Texte intégral
Q- Nous avons vécu une douzième nuit de désordre et de violences, dans les banlieues. Un conseil des ministres extraordinaire se déroulera, ce matin, à l'Elysée, pour mettre en oeuvre une disposition d'une loi de 1955 permettant d'instaurer un couvre-feu partout où cela est nécessaire. Voilà ce qu'a annoncé D. de Villepin, hier soir, sur TF1. Approuvez-vous cette décision ?
R- La difficulté, avec un couvre-feu, ce n'est pas de le décréter, c'est de l'appliquer.
Q- Est-ce bien de le décréter ou de se donner les moyens de le décréter ?
R- En tout cas, cela donne une signification symbolique. Cela donne un aspect très solennel et sans doute "choc".
Q- Et utile ou pas ?
R- Utile ? On est renvoyé à la question de l'application. Le couvre-feu, tout le monde prononce ce mot, peut-être faut-il expliquer ce que cela veut dire. Cela veut dire qu'à partir d'une certaine heure, mettons 22 heures, plus personne n'a le droit de sortir dans la rue. Mais la question est : comment faites-vous respecter le couvre-feu lorsqu'il y a 9.500 en tout, a dit le Premier ministre hier soir, policiers sur l'ensemble de la France ? Et donc, mon interrogation est sur l'application. Je souhaite que les conséquences symboliques, l'écho de ces mesures, de cette intervention, fasse revenir le calme. J'ai naturellement des interrogations sur la manière dont ce sera appliqué. Mais je me suis fixé une règle, c'est : aucune polémique politique pendant cette période, qui est une période de déstabilisation française lourde.
Q- Couvre-feu, péril imminent, péril républicain : on en est là ?
R- "Calamité publique" même est marquée dans le texte de la loi...
Q- On en est là ?
R- En tout cas, pour la manière dont les Français ressentent ce qui se passe. Pour les désordres qui sont dans la rue. Et pour l'image de la France : je ne sais pas si vous avez tout vu ces jours-ci à la télévision, et entendu à la radio, ce que cela signifie pour les pays qui nous entourent, le sentiment que la France est à feu et à sang et que, désormais, c'est sous la loi du couvre-feu qu'elle va vivre... En effet, les conséquences de ce qui se passe, qui avait été prévu, annoncé à cent reprises par tous ceux qui s'inquiétaient de la déstabilisation française, va dans le sens...
Q- C'est ça qui est formidable en politique : on prévoit tout et on ne fait rien !
R- Et bien, c'est exactement cela !
Q- C'est terrible comme constat !
R- On a annoncé dix fois ce qui allait se passer. Regardez - je le dis sans jeter la pierre à qui que ce soit -, on a annoncé, hier soir, qu'on allait rétablir les subventions aux associations, qu'on avait supprimées la veille. On rétablit les emplois-jeunes qu'on avait supprimés la veille. Le sentiment d'un aller et retour, alors que ce qu'il faut, c'est de la reconstruction en profondeur, de la refondation de ce qui se passe dans la société française, parce qu'il n'y a pas que les banlieues qui sont dans cet état. Le sentiment que l'on ressent, c'est que toute la société française, aujourd'hui, est dans cet état d'explosion rampante, en tout cas d'implosion, et que c'est très inquiétant pour notre pays.
Q- Et pourquoi la société française plutôt que les autres sociétés occidentales ? Les pays qui nous entourent ne vivent pas ce malaise. C'est la faute des responsables politiques qui ne savent pas gérer, qui ne savent pas anticiper ?
R- Non. Il y a, à mon sens, deux grandes séries de responsabilités. La première est que nous sommes un pays complètement centralisé, où tout revient à l'Etat, où chaque fois qu'on a une difficulté, c'est vers l'Etat que l'on se tourne. Nous avons été construits comme cela mais, aujourd'hui, il y a une limite : on est arrivé à un Etat maladif de l'hypertrophie d'un Etat devenu impuissant. L'Etat, on lui demande tout, et, malheureusement, il peut faire de moins en moins. Ça, c'est la première responsabilité. Et la deuxième qui est considérable aussi, c'est que nous avons une démocratie qui ne fonctionne pas bien. Ce qui fait que la réalité ne peut jamais intervenir dans le discours politique, parce que les dirigeants, en raison de la manière dont notre République et notre démocratie sont organisées, peuvent, pendant très longtemps, ignorer la réalité. Les avertissements ont beau se multiplier, en réalité, les gouvernants ne les entendent pas. Avec tous les gouvernants successifs, tant qu'on ne changera pas la démocratie française, on aura des accidents de cet ordre.
Q- On a entendu des responsables du Front national dire qu'avec ce climat, ce que l'on vit, les gens qui se tournent vers eux, cela leur rappelle les jours qui précédaient le 21 avril 2002. Ressentez-vous les choses comme cela ?
R- Ce n'est même pas le Front national qui m'inquiète. C'est le peuple français, le sentiment qui est le sien. Le Front national n'est qu'un symptôme de ce que nous vivons. Et tous les extrémismes, tous les dérapages peuvent profiter de la situation. Ma conviction profonde est que si les grands mouvements politiques démocratiques, modérés, équilibrés, ne décident pas, un jour, qu'ils vont, ensemble, prendre ces problèmes à bras-le-corps, et faire un accord de long terme qui dépassera les élections futures, qu'ils mettent en place une politique dont ils diront : "Nous la respecterons qui que ce soit celui d'entre nous qui sera au pouvoir...".
Q- Ce n'est plus la peine de changer de gouvernement, alors ?
R- Si ! Sur les banlieues ! Mais je n'ai pas dit sur tout le reste : sur le social, sur l'économique. Je vous parle des banlieues, je vous parle de la sécurité, je vous parle de ce que les Français voient tous les jours sous leurs yeux comme un échec formidable. Regardez, on passe son temps à défaire ce que le gouvernement précédent avait fait, puis à le refaire. Cela n'est pas une bonne politique et cela ne rassure pas les gens sur le long terme.
Q- Certains jugent que l'attitude, les mots de N. Sarkozy, ont favorisé cette crise. Quelle est votre opinion ?
R- Lorsque cette crise sera finie, il sera temps de se poser des questions. Pour l'instant, aujourd'hui, même si je vois très bien, en effet, l'effet amplificateur ou l'effet détonateur que certains mots peuvent avoir - parce que les mots c'est très fort, les mots c'est comme des armes, les mots c'est comme une flamme -, ce n'est pas le jour, aujourd'hui, de poser ce genre de question.
Q- On ne les posera jamais ?!
R- Si, on les posera...
Q- Vous les poserez ?
R- Je les poserai. Je les ai posées avant, je vous le ferais remarquer. Et je les poserai après. Mais aujourd'hui, si les responsables publics n'ont pas un sentiment de responsabilité, ceux qui portent une partie de l'opinion publique, s'ils ne sont pas là comme stables, comme des repères pour les gens, alors, ils ne font pas leur travail.
Q- A. Duhamel notait que, peut-être, le président de la République s'est tenu trop loin de la scène, trop loin de la situation. Votre sentiment ?
R- C'est le moins que l'on puisse dire ! On ne peut pas avoir un homme responsable, président de la République élu au suffrage universel, et qui soit à cette distance des événements, qu'il mette les événements à distance. Il faut un peu de distance, mais l'absence du président de la république est remarquable dans la période que nous vivons. Je rappelle que c'est lui qui a été élu. Il a été élu sur la fracture sociale, en 1995. Il a été élu sur la sécurité, en 2002. Et le moins que l'on puisse dire est qu'ici, dans les banlieues, nous sommes exactement au coeur de sécurité fracture sociale. Les deux sujets sur lesquels les élections se sont produites...
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 novembre 2005)
R- La difficulté, avec un couvre-feu, ce n'est pas de le décréter, c'est de l'appliquer.
Q- Est-ce bien de le décréter ou de se donner les moyens de le décréter ?
R- En tout cas, cela donne une signification symbolique. Cela donne un aspect très solennel et sans doute "choc".
Q- Et utile ou pas ?
R- Utile ? On est renvoyé à la question de l'application. Le couvre-feu, tout le monde prononce ce mot, peut-être faut-il expliquer ce que cela veut dire. Cela veut dire qu'à partir d'une certaine heure, mettons 22 heures, plus personne n'a le droit de sortir dans la rue. Mais la question est : comment faites-vous respecter le couvre-feu lorsqu'il y a 9.500 en tout, a dit le Premier ministre hier soir, policiers sur l'ensemble de la France ? Et donc, mon interrogation est sur l'application. Je souhaite que les conséquences symboliques, l'écho de ces mesures, de cette intervention, fasse revenir le calme. J'ai naturellement des interrogations sur la manière dont ce sera appliqué. Mais je me suis fixé une règle, c'est : aucune polémique politique pendant cette période, qui est une période de déstabilisation française lourde.
Q- Couvre-feu, péril imminent, péril républicain : on en est là ?
R- "Calamité publique" même est marquée dans le texte de la loi...
Q- On en est là ?
R- En tout cas, pour la manière dont les Français ressentent ce qui se passe. Pour les désordres qui sont dans la rue. Et pour l'image de la France : je ne sais pas si vous avez tout vu ces jours-ci à la télévision, et entendu à la radio, ce que cela signifie pour les pays qui nous entourent, le sentiment que la France est à feu et à sang et que, désormais, c'est sous la loi du couvre-feu qu'elle va vivre... En effet, les conséquences de ce qui se passe, qui avait été prévu, annoncé à cent reprises par tous ceux qui s'inquiétaient de la déstabilisation française, va dans le sens...
Q- C'est ça qui est formidable en politique : on prévoit tout et on ne fait rien !
R- Et bien, c'est exactement cela !
Q- C'est terrible comme constat !
R- On a annoncé dix fois ce qui allait se passer. Regardez - je le dis sans jeter la pierre à qui que ce soit -, on a annoncé, hier soir, qu'on allait rétablir les subventions aux associations, qu'on avait supprimées la veille. On rétablit les emplois-jeunes qu'on avait supprimés la veille. Le sentiment d'un aller et retour, alors que ce qu'il faut, c'est de la reconstruction en profondeur, de la refondation de ce qui se passe dans la société française, parce qu'il n'y a pas que les banlieues qui sont dans cet état. Le sentiment que l'on ressent, c'est que toute la société française, aujourd'hui, est dans cet état d'explosion rampante, en tout cas d'implosion, et que c'est très inquiétant pour notre pays.
Q- Et pourquoi la société française plutôt que les autres sociétés occidentales ? Les pays qui nous entourent ne vivent pas ce malaise. C'est la faute des responsables politiques qui ne savent pas gérer, qui ne savent pas anticiper ?
R- Non. Il y a, à mon sens, deux grandes séries de responsabilités. La première est que nous sommes un pays complètement centralisé, où tout revient à l'Etat, où chaque fois qu'on a une difficulté, c'est vers l'Etat que l'on se tourne. Nous avons été construits comme cela mais, aujourd'hui, il y a une limite : on est arrivé à un Etat maladif de l'hypertrophie d'un Etat devenu impuissant. L'Etat, on lui demande tout, et, malheureusement, il peut faire de moins en moins. Ça, c'est la première responsabilité. Et la deuxième qui est considérable aussi, c'est que nous avons une démocratie qui ne fonctionne pas bien. Ce qui fait que la réalité ne peut jamais intervenir dans le discours politique, parce que les dirigeants, en raison de la manière dont notre République et notre démocratie sont organisées, peuvent, pendant très longtemps, ignorer la réalité. Les avertissements ont beau se multiplier, en réalité, les gouvernants ne les entendent pas. Avec tous les gouvernants successifs, tant qu'on ne changera pas la démocratie française, on aura des accidents de cet ordre.
Q- On a entendu des responsables du Front national dire qu'avec ce climat, ce que l'on vit, les gens qui se tournent vers eux, cela leur rappelle les jours qui précédaient le 21 avril 2002. Ressentez-vous les choses comme cela ?
R- Ce n'est même pas le Front national qui m'inquiète. C'est le peuple français, le sentiment qui est le sien. Le Front national n'est qu'un symptôme de ce que nous vivons. Et tous les extrémismes, tous les dérapages peuvent profiter de la situation. Ma conviction profonde est que si les grands mouvements politiques démocratiques, modérés, équilibrés, ne décident pas, un jour, qu'ils vont, ensemble, prendre ces problèmes à bras-le-corps, et faire un accord de long terme qui dépassera les élections futures, qu'ils mettent en place une politique dont ils diront : "Nous la respecterons qui que ce soit celui d'entre nous qui sera au pouvoir...".
Q- Ce n'est plus la peine de changer de gouvernement, alors ?
R- Si ! Sur les banlieues ! Mais je n'ai pas dit sur tout le reste : sur le social, sur l'économique. Je vous parle des banlieues, je vous parle de la sécurité, je vous parle de ce que les Français voient tous les jours sous leurs yeux comme un échec formidable. Regardez, on passe son temps à défaire ce que le gouvernement précédent avait fait, puis à le refaire. Cela n'est pas une bonne politique et cela ne rassure pas les gens sur le long terme.
Q- Certains jugent que l'attitude, les mots de N. Sarkozy, ont favorisé cette crise. Quelle est votre opinion ?
R- Lorsque cette crise sera finie, il sera temps de se poser des questions. Pour l'instant, aujourd'hui, même si je vois très bien, en effet, l'effet amplificateur ou l'effet détonateur que certains mots peuvent avoir - parce que les mots c'est très fort, les mots c'est comme des armes, les mots c'est comme une flamme -, ce n'est pas le jour, aujourd'hui, de poser ce genre de question.
Q- On ne les posera jamais ?!
R- Si, on les posera...
Q- Vous les poserez ?
R- Je les poserai. Je les ai posées avant, je vous le ferais remarquer. Et je les poserai après. Mais aujourd'hui, si les responsables publics n'ont pas un sentiment de responsabilité, ceux qui portent une partie de l'opinion publique, s'ils ne sont pas là comme stables, comme des repères pour les gens, alors, ils ne font pas leur travail.
Q- A. Duhamel notait que, peut-être, le président de la République s'est tenu trop loin de la scène, trop loin de la situation. Votre sentiment ?
R- C'est le moins que l'on puisse dire ! On ne peut pas avoir un homme responsable, président de la République élu au suffrage universel, et qui soit à cette distance des événements, qu'il mette les événements à distance. Il faut un peu de distance, mais l'absence du président de la république est remarquable dans la période que nous vivons. Je rappelle que c'est lui qui a été élu. Il a été élu sur la fracture sociale, en 1995. Il a été élu sur la sécurité, en 2002. Et le moins que l'on puisse dire est qu'ici, dans les banlieues, nous sommes exactement au coeur de sécurité fracture sociale. Les deux sujets sur lesquels les élections se sont produites...
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 novembre 2005)