Point de presse de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur la demande française d'encadrement de la Commission européenne dans le cadre des négociations agricoles à l'OMC, de coordination européenne des mesures de protection contre la grippe aviaire et d'assistance aux pays pauvres, notamment à l'Afrique, Luxembourg le 18 octobre 2005.

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Circonstance : Réunion du Conseil Affaires générales et relations extérieures extraordinaire à Luxembourg le 18 octobre 2005

Texte intégral

Avec Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux Affaires européennes, Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au Commerce extérieur, et avec M. Dominique Bussereau, ministre de l'Agriculture et de la Pêche, nous étions présents ce matin à ce Conseil Affaires générales que la France a demandé et que la Présidence britannique a accepté de tenir ; nous voulons la remercier pour cela parce que ce Conseil a été pour nous fructueux.
D'abord, le contexte : les commissaires européens responsables ont pris l'initiative de nouvelles ouvertures agricoles sans aucune concertation préalable sérieuse ; c'est sur la question de l'accès au marché des produits agricoles que le risque est majeur puisqu'il s'agit de l'aspect le plus sensible, j'ai envie de dire le plus complexe de la négociation agricole.
Cette attitude n'est pas acceptable et d'ailleurs la réussite du cycle de Doha dépendra d'une seule chose, de la confiance qui existe entre la Commission d'un côté et le Conseil de l'autre, c'est ce que nous avons dit pour commencer.
Nous n'avons découvert les propositions concernant l'accès au marché agricole qu'au moment de leur diffusion aux pays tiers, mais notre première analyse technique nous inspire beaucoup d'inquiétude puisque les effets conjugués des réductions des droits envisagés par la Commission, de notre traitement généreux des produits "sensibles" et puis de la perspective de la suppression des restitutions à l'exportation risquent de conduire à la désorganisation de plusieurs filières de production et à des baisses de prix supplémentaires par rapport à ce que la réforme de la PAC de 2003 avait anticipé et financé. Avec Dominique Bussereau, nous nous battons pour que cela n'ait pas lieu car il s'agit de secteurs majeurs pour l'agriculture européenne ; des emplois sont en jeu et notre rôle est de les défendre.
Nous avons demandé à la Commission la mise en place d'un groupe d'experts techniques avant le début des négociations à Genève et nous avons pu obtenir que ce groupe technique d'experts puisse se réunir avant même le début des discussions de Genève dans le domaine agricole. Je remercie la Commission de l'avoir accepté et je remercie la présidence d'avoir fait en sorte que le texte définitif que nous avons accepté puisse bien replacer la Commission dans son mandat car c'est le Conseil qui fixe le cadre du mandat de la Commission. Nous ne demandons en définitive qu'à être rassurés par la transparence qui existe sur les propositions de la Commission présentées aux pays tiers - à l'Inde, au Brésil, aux Etats-Unis ou à d'autres pays.
Pour conclure, nous avons fait quatre propositions : premièrement, qu'il y ait des échanges techniques sur l'accès au marché agricole qui doivent être organisés demain, échanges acceptés et la France s'en réjouit ; deuxièmement, d'ici là, demander à la Commission européenne, de ne pas poursuivre les négociations mais finalement nous avons eu l'accord pour demain, je vois avec plaisir que ce groupe se réunira ; et puis, il est indispensable également de mettre à profit cette réflexion pour avancer sur les intérêts offensifs de l'Europe, à savoir les tarifs industriels, les services, le registre des vins et spiritueux.
Nous souhaitons que le Conseil continue à rappeler que c'est la réforme de la PAC qui détermine les marges d'action de l'Union européenne à Genève.
La France n'acceptera pas un accord qui ne serait pas compatible avec le cadre fixé par la réforme de la PAC de 2003, ce n'est pas à la négociation de l'OMC de forcer des réformes allant au-delà d'une décision prise par l'Union.
Et enfin, nous avons demandé à la Commission d'avancer de manière décisive dans le volet développement car il nous paraît important de ne jamais oublier que ce cycle est aussi celui du développement.
Je voudrais dire de manière solennelle devant vous une seule chose : ce groupe technique a été accepté par la Commission, et j'en suis ravi, si l'analyse technique ne permet pas d'établir que le mandat est respecté, il appartient alors à la Commission d'en tirer toutes les conséquences et, en tout état de cause, la France le fera. Voilà pour le premier sujet qui est celui de l'OMC.
Pour le deuxième sujet, la grippe aviaire, nous avons simplement, avec Dominique Bussereau, rappelé trois messages qui nous paraissent essentiels. Le premier c'est que l'Union européenne se doit d'identifier les pistes d'une véritable coordination européenne ; il persiste à ce jour au sein de l'Union européenne des disparités dans l'approche de la prise en charge des citoyens européens mais également de chacun de nos ressortissants à l'extérieur de l'Union européenne. Nous nous réjouissons de la réunion des ministres de la Santé qui va avoir lieu les 20 et 21 octobre.
Deuxième message qui ne dépend plus uniquement de ce Conseil Affaires générales : notre système de protection serait illusoire s'il ne s'accompagnait pas d'un effort majeur de solidarité vers les pays les plus pauvres et en particulier vers les pays d'Afrique. Soyons clairs, ces pays du Sud n'ont absolument pas les moyens ni les ressources pour faire face à cette épizootie, et donc il est normal de prendre des mesures sanitaires, dans le cadre des systèmes de santé publique et des mesures vétérinaires, pour la santé animale. En effet, quand les oiseaux migrateurs arriveront dans ces pays du Sud, il peut y avoir, si rien n'est fait, un risque de mutation du virus qui serait très dangereux. Vous le savez, l'épizootie ne peut se transformer en épidémie pour l'homme que s'il y a mutation avec un virus de la grippe hivernale. L'intervention de l'Union européenne doit s'inscrire dans le cadre de l'action qui est actuellement déployée par les institutions multilatérales, OMS, OAA/FAO, OIE. Une réunion se tiendra à Genève les 7 et 9 novembre au cours de laquelle ces trois grandes institutions multilatérales vont demander la création d'un fonds mondial contre l'épizootie et il me paraît aujourd'hui très important que l'ensemble des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne demande à la Commission qu'elle contribue à ce fonds ; que ce soit dans le cadre de l'OMS, de l'OAA/FAO ou de l'OIE, il faut que nous soyons capables d'aider les pays africains, les pays du Sud pour que cette épizootie ne se transforme pas en épidémie. C'est d'abord éthique et ensuite c'est une condition d'efficacité.
Enfin dernier point, le Pakistan était aussi à l'ordre du jour. Bien évidemment, la communauté internationale s'est immédiatement mobilisée mais il me paraît utile de dire qu'il est temps que l'Union prenne la responsabilité d'utiliser tous les instruments disponibles pour répondre aux situations d'urgence. Il est temps que nous traitions de façon approfondie et opérationnelle la question d'une capacité de réaction rapide. Il est temps, et nous y reviendrons au Conseil Affaires générales de novembre, que l'on propose la création d'une structure de planification, de coordination, de mobilisation des moyens, une sorte d'état major léger qui permette à l'Union de répondre immédiatement, dans n'importe quel endroit du monde, par une force d'action rapide. On le voit, il y a de plus en plus de catastrophes naturelles. Nous avons besoin d'être capables d'agir dans les quarante-huit heures : il est nécessaire d'avoir une force d'action rapide au niveau européen pour être en permanence et très rapidement présents, ne serait-ce qu'avec des moyens héliportés, qu'avec des moyens organisés entre nous et que ce ne soit pas les Etats membres qui, de manière unilatérale ou bilatérale, agissent, souvent de manière non coordonnée.
Q - Est-ce que vous souhaitez qu'un groupe technique se réunisse à chaque étape de la négociation ?
R - A chaque étape significative de la négociation, nous avons intérêt à nous mettre d'accord avec les experts. Prenez quelques éléments : Dominique Bussereau me parlait du sucre, du beurre ou des tomates, il me paraît normal, si nous voyons que la Commission dépasse la ligne, que nos experts se concertent. C'est le respect dû aux Etats membres et nous savons, en particulier depuis le 29 mai, que les Français regardent au plus près ce que les hommes politiques font pour eux. Donc la Commission a un rôle qui est défini par le Conseil. Le Conseil, ce sont des hommes et des femmes politiques qui ont, eux, des comptes à rendre au peuple et donc il me paraît normal, dans ce cadre là, de demander avant chaque négociation significative qu'un groupe d'experts se réunisse ; pour demain c'est déjà le cas.
Q - Cela signifie-t-il que vous n'avez plus aucune confiance dans la Commission ?
R - Je n'ai pas dit cela. Je suis très respectueux des institutions européennes, de la Commission, du Conseil et du Parlement. Simplement, quand on a confiance en quelqu'un c'est important. Quand à un moment donné on peut être d'un avis différent, le mieux, à ce moment là, est de pouvoir trouver une tierce personne qui nous mette d'accord ; c'est ce qui se passe, nous avons demandé à des experts de nous mettre d'accord. Cela fait partie des choses normales et c'est parce que nous avons confiance que nous avons demandé cela.
La Commission, sinon avec plaisir, mais avec enthousiasme, a d'ailleurs accepté ce groupe d'experts et, d'un commun accord, nous avons adopté des conclusions qui indiquent qu'il y aura un groupe d'experts demain. La confiance n'est jamais totalement acquise dans la vie.
Q - Est-ce que ce groupe sera permanent ?
R - Vous pouvez nous faire confiance, le Conseil sera toujours là et il y aura toujours des Etats membres. Ce n'est pas un problème de contrôle, c'est un problème de responsabilité : nous nous sentons responsables, les gens de la Commission aussi mais n'en voulez pas aux Etats membres de se sentir responsables, ce n'est pas un problème de défiance, c'est un problème de responsabilité politique. Il nous paraît donc important d'étudier les conséquences économiques et sociales de toutes les propositions qui sont faites au sein de l'OMC et je fais totalement confiance aux institutions européennes pour défendre l'Europe.
Q - Les conclusions ne mentionnent pas le groupe d'experts.
R - Nous nous sommes mis d'accord sur ce texte et à ce moment là j'ai dit que j'avais une déclaration à faire pour savoir si un groupe d'experts pourrait se réunir avant le début des négociations à Genève et j'ai attendu la réponse de la Commission pour donner mon accord aux conclusions du Conseil.
Q - Si l'on constate que la Commission est allée au-delà de son mandat, est-ce que ces propositions pourraient être modifiées avant de commencer la discussion?
R - Si l'analyse technique ne permet pas d'établir que le mandat est respecté, il appartient à la Commission d'en tirer les conséquences et, en tout état de cause, la France le fera.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2005)