Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur la politique du littoral notamment la protection des espaces naturels et le développement des ports, Biarritz le 8 octobre 1998.

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Circonstance : Ouverture des 19èmes journées nationales d'études de l'ANEL, à Biarritz le 8 octobre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Sénateur-Maire,
Mesdames, Messieurs,
Le thème de vos journées d'étude : "littoral, politiques contractuelles et aménagement du territoire", ne pouvait laisser indifférente la ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement. D'autant que la préparation de la nouvelle génération des contrats de plan, engagée cet été par le gouvernement, fonde l'actualité de vos réflexions.
Le littoral constitue, de mon point de vue, un lieu privilégié pour des approches renouvelées, s'inscrivant dans le cadre du développement durable.
Le littoral est un espace particulièrement riche.
- Il accueille, outre les activités communes à l'ensemble du territoire, celles qui sont liées à la présence de la mer, par les ressources naturelles ou les facilités de déplacement : pêche et cultures marines, activités portuaires, industries sur l'eau, etc.
- Par la qualité de son environnement, il exerce également une forte attraction. Les communes du littoral accueillent 10 % de la population et 35 % du tourisme, sur 4 % du territoire national.
- Il rassemble des écosystèmes particulièrement riches, qui jouent un rôle important pour les équilibres naturels des milieux marins et terrestres.
Le littoral est aussi un espace convoité, en proie à des conflits d'usage.
La pression démographique et urbaine, due à son attractivité, peut entrer en conflit avec la préservation des espaces naturels et des paysages qui fondent justement cette attractivité.
Mais le littoral est aussi en butte à des difficultés particulières.
- Il est confronté aux impacts parfois brutaux de la reconversion des industries de défense ou aux difficultés de la construction navale.
- Il est aussi, de manière plus progressive mais non moins forte, confronté au vieillissement des aménagements et constructions touristiques des " Trente glorieuses ".
Pour gérer les particularités de son espace littoral, notre pays s'est déjà doté d'outils spécifiques.
- le Conservatoire du littoral et des espaces lacustres, créé en 1975, a largement contribué à la sauvegarde et à la mise en valeur des sites non urbanisés de notre espace côtier. 53 000 hectares répartis sur 396 sites et s'étendant sur 10 % du linéaire côtier sont ainsi protégés. Cette action implique fortement les élus littoraux. La gestion des espaces acquis par le conservatoire fait, généralement, l'objet d'une contractualisation avec les collectivités concernées. Ces démarches contractuelles permettent de concilier au mieux la préservation des milieux, leur ouverture au public et leur mise en valeur au bénéfice du développement local.
- Les schémas de mise en valeur de la mer, institués par la loi du 7 janvier 1983, constituent un outil de gestion intégrée du littoral, espace terrestre et espace marin. Cette procédure n'a, pour l'instant, abouti qu'à l'approbation d'un seul de ces schémas. Une des difficultés rencontrées réside dans l'absence d'une procédure contractuelle permettant de soutenir les actions de gestion et de résoudre au mieux les conflits d'usage.
- La loi littoral du 3 janvier 1986, enfin, définit le cadre d'une "politique spécifique d'aménagement de protection et de mise en valeur" de cet espace. Le Conseil Interministériel de la Mer du 1er avril dernier a décidé d'établir le premier rapport annuel au Parlement prévu à l'article 41 de la loi. Au terme de 12 ans d'application de la loi, ce rapport établira un bilan de ce texte. Au-delà des nécessaires adaptations marginales des textes, je privilégierai, pour ma part, les actions incitatives de conseil et d'animation des acteurs, permettant une diffusion plus large des bons usages de cette loi.
Depuis plusieurs années la politique du littoral a fait l'objet de nombreuses réflexions :
- les travaux de prospective par façade littorale, initiés au CIADT de 1994 ;
- le rapport au Premier ministre "pour une politique globale et cohérente du littoral en France", élaboré en 1995 par Monsieur BONNOT ;
- le rapport "la France du littoral, constat et propositions", du groupe de travail présidé par Monsieur RUFENACHT ;
- le rapport sur "la politique maritime et littorale de la France", établi par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques.
Ce riche matériau doit nous permettre de passer maintenant à l'action. Le littoral ne sera pas l'oublié de la politique d'aménagement et de développement durable du territoire que le gouvernement s'attache à mettre en uvre. Au contraire, la multiplicité des enjeux à gérer sur cet espace particulier appelle prioritairement l'élaboration de projets de développement durable articulant développement économique, progrès social, préservation et mise en valeur de l'environnement.
Quelles approches mettre en uvre pour élaborer ces projets ?
En premier lieu, le littoral doit faire l'objet d'approches diversifiées.
Le littoral présente une très grande diversité de situations. Chaque portion du littoral se présente avec ses caractéristiques propres, son histoire, ses difficultés et ses ressources particulières. Une approche unique ne serait pas opératoire. Le développement durable de nos espaces littoraux doit s'ancrer sur des projets territoriaux élaborés à partir des spécificités de chaque lieu.
L'aménagement du littoral ne saurait se limiter au seul cordon littoral.
Le cordon littoral ne peut tout accueillir. Les conflits d'usage dont il est le siège peuvent se résoudre plus facilement, pour peu qu'on envisage leur résolution dans un cadre intercommunal, utilisant les potentialités de l'arrière-pays. Inversement, cet arrière-pays peut trouver de nouveaux ressorts de son développement en profitant de l'attraction de l'espace littoral.
Le développement en profondeur du littoral constitue à la fois une nécessité et une opportunité. Il résultera d'une organisation volontaire des acteurs locaux nouant des solidarités autour d'un projet partagé de développement. Ce mouvement paraît d'ores et déjà engagé, lorsqu'on observe qu'un quart des 200 pays existants ou en émergence concernent le littoral et son proche arrière-pays.
Mais cette approche territoriale ne saurait occulter la nécessité de collaborations à l'échelle des façades maritimes.
Les villes et les espaces littoraux partagent des intérêts communs. Leur développement peut bénéficier mutuellement de synergies développées au sein d'actions communes. À la fois par le jeu de solidarités actives entre territoires voisins développant leur complémentarité ou, à une autre échelle, par des collaborations interrégionales, voire des coopérations transfrontalières.
L'enjeu du développement de nos ports maritimes illustre bien cette nécessité d'une approche emboîtant plusieurs échelles. Pour maintenir et développer leur place dans les échanges européens et mondiaux, nos ports doivent offrir des services assurant la performance globale d'une chaîne logistique qui s'étend en profondeur dans notre pays et le continent. Au-delà de la question des dessertes terrestres, que vous traiterez demain, cette performance globale peut être favorisée par d'autres éléments :
- une étroite coordination de l'offre commerciale et de la stratégie de développement de port voisins, plus complémentaires que concurrents. Je pense en particulier à la Basse Seine autour du Havre, et aux ports bretons de Brest et de Lorient. Ces deux derniers ports ont su élaborer une unique charte portuaire qui planifie un développement coordonné.
- des collaborations spécifiques à l'échelle d'une façade littorale, permettant d'offrir de nouveaux services comme une ligne de cabotage maritime.
- la définition d'une stratégie globale qui, s'appuyant sur une vision d'ensemble, permet de rendre, de manière rationnelle et acceptable par tous, les arbitrages nécessaires en matière d'investissements lourds.
Je pourrais, pour illustrer mon propos, évoquer les multiples projets d'équipements portuaires (dock flottant, cale sèche, etc.) présentés systématiquement comme relevant d'une nécessité impérative dans une approche individualisée du site en question, mais qui ne sont pas toujours compatibles, ni viables économiquement, avec la logique poursuivie quelques dizaines de kilomètres plus loin par un autre site côtier. Mais vous mesurez tous ici, mieux que quiconque, à quelle réalité je fais référence.
Quels outils pour soutenir et organiser ce développement ?
Le gouvernement met en uvre une pluralité d'outils, dont l'action convergente aidera au développement durable de notre littoral.
Le littoral bénéficie d'une attention particulière dans le renouveau de la planification engagé par l'Etat
Le projet de loi pour l'aménagement et le développement durable du territoire, qui sera débattu au Parlement à partir du mois de janvier prochain, prévoit notamment l'élaboration de huit schémas de services collectifs. Trois d'entre eux intégrerons une approche particulière de l'espace littoral : les deux schémas de services de transports, voyageurs et marchandises, et le schéma des espaces naturels et ruraux.
Le projet de loi affirme en son article 30 : "Pour les marchandises, le développement du transport fluvial, ferroviaire et du cabotage maritime, notamment au moyen du transport combiné, revêt un caractère prioritaire. Ces usages doivent être encouragés".
Les ports sont un lieu d'échange entre moyens de transports. L'élaboration de schémas multimodaux de services mettra en valeur cette position singulière. Le document de cadrage établi par l'Etat accorde une importance particulière au développement des activités portuaires, à la fois sous l'angle de l'adaptation des prestations offertes par les ports aux services attendus par leurs usagers, et sous l'aspect de l'amélioration de leurs dessertes terrestres, notamment ferroviaires et fluviales. À cet égard, le développement du trafic ferroviaire de fret, par le biais notamment d'un réseau à priorité fret en synergie avec les ports, constitue une des deux grandes priorités retenues par Jean-Claude GAYSSOT et par moi-même.
Le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux doit, quant à lui, permettre d'identifier les vocations des différents territoires non bâtis, afin d'en déduire les politiques publiques à y mettre en place, pour qu'ils remplissent au mieux leurs fonctions. Son rôle sera particulièrement stratégique sur le littoral, pour concilier les fonctions multiples de ces espaces si exigus : fonction patrimoniale et fonction économique, en particulier touristique, mais pas uniquement, puisque les activités agricoles et forestières occupent et valorisent une part considérable de ces territoires.
Les services, les " aménités positives " que ces espaces rendent gratuitement, par exemple en fournissant des zones de promenade et de calme aux citadins, seront, en particulier, à prendre en compte.
Ces schémas doivent réconcilier politique nationale et nécessités locales. À cet effet, la loi introduit deux innovations par rapport aux schémas précédemment prévus :
- ces documents partent des besoins et y répondent en termes de services au lieu de partir de la logique d'offre de grands systèmes techniques ;
- leur élaboration fera l'objet d'une concertation élargie, associant l'ensemble des acteurs concernés, non seulement au sein d'instances nationales comme le Conseil National d'Aménagement et de Développement du Territoire, mais aussi à travers une phase déconcentrée, menée sous l'égide des préfets de région.
Le renouveau de la planification, voulu par le gouvernement, s'attache aussi aux grands enjeux du développement de nos façades maritimes. Le gouvernement a déjà adressé aux préfets concernés les mandats d'élaboration des Directives Territoriales d'Aménagement des Alpes-Maritimes et de l'Aire urbaine marseillaise. Je souhaite à l'occasion du prochain Ciadt faire approuver les orientations des mandats concernant les estuaires de la Seine et de la Loire. Les quatre premières DTA couvriront ainsi des espaces littoraux. Les conflits d'usage qui s'expriment en ces lieux seront tranchés dans la perspective d'un développement durable.
Comme pour les schémas de services, le fait pour l'Etat d'assumer ses responsabilités ne signifie pas une démarche refermée sur elle-même. Au contraire, le gouvernement a choisi d'accompagner l'élaboration de ces documents d'une concertation approfondie avec tous les acteurs de ces territoires.
Des actions concrètes sont régulièrement prises au bénéfice des villes portuaires en difficulté.
Le problème soulevé par la réduction du plan de charge de la DCN (Direction des Constructions Navales), s'est traduit lors du dernier CIADT de décembre 97, comme vous le savez, par un large volet de mesures territoriales concernant Brest, Lorient et Cherbourg. Le prochain comité interministériel sera l'occasion de dresser un bilan des mesures engagées, et de préciser les prolongements concrets que le gouvernement entend leur donner. Je songe en particulier aux suites de la mission sur les perspectives de l'off-shore à Brest.
La contrainte résultant de la suppression prochaine des aides à la construction navale posée par le livre vert de la Commission européenne, soulève les questions de la gestion optimale par les pouvoirs publics de cette période de transition, et des potentialités effectives des différents chantiers navals. Les difficultés d'hier à Dunkerque avec la Normed, comme les difficultés plus récentes à Marseille avec la CMR (Compagnie Marseillaise de Réparation) ou au Havre avec les ACH (Ateliers Chantiers du Havre) ont mobilisé et mobilisent fortement les pouvoirs publics en moyens humains et financiers. L'enjeu pour l'économie locale, les emplois en cause, et l'impact global en termes d'aménagement du territoire justifient cet effort.
La question de l'adaptation d'équipements dont l'obsolescence menace la pérennité même de l'activité existante, est une question récurrente auxquels vous vous trouvez confrontés. C'est le cas notamment de la capacité à assurer l'entretien et la réparation des navires de pêche, pour laquelle l'Etat s'est engagé à Lorient aux côtés de la collectivité, lors du Ciadt de décembre dernier.
Au-delà de ces interventions réparatrices indispensables, le gouvernement s'engage aussi résolument à préparer l'avenir.
Il en va ainsi du projet Port 2000, qui a été soumis à la procédure de débat public. Ce projet vise, par des équipements adaptés, à la fois portuaires et en termes de desserte terrestre, à garantir le positionnement du Havre sur le marché croissant du trafic des porte-conteneurs transitant par la Manche.
L'option retenue par les pouvoirs publics, qui sera soumise à enquête public, devrait être arrêtée lors du prochain Ciadt de décembre, au sein d'un ensemble de mesures intéressant la Basse-Seine. Ce projet d'envergure devrait constituer l'un des axes forts du prochain Contrat de plan Etat-Haute Normandie.
Parce que les enjeux urbains et portuaires y sont également forts, nous entendons aussi, lors du prochain Ciadt, arrêter des mesures en faveur de Marseille et de sa région.
Toutes ces actions doivent trouver un prolongement dans les démarches de contractualisation qui s'engagent.
Cet été, le gouvernement a posé le cadre général de la prochaine génération des contrats de plan Etat-région. Dans un souci de cohérence avec la politique structurelle européenne, ceux-ci couvriront la période 2000-2006. Elaborés dans la perspective du développement durable, ces contrats comprendront deux volets : l'un régional, l'autre territorial. Ce dernier constituera le cadre des engagements de l'Etat et de la région pour les futurs contrats d'agglomération et de pays prévus par le projet de loi pour l'aménagement et le développement durable du territoire.
La préparation des prochains contrats de plan Etat-région sera couplée à la réflexion stratégique sur les schémas de services. Le calendrier nous impose de mener ensemble ces exercices que l'habitude voudrait voir s'enchaîner. Je pense que cette contrainte est une chance. La négociation pour la programmation sera ainsi mise en perspective par la réflexion à plus long terme des schémas.
Cette mise en perspective est d'autant plus nécessaire que la contractualisation pour la période 2000-2006 marquera inévitablement des inflexions par rapport aux contrats en cours.
D'abord parce que l'exécution de ceux-ci pose problème. La détermination du gouvernement à honorer les engagements contractuels de l'Etat permettra de parvenir à des taux d'exécution des contrats en cours supérieurs à 90 %, à la notable exception des programmes routiers et, ce qui est plus regrettable, des investissements portuaires. Dans ces domaines, il n'est pas possible de procéder à une reconduction automatique. Au contraire, un réexamen systématique des opérations prévues devra être mené au regard notamment de leur efficacité économique et sociale ainsi que de leur impact territorial, dans le cadre des nouvelles priorités affichées par le gouvernement.
Ensuite parce que les priorités de l'Etat évoluent. Ce qui ne doit pas vous alarmer. Ces nouvelles priorités accordent une place importante au développement de l'économie maritime et du littoral. Ainsi, suite au comité interministériel de la mer du 1er avril dernier, Jean-Claude GAYSSOT et moi-même avons confié à Monsieur Michel MORVAN une mission de réflexion et de proposition portant notamment, dans la perspective de l'élaboration des futurs contrats de plan et de la négociation des prochains programmes communautaires, sur la prise en compte des chartes de place portuaire dans les projets territoriaux de développement et sur la traduction des orientations en faveur du transport maritime et de l'intermodalité associée.
Ces perspectives de contractualisation ne sont pas les seules qui vous concernent. La richesse du littoral, c'est aussi celle de ces milieux naturels. Celle-ci a déjà été reconnu par l'étendue des zones de protection spéciale notifiées à la Commission européenne en application de la directive Oiseaux. Elle le sera également dans le cadre de la procédure Natura 2000, pour laquelle la désignation des sites est encore en cours. Contrairement à ce qui se dit trop souvent, ces désignations n'aboutissent pas à la délimitation administrative de sanctuaires excluant toute activité et bridant le développement des territoires concernés. Au contraire, elles ouvrent le champ à des démarches partenariales de gestion contractuelle de ces espaces, préservant ces ressources et les mettant en valeur dans une dynamique de développement durable. Les actions pilotes, comme celle menée en Trégor-Goëlo avec l'implication du Conservatoire du littoral, le démontrent bien.
Dans cette perspective j'ai obtenu la création du Fonds de gestion de milieux naturels. Doté de plus de 100 millions de francs de crédits dans le projet de loi de finances pour 1999, ce fonds permettra d'engager les démarches contractuelles avec les propriétaires et les gestionnaires. Je m'attacherai à faire croître cette ressource dans les années à venir, en relation avec les besoins liés à la mise en place progressive du réseau.
De même, la création des parcs marins d'Iroise et de Corse constitue aussi un outil de développement local. Ces parcs visent à une maîtrise concertée de l'exploitation de la ressource, dans une perspective de préservation et de gestion durable. Cette démarche partenariale associe au premier chef les marins-pêcheurs et les élus locaux, ainsi que, en Iroise, les goémoniers. Elle fera l'objet de proposition de contractualisation.
Même si ces outils sont plus généraux, l'offre de contractualisation que vous propose l'Etat est apte à relever les enjeux du littoral et à valoriser les atouts spécifiques à cet espace.
Dans ces conditions, il est particulièrement important que vous releviez ce défi du développement durable de notre espace côtier et de nos villes maritimes. Faites émerger des projets de territoires et des projets de gestion de vos espaces naturels ! Vous trouverez de mon côté une écoute attentive et un intérêt marqué.
Je vous remercie.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 21 septembre 2001)