grand élargissement qui va nous faire passer potentiellement de quinze à vingt-sept pays, un jour trente ou plus. Il nous a semblé que si on continue à élargir la Commission au rythme des adhésions, on finira par créer une commission qui sera tellement grande qu'elle n'arrivera plus à travailler comme un organisme collégial. Donc, ce n'est pas la France qui pose le problème de la Commission, c'est l'élargissement. Deuxièmement, je voudrais rappeler que dans l'esprit de la construction européenne, dont les petits pays se réclament très souvent, dans l'esprit des institutions communautaires, à commencer par le traité de Rome, les commissaires ne représentent pas les pays. C'est donc, c'est même troublant de voir aujourd'hui que certains pays demandent le maintien d'un commissaire par pays alors que c'est à l'opposé de l'esprit de la construction européenne. Les commissaires européens doivent représenter l'intérêt général. Vous conviendrez que c'est quand même troublant comme argument. D'autre part, je ferais remarquer que quand un pays comme la France fait cette proposition, ce n'est pas une attaque d'un grand pays contre les petits pays parce que nous sommes prêts à participer à cette rotation et le sacrifice est encore plus grand pour un pays qui a deux commissaires que pour un pays qui n'en a qu'un. Il est donc injuste de présenter cela comme une attaque des grands contre les petits. Voilà les termes de la discussion. Je crois que nous sommes plus fidèles nous, à l'esprit des institutions et que nous défendons mieux l'avenir, l'autorité et la crédibilité de la Commission, en demandant que la Commission soit plafonnée, que ceux qui refusent absolument tout plafonnement de la Commission. Ce sont les arguments, maintenant le débat est ouvert, les autres arguments sont certainement légitimes aussi. La négociation est devant nous pendant quelques semaines jusqu'à ce qu'on ait conclu.
Q - inaudible
R - En ce qui concerne cette présidence française, naturellement comme toutes les présidences de l'Union européenne, elle prend les problèmes tels qu'ils étaient juste avant, on ne part jamais de zéro. Aucun pays qui préside ne pourrait imposer de façon abstraite ses propres priorités et une présidence doit être jugée à son terme, en fonction de la façon dont elle a fait avancer les problèmes qui se présentaient. La Présidence française a comme problème principal à résoudre mais pas uniquement, la réforme des institutions, celle qui n'a pas pu aboutir en 1996-1997 à Amsterdam et que nous avons repris. Cela devient urgent puisque maintenant, la perspective de l'élargissement se rapproche. Pour nous, un bon accord à Nice, c'est un accord qui permettra une extension significative du vote à la majorité qualifiée dans les domaines communautaires, ce qui sera évidemment facilité par une repondération substantielle, le système actuel étant vraiment pas assez représentatif de la réalité. Nous souhaitons également que la Commission soit plafonnée en dessous de vingt pour pouvoir continuer à fonctionner, sinon, elle va se paralyser progressivement avec les élargissements et nous souhaitons que le recours aux coopérations renforcées soit grandement facilité pour que dans l'Europe élargie de demain, des pays qui veulent avancer dans un domaine particulier, en plus des politiques communes qui existent déjà, puissent avancer sans être bloqués par ceux qui ne veulent pas bouger. C'est l'élément central. Mais je voudrais ajouter que déjà, nous avons obtenu que la convention élabore un projet de charte des droits fondamentaux qui sera très certainement proclamée à Nice, que d'autre part, nous visons l'adoption d'un agenda social au Conseil européen de Nice et que nous nous efforçons de définir, domaine par domaine, les actions à entreprendre, les moyens pour y parvenir et le calendrier correspondant, c'est important. Nous avons déjà obtenu des résultats mais nous voulons encore les compléter, en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, un accord politique sur la directive modificative relative à la lutte contre la blanchiment, qui étend l'obligation de déclaration à de nouvelles professions. C'est un domaine qui était totalement bloqué jusqu'ici, c'est donc un énorme progrès. De même nous espérons avoir des avancées significatives en ce qui concerne la protection de la santé des consommateurs, la sécurité des transports, notamment, les transports maritimes et les questions d'environnement. Je ne cite que quelques exemples parce que l'Europe maintenant déploie son activité dans tellement de domaines, qu'on ne peut pas en faire l'énumération à chaque fois.
Q - Sur la coopération renforcée, quels sont les domaines concernés ?
R - Je ne cite aucun domaine a priori, c'est une précaution pour l'avenir en fait. Les difficultés que nous avons eues ces dernières années en Europe montrent- que raisonnablement, on ne peut pas espérer lancer de nouvelles politiques communes quand on sera vingt, vingt-cinq ou trente. Il faut prévoir une souplesse permettant à un groupe de pays qui veut faire plus, d'avoir un dispositif. Dans le traité d'Amsterdam, c'est prévu normalement, mais cela est soumis à de si nombreux contraintes et vetos préalables que cela ne marche pas. D'ailleurs, personne n'a songé à utiliser le traité d'Amsterdam, c'est pour cela que nous souhaitons l'assouplissement. Mais ce n'est pas parce que nous avons un projet caché, on n'a pas de projet caché et on voit bien que dans l'histoire de l'Europe, la construction européenne a été lancée par six pays, c'est déjà une démonstration. Depuis des réalisations aussi variées que l'Euro, que Schengen, que la défense européenne ont toujours été lancées par des petits groupes de pays, donc, c'est une leçon de l'Histoire. On peut prendre des exemples industriels comme Airbus, la leçon nous montre que ce ne sont pas tous les pays en même temps en fait qui sont prêts à avancer. Il ne faut pas que les pays les plus dynamiques soient bloqués par les autres.
Q - Le rôle de la Commission dans ceci ?
R - Selon moi, la Commission doit pouvoir donner son avis mais ne doit pas pouvoir bloquer. Je suis pour la formule la plus souple possible. D'ailleurs, les pays membres garderont toujours la possibilité de développer des coopérations entre eux, par traité s'il le fallait même si c'est dans d'autres domaines que des politiques communes mais cela serait quand même mieux pour l'Europe et pour les institutions européennes que cela se passe dans les traités. C'est pourquoi, il faut que ce soit assoupli."
Q - s'il y a un blocage, l'élargissement est bloqué aussi ?
R - J'espère qu'il n'y aura pas de blocage à Nice, c'est une négociation difficile. Au printemps, il y a eu tout un débat sur l'avenir de l'Europe. A ce moment-là, la mode était de dire que la CIG, ce n'était pas important. Je suis content de voir qu'on a redécouvert que la CIG, c'est décisif. Je ne crois pas qu'il y a un blocage mais si par malheur il y avait un blocage à Nice, dans l'immédiat, cela ne retarderait pas l'élargissement parce que de toute façon les négociations se poursuivent. Je suis en contact très régulier avec le commissaire Verheugen. Donc le travail entre la Commission et la Présidence et chaque Etat membre continue, il n'est pas suspendu au sommet de Nice, il y a d'énormes problèmes à résoudre. Il n'y a aucun pays pour lequel tous les problèmes sont réglés, il n'y a aucun pays qui soit prêt à rentrer dans trois mois. L'inconvénient si on prend du retard par rapport à Nice, c'est qu'on va prendre du retard sur la ratification et qu'on risquerait de ne pas tenir l'engagement que nous avons pris d'avoir signer la ratification fin 2002 pour être prêts à accueillir de nouveaux membres début 2003. Il faut donc tout faire pour tenir cet engagement.
Q - La présidence française a toujours été très active pour prendre des mesures contre le gouvernement autrichien mais on a dû lever les sanctions... Est-ce que cela a été un échec ?
R - Je ne pense pas que c'était un échec, puisque le rapport des trois sages a dit que ces mesures avaient été utiles. Nous nous étions, tous, mis d'accord, à Feira je crois, pour qu'il y ait ce rapport. Ces trois personnalités incontestables ont dit que les mesures prises par les Quatorze étaient justifiées, qu'elles ont été utiles, qu'elles ont amené le gouvernement de Vienne à prendre un certain nombre d'engagements supplémentaires - et c'est très bien -, qu'elles ont provoqué dans la société autrichienne un débat qui a été très utile aussi et que, maintenant, il n'était plus utile de continuer. Ce n'est pas la démonstration d'un échec.
Q - Cela veut dire que l'isolement de l'Autriche...
R - Non. Il n'y a pas eu d'isolement de l'Autriche, il y a eu suspension des relations gouvernementales bilatérales, soyons précis. Il n'y a jamais eu d'isolement. Il n'y a jamais eu de mesures de boycott de quoi que ce soit et, chaque fois qu'il y avait eu des mesures de type boycott scolaire ou autre, on les a fait annuler tout de suite. On n'a jamais demandé cela, cela n'avait rien à voir. Par contre, il y a eu la suspension des relations gouvernementales. Ce rapport a dit que l'on avait eu raison, que c'était une bonne chose, que cela avait donné des résultats positifs et que, par conséquent, on pouvait se permettre de lever les mesures. Donc c'est plutôt un satisfecit. Le problème est derrière nous.
Q - Vous avez dit dans un entretien récemment qu'il fallait rapprocher l'Union européenne des Européens. Comment y parvenir ?
R - Il y a plusieurs façons de répondre à cela. Je crois que la réforme des institutions, d'une façon générale, répond à cela. Toutes les mesures dont on a parlé devraient rendre les institutions européennes plus claires, plus lisibles. D'autre part, il y a quelque chose qui relève de la méthode et du comportement, qui est une façon démocratique d'expliquer ce que l'on fait. Je prends un petit exemple, mais qui est significatif de cette mentalité : nous avons systématisé, Pierre Moscovici et moi, les comptes-rendus des Conseils affaires générales devant le Parlement européen, à chaque fois, systématiquement, devant les deux commissions compétentes, et même parfois devant des séances plénières. D'autre part, je crois que, dans l'avenir, il faudrait améliorer un point faible du système, qui est l'association des parlements nationaux. Il y a un certain équilibre dans ce que l'on appelle les trois piliers du système, entre la Commission, le Conseil de ministres et le Parlement. Mais il y a une vraie insuffisance du côté des parlements nationaux, qui ne sont pas assez associés au système. Or les gouvernements des Etats membres ont à rendre compte aussi devant les parlements nationaux, qui s'intéressent de plus en plus à ce sujet, et il y a un élément de déséquilibre. Donc, d'une façon ou d'une autre, dans les années qui viennent, il faudra améliorer l'insertion des parlements nationaux dans le fonctionnement démocratique de l'Union.
Q - Et la Parlement européen ?
R - Je vois que le Parlement européen est très important. Son importance se développe régulièrement et je disais, il y a un instant, que nous faisons un effort particulier pour informer le Parlement européen de tout ce que nous faisons en tant que Présidence. Et je crois qu'ils le reconnaissent : ils sont très au courant de ce que nous faisons, ils ont des comptes rendus immédiats, c'est très transparent. Il n'empêche qu'il manque quelque chose. L'existence du Parlement européen n'a pas retiré la compétence des parlements nationaux. On sait bien que dans la vie démocratique de nos pays d'Europe, puisque l'on parlait de démocratie, les choses essentielles se passent encore dans les parlements nationaux. Les parlements nationaux ont le sentiment d'être un peu décalés par rapport au sujet. Donc, il faut améliorer l'information des parlements nationaux, l'écoute des parlements nationaux et leur insertion d'une façon ou d'une autre. Il faudra réfléchir à cela.
Q - Est-ce que le grand débat sur l'avenir de l'Europe, lancé par Fischer, pose des problèmes pour la Présidence française ?
R - Non, pas particulièrement. Dans le débat politique, on doit pouvoir exprimer ses idées à tout moment, bien sûr. Simplement, ce ne sont pas des problèmes que l'on pouvait traiter pendant la Présidence. Le débat sur l'avenir de l'Europe, c'est un débat qui est ouvert, par définition, à tout moment, et qui va se poursuivre et se développer l'an prochain. La seule chose qui aurait pu nous poser un problème, c'est s'il y avait eu un malentendu et que l'on nous ait dit : les idées de Fischer - ou bien des autres, parce qu'il y a eu d'autres interventions sur le même sujet -, il faut en parler dans la CIG. Cela nous aurait posé un problème parce que nous savions déjà que le programme de travail de la CIG était très compliqué, nous avions vu à Amsterdam que c'était difficile. Si en plus, il avait fallu débattre de toutes les idées, qui comportent d'ailleurs de très nombreuses options, ce n'est pas un plan simple, ce sont des options possibles, s'il avait fallu débattre de tout cela dans la CIG, on aurait pu aboutir à rien. C'est pour cela que M. Moscovici et moi avions dit au printemps, " attention à ne pas trop charger la barque ", mais ce n'est pas pour empêcher le débat. C'est simplement pour dire qu'il y a plusieurs niveaux de débats. D'ailleurs, quand j'ai présidé le Gymnich, à Evian début septembre, nous avons consacré une de nos séances au débat sur l'avenir. Mais on ne peut pas le mettre dans la CIG aujourd'hui. Il faut commencer par réussir Nice. Quand on se sera mis d'accord à Nice, on verra sous quelle forme le débat doit s'organiser ensuite.
Q - Est-ce qu'au sein du Conseil européen, l'atmosphère est assez bonne pour réussir une réforme ?
R - Oui. Tous les participants se connaissent très bien, ils ont l'habitude de travailler ensemble, les ministres se voient absolument tout le temps, les chefs d'Etat et de gouvernement se voient souvent et l'ambiance est très directe. C'est une ambiance facile, qui n'est pas formaliste, pas compliquée, c'est une ambiance de travail. Ils sont tous très conscients du fait qu'ils défendent des intérêts nationaux légitimes mais qu'ils ont à gérer ensemble un intérêt collectif européen qui est aussi légitime et encore plus important peut-être pour l'avenir."
Q - L'axe très stable, c'est l'axe Berlin-Paris ?
R - Oui, il y a une relation franco-allemande qui pour des raisons historiques, et autres, qui est plus constante que les autres et nous y attachons beaucoup d'importance. Nous savons bien que s'il n'y a pas d'accord entre Berlin et Paris, il est presque impossible d'arriver à une bonne solution pour tout le monde. Mais nous savons aussi que dans l'Europe, l'accord entre Berlin et Paris ne suffit pas. Il ne peut pas y avoir un accord Berlin-Paris pour imposer une solution purement franco-allemande à tous les autres parce qu'ils ne seraient pas d'accord. Donc, l'accord franco-allemand est indispensable mais il doit être complété par l'accord des autres. Il faut être très fluide, il n'y a pas de clivage.
Q - Et les problèmes d'élargissement ?
R - Mon point de vue sur l'élargissement, c'est que la seule façon de traiter le sujet, c'est de négocier sérieusement. Si on était contre l'élargissement, on n'aurait pas ouvert les négociations. Donc on a apporté une réponse essentielle, quand on a essayé d'ouvrir les négociations. A partir du moment où on a ouvert les négociations, c'est presque sans intérêt de spéculer si l'on est pour ou contre. On est forcément pour, sinon il n'y aurait pas de négociations. Alors ensuite les commentaires sur la question de savoir quand est-ce que cela sera terminé, n'ont aucun sens. Les négociations seront terminées quand elles seront terminées. Personne ne sait quand elles seront terminées. Cela peut très bien être très tôt. Nous en tant que Présidence, nous avons demandé à la Commission d'accélérer le rythme, ce qui veut dire en pratique de passer des chapitres qui ne posent pas de problèmes aux chapitres qui posent des problèmes. On leur a dit qu'il faut vraiment entrer dans la vraie négociation maintenant. Toute la discussion publique sur le fait de savoir qui est pour, qui est contre, en quelle année ils doivent entrer, avec des spéculations sur les pays qui sont plus ou moins favorables, cela n'a aucun sens. Regardez comment se sont passés les élargissements du passé. L'Europe est passée de six à neuf, de neuf à dix, de dix à douze et de douze à quinze. Pour adhérer, il y a des problèmes à régler : on demande aux pays candidats de reprendre l'acquis communautaire, c'est énorme. Ca leur impose des réformes très dures, très courageuses, et je salue leur courage par rapport à cela. Mais c'est ça aujourd'hui pour adhérer, ne peut pas faire autrement. Donc je dis souvent que les pays candidats n'ont pas besoin d'avocats, ils ont besoin de négociateurs et de réformateurs pour y arriver le plus tôt possible. On ne cherche pas à gagner du temps ; on s'est fixé comme objectif début 2003, si les pays candidats ont, tous, réglé tous leurs problèmes début 2003, ils pourront rentrer tous à cette date. Il n'y a pas de problèmes, on ne cherche pas à gagner du temps, on ne cherche pas des procédés artificiels pour repousser l'adhésion de ces pays plusieurs années après. Mais ils ne peuvent pas rentrer sans avoir réglé les problèmes. Donc il ne faut pas qu'il y ait une sorte d'approche artificiellement politique ou sentimentale, dans un sens ou dans l'autre qui vienne perturber la négociation. Une négociation c'est très concret. Les pays disent : voilà sur tel chapitre je peux reprendre l'acquis communautaire. Sur tel autre chapitre, je ne peux pas, j'aurai besoin de cinq ans de transition. Ensuite, on discute : sommes-nous prêts à accepter cinq ans de transition pour tel pays, est-ce que ça va entraîner le fait que tous les autres pays vont demander des transitions ? Est-ce que ça va porter atteinte au fonctionnement du marché unique ou à une politique commune. Voilà la négociation. C'est sérieux. Le débat général sur l'élargissement n'a pas de sens en fait, il n'y a que la négociation./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 octobre 2000)