Texte intégral
(Entretien de Catherine Colonna dans "La Tribune" du 26 octobre 2005)
Q - Si un jour Peter Mandelson devait sortir de son mandat de négociation, la France irait-elle jusqu'à bloquer tout accord à l'Organisation mondiale du Commerce ?
R - La France souhaite le succès des négociations commerciales internationales car ce cycle a pour objectif d'être le cycle du développement. Pour cela, il faut progresser sur les trois volets - l'agriculture mais aussi l'industrie et les services - et que le résultat final soit équilibré entre ces trois volets. Voilà les principes agréés entre tous. Or, pour le moment, on constate que les négociations se sont engagées en détail sur l'agriculture, encore que les réponses de nos partenaires ne soient pas à la hauteur, mais ne progressent pas au même rythme sur le reste. Il faut réfléchir à la meilleure stratégie et sans doute aimerait-on voir moins de concessions sur l'agriculture et davantage d'ambition sur l'industrie et sur les services. Quant à la négociation agricole proprement dite, l'Union européenne y a déjà apporté sa contribution par la réforme de la PAC de 2003, qui est de grande ampleur. Cette réforme constitue la limite du mandat de négociation de la Commission, l'Union l'a indiqué à l'unanimité à nouveau la semaine dernière. Si c'est bien la Commission qui négocie à l'OMC, elle ne le fait pas pour son propre compte, mais pour le compte des Etats membres dans le cadre du mandat qui lui est confié par ceux-ci. Aucune offre, par définition, ne peut se faire hors mandat.
Q - Donc la France est prête à s'opposer à un accord qui ne lui conviendrait pas...
R - Une offre éventuelle qui se situerait hors mandat n'engagerait pas les Européens et ne permettrait donc pas d'obtenir un accord sur le cycle du développement. Nous ne faisons que rappeler les règles communautaires. D'ailleurs, le Conseil de l'Union européenne du mardi 18 octobre a souligné à l'unanimité la nécessité de renforcer l'information donnée aux Etats membres.
Q - Il semble que c'est surtout sur le volet accès aux marchés, qui ne présente aucune coût budgétaire, que la France obtient le soutien de ses partenaires. Est-ce à dire que la solidarité européenne est plus facile à réaliser sans argent ?
R - Dans le cycle de Doha, l'Union européenne s'est engagée à la réduction progressive des subventions à l'exportation en vue de leur élimination. Cette offre est conditionnée à des gestes équivalents de la part des autres participants à cette négociation et a même pour objectif de les permettre. Nous avons voulu lancer le mouvement. Encore faut-il qu'ils répondent "présent". Par exemple, les Etats-Unis, qui ont d'importantes subventions à l'exportation, y compris de façon indirecte par le biais de l'aide alimentaire. Quant à l'accès aux marchés, il convient de vérifier si les offres envisagées par la Commission respectent ou non son mandat de négociation, mais aussi ce que promettent réellement les autres pays. L'Europe est déjà le marché le plus ouvert aux produits des pays les plus pauvres et notamment à leurs produits agricoles ! Le reste du monde n'a pas de leçons à lui donner en la matière et ferait mieux de se joindre à ses efforts.
Q - Un accord sur la programmation budgétaire 2007-2013 est-il possible avant la fin de l'année ?
R - Un accord sous présidence britannique est plus que souhaitable. Il est grand temps. Le Premier ministre Tony Blair dit avoir la volonté de conclure sous sa présidence. Nous en prenons acte et attendons les propositions qui nous sont annoncées pour novembre. Il faudra aussi qu'elles soient de nature à recueillir un consensus. Soit la présidence britannique prend pour base la proposition de la présidence précédente en juin, et, avec quelques ajustements, un accord devrait être possible. Soit elle veut s'en écarter malgré l'accord donné par vingt Etats membres, et nous n'aurons pas de budget pour 2007-2013, car il faudra des années de négociations pour réformer en profondeur la structure des recettes et des dépenses. La France avait fait des efforts considérables pour faciliter un accord, en acceptant d'augmenter sa contribution brute de 11 milliards d'euros sur la période. Cette fois, cet esprit de responsabilité, d'équité et de solidarité, doit être partagé par tous, y compris évidemment par la présidence britannique.
Q - La Commission propose de mettre en place un fonds d'adaptation à la mondialisation sans préciser son financement. Comment ce fonds pourrait-il fonctionner hors budget de l'Union ?
R - L'Europe est la seule zone dans le monde où un ensemble de pays travaille à maîtriser la mondialisation au profit de ses citoyens. Elle offre ainsi un cadre avec des règles du jeu communes et acceptées par tous. Ceci est nécessaire mais pas encore suffisant. C'est pourquoi un fonds réduisant l'impact de certains chocs liés aux restructurations et aux délocalisations est intéressant. Nous en soutenons le principe et devrons regarder de près les modalités et le financement proposés.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 octobre 2005)
(Entretien de Catherine Colonna à RTL le 26 octobre 2005)
Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Catherine Colonna.
Catherine Colonna : Bonjour.
Q - Les 25 chefs d'Etat et de gouvernement se retrouvent demain à Londres. "Je vais à ce sommet comme quelqu'un qui a dû se préparer à un examen, sans savoir sur quoi il porte". Vous savez qui a dit cela, Catherine Colonna ?
R - Je vous laisse répondre.
Q - Jean-Claude Juncker, premier ministre luxembourgeois.
R - Il y a deux jours.
Q - Oui, dans "Les Echos". Jacques Chirac sait-il pourquoi il va à Londres, Catherine Colonna ?
R - Oui. Il y va avec des idées et avec des propositions. Ce sera un rendez-vous important.
Q - On va parler de quoi ?
R - De beaucoup de choses qui concernent l'avenir de l'Europe. C'est la première fois que les chefs d'Etat et de gouvernement se retrouvent depuis l'échec du Conseil Européen de juin. Il ne fait pas de doute que tous les citoyens européens seront très attentifs, légitimement, à ce que ce sommet se déroule bien et soit utile. A la présidence britannique de mener les travaux pour qu'ils soient utiles. La France vient, en effet, avec des idées et des propositions concrètes sur l'avenir de l'Europe : le développement économique.
Q - On parlera du budget, par exemple, de la Communauté Européenne ? On sait que cela divise, depuis plusieurs mois maintenant, les 25.
R - Une chose à la fois. D'abord, de grandes questions d'avenir puisque la présidence a ainsi organisé l'ordre du jour : le développement économique, la part consacrée à la recherche et au développement, l'énergie quand on voit le prix du pétrole qui monte la sécurité, intérieure et extérieure, de l'Europe. Et, sur tous ces sujets, la France souhaite que le Conseil Européen permette de dégager des orientations. Que ce soit une première étape : il en faudra d'autres, mais une première étape pour rendre confiance dans l'Europe.
Q - C'est sans doute intéressant, mais c'est un peu général, un peu vague. Cela cache le malaise ?
R - Les 25 doivent trouver le moyen de redonner une impulsion à la construction européenne : elle en a besoin, c'est vrai. Mais il y a là, sur la table, un certain nombre de projets concrets.
Q - Est-ce que Tony Blair a envie de redonner une impulsion à l'Europe ? Est-ce que la présidence de Tony Blair est une présidence faible, pas très active et, au fond, n'apporte pas grand chose, aujourd'hui, à la Communauté Européenne ?
R - Je jugerai le bilan de la présidence britannique le 31 décembre, mais pas fin octobre. Ca fait déjà 4 mois sur 6, me direz-vous !
Q - On vous ré-invitera le 1er janvier ! Jean-Claude Juncker - toujours lui - pointe aussi une faiblesse : celle de la Commission de Jose Manuel Barroso qui, peut-être, n'a pas une force de propositions comme devrait en avoir un président de Commission Européenne. Qu'en dites-vous, Catherine Colonna ?
R - Il a raison. L'Europe fonctionne bien quand chacune des grandes institutions fait son travail. Le Conseil, la Commission, le Parlement Européen et, en particulier, au moment où l'on voit que les Etats membres peinent à trouver des accords, à faire avancer l'Europe, il est particulièrement important que la Commission joue son rôle d'impulsion, de propositions pour dégager l'intérêt général des européens.
Q - Qu'est-ce qui fait qu'elle ne le joue pas aujourd'hui, Catherine Colonna, cette Commission ?
R - Elle ne joue peut-être pas suffisamment le rôle qui est le sien dans le registre de l'impulsion politique : trop souvent, des propositions techniques et un manque d'ambition politique dont tous les européens sont responsables. En effet, l'Europe ne va pas très bien, en ce moment. Elle peut se ressaisir. Le Conseil qui vient, demain à Hampton Court, est une première occasion.
Q - On se souvient de l'épisode qui a opposé Jacques Chirac à Jose Manuel Barroso. Ca portait sur les aides de Hewlett Packard. Pourquoi Jose Manuel Barroso a-t-il du mal, selon vous, à entendre, peut-être, ce que lui disent certains chefs d'Etat et de gouvernement ? C'est une question de philosophie ? C'est une question de poids politique ?
R - Il n'y a pas de problème général entre la France et la Commission.
Q - Général, non. Mais il y a quand même eu des passes d'armes dont tout le monde s'en souvient !
R - Il peut y avoir des problèmes précis sur des sujets précis. Et, dans le cas particulier même s'il y a eu une part de malentendus la Commission doit jouer son rôle, encore une fois, pour dégager un certains nombre de grands objectifs européens, y compris dans le domaine de la politique industrielle.
Q - Un autre différend semble opposer le gouvernement français avec la Commission : mais, là, cela concerne plus le Commissaire Européen au Commerce, Peter Mandelson, qui négocie pour le compte de la Communauté, dans le cadre de l'O.M.C : c'est un peu compliqué, tout ça.
Mais il fait, visiblement, des propositions sur le plan agricole qui déplaisent au gouvernement français, notamment en demandant un abaissement des droits de douane pour les produits qui entrent sur la Communauté. Où en est ce différend, si on peut le simplifier, le rendre compréhensible pour ceux qui nous écoutent ?
R - Je vais m'y efforcer.
Q - Allez-y !
R - La France et l'Europe souhaitent le succès des négociations commerciales internationales, qui ne portent pas uniquement sur l'agriculture, mais aussi sur l'industrie et sur les services, et qui doivent servir l'objectif du développement.
Sur l'agriculture, l'Europe a apporté sa contribution au succès de ces négociations : c'est la réforme de la P.A.C. de 2003. Mais que se passe-t-il en ce moment ? Sur le volet agricole, les réponses de nos partenaires, dans la négociation, ne sont pas à la hauteur et, sur l'industrie et sur les services, rien ne progresse ou presque.
Donc, nous souhaitons qu'il y ait de l'ambition supplémentaire dans ces négociations. Moins de concessions sur l'agriculture et davantage d'ambitions sur l'industrie et sur les services.
Q - Et, pour parler clair : Peter Mandelson fait trop de concessions sur le volet agricole ?
R - La Commission négocie pour le compte des Etats membres vous l'avez dit dans le cadre d'un mandat qui, lui, est confié par les Etats membres.
Q - Et la Commission est toujours dans ce mandat ou l'a-t-elle débordé ?
R - Par définition, ces propositions ne peuvent que se situer à l'intérieur du mandat et, de plus, c'est à elle d'apporter la preuve qu'une offre éventuelle se situe bien dans le cadre de son mandat.
Q - Par définition, d'accord. Mais, aujourd'hui, la Commission est dans le cadre de ce mandat ou vous semble-t-il qu'elle l'ait dépassé ?
R - Une proposition faite par la Commission, il y a deux semaines, est discutée entre les experts. Il reviendra je le redis à la Commission d'apporter la démonstration que son offre se situe bien dans le cadre de son mandat.
Q - Donc, cela n'est pas encore fait : c'est encore à faire ?
R - Nous sommes encore en débat. Une majorité d'Etats membres est, comme nous, peu convaincue par les explications de la Commission.
Q - Un mot sur la cohabitation allemande. Cela va freiner l'Europe : Angela Merkel qui va entrer à la chancellerie allemande avec les socio-démocrates ?
R - Laissons les allemands se donner le gouvernement qu'ils souhaitent !
Q - Mais vous avez de l'expérience en matière de cohabitation. C'est un frein en général, dit-on.
R - J'ai de l'expérience dans l'observation des relations franco-allemandes, et je sais qu'elles sont d'une nature particulière qui transcende les clivages politiques. Et que la responsabilité qui est celle de nos deux pays, dans la marche de l'Europe, les conduira à s'entendre.
Q - Je disais que vous aviez de l'expérience en matière de cohabitation, cela veut dire que vous connaissez la politique intérieure. Une question de politique intérieure, Catherine Colonna ?
R - Vous voulez dire qu'il y a eu une cohabitation en France pendant 5 ans.
Q - Il y a eu une cohabitation au sein du gouvernement. Le droit du vote des étrangers : vous êtes pour ou vous êtes contre ?
R - Je parlais du passé.
Q - Droit de vote des étrangers aux élections locales. Vous êtes pour ou vous êtes contre, Catherine Colonna ?
R - Je crois aux liens entre les citoyens, le droit de vote et la nation, c'est notre tradition républicaine : c'est même un élément fondamental du pacte républicain.
Q - Voilà. C'est une réponse ! Diplomatique, mais une réponse tout de même !
R - Une réponse claire.
Q - Jacques Chirac va aller à Londres. Il va bien ?
R - Il va très bien. Dès que ses médecins lui ont permis de reprendre l'avion, il l'a fait vous l'avez vu, la semaine dernière en allant à Lyon, avant d'aller à Londres.
Q - Et il va le refaire ?
R - Et il va le refaire pour aller à Londres.
Q - Vous y aller, vous aussi ?
R - Non. Ce sont les chefs d'Etat et de gouvernement seuls, sans ministre.
Q - Catherine Colonna qui reste à Paris, était l'invitée de RTL, ce matin. Bonne journée !
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 28 octobre 2005)
Q - Si un jour Peter Mandelson devait sortir de son mandat de négociation, la France irait-elle jusqu'à bloquer tout accord à l'Organisation mondiale du Commerce ?
R - La France souhaite le succès des négociations commerciales internationales car ce cycle a pour objectif d'être le cycle du développement. Pour cela, il faut progresser sur les trois volets - l'agriculture mais aussi l'industrie et les services - et que le résultat final soit équilibré entre ces trois volets. Voilà les principes agréés entre tous. Or, pour le moment, on constate que les négociations se sont engagées en détail sur l'agriculture, encore que les réponses de nos partenaires ne soient pas à la hauteur, mais ne progressent pas au même rythme sur le reste. Il faut réfléchir à la meilleure stratégie et sans doute aimerait-on voir moins de concessions sur l'agriculture et davantage d'ambition sur l'industrie et sur les services. Quant à la négociation agricole proprement dite, l'Union européenne y a déjà apporté sa contribution par la réforme de la PAC de 2003, qui est de grande ampleur. Cette réforme constitue la limite du mandat de négociation de la Commission, l'Union l'a indiqué à l'unanimité à nouveau la semaine dernière. Si c'est bien la Commission qui négocie à l'OMC, elle ne le fait pas pour son propre compte, mais pour le compte des Etats membres dans le cadre du mandat qui lui est confié par ceux-ci. Aucune offre, par définition, ne peut se faire hors mandat.
Q - Donc la France est prête à s'opposer à un accord qui ne lui conviendrait pas...
R - Une offre éventuelle qui se situerait hors mandat n'engagerait pas les Européens et ne permettrait donc pas d'obtenir un accord sur le cycle du développement. Nous ne faisons que rappeler les règles communautaires. D'ailleurs, le Conseil de l'Union européenne du mardi 18 octobre a souligné à l'unanimité la nécessité de renforcer l'information donnée aux Etats membres.
Q - Il semble que c'est surtout sur le volet accès aux marchés, qui ne présente aucune coût budgétaire, que la France obtient le soutien de ses partenaires. Est-ce à dire que la solidarité européenne est plus facile à réaliser sans argent ?
R - Dans le cycle de Doha, l'Union européenne s'est engagée à la réduction progressive des subventions à l'exportation en vue de leur élimination. Cette offre est conditionnée à des gestes équivalents de la part des autres participants à cette négociation et a même pour objectif de les permettre. Nous avons voulu lancer le mouvement. Encore faut-il qu'ils répondent "présent". Par exemple, les Etats-Unis, qui ont d'importantes subventions à l'exportation, y compris de façon indirecte par le biais de l'aide alimentaire. Quant à l'accès aux marchés, il convient de vérifier si les offres envisagées par la Commission respectent ou non son mandat de négociation, mais aussi ce que promettent réellement les autres pays. L'Europe est déjà le marché le plus ouvert aux produits des pays les plus pauvres et notamment à leurs produits agricoles ! Le reste du monde n'a pas de leçons à lui donner en la matière et ferait mieux de se joindre à ses efforts.
Q - Un accord sur la programmation budgétaire 2007-2013 est-il possible avant la fin de l'année ?
R - Un accord sous présidence britannique est plus que souhaitable. Il est grand temps. Le Premier ministre Tony Blair dit avoir la volonté de conclure sous sa présidence. Nous en prenons acte et attendons les propositions qui nous sont annoncées pour novembre. Il faudra aussi qu'elles soient de nature à recueillir un consensus. Soit la présidence britannique prend pour base la proposition de la présidence précédente en juin, et, avec quelques ajustements, un accord devrait être possible. Soit elle veut s'en écarter malgré l'accord donné par vingt Etats membres, et nous n'aurons pas de budget pour 2007-2013, car il faudra des années de négociations pour réformer en profondeur la structure des recettes et des dépenses. La France avait fait des efforts considérables pour faciliter un accord, en acceptant d'augmenter sa contribution brute de 11 milliards d'euros sur la période. Cette fois, cet esprit de responsabilité, d'équité et de solidarité, doit être partagé par tous, y compris évidemment par la présidence britannique.
Q - La Commission propose de mettre en place un fonds d'adaptation à la mondialisation sans préciser son financement. Comment ce fonds pourrait-il fonctionner hors budget de l'Union ?
R - L'Europe est la seule zone dans le monde où un ensemble de pays travaille à maîtriser la mondialisation au profit de ses citoyens. Elle offre ainsi un cadre avec des règles du jeu communes et acceptées par tous. Ceci est nécessaire mais pas encore suffisant. C'est pourquoi un fonds réduisant l'impact de certains chocs liés aux restructurations et aux délocalisations est intéressant. Nous en soutenons le principe et devrons regarder de près les modalités et le financement proposés.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 octobre 2005)
(Entretien de Catherine Colonna à RTL le 26 octobre 2005)
Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Catherine Colonna.
Catherine Colonna : Bonjour.
Q - Les 25 chefs d'Etat et de gouvernement se retrouvent demain à Londres. "Je vais à ce sommet comme quelqu'un qui a dû se préparer à un examen, sans savoir sur quoi il porte". Vous savez qui a dit cela, Catherine Colonna ?
R - Je vous laisse répondre.
Q - Jean-Claude Juncker, premier ministre luxembourgeois.
R - Il y a deux jours.
Q - Oui, dans "Les Echos". Jacques Chirac sait-il pourquoi il va à Londres, Catherine Colonna ?
R - Oui. Il y va avec des idées et avec des propositions. Ce sera un rendez-vous important.
Q - On va parler de quoi ?
R - De beaucoup de choses qui concernent l'avenir de l'Europe. C'est la première fois que les chefs d'Etat et de gouvernement se retrouvent depuis l'échec du Conseil Européen de juin. Il ne fait pas de doute que tous les citoyens européens seront très attentifs, légitimement, à ce que ce sommet se déroule bien et soit utile. A la présidence britannique de mener les travaux pour qu'ils soient utiles. La France vient, en effet, avec des idées et des propositions concrètes sur l'avenir de l'Europe : le développement économique.
Q - On parlera du budget, par exemple, de la Communauté Européenne ? On sait que cela divise, depuis plusieurs mois maintenant, les 25.
R - Une chose à la fois. D'abord, de grandes questions d'avenir puisque la présidence a ainsi organisé l'ordre du jour : le développement économique, la part consacrée à la recherche et au développement, l'énergie quand on voit le prix du pétrole qui monte la sécurité, intérieure et extérieure, de l'Europe. Et, sur tous ces sujets, la France souhaite que le Conseil Européen permette de dégager des orientations. Que ce soit une première étape : il en faudra d'autres, mais une première étape pour rendre confiance dans l'Europe.
Q - C'est sans doute intéressant, mais c'est un peu général, un peu vague. Cela cache le malaise ?
R - Les 25 doivent trouver le moyen de redonner une impulsion à la construction européenne : elle en a besoin, c'est vrai. Mais il y a là, sur la table, un certain nombre de projets concrets.
Q - Est-ce que Tony Blair a envie de redonner une impulsion à l'Europe ? Est-ce que la présidence de Tony Blair est une présidence faible, pas très active et, au fond, n'apporte pas grand chose, aujourd'hui, à la Communauté Européenne ?
R - Je jugerai le bilan de la présidence britannique le 31 décembre, mais pas fin octobre. Ca fait déjà 4 mois sur 6, me direz-vous !
Q - On vous ré-invitera le 1er janvier ! Jean-Claude Juncker - toujours lui - pointe aussi une faiblesse : celle de la Commission de Jose Manuel Barroso qui, peut-être, n'a pas une force de propositions comme devrait en avoir un président de Commission Européenne. Qu'en dites-vous, Catherine Colonna ?
R - Il a raison. L'Europe fonctionne bien quand chacune des grandes institutions fait son travail. Le Conseil, la Commission, le Parlement Européen et, en particulier, au moment où l'on voit que les Etats membres peinent à trouver des accords, à faire avancer l'Europe, il est particulièrement important que la Commission joue son rôle d'impulsion, de propositions pour dégager l'intérêt général des européens.
Q - Qu'est-ce qui fait qu'elle ne le joue pas aujourd'hui, Catherine Colonna, cette Commission ?
R - Elle ne joue peut-être pas suffisamment le rôle qui est le sien dans le registre de l'impulsion politique : trop souvent, des propositions techniques et un manque d'ambition politique dont tous les européens sont responsables. En effet, l'Europe ne va pas très bien, en ce moment. Elle peut se ressaisir. Le Conseil qui vient, demain à Hampton Court, est une première occasion.
Q - On se souvient de l'épisode qui a opposé Jacques Chirac à Jose Manuel Barroso. Ca portait sur les aides de Hewlett Packard. Pourquoi Jose Manuel Barroso a-t-il du mal, selon vous, à entendre, peut-être, ce que lui disent certains chefs d'Etat et de gouvernement ? C'est une question de philosophie ? C'est une question de poids politique ?
R - Il n'y a pas de problème général entre la France et la Commission.
Q - Général, non. Mais il y a quand même eu des passes d'armes dont tout le monde s'en souvient !
R - Il peut y avoir des problèmes précis sur des sujets précis. Et, dans le cas particulier même s'il y a eu une part de malentendus la Commission doit jouer son rôle, encore une fois, pour dégager un certains nombre de grands objectifs européens, y compris dans le domaine de la politique industrielle.
Q - Un autre différend semble opposer le gouvernement français avec la Commission : mais, là, cela concerne plus le Commissaire Européen au Commerce, Peter Mandelson, qui négocie pour le compte de la Communauté, dans le cadre de l'O.M.C : c'est un peu compliqué, tout ça.
Mais il fait, visiblement, des propositions sur le plan agricole qui déplaisent au gouvernement français, notamment en demandant un abaissement des droits de douane pour les produits qui entrent sur la Communauté. Où en est ce différend, si on peut le simplifier, le rendre compréhensible pour ceux qui nous écoutent ?
R - Je vais m'y efforcer.
Q - Allez-y !
R - La France et l'Europe souhaitent le succès des négociations commerciales internationales, qui ne portent pas uniquement sur l'agriculture, mais aussi sur l'industrie et sur les services, et qui doivent servir l'objectif du développement.
Sur l'agriculture, l'Europe a apporté sa contribution au succès de ces négociations : c'est la réforme de la P.A.C. de 2003. Mais que se passe-t-il en ce moment ? Sur le volet agricole, les réponses de nos partenaires, dans la négociation, ne sont pas à la hauteur et, sur l'industrie et sur les services, rien ne progresse ou presque.
Donc, nous souhaitons qu'il y ait de l'ambition supplémentaire dans ces négociations. Moins de concessions sur l'agriculture et davantage d'ambitions sur l'industrie et sur les services.
Q - Et, pour parler clair : Peter Mandelson fait trop de concessions sur le volet agricole ?
R - La Commission négocie pour le compte des Etats membres vous l'avez dit dans le cadre d'un mandat qui, lui, est confié par les Etats membres.
Q - Et la Commission est toujours dans ce mandat ou l'a-t-elle débordé ?
R - Par définition, ces propositions ne peuvent que se situer à l'intérieur du mandat et, de plus, c'est à elle d'apporter la preuve qu'une offre éventuelle se situe bien dans le cadre de son mandat.
Q - Par définition, d'accord. Mais, aujourd'hui, la Commission est dans le cadre de ce mandat ou vous semble-t-il qu'elle l'ait dépassé ?
R - Une proposition faite par la Commission, il y a deux semaines, est discutée entre les experts. Il reviendra je le redis à la Commission d'apporter la démonstration que son offre se situe bien dans le cadre de son mandat.
Q - Donc, cela n'est pas encore fait : c'est encore à faire ?
R - Nous sommes encore en débat. Une majorité d'Etats membres est, comme nous, peu convaincue par les explications de la Commission.
Q - Un mot sur la cohabitation allemande. Cela va freiner l'Europe : Angela Merkel qui va entrer à la chancellerie allemande avec les socio-démocrates ?
R - Laissons les allemands se donner le gouvernement qu'ils souhaitent !
Q - Mais vous avez de l'expérience en matière de cohabitation. C'est un frein en général, dit-on.
R - J'ai de l'expérience dans l'observation des relations franco-allemandes, et je sais qu'elles sont d'une nature particulière qui transcende les clivages politiques. Et que la responsabilité qui est celle de nos deux pays, dans la marche de l'Europe, les conduira à s'entendre.
Q - Je disais que vous aviez de l'expérience en matière de cohabitation, cela veut dire que vous connaissez la politique intérieure. Une question de politique intérieure, Catherine Colonna ?
R - Vous voulez dire qu'il y a eu une cohabitation en France pendant 5 ans.
Q - Il y a eu une cohabitation au sein du gouvernement. Le droit du vote des étrangers : vous êtes pour ou vous êtes contre ?
R - Je parlais du passé.
Q - Droit de vote des étrangers aux élections locales. Vous êtes pour ou vous êtes contre, Catherine Colonna ?
R - Je crois aux liens entre les citoyens, le droit de vote et la nation, c'est notre tradition républicaine : c'est même un élément fondamental du pacte républicain.
Q - Voilà. C'est une réponse ! Diplomatique, mais une réponse tout de même !
R - Une réponse claire.
Q - Jacques Chirac va aller à Londres. Il va bien ?
R - Il va très bien. Dès que ses médecins lui ont permis de reprendre l'avion, il l'a fait vous l'avez vu, la semaine dernière en allant à Lyon, avant d'aller à Londres.
Q - Et il va le refaire ?
R - Et il va le refaire pour aller à Londres.
Q - Vous y aller, vous aussi ?
R - Non. Ce sont les chefs d'Etat et de gouvernement seuls, sans ministre.
Q - Catherine Colonna qui reste à Paris, était l'invitée de RTL, ce matin. Bonne journée !
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 28 octobre 2005)