Texte intégral
J.-P. Elkabbach - Vous deviez parler avec nous tout de suite de la Sécurité sociale or on a des nouvelles qui arrivent de la Commission de Bruxelles ; la grippe aviaire est-elle en Europe ? La Commission de Bruxelles annonce à l'instant qu'une forme de grippe aviaire est détectée en Roumanie sur trois canards du delta du Danube. Est-ce que cela veut dire que le virus ou un des virus a atteint l'Europe ?
X. Bertrand - D'après les informations que nous avons ce matin de la Commission européenne, j'ai vérifié dès ce matin avec l'Afssa, l'Agence française sanitaire pour la sécurité des aliments et avec le délégué interministériel contre la grippe aviaire. Nous avons aujourd'hui confirmation qu'il y a une souche du virus. Le virus en question, celui qui frappe beaucoup l'Asie du Sud-Est et l'Asie centrale, c'est ce virus H5N1. Nous attendons la confirmation du laboratoire européen de référence à Weybridge, au sud de Londres. Nous aurons ces conclusions au plus tard demain matin Mais il faut savoir qu'en attendant, que ce soit pour la Roumanie comme pour la Turquie - vous savez qu'en Turquie, la question se pose pour des dindes -, il n'y a plus aujourd'hui d'importations depuis l'annonce de ces découvertes.
Q - Et Bruxelles annonce qu'elle interdit des importations qui ne se produisent plus, comme vous dites, d'oiseaux vivant ou de volailles qui proviennent de Roumanie. Mais en France, est-ce qu'il y a un risque, oui ou non ?
R - Il y a effectivement un risque, ce sont les scientifiques qui nous le disent depuis maintenant des mois. C'est pour cela que nous n'attendons pas que le risque soit là pour pouvoir anticiper. Je crois d'ailleurs que c'est un événement très nouveau dans la gestion des crises par tous les décideurs, notamment par les acteurs politiques que nous sommes. Il faut anticiper, il faut prévenir plutôt que chercher à guérir. Mais concernant la grippe aviaire, il faut savoir qu'il y a trois niveaux dans la grippe aviaire. Le premier niveau, c'est l'épizootie comme on l'appelle, c'est-à-dire le virus qui frappe les oiseaux. Ceci a été constaté en Asie du Sud-Est, en Asie centrale et nous attendons confirmation en Europe, Roumanie et Turquie. Le deuxième niveau, c'est quand le virus passe de l'oiseau à l'homme. Cela a été constaté uniquement en Asie du Sud-Est, avec 119 malades et 60 décès.
Q - Et le troisième, c'est la contagion d'homme à homme et cela n'existe pas. Le virus n'a pas muté.
R - Le virus n'a pas muté, nulle part sur la planète, nous n'avons de passage de l'homme à l'homme. Mais comme ce risque existe, nous devons nous mobiliser au maximum et nous devons, encore une fois, anticiper.
Q - Est-ce qu'on nous dira toujours toute la vérité ?
R - Oui. Je suis persuadé que l'on peut, sur des sujets comme cela, informer sans affoler et qu'il vaut mieux indiquer quel est le risque, comment nous nous y préparons plutôt que de ne rien dire. Je suis persuadé que tout le monde est aussi capable de comprendre que cette pédagogie est indispensable.
Q - Vous nous dites la vérité... J.-F. Copé disait hier que le Gouvernement est dans une mobilisation absolument totale. Ce qui est une manière de nous dire qu'il y a des précautions mais en même temps que cela nous fiche la trouille ; c'est aussi vrai...
R - Ce qui pourrait nous "ficher la trouille", comme vous dites, c'est qu'on ne dise pas les choses. A partir du moment où les scientifiques nous indiquent, comme le directeur général de l'OMS l'a fait dans mon bureau il y a déjà quelques mois, que la question n'est pas de savoir si cela se produira mais quand cela se produira, notre responsabilité, ma responsabilité c'est de nous préparer au mieux, tant sur le plan français mais aussi sur le plan européen et international pour être capable de réagir ensemble, et surtout, de pouvoir s'attaquer au mal à la racine, notamment dans les pays où nous savons qu'il y a des foyers infectieux. Je pense notamment à l'Asie du Sud-Est.
Q - Demain, D. de Villepin va vous réunir avec les ministres concernés à Matignon. Quelles propositions vous allez faire pour l'Union européenne, et en tous cas tout de suite pour nous, les Français, puisque chaque Etat a d'abord le devoir de protéger ses populations.
R - La première des choses, c'est en cas d'épizootie qui frapperait les volailles, de bien rappeler quelles sont les mesures de précaution à prendre en France. C'est un point essentiel, notamment pour les éleveurs. Et puis aussi de bien rappeler quel est notre niveau de préparation aujourd'hui et ce que nous voulons faire de plus et de mieux. Le Premier ministre m'a chargé d'actualiser en permanence ce plan "pandémie grippale" ; il a été présenté en octobre 2004 à l'époque par P. Douste-Blazy, et en fonction des éléments d'information nouveaux que nous avons, nous l'améliorons en permanence. Tant qu'il sera possible d'améliorer ce plan nous le ferons, surtout que le président de la République nous a indiqué pendant l'été qu'il ne devrait y avoir aucun obstacle économique ou financier pour prendre les mesures qui s'imposent.
Q - Cela veut dire qu'il y a les moyens, la France a ou aurait les moyens.
R - Il y a les moyens et nous mettrons tous les moyens nécessaires. Je voudrais rappeler aujourd'hui qu'il faut à la fois informer toute la population, les publics directement concernés et les professionnels de santé qui seraient aussi en première ligne si nous étions face à une pandémie.
Q - Est-ce que vous êtes inquiet ce matin ?
R - Je ne suis pas inquiet...
Q - ...Préoccupé ?
R - Non, je suis mobilisé, je suis vigilant mais je ne suis pas inquiet parce que notre rôle c'est avant tout de nous préparer et d'en parler.
Q - Est-ce qu'on peut consommer du gibier d'eau et du poulet ?
R - Vous pouvez bien évidemment consommer du gibier d'eau et du poulet, c'est ce que j'ai fais encore hier, par exemple.
Q - Peut-être que vous êtes imprudent là !
R - Non, je ne suis pas du tout imprudent, je vous dis tout simplement que vous pouvez consommer du poulet sans aucun problème. Il faut savoir que ce virus, comme d'autre virus, ne résiste pas à la cuisson. A partir de 70 degrés ce virus disparaît ; vous pouvez consommer du poulet.
Q - Le premier virus, le moins grave mais j'ai lu hier qu'il existe en France 187 millions de poulets et une seule société est autorisée à les éliminer en cas de grippe, le groupe GT qui est près de Bordeaux. Il vient d'annoncer d'ailleurs qu'il peut tuer en les gazant ou en les électrocutant 500 000 volailles en huit jours. Avec ça, nous sommes tranquilles.
R - Mais nous ne sommes pas dans cette situation aujourd'hui, il faut le rappeler.
Q - Mais la Suisse fabrique le seul anti-grippal connu aujourd'hui pour son efficacité, le Tamiflu.
R - Il y a deux laboratoires qui fabriquent les médicaments. Il y a une société en Suisse qui fabrique le Tamiflu, il y a aussi une autre société qui fabrique un autre médicament qui s'appelle le Relenza. La France aura à la fin de l'année 14 millions de traitements, on pourra couvrir 14 millions de malades.
Q - Mais est-ce que la vente est libre ou est-elle contingentée ?
R - La vente se fait sur ordonnance, mais je tiens à lancer un message : il ne sert à rien de chercher à se faire prescrire du Tamiflu aujourd'hui. Je dis bien "ça ne sert à rien", parce que si nous étions face à une pandémie, c'est l'Etat, c'est le Gouvernement qui assurerait la distribution pour tous les malades. Donc, cela ne sert à rien de chercher à constituer...
Q - Mais vous dites qu'il y a 14 millions, cela ne suffit pas !
R - Non, parce que d'après les estimations que nous avons, le Tamiflu c'est pour les malades, parce qu'ensuite, il faut savoir que la France a d'ores et déjà réservé des vaccins. S'il y a un jour un virus, à partir de ce virus nous fabriquerons un vaccin et nous voulons, comme l'a demandé le président de la République, comme l'a voulu le Premier ministre, qu'on puisse protéger et soigner chacun.
Q - Pardon d'avoir été un peu long sur le sujet, à vous et à ceux qui écoutent, mais il est de l'instant, de la matinée et autant informer le mieux possible. Au Conseil des ministres, le président de la République est intervenu lui-même pour dénoncer le déficit de l'assurance maladie qui est trop élevé. Il recommande une logique de responsabilité ; nous ne sommes donc pas assez responsables. Qui n'est pas assez responsable ?
R - En matière de responsabilisation, on doit toujours faire mieux. Il faut savoir que le président de la République l'a rappelé, la réforme de l'assurance maladie, elle marche. Nous serions, sans la réforme de l'assurance maladie, avec un déficit de la branche maladie de 16 milliards d'euros à la fin de l'année 2005. Et nous serons, en fait, grâce à la réforme à 8,3 milliards d'euros. Moitié moins en un an, c'est du jamais vu.
Q - D'accord, bravo, mais...
R - Non, mais ce n'est pas suffisant !
Q - ...Apparemment, il dit que ce n'est pas assez et vous le dites. Est-ce que l'objectif reste l'équilibre en 2007 ?
R - Ce qui a toujours été dit, ne jouons pas sur les mots et sur les dates, c'était le retour vers l'équilibre à l'horizon 2007. Mais quand on voit que nous partons de 16 milliards d'euros sans la réforme, que nous sommes déjà cette année à 8 milliards d'euros, que nous allons aller à 6 milliards d'euros et que nous allons continuer à diminuer les déficits, ça veut dire quoi ? Cela veut dire que diminuer les déficits, ce n'est pas seulement pour le plaisir de voir les chiffres baisser, c'est parce que cela veut dire qu'on va la garder notre Sécurité sociale. Au-delà de ces chiffres de déficit, à la fin de la semaine, nous serons 32 millions de Français à avoir choisi un médecin traitant. Nous avons, par exemple, les génériques qui ont doublé en trois ans, et je veux encore faire mieux.
Q - Vous demandez que les prix des médicaments baissent de 13 % ; cela se décide-t-il comme ça ? Vous dites "13 %", et puis hop, on va exécuter ?
R - Non, on en a parlé avec les acteurs du médicament, les industriels, les pharmaciens, les génériqueurs. Mais je pense qu'en France, on peut payer le médicament à son plus juste prix et donc moins cher, et tout le monde fera des économies : l'assurance maladie, les patients qui vont payer les médicaments moins cher et aussi les assureurs complémentaires.
Q - Vous ne m'avez pas répondu : l'objectif de l'équilibre en 2007 sera-t-il tenu ?
R - Si nous avons une bonne croissance, l'équilibre sera tenu, mais en tout état de cause, on va vraiment dans le bon sens. Mais une réforme de l'assurance maladie...
Q - Une bonne croissance, alors qu'elle est de 1,7 donc elle est mauvaise !
R - Le changement des comportements, cela ne se fait pas en un coup de cuillère à pot. Le changement des comportements, c'est progressif. Nous sommes sur la bonne voie.
Q - En juillet 2004, votre prédécesseur, P. Douste-Blazy, l'initiateur de la réforme, avait dit, "Attention le système d'assurance maladie est en péril !". Quinze mois plus tard, est-ce que vous dites que le péril demeure ou que le système est sauvé ?
R - Aujourd'hui ça va mieux, ça va beaucoup mieux.
Q - Mais il n'est pas sauvé ?
R - Il n'est pas encore sauvé, c'est pour cela qu'il faut qu'on fasse des efforts. Nous avons demandé des efforts aux Français, nous les demandons cette année à l'industrie du médicament. Et nous demandons aussi aux assureurs complémentaires de nous aider à gagner cette réforme.
Q - Nous y arrivons. Ce qui déclenche un tollé, c'est que vous voulez instaurer un forfait de 18 euros sur les actes médicaux, sauf la biologie et la radiologie de plus de 91 euros. D'abord, est-ce que c'est une décision ou une proposition ?
R - Cela figure dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Mais je voudrais expliquer de quoi il s'agit. Aujourd'hui, quand vous avez des actes médicaux inférieurs à 91 euros, vous avez 20 % à payer vous-même. Mais vous ne vous en rendez pas compte parce que ce sont les complémentaires qui prennent en charge. Et au-delà de 91 euros, ce ne sont plus les complémentaires mais la Sécurité sociale. Nous pensons que les complémentaires peuvent faire cet effort qui représente 0,58 % de leur remboursement sans augmenter leurs tarifs.
Q - Donc, elles ont les moyens de faire ces efforts ?
R - Je pense sincèrement qu'elles peuvent faire cet effort, parce qu'il faut savoir en plus que cet effort est limité. Il faut savoir que quel que soit le nombre de journées d'hospitalisation, ce sera 18 euros une fois pour toute.
Q - Mais elles vous répondent que ça va coûter le double !
R - Alors je ne comprends pas...
Q - ...Et qu'elles vont augmenter leurs tarifs ! Tout le monde vous répète que les tarifs vont augmenter de 6-9 %. Est-ce vrai ou pas ? Est-ce que vous laisseriez faire ?
R - Je demande à ce qu'on mette les chiffres sur la table et qu'on joue la transparence en la matière. Nous en avons parlé...
Q - ...Est-ce que vous êtes prêt à en débattre avec J.-P. Davant, le président de la Mutualité française, qui vous menace d'un conflit majeur ?
R - Cette semaine, mardi dernier, nous avons rencontré, comme régulièrement les assureurs complémentaires ; nous les revoyons mardi prochain, au ministère. Je serai présent pour qu'on mette les chiffres sur la table et qu'on joue l'opération transparence. J'ai aussi le droit de poser la question que se posent les Français : pourquoi les complémentaires augmenteraient leurs tarifs si d'un côté elles font des économies ? Si vous avez un médicament qui est moins cher, elles remboursent donc moins cher, elles font donc des économies. Et d'un côté, si elles font des économies, elles peuvent prendre en charge ces 100 millions d'euros. Ce ne sont pas les assurés sociaux qui doivent payer ce 18 euros.
Q - Or les assurés sociaux en ont et en ont de plus en plus à leur charge et en même temps, les complémentaires se plaignent parce qu'elles disent que d'une manière ou d'une autre, il va y avoir des augmentations sur leur dos et qu'elles vont augmenter les prix. Donc l'assuré sera pénalisé.
R - J'ai le dos large, la réforme a peut-être le dos large mais à un moment donné, il faut aussi que chacun soit face à ses responsabilités. Nous avons demandé des efforts aux Français, c'est vrai, depuis l'an dernier, pour qu'ils changent leur comportement ; ça marche. Les résultats sont au rendez-vous mais je demande aussi un effort aux autres, je demande aussi que cette responsabilisation concerne tous les acteurs et pas seulement les assurés sociaux.
Q - Les hôpitaux aussi ?
R - Les hôpitaux, c'est pour moi ma priorité de la rentrée, il faut davantage, à mon sens, recentrer l'hôpital sur les patients et sur les soignants.
Q - Est-ce que vous allez fermer des hôpitaux petits ou est-ce que vous allez en réduire le nombre ?
R - Il ne s'agit pas de fermer aujourd'hui des hôpitaux. On a fait les erreurs par le passé en diminuant le nombre de médecins, en diminuant le nombre d'infirmières, en fermant des hôpitaux. C'était à mon avis une aberration. Aujourd'hui, il s'agit de maintenir des professionnels de santé partout sur le territoire. Dans le projet de loi de financement de la Sécu, nous prenons des mesures pour avoir plus de médecins, mieux répartis sur le territoire.
Q - Depuis tant d'années, le ministre de la Santé, quel qu'il soit, est comme Sisyphe, condamné à pousser au sommet de la montagne son rocher, qui retombe inévitablement... Est-ce qu'à votre place, on peut être un jour satisfait, à l'aise, heureux ?
R - Surtout quand en plus, on constate, comme aujourd'hui, que les choses vont mieux. Mais le pessimisme est d'humeur, l'optimisme est question de volonté. Je suis résolument optimiste.
Q - Le rocher n'est pas trop lourd ?
R - Non, le rocher n'est pas trop lourd, ne vous inquiétez pas.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 13 octobre 2005)
X. Bertrand - D'après les informations que nous avons ce matin de la Commission européenne, j'ai vérifié dès ce matin avec l'Afssa, l'Agence française sanitaire pour la sécurité des aliments et avec le délégué interministériel contre la grippe aviaire. Nous avons aujourd'hui confirmation qu'il y a une souche du virus. Le virus en question, celui qui frappe beaucoup l'Asie du Sud-Est et l'Asie centrale, c'est ce virus H5N1. Nous attendons la confirmation du laboratoire européen de référence à Weybridge, au sud de Londres. Nous aurons ces conclusions au plus tard demain matin Mais il faut savoir qu'en attendant, que ce soit pour la Roumanie comme pour la Turquie - vous savez qu'en Turquie, la question se pose pour des dindes -, il n'y a plus aujourd'hui d'importations depuis l'annonce de ces découvertes.
Q - Et Bruxelles annonce qu'elle interdit des importations qui ne se produisent plus, comme vous dites, d'oiseaux vivant ou de volailles qui proviennent de Roumanie. Mais en France, est-ce qu'il y a un risque, oui ou non ?
R - Il y a effectivement un risque, ce sont les scientifiques qui nous le disent depuis maintenant des mois. C'est pour cela que nous n'attendons pas que le risque soit là pour pouvoir anticiper. Je crois d'ailleurs que c'est un événement très nouveau dans la gestion des crises par tous les décideurs, notamment par les acteurs politiques que nous sommes. Il faut anticiper, il faut prévenir plutôt que chercher à guérir. Mais concernant la grippe aviaire, il faut savoir qu'il y a trois niveaux dans la grippe aviaire. Le premier niveau, c'est l'épizootie comme on l'appelle, c'est-à-dire le virus qui frappe les oiseaux. Ceci a été constaté en Asie du Sud-Est, en Asie centrale et nous attendons confirmation en Europe, Roumanie et Turquie. Le deuxième niveau, c'est quand le virus passe de l'oiseau à l'homme. Cela a été constaté uniquement en Asie du Sud-Est, avec 119 malades et 60 décès.
Q - Et le troisième, c'est la contagion d'homme à homme et cela n'existe pas. Le virus n'a pas muté.
R - Le virus n'a pas muté, nulle part sur la planète, nous n'avons de passage de l'homme à l'homme. Mais comme ce risque existe, nous devons nous mobiliser au maximum et nous devons, encore une fois, anticiper.
Q - Est-ce qu'on nous dira toujours toute la vérité ?
R - Oui. Je suis persuadé que l'on peut, sur des sujets comme cela, informer sans affoler et qu'il vaut mieux indiquer quel est le risque, comment nous nous y préparons plutôt que de ne rien dire. Je suis persuadé que tout le monde est aussi capable de comprendre que cette pédagogie est indispensable.
Q - Vous nous dites la vérité... J.-F. Copé disait hier que le Gouvernement est dans une mobilisation absolument totale. Ce qui est une manière de nous dire qu'il y a des précautions mais en même temps que cela nous fiche la trouille ; c'est aussi vrai...
R - Ce qui pourrait nous "ficher la trouille", comme vous dites, c'est qu'on ne dise pas les choses. A partir du moment où les scientifiques nous indiquent, comme le directeur général de l'OMS l'a fait dans mon bureau il y a déjà quelques mois, que la question n'est pas de savoir si cela se produira mais quand cela se produira, notre responsabilité, ma responsabilité c'est de nous préparer au mieux, tant sur le plan français mais aussi sur le plan européen et international pour être capable de réagir ensemble, et surtout, de pouvoir s'attaquer au mal à la racine, notamment dans les pays où nous savons qu'il y a des foyers infectieux. Je pense notamment à l'Asie du Sud-Est.
Q - Demain, D. de Villepin va vous réunir avec les ministres concernés à Matignon. Quelles propositions vous allez faire pour l'Union européenne, et en tous cas tout de suite pour nous, les Français, puisque chaque Etat a d'abord le devoir de protéger ses populations.
R - La première des choses, c'est en cas d'épizootie qui frapperait les volailles, de bien rappeler quelles sont les mesures de précaution à prendre en France. C'est un point essentiel, notamment pour les éleveurs. Et puis aussi de bien rappeler quel est notre niveau de préparation aujourd'hui et ce que nous voulons faire de plus et de mieux. Le Premier ministre m'a chargé d'actualiser en permanence ce plan "pandémie grippale" ; il a été présenté en octobre 2004 à l'époque par P. Douste-Blazy, et en fonction des éléments d'information nouveaux que nous avons, nous l'améliorons en permanence. Tant qu'il sera possible d'améliorer ce plan nous le ferons, surtout que le président de la République nous a indiqué pendant l'été qu'il ne devrait y avoir aucun obstacle économique ou financier pour prendre les mesures qui s'imposent.
Q - Cela veut dire qu'il y a les moyens, la France a ou aurait les moyens.
R - Il y a les moyens et nous mettrons tous les moyens nécessaires. Je voudrais rappeler aujourd'hui qu'il faut à la fois informer toute la population, les publics directement concernés et les professionnels de santé qui seraient aussi en première ligne si nous étions face à une pandémie.
Q - Est-ce que vous êtes inquiet ce matin ?
R - Je ne suis pas inquiet...
Q - ...Préoccupé ?
R - Non, je suis mobilisé, je suis vigilant mais je ne suis pas inquiet parce que notre rôle c'est avant tout de nous préparer et d'en parler.
Q - Est-ce qu'on peut consommer du gibier d'eau et du poulet ?
R - Vous pouvez bien évidemment consommer du gibier d'eau et du poulet, c'est ce que j'ai fais encore hier, par exemple.
Q - Peut-être que vous êtes imprudent là !
R - Non, je ne suis pas du tout imprudent, je vous dis tout simplement que vous pouvez consommer du poulet sans aucun problème. Il faut savoir que ce virus, comme d'autre virus, ne résiste pas à la cuisson. A partir de 70 degrés ce virus disparaît ; vous pouvez consommer du poulet.
Q - Le premier virus, le moins grave mais j'ai lu hier qu'il existe en France 187 millions de poulets et une seule société est autorisée à les éliminer en cas de grippe, le groupe GT qui est près de Bordeaux. Il vient d'annoncer d'ailleurs qu'il peut tuer en les gazant ou en les électrocutant 500 000 volailles en huit jours. Avec ça, nous sommes tranquilles.
R - Mais nous ne sommes pas dans cette situation aujourd'hui, il faut le rappeler.
Q - Mais la Suisse fabrique le seul anti-grippal connu aujourd'hui pour son efficacité, le Tamiflu.
R - Il y a deux laboratoires qui fabriquent les médicaments. Il y a une société en Suisse qui fabrique le Tamiflu, il y a aussi une autre société qui fabrique un autre médicament qui s'appelle le Relenza. La France aura à la fin de l'année 14 millions de traitements, on pourra couvrir 14 millions de malades.
Q - Mais est-ce que la vente est libre ou est-elle contingentée ?
R - La vente se fait sur ordonnance, mais je tiens à lancer un message : il ne sert à rien de chercher à se faire prescrire du Tamiflu aujourd'hui. Je dis bien "ça ne sert à rien", parce que si nous étions face à une pandémie, c'est l'Etat, c'est le Gouvernement qui assurerait la distribution pour tous les malades. Donc, cela ne sert à rien de chercher à constituer...
Q - Mais vous dites qu'il y a 14 millions, cela ne suffit pas !
R - Non, parce que d'après les estimations que nous avons, le Tamiflu c'est pour les malades, parce qu'ensuite, il faut savoir que la France a d'ores et déjà réservé des vaccins. S'il y a un jour un virus, à partir de ce virus nous fabriquerons un vaccin et nous voulons, comme l'a demandé le président de la République, comme l'a voulu le Premier ministre, qu'on puisse protéger et soigner chacun.
Q - Pardon d'avoir été un peu long sur le sujet, à vous et à ceux qui écoutent, mais il est de l'instant, de la matinée et autant informer le mieux possible. Au Conseil des ministres, le président de la République est intervenu lui-même pour dénoncer le déficit de l'assurance maladie qui est trop élevé. Il recommande une logique de responsabilité ; nous ne sommes donc pas assez responsables. Qui n'est pas assez responsable ?
R - En matière de responsabilisation, on doit toujours faire mieux. Il faut savoir que le président de la République l'a rappelé, la réforme de l'assurance maladie, elle marche. Nous serions, sans la réforme de l'assurance maladie, avec un déficit de la branche maladie de 16 milliards d'euros à la fin de l'année 2005. Et nous serons, en fait, grâce à la réforme à 8,3 milliards d'euros. Moitié moins en un an, c'est du jamais vu.
Q - D'accord, bravo, mais...
R - Non, mais ce n'est pas suffisant !
Q - ...Apparemment, il dit que ce n'est pas assez et vous le dites. Est-ce que l'objectif reste l'équilibre en 2007 ?
R - Ce qui a toujours été dit, ne jouons pas sur les mots et sur les dates, c'était le retour vers l'équilibre à l'horizon 2007. Mais quand on voit que nous partons de 16 milliards d'euros sans la réforme, que nous sommes déjà cette année à 8 milliards d'euros, que nous allons aller à 6 milliards d'euros et que nous allons continuer à diminuer les déficits, ça veut dire quoi ? Cela veut dire que diminuer les déficits, ce n'est pas seulement pour le plaisir de voir les chiffres baisser, c'est parce que cela veut dire qu'on va la garder notre Sécurité sociale. Au-delà de ces chiffres de déficit, à la fin de la semaine, nous serons 32 millions de Français à avoir choisi un médecin traitant. Nous avons, par exemple, les génériques qui ont doublé en trois ans, et je veux encore faire mieux.
Q - Vous demandez que les prix des médicaments baissent de 13 % ; cela se décide-t-il comme ça ? Vous dites "13 %", et puis hop, on va exécuter ?
R - Non, on en a parlé avec les acteurs du médicament, les industriels, les pharmaciens, les génériqueurs. Mais je pense qu'en France, on peut payer le médicament à son plus juste prix et donc moins cher, et tout le monde fera des économies : l'assurance maladie, les patients qui vont payer les médicaments moins cher et aussi les assureurs complémentaires.
Q - Vous ne m'avez pas répondu : l'objectif de l'équilibre en 2007 sera-t-il tenu ?
R - Si nous avons une bonne croissance, l'équilibre sera tenu, mais en tout état de cause, on va vraiment dans le bon sens. Mais une réforme de l'assurance maladie...
Q - Une bonne croissance, alors qu'elle est de 1,7 donc elle est mauvaise !
R - Le changement des comportements, cela ne se fait pas en un coup de cuillère à pot. Le changement des comportements, c'est progressif. Nous sommes sur la bonne voie.
Q - En juillet 2004, votre prédécesseur, P. Douste-Blazy, l'initiateur de la réforme, avait dit, "Attention le système d'assurance maladie est en péril !". Quinze mois plus tard, est-ce que vous dites que le péril demeure ou que le système est sauvé ?
R - Aujourd'hui ça va mieux, ça va beaucoup mieux.
Q - Mais il n'est pas sauvé ?
R - Il n'est pas encore sauvé, c'est pour cela qu'il faut qu'on fasse des efforts. Nous avons demandé des efforts aux Français, nous les demandons cette année à l'industrie du médicament. Et nous demandons aussi aux assureurs complémentaires de nous aider à gagner cette réforme.
Q - Nous y arrivons. Ce qui déclenche un tollé, c'est que vous voulez instaurer un forfait de 18 euros sur les actes médicaux, sauf la biologie et la radiologie de plus de 91 euros. D'abord, est-ce que c'est une décision ou une proposition ?
R - Cela figure dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Mais je voudrais expliquer de quoi il s'agit. Aujourd'hui, quand vous avez des actes médicaux inférieurs à 91 euros, vous avez 20 % à payer vous-même. Mais vous ne vous en rendez pas compte parce que ce sont les complémentaires qui prennent en charge. Et au-delà de 91 euros, ce ne sont plus les complémentaires mais la Sécurité sociale. Nous pensons que les complémentaires peuvent faire cet effort qui représente 0,58 % de leur remboursement sans augmenter leurs tarifs.
Q - Donc, elles ont les moyens de faire ces efforts ?
R - Je pense sincèrement qu'elles peuvent faire cet effort, parce qu'il faut savoir en plus que cet effort est limité. Il faut savoir que quel que soit le nombre de journées d'hospitalisation, ce sera 18 euros une fois pour toute.
Q - Mais elles vous répondent que ça va coûter le double !
R - Alors je ne comprends pas...
Q - ...Et qu'elles vont augmenter leurs tarifs ! Tout le monde vous répète que les tarifs vont augmenter de 6-9 %. Est-ce vrai ou pas ? Est-ce que vous laisseriez faire ?
R - Je demande à ce qu'on mette les chiffres sur la table et qu'on joue la transparence en la matière. Nous en avons parlé...
Q - ...Est-ce que vous êtes prêt à en débattre avec J.-P. Davant, le président de la Mutualité française, qui vous menace d'un conflit majeur ?
R - Cette semaine, mardi dernier, nous avons rencontré, comme régulièrement les assureurs complémentaires ; nous les revoyons mardi prochain, au ministère. Je serai présent pour qu'on mette les chiffres sur la table et qu'on joue l'opération transparence. J'ai aussi le droit de poser la question que se posent les Français : pourquoi les complémentaires augmenteraient leurs tarifs si d'un côté elles font des économies ? Si vous avez un médicament qui est moins cher, elles remboursent donc moins cher, elles font donc des économies. Et d'un côté, si elles font des économies, elles peuvent prendre en charge ces 100 millions d'euros. Ce ne sont pas les assurés sociaux qui doivent payer ce 18 euros.
Q - Or les assurés sociaux en ont et en ont de plus en plus à leur charge et en même temps, les complémentaires se plaignent parce qu'elles disent que d'une manière ou d'une autre, il va y avoir des augmentations sur leur dos et qu'elles vont augmenter les prix. Donc l'assuré sera pénalisé.
R - J'ai le dos large, la réforme a peut-être le dos large mais à un moment donné, il faut aussi que chacun soit face à ses responsabilités. Nous avons demandé des efforts aux Français, c'est vrai, depuis l'an dernier, pour qu'ils changent leur comportement ; ça marche. Les résultats sont au rendez-vous mais je demande aussi un effort aux autres, je demande aussi que cette responsabilisation concerne tous les acteurs et pas seulement les assurés sociaux.
Q - Les hôpitaux aussi ?
R - Les hôpitaux, c'est pour moi ma priorité de la rentrée, il faut davantage, à mon sens, recentrer l'hôpital sur les patients et sur les soignants.
Q - Est-ce que vous allez fermer des hôpitaux petits ou est-ce que vous allez en réduire le nombre ?
R - Il ne s'agit pas de fermer aujourd'hui des hôpitaux. On a fait les erreurs par le passé en diminuant le nombre de médecins, en diminuant le nombre d'infirmières, en fermant des hôpitaux. C'était à mon avis une aberration. Aujourd'hui, il s'agit de maintenir des professionnels de santé partout sur le territoire. Dans le projet de loi de financement de la Sécu, nous prenons des mesures pour avoir plus de médecins, mieux répartis sur le territoire.
Q - Depuis tant d'années, le ministre de la Santé, quel qu'il soit, est comme Sisyphe, condamné à pousser au sommet de la montagne son rocher, qui retombe inévitablement... Est-ce qu'à votre place, on peut être un jour satisfait, à l'aise, heureux ?
R - Surtout quand en plus, on constate, comme aujourd'hui, que les choses vont mieux. Mais le pessimisme est d'humeur, l'optimisme est question de volonté. Je suis résolument optimiste.
Q - Le rocher n'est pas trop lourd ?
R - Non, le rocher n'est pas trop lourd, ne vous inquiétez pas.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 13 octobre 2005)