Interview de M. Patrick Braouezec, député PCF, à RTL le 15 novembre 2005, sur les raisons des violences urbaines et les problèmes des quartiers populaires.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Patrick Braouzec.
R- Patrick Braouzec : Bonjour.
Q- 19ème nuit d'émeutes, hier soir, dans les banlieues françaises. Jacques Chirac a évoqué cette crise, à 20h : son intervention était réclamée, elle était attendue. A-t-elle été utile, selon vous, Patrick Braouzec ?
R- Non, je ne pense pas qu'elle soit très, très utile. D'abord, parce qu'elle est très tardive, effectivement, et puis, parce que le président de la république n'a pas envoyé de message particulier, si ce n'est la répétition je rejoins un peu ce que vient de dire Alain Duhamel : la répétition de vieux schémas et de vieux discours que le président de la république a l'habitude de faire.
Q- Quel aurait été le message que vous attendiez, Patrick Braouzec ?
R- Il y a un message qu'il a envoyé et qu'il va falloir, maintenant, travailler si on veut, effectivement, déboucher sur quelque chose de concret c'est ce qu'il a dit sur la perte de sens. Et la perte de sens ne concerne pas simplement que les quartiers populaires qui se sont embrasés dans la dernière période.
Il y a une perte de sens au niveau national et, je crois que s'il n'y a pas une mobilisation nationale autour de ces quartiers populaires considérant que ce sont finalement dans ces quartiers populaires que se joue le devenir de cette société et bien, je crois qu'on aura encore raté une occasion de prendre conscience de la réalité de notre pays, et d'agir sur cette réalité.
Q- Mais, au fond, le discours du Président de la République, hier soir, n'est-il pas à l'image de la politique française depuis 20 ans dans les banlieues, c'est-à-dire : un peu incantatoire, pas très concret, pas très efficace ?
R- D'abord, je ne considère pas que le message du Président de la République ne visait que les banlieues. D'abord, Toulouse, ce n'est pas une banlieue. Pau, ce n'est pas une banlieue. Il y a des quartiers populaires et, d'ailleurs, les jeunes qui, aujourd'hui, s'expriment avec des mots et non pas de la violence réclament le fait qu'ils appartiennent à une ville et que cette ville, justement et que ces villes parfois les oublient.
Donc, ce sont bien des quartiers populaires de l'ensemble du pays dont il est question aujourd'hui et de leur population. Je pense qu'il y a effectivement eu des discours incantatoires, plein de bonne volonté, parfois, mais qui ne sont pas suivis d'effets. Le discours du président de la république, par exemple, concernant les questions du logement social : il est soit naïf, soit cynique ou hypocrite.
Q- Pourquoi ?
R- Quand le Président de la République rappelle à tout le monde qu'il faut, effectivement, construire du logement social et que, dans ses propres rangs, un certain nombre de responsables je pense, par exemple, à Eric Raoult qui se vante de ne pas faire du logement social et qui a même créé une association d'élus défendant ce principe c'est : soit du cynisme, soit de la naïveté ou de la méconnaissance. Je ne crois qu'au poste du président de la république, il y ait naïveté et méconnaissance, et il y a un certain cynisme.
Q- On commente beaucoup, ce matin, dans l'intervention du chef de l'Etat, "le service civil volontaire" qu'il propose. C'est une mesure qui vous paraît intéressante, importante ?
R- Je pense qu'on en fera le bilan dans deux ans. Je pense que cette mesure sera, d'abord, difficilement applicable elle est quand même assez compliquée, d'après ce que j'ai cru comprendre. Et puis, elle va concerner quels jeunes ? Elle va peut-être concerner des jeunes qui voudront se rendre utiles.
J'aurais préféré qu'on revienne peut-être à un service civil obligatoire pour tous ce qui permet, justement, à des jeunes de différentes origines culturelles, socio-économiques, de vivre des moments ensemble de se rendre utiles pour l'ensemble de la société. Là, on cible quelle population ? On ne sait pas trop. Est-ce que c'est, effectivement, ceux qui ne trouvent pas de travail, et qu'on va donc occuper avec ce service. Je ne suis pas certain que l'objectif que s'est assigné le président de la république, hier, soit suivi véritablement d'effets.
Q- En tout cas, vous demandiez vous-même, il y a 10 jours, un "Grenelle des banlieues". En écoutant le président Chirac, hier soir, il n'y avait rien qui pourrait ressembler à ce que vous souhaitiez ?
R- Non. Il n'y a rien qui ressemble, effectivement, à ce qu'on pouvait souhaiter. Je reprendrai ce que disait Alain Duhamel : on est dans le soliloque, on n'est pas dans le dialogue. Et si on veut, effectivement, sortir par le haut de cette situation et faire en sorte, d'ailleurs, qu'elle ne se renouvelle pas, je crois qu'il est utile il sera utile d'entendre ce qui se dit, ce qui se fait dans les quartiers populaires.
Il y a aujourd'hui beaucoup de ressources, beaucoup d'innovations, beaucoup de résistance par rapport à tout ce qui se passe dans ces quartiers populaires, et c'est peut-être à partir d'eux et dans ce dialogue avec les associations, avec les élus locaux, avec les jeunes eux-mêmes que l'on trouvera, sans doute, des solutions pérennes, durables, aux problèmes posés par la société française.
J'ajouterai que ce n'est pas simplement la société française qui est interpellée par cette flambée dans les quartiers populaires. Il y a, je crois, le même problème dans les pays développés, les pays occidentaux parce que, finalement, on est aujourd'hui confronté à des inégalités de plus en plus importantes, et ces inégalités sont de plus en plus difficiles à être supportées par les populations qui vivent ces inégalités.
Q- Il n'y a peut-être pas que des inégalités sociales. Il y a des facteurs culturels, aussi.
R- Il y a surtout des inégalités sociales et des inégalités territoriales. Je n'oublie pas qu'entre 1990 et 1999, dans la région la plus riche de France et voire, l'une des régions les plus riches au niveau européen : la région Ile-de-France, pour la citer les inégalités se sont accrues et, ce, malgré les intentions et les bonnes volontés. Ce qui veut dire qu'il faut aller au-delà. Il faut faire de véritables choix qui mettent, effectivement, au centre de nos préoccupations les gens qui vivent dans ces quartiers populaires.
Q- Georges Tron, le député U.M.P de Draveil, dans l'Essonne on l'a entendu dans le journal de 7h30 se propose de suspendre le versement des aides municipales aux familles dont un membre a été condamné pour des violences urbaines. Il veut responsabiliser les parents.
R- D'abord, c'est une mesure très médiatique.
Q- Elle peut être concrète, aussi !
R- On va toucher combien de personnes ! On va toucher 6, 7, allez, 8 familles !
Q- Est-ce qu'il ne faut pas responsabiliser les parents qui, quelquefois laissent leurs enfants ?
R- Les responsabiliser, bien sûr. Les responsabiliser, cela ne veut pas dire les culpabiliser. Les responsabiliser, c'est de mettre en situation de pouvoir assumer, effectivement, leurs rôles de parents. Et je le sais pour en rencontrer beaucoup, que beaucoup de parents qui sont, là aussi, conscients des difficultés et finalement des impasses dans lesquelles un certain nombre d'enfants se mettent de manière presque suicidaire. Ils en souffrent. Ils ne savent pas trop comment faire.
Et vous savez, il y a aujourd'hui des parents qui sont très démunis, y compris sur la façon dont ils peuvent agir sur leurs enfants, quand ces familles sont souvent des familles mono-parentales, ou des familles qui n'ont aucune ressource. Donc, responsabiliser : oui. Mais pour responsabiliser les gens, il faudrait déjà qu'ils aient les mêmes droits et les mêmes revenus, la même façon de vivre qu'un grand nombre de citoyens qui, aujourd'hui, peuvent effectivement répondre à cette question de la responsabilité des parents.
Q- On voit que la majorité a du mal à trouver des réponses pour faire face à cette crise. On a l'impression que l'opposition n'en n'a pas beaucoup plus. Et en vous entendant, ce matin, c'est un peu ce qui ressort aussi.
R- Vous ne m'avez pas posé la question de savoir si on avait des réponses et d'autres. Je considère qu'on a des réponses, et que ces réponses viendront aussi des gens et, si on les écoute dans le dialogue qui était préconisé, et bien, on aura sans doute des bonnes réponses aux problèmes qui sont posés.
Q- Vous voterez la loi sur l'état d'urgence qui sera présenté au Parlement, cet après-midi ?
R- On votera contre, comme nous l'avons fait déjà lors du premier débat que nous avons eu, la semaine dernière.
Patrick Braouzec, qui votera donc contre l'état d'urgence, était l'invité de RTL, ce matin. Bonne journée !
(Source : premier-ministre, Service dinformation du gouvernement, le 18 novembre 2005)