Texte intégral
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Gouverneurs,
Chers amis,
Je suis très heureux de vous accueillir ici, à Bercy, pour une nouvelle réunion des ministres de la zone franc. Je sais que pour nombre d'entre vous, cette rencontre d'automne, à la veille des assemblées annuelles du FMI et de la Banque Mondiale, est presque devenue une habitude. Pour quelques ministres, dont moi-même, c'est en revanche une première.
Nos relations d'amitié et de coopération s'appuient sur les liens solides qui ont été tissés entre nos peuples depuis longtemps. Je suis déterminé à poursuivre dans cette voie, c'est à dire approfondir notre relation et nourrir la confiance.
C'est elle qui a permis à la crédibilité de la zone franc de rester toujours aussi forte, alors que tant d'autres tentatives d'ancrage monétaire ont connu une vie éphémère. C'est cette même confiance qui nous invite à tenir le seul langage possible entre nous, celui de la vérité. Or les temps qui viennent ont des aspects préoccupants : en effet, après quatre années de croissance à 5%, la croissance de la zone a été inférieure à 3% en 1999, c'est à dire plus faible que celle des pays de l'OCDE et, plus grave encore, plus faible que la croissance démographique de vos pays. Je souhaite vivement que cette baisse de régime observée en 1999 soit enrayée dès cette année et se réduise à un simple " trou d'air ".
Au-delà de toute considération morale, il n'est ni acceptable ni supportable que l'écart se creuse entre l'évolution de la richesse de nos deux continents. Et si ma tâche quotidienne consiste - comme la vôtre - à rappeler souvent le poids des contraintes financières, nous n'oublions jamais que l'objectif ultime de notre action est de fournir à chaque homme et à chaque femme de tous les pays les moyens de vivre libre dans la dignité.
Dans le cadre de notre coopération monétaire, cette double exigence doit nous conduire à tout mettre en uvre pour que les pays de la zone franc bénéficient de la prospérité mondiale actuelle. Pour ce faire, la stabilité politique est bien sûr essentielle et le retour à un fonctionnement normal des institutions démocratiques est indispensable. Ce préalable étant posé, je crois utile, pour que les pays de la zone franc puissent participer pleinement à la croissance mondiale d'organiser notre action autour de deux points forts : mieux équilibrer le commerce international et renforcer l'attractivité économique des pays de la zone franc.
Ce que je vous propose aujourd'hui, c'est de travailler ensemble à ces objectifs partagés pour unir nos efforts tant sur la scène internationale qu'à l'intérieur de nos frontières, ce que l'on peut appeler le " développement conjoint " doit être notre véritable priorité.
1 / Le commerce international doit être plus équilibré pour les pays de la zone franc.
Pour permettre aux pays africains de jouer un rôle conforme à leurs potentialités dans le commerce mondial, il nous faut agir sur deux tableaux : l'ouverture des marchés des pays développés - je dis bien tous les marchés - aux produits des pays en développement et l'intégration régionale dans les pays du Sud.
Les chiffres de la croissance parlent en effet d'eux-mêmes : malgré la conjonction de nombreux facteurs et le rôle important des politiques macro-économiques, les pays de la zone franc restent encore trop dépendants du prix de quelques matières premières. Ainsi la baisse du prix du pétrole en 1998 a contribué à la récession des pays de la zone CEMAC en 1999 et aujourd'hui les faibles prix du cacao, du café et du coton pèsent fortement sur la croissance de la zone UEMOA.
S'il est certain que les cours très élevés atteints par le pétrole aujourd'hui améliorent ponctuellement la situation de certains d'entre vous, l'effet est clairement négatif pour nombre de pays en développement. Cette volatilité est très gênante à la fois pour la gestion des finances publiques et pour les acteurs économiques. Comment, en effet, établir sérieusement un budget ou gérer un compte de résultat quant il y a des variations aussi brutales et erratiques du prix des sources d'énergies. Je souhaite donc que le dialogue avec les pays de l'OPEP débouche sur des moyens pour assagir les cours. Je sais que vous pourrez nous y aider et je compte sur votre appui.
Pour élargir et diversifier l'offre des économies en développement et réduire donc cette dépendance envers les matières premières, il importe que les pays développés fassent le nécessaire pour ouvrir plus largement leurs marchés. L'Europe a toujours eu une longueur d'avance notamment sur les Etats-Unis et le Japon et la signature des accords de Cotonou ouvre de nouvelles perspectives. A l'OMC, nous avons déjà fait des offres généreuses pour rechercher un nouveau partage plus favorable aux pays du Sud.
Cependant, les enseignements tirés des accords de Lomé sont clairs : un accès privilégié au marché européen ne suffit pas, il doit s'accompagner d'un élargissement du marché domestique et d'une insertion internationale plus dynamique. Sur cette voie, vous êtes en avance puisque vos unions régionales représentent un stade d'intégration plus abouti que les autres institutions comparables en Afrique.
Le FMI ne s'y est d'ailleurs pas trompé puisqu'il organise désormais de manière périodique un examen régional de la zone UEMOA et de la zone CEMAC comme il le fait aussi pour la zone euro.
Mais toute démarche d'intégration régionale conduit à s'interroger sur la taille optimale d'un marché domestique d'autant que cette dynamique peut créer une attraction forte sur les pays voisins. C'est évidemment un signe de réussite dont il faut se réjouir mais c'est aussi un risque de dilution qui doit s'aborder en renforçant la solidité de l'édifice régional et en ouvrant la porte progressivement aux seuls pays qui montrent une volonté réelle d'adopter les disciplines communes. L'Europe s'est trouvée plusieurs fois confrontée à cette exigence depuis sa création.
C'est pourquoi, la France accueille avec intérêt vos projets d'union économique pour l'ensemble des Etats d'Afrique de l'Ouest. D'abord, l'initiative de la CEDEAO qui veut créer son union monétaire témoigne du succès de notre propre coopération monétaire qui avait été souvent critiquée par ceux qui aujourd'hui veulent s'en inspirer. Ensuite, les modalités retenues témoignent d'un grand pragmatisme, les signataires de la déclaration d'Accra se sont en effet engagés à respecter des critères de convergence et à faire la preuve qu'ils pouvaient gérer ensemble une monnaie commune avant toute perspective de fusion avec l'UEMOA.
Mais, ces perspectives, qui sont prometteuses, restent encore assez lointaines. Si un calendrier a certes été défini, c'est sans doute plus pour mobiliser les efforts que pour fixer une véritable échéance.
Je crois bien ressentir une certaine préoccupation parmi les pays d'Afrique centrale qui peuvent légitimement s'interroger sur ces évolutions. La meilleure façon d'y répondre est sans aucun doute de renforcer la convergence au sein de la zone CEMAC.
Je veux aussi vous rassurer et être parfaitement clair, la création d'une seconde zone monétaire en Afrique de l'Ouest, parallèle à l'UEMOA, ne remettra aucunement en cause les principes de notre coopération monétaire.
Les incidences de la création de cette seconde zone monétaire sur la zone franc ne pourront, en effet, être étudiées qu'une fois les conditions de sa mise en place mieux connues - les Etats concernés n'ayant, à ce stade, précisé ni les caractéristiques de la future monnaie ni la question de sa convertibilité.
Lorsque cette nouvelle zone monétaire sera constituée et aura montré sa robustesse, d'éventuelles négociations pour une monnaie commune aux deux zones devront associer tous les partenaires : la France, la zone CEMAC et l'Union européenne. Mais nous n'en sommes pas là.
2 / La zone franc doit renforcer son attractivité.
Le constat est connu et je ne m'y attarderai pas. Les flux d'aide publique au développement dans le monde se sont réduits ces dernières années sans que, pour les pays d'Afrique sub-saharienne, les flux de capitaux privés ne prennent le relais.
D'une certaine manière, les conditions pour recevoir des flux importants d'aide publique et attirer des capitaux privés sont assez similaires : dans les deux cas, la bonne gestion des affaires publiques et la sécurité juridique jouent un rôle primordial.
Si l'investissement, qu'il soit domestique ou international, reste limité, ce n'est pas que le taux de rentabilité soit insuffisant dans les économies africaines. Mais ce sont les risques d'un cadre juridique insuffisamment protecteur, d'une moindre sécurité administrative ou fiscale qui bien souvent réduisent l'attrait de l'investissement.
Des efforts notables ont été faits pour créer un cadre juridique commun pour le droit des affaires et le succès de l'OHADA dans l'élaboration de normes uniformes dépasse aujourd'hui les frontières du monde francophone. Nous en reparlerons dans le courant de la journée. Mais il faut aller plus loin en élaborant un droit de la concurrence et s'assurant que les règles de droit sont bien appliquées par des juridictions dont l'impartialité doit être indiscutable.
Parallèlement, pour que des flux plus importants de capitaux privés prennent le chemin de l'Afrique, la communauté internationale doit, j'en suis convaincu, augmenter son effort d'aide publique au développement en votre faveur.
Nous devons donc nous réjouir des avancées réalisées dans l'initiative sur la dette : quatre pays de la zone franc ont déjà franchi leur point de décision mais d'autres pays devraient suivre rapidement : je pense notamment au Cameroun dont les premiers efforts durables en matière de réformes commencent à être récompensés. Enfin pour le volet annulation des créances d'APD et du passage à 100 % d'annulation des créances traitées en club de Paris, la France, comme vous le savez déjà, procédera - au point d'achèvement - à un refinancement par dons mis en uvre par l'AFD dans le cadre d'un contrat de désendettement et de développement. J'entends bien veiller tout particulièrement à ce que cette aide soit effectivement utilisée en faveur des populations pour réduire la pauvreté.
Pour tous les pays concernés par le soutien exceptionnel que représente ce processus, je souhaite enfin qu'une attention particulière soit mise sur la qualité de la gestion des finances publiques, sur la transparence et la participation de la société civile.
Parmi ces exigences, la lutte contre le blanchiment d'argent est sans aucun doute une des premières préoccupations de la communauté internationale. Des progrès importants ont été réalisés ces derniers mois, notamment grâce à l'action du GAFI qui a dénoncé les pratiques inacceptables de quinze Etats ou territoires. Ces travaux auront des suites concrètes et la communauté internationale pourrait décider de sanctions à l'encontre de ces Etats non-coopératifs. Cela ne manquerait pas d'avoir des conséquences sur l'aide internationale qui leur est accordée. Aucun Etat africain n'a pour le moment été visé par ces critiques. Pour autant, la lutte contre le blanchiment d'argent doit aussi progresser sur votre continent et particulièrement au sein de la zone franc. L'adoption de règles claires et efficaces dans ce domaine et la participation active à la coopération internationale est une des conditions d'un développement durable de vos économies. Le GAFI va prochainement procéder à l'examen de nouveaux pays et territoires. Aussi je vous invite à vous doter d'une législation contre le blanchiment.
Vous le voyez, Messieurs les ministres, Messieurs les Gouverneurs, je me suis adressé à vous très franchement et je souhaite que les débats de la journée soient aussi directs pour que nous puissions réellement avancer ensemble.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2000)