Texte intégral
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est pour moi un grand honneur de participer, en compagnie du Premier ministre, Lionel Jospin, à la clôture du Congrès des "Nouveaux Européens" - vous me permettrez de franciser le néologisme séduisant que vous avez choisi comme titre, "Newropeans" -, congrès organisé par Prometheus Europe, à l'occasion du 15ème anniversaire des premiers états généraux des étudiants d'Europe.
En réunissant à Paris plus de mille jeunes Européens, étudiants ou anciens étudiants, venant des Etats membres comme des pays candidats à l'adhésion, les organisateurs de ce Congrès, - sous la houlette de Franck Biancheri - ont eu une idée formidable, qui trouve parfaitement sa place dans ce semestre de Présidence française de l'Union européenne. Je tiens à les en féliciter chaleureusement et suis heureux d'avoir pu les aider à monter cette grande rencontre.
Bien que je n'aie pu assister à vos travaux, je sais qu'ils ont donné lieu à des discussions passionnantes et passionnées, ce dont je ne doute pas un instant, lorsque je vois le nombre impressionnant de participants et la liste des nombreuses personnalités éminentes de l'Europe de la culture, de l'économie, de la science, ainsi que de nombreux responsables politiques, qui ont tenu à apporter leur contribution au débat.
Vous avez ainsi fait de cette société civile européenne, que nous appelons de nos voeux, sans laquelle l'Europe ne pourra acquérir toute sa dimension politique et citoyenne, une réalité vivante et prometteuse.
Avant de laisser la parole au Premier ministre, qui souhaite dialoguer avec vous, j'aimerais brièvement, vous faire part, en tant que ministre des Affaires européennes, de quelques réflexions que m'inspirent vos travaux quant à l'Europe de demain, l'Europe du XXIème siècle dont vous serez des acteurs essentiels.
J'aimerais en particulier évoquer trois problématiques que vous avez étudiées et qui me paraissent déterminantes pour l'avenir de l'Europe.
1/ Tout d'abord, vos discussions ont mis l'accent, avec raison, sur la nécessité du renforcement de la démocratie européenne.
Pour que l'Europe soit en mesure de faire face aux défis du siècle prochain, il ne suffit pas qu'elle soit une construction sophistiquée, oeuvre des gouvernements et des experts. Elle doit devenir une véritable démocratie participative, fonctionner de façon plus efficace et transparente, être plus à l'écoute de ses citoyens.
C'est dans cet esprit que la Présidence française travaille actuellement à l'un des éléments nécessaires de cette réforme, la modernisation des Institutions. Conçues à l'origine pour six Etats membres, il est clair qu'elles ne fonctionnent plus de façon satisfaisante et que, sans une vraie réforme, elle seraient totalement paralysées avec une Union qui comptera un jour 28 membres, voire plus.
Tel est l'objet, vous le savez, de la Conférence intergouvernementale qui nous mobilise actuellement. Elle devra aboutir, nous l'espérons, à une bonne réforme au Conseil européen de Nice, en décembre prochain.
Notre objectif, je l'ai dit, est de renforcer la démocratie. Pour cela, il faut, en premier lieu, faciliter le processus de prise de décision au sein de l'Union. La démocratie s'exerce d'abord par le vote, il faut donc étendre le champ des matières dans lesquelles le Conseil vote à la majorité qualifiée et rééquilibrer, pour qu'ils soient plus légitimes, les votes de chaque Etat membre au sein du Conseil. Il faut ensuite une Commission européenne resserrée, collégiale et efficace, qui joue pleinement son rôle d'impulsion au sein du dispositif institutionnel.
Enfin, il faut, pour que le système fonctionne à plus de 20 membres, introduire un élément de souplesse, grâce aux coopérations renforcées, pour que ceux qui souhaitent avancer plus vite, puissent le faire, tout en laissant toujours la possibilité aux autres de les rejoindre : personne ne doit être exclu, mais personne ne doit être empêché d'aller de l'avant non plus.
Ces enjeux peuvent paraître très techniques, mais il en va de la capacité de l'Europe à fonctionner dans les prochaines années. Or, une Europe démocratique, une Europe qui respecte le mandat confié par ses citoyens, c'est d'abord une Europe qui marche, dans laquelle la volonté politique ne se heurte pas à des blocages systémiques.
Mais il est évident que notre effort ne doit pas porter uniquement sur les traités. Construire une Europe citoyenne, c'est aussi améliorer le fonctionnement quotidien de l'Europe, permettre une bonne gouvernance de l'Union.
Vous avez évoqué longuement ces questions lors de vos débats et je ne reviendrai que sur deux points qui me paraissent capitaux : la réforme de la Commission et du Conseil, deux Institutions, qui doivent l'une et l'autre être rehaussées politiquement.
Tout d'abord, la Commission, rouage essentiel et central de l'Union, comme l'a fort justement rappelé Romano Prodi devant le Parlement européen mardi, doit voir son Président doté de pouvoirs renforcés, dès sa désignation.
Il devrait être, comme dans une démocratie parlementaire moderne, l'émanation plus directe du vote des citoyens. Sa désignation pourrait ainsi dépendre du résultat des élections au Parlement européen, comme l'avait proposé, autour de Jacques Delors, l'association "Notre Europe" avant les dernières élections européennes.
De son côté, il faut que le Conseil des ministres, qui a largement perdu son rôle d'impulsion politique et de préparation des travaux du Conseil européen, au profit de discussions de plus en plus techniques, s'affirme mieux comme le vrai Conseil coordonnateur des travaux et des décisions, en interface avec la Commission et en amont des décisions des chefs d'Etat et de gouvernement. En outre, la Présidence semestrielle tournante pourrait être progressivement remplacée par une présidence élue plus visible.
Ainsi, ces deux Institutions - Conseil et Commission - seraient mieux à même de jouer leur rôle, dans une relation plus équilibrée par rapport au Parlement européen.
Je suis convaincu que, grâce à ces réformes, l'Union européenne sera en mesure de répondre aux défis futurs. Mais nous aurons bien sûr besoin, pour bâtir cette "démocratie commune" dont Franck Biancheri vient de parler, de la participation de tous, de l'apport que représentent les débats au sein de la société civile, dont le présent Congrès fournit un remarquable exemple. Pour être vivante, la démocratie européenne a besoin de la participation des citoyens.
Pour être actifs, ceux-ci doivent disposer des moyens nécessaires. Je pense au droit de vote aux élections européennes, mais aussi aux élections municipales, je pense à l'émergence de partis politiques européens, bref, à tout ce qui peut faciliter petit à petit l'avènement d'un espace public et démocratique européen. Enfin, je mentionnerai aussi la Charte des droits fondamentaux qui, après sa proclamation au Conseil européen de Nice, constituera un référentiel de valeurs communes très fort pour nos peuples.
2/ J'en viens maintenant à la deuxième grande perspective d'avenir pour l'Europe, celle d'un espace européen réunifié et en paix.
La présence parmi vous de nombreux représentants des pays d'Europe centrale et orientale, que je salue, en témoigne : le mouvement de construction d'une Europe démocratique et en paix ne peut se comprendre que si l'on y intègre pleinement nos voisins d'Europe centrale et orientale, que si nous parvenons à effacer définitivement toutes les traces de fractures qui ont divisé profondément l'Europe pendant si longtemps.
Permettez-moi de dire ici quel magnifique espoir nous donnent aujourd'hui, tous ceux qui, en Serbie, se sont battus pour la démocratie. Ils ont donné, 10 ans après la chute du mur de Berlin, une formidable impulsion au processus de stabilisation dans les Balkans et ouvert la voie, espérons le, à une complète réunification de l'Europe dans la paix et la démocratie.
J'ai souvent l'occasion de le dire, car cela est parfois perdu de vue, au profit de considérations de court terme : l'intégration de l'Europe centrale et orientale à l'Union est absolument consubstantielle à l'idée même de construction européenne. Si les Communautés européennes, puis l'Union européenne, ont dû se bâtir, pendant quarante ans, dans la seule moitié occidentale de l'Europe, ce n'est qu'en raison de la séparation brutale qui avait été imposée par la guerre froide.
Maintenant que cette séparation n'existe plus, il est non seulement souhaitable, mais absolument nécessaire, que l'Union européenne s'élargisse. C'est ainsi qu'elle sera plus forte, c'est ainsi qu'elle pourra réaliser le rêve de ses pères fondateurs, celui d'une Europe unifiée et durablement en paix, pour la première fois de son histoire.
Quelles que soient les difficultés, les risques, il me paraît toujours important de ne pas perdre de vue la raison d'être essentielle de cette perspective historique qu'est la réunification de l'Europe. Ce vaste mouvement, loin de dénaturer les objectifs fondamentaux de la construction européenne, les conforte en les renouvelant.
Et c'est justement parce que nous y accordons une priorité claire que nous souhaitons mettre toutes les chances de réussite de notre côté. Car rien ne serait pire qu'un élargissement mal conduit, pour les actuels Etats membres comme pour les candidats. C'est pour cela que nous devons mettre un minimum d'ordre dans la maison Europe avant d'accueillir de nouveaux membres. Mais il ne faut pas non plus le courir le risque de retarder les premières adhésions. Il convient donc pour l'instant s'en tenir à une réforme réaliste, qui ne remette pas en cause, à ce stade, l'ensemble de l'équilibre des institutions européennes.
Et il est essentiel, dès maintenant, comme vous en montrez parfaitement l'exemple avec ce Congrès, d'associer les pays candidats à un maximum de travaux de l'Union européenne, en premier lieu, bien sûr, ceux dont dépendra le visage de l'Europe future. C'est dans cet esprit que la France souhaite utiliser pleinement la Conférence européenne, qui réunit à la fois les Etats membres et les pays candidats, et dont toutes les potentialités n'ont pas été explorées à ce jour.
Une réunion ministérielle rassemblant les quinze Etats membres et les pays candidats aura ainsi lieu le mois prochain, à Sochaux, pour nous permettre de faire le point sur la réforme des institutions, mais aussi pour avoir un grand débat, auquel la société civile sera d'ailleurs associée, sur l'Europe future. Puis, en décembre, à Nice, juste avant le Conseil européen qui marquera la fin de la Présidence française, aura lieu un sommet de la Conférence européenne, véritable préfiguration de l'Europe de demain.
3/ Enfin, et - ce sera mon troisième point - cette Europe réunifiée doit pouvoir mieux remplir son rôle dans le monde.
Vous avez largement évoqué au cours de vos débats la problématique de la place de l'Europe dans le monde, dans le contexte actuel de globalisation. Il s'agit pour moi d'un enjeu essentiel, et je suis assez confiant dans les capacités de l'Europe à y faire face.
L'Europe doit se mettre rapidement en mesure d'avoir un poids politique sur la scène internationale conforme à son poids économique, de parler d'une seule voix sur les grands problèmes internationaux, afin de faire porter son message de coopération et de solidarité dans les autres régions du monde.
L'Europe réunifiée devra être en mesure de mieux peser en faveur de la paix dans son environnement proche. Tel est le sens des progrès considérables - même s'ils sont trop peu connus- que les pays européens ont accomplis depuis deux ans dans le domaine de la Politique étrangère et de sécurité commune, ainsi que dans le domaine de la défense.
C'est ainsi que, depuis deux ans, autour des initiatives prises notamment par les gouvernements français, britannique et allemand, les conditions d'une capacité européenne autonome de défense sont peu à peu mises en place. Il s'agit pour les pays européens, en parfaite concertation avec l'Alliance atlantique - car je crois que les faux débats entre défense européenne et défense atlantique sont largement derrière nous, et c'est bien ainsi -, d'être en mesure de mener, par eux-mêmes, des opérations de maintien de la paix sur notre continent.
Le conflit du Kosovo, l'année dernière, a montré que de telles menaces pour la paix en Europe n'avaient pas disparu, malheureusement, avec la fin de la guerre froide et que nous devions être en mesure d'y faire face, notamment grâce à des capacités d'action militaire rapide, quand bien même nos partenaires atlantiques ne seraient pas en mesure de participer.
Agir pour la paix et le développement, c'est tout le sens de la politique étrangère commune des Européens, qui se met progressivement en place. Je pense en particulier à notre politique méditerranéenne, à laquelle la présidence française accorde une priorité, et que nous souhaitons renforcer, ce qui implique, bien sûr, que l'Europe joue tout son rôle dans la recherche de la paix au Proche-Orient, fortement mise à l'épreuve actuellement.
Mais, assurer la place et l'identité de l'Europe dans la mondialisation, c'est aussi défendre nos intérêts et notre modèle économique et social dans les négociations commerciales internationales. Même si elles sont actuellement en sommeil, nous ne devons pas perdre de vue les futures négociations au sein de l'OMC, vis à vis desquelles il est essentiel que l'Europe puisse afficher une position unie et attentive aux préoccupations de ses citoyens, notamment dans le domaine de la sécurité alimentaire, que vous avez abordé au cours de vos travaux.
De même, nous ne devons pas relâcher les efforts qui ont permis à l'Europe, en grande partie sous l'impulsion du gouvernement français, d'exercer pleinement sa vigilance lors des négociations transatlantiques NTM, qui s'avéraient dangereuses parce qu'elles remettaient en cause ce qui est l'essence du modèle de développement européen, fondé sur la conciliation de la performance économique et de l'exigence sociale.
Vous le voyez, et contrairement à ce que l'on dit trop souvent, l'Europe ne manque pas d'ambition. Elle a, au contraire, fort à faire.
Elle s'efforce d'approfondir son ancrage démocratique, d'améliorer ses modes de fonctionnement, et de remplir tout son rôle à l'intérieur de ses frontières et sur la scène internationale. Mais cette entreprise ne doit pas demeurer l'apanage des Etats et des gouvernements. L'intervention de la société civile et, tout particulièrement, la vôtre, celle des jeunes européens, est absolument décisive. Nous devons la solliciter, nous en avons besoin.
En cela, les travaux de votre Congrès auront contribué de façon évidente à l'ambition que nous formons pour l'Europe, et je ne peux que vous encourager à poursuivre votre engagement avec le bel enthousiasme qui vous anime ! ./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2000)
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est pour moi un grand honneur de participer, en compagnie du Premier ministre, Lionel Jospin, à la clôture du Congrès des "Nouveaux Européens" - vous me permettrez de franciser le néologisme séduisant que vous avez choisi comme titre, "Newropeans" -, congrès organisé par Prometheus Europe, à l'occasion du 15ème anniversaire des premiers états généraux des étudiants d'Europe.
En réunissant à Paris plus de mille jeunes Européens, étudiants ou anciens étudiants, venant des Etats membres comme des pays candidats à l'adhésion, les organisateurs de ce Congrès, - sous la houlette de Franck Biancheri - ont eu une idée formidable, qui trouve parfaitement sa place dans ce semestre de Présidence française de l'Union européenne. Je tiens à les en féliciter chaleureusement et suis heureux d'avoir pu les aider à monter cette grande rencontre.
Bien que je n'aie pu assister à vos travaux, je sais qu'ils ont donné lieu à des discussions passionnantes et passionnées, ce dont je ne doute pas un instant, lorsque je vois le nombre impressionnant de participants et la liste des nombreuses personnalités éminentes de l'Europe de la culture, de l'économie, de la science, ainsi que de nombreux responsables politiques, qui ont tenu à apporter leur contribution au débat.
Vous avez ainsi fait de cette société civile européenne, que nous appelons de nos voeux, sans laquelle l'Europe ne pourra acquérir toute sa dimension politique et citoyenne, une réalité vivante et prometteuse.
Avant de laisser la parole au Premier ministre, qui souhaite dialoguer avec vous, j'aimerais brièvement, vous faire part, en tant que ministre des Affaires européennes, de quelques réflexions que m'inspirent vos travaux quant à l'Europe de demain, l'Europe du XXIème siècle dont vous serez des acteurs essentiels.
J'aimerais en particulier évoquer trois problématiques que vous avez étudiées et qui me paraissent déterminantes pour l'avenir de l'Europe.
1/ Tout d'abord, vos discussions ont mis l'accent, avec raison, sur la nécessité du renforcement de la démocratie européenne.
Pour que l'Europe soit en mesure de faire face aux défis du siècle prochain, il ne suffit pas qu'elle soit une construction sophistiquée, oeuvre des gouvernements et des experts. Elle doit devenir une véritable démocratie participative, fonctionner de façon plus efficace et transparente, être plus à l'écoute de ses citoyens.
C'est dans cet esprit que la Présidence française travaille actuellement à l'un des éléments nécessaires de cette réforme, la modernisation des Institutions. Conçues à l'origine pour six Etats membres, il est clair qu'elles ne fonctionnent plus de façon satisfaisante et que, sans une vraie réforme, elle seraient totalement paralysées avec une Union qui comptera un jour 28 membres, voire plus.
Tel est l'objet, vous le savez, de la Conférence intergouvernementale qui nous mobilise actuellement. Elle devra aboutir, nous l'espérons, à une bonne réforme au Conseil européen de Nice, en décembre prochain.
Notre objectif, je l'ai dit, est de renforcer la démocratie. Pour cela, il faut, en premier lieu, faciliter le processus de prise de décision au sein de l'Union. La démocratie s'exerce d'abord par le vote, il faut donc étendre le champ des matières dans lesquelles le Conseil vote à la majorité qualifiée et rééquilibrer, pour qu'ils soient plus légitimes, les votes de chaque Etat membre au sein du Conseil. Il faut ensuite une Commission européenne resserrée, collégiale et efficace, qui joue pleinement son rôle d'impulsion au sein du dispositif institutionnel.
Enfin, il faut, pour que le système fonctionne à plus de 20 membres, introduire un élément de souplesse, grâce aux coopérations renforcées, pour que ceux qui souhaitent avancer plus vite, puissent le faire, tout en laissant toujours la possibilité aux autres de les rejoindre : personne ne doit être exclu, mais personne ne doit être empêché d'aller de l'avant non plus.
Ces enjeux peuvent paraître très techniques, mais il en va de la capacité de l'Europe à fonctionner dans les prochaines années. Or, une Europe démocratique, une Europe qui respecte le mandat confié par ses citoyens, c'est d'abord une Europe qui marche, dans laquelle la volonté politique ne se heurte pas à des blocages systémiques.
Mais il est évident que notre effort ne doit pas porter uniquement sur les traités. Construire une Europe citoyenne, c'est aussi améliorer le fonctionnement quotidien de l'Europe, permettre une bonne gouvernance de l'Union.
Vous avez évoqué longuement ces questions lors de vos débats et je ne reviendrai que sur deux points qui me paraissent capitaux : la réforme de la Commission et du Conseil, deux Institutions, qui doivent l'une et l'autre être rehaussées politiquement.
Tout d'abord, la Commission, rouage essentiel et central de l'Union, comme l'a fort justement rappelé Romano Prodi devant le Parlement européen mardi, doit voir son Président doté de pouvoirs renforcés, dès sa désignation.
Il devrait être, comme dans une démocratie parlementaire moderne, l'émanation plus directe du vote des citoyens. Sa désignation pourrait ainsi dépendre du résultat des élections au Parlement européen, comme l'avait proposé, autour de Jacques Delors, l'association "Notre Europe" avant les dernières élections européennes.
De son côté, il faut que le Conseil des ministres, qui a largement perdu son rôle d'impulsion politique et de préparation des travaux du Conseil européen, au profit de discussions de plus en plus techniques, s'affirme mieux comme le vrai Conseil coordonnateur des travaux et des décisions, en interface avec la Commission et en amont des décisions des chefs d'Etat et de gouvernement. En outre, la Présidence semestrielle tournante pourrait être progressivement remplacée par une présidence élue plus visible.
Ainsi, ces deux Institutions - Conseil et Commission - seraient mieux à même de jouer leur rôle, dans une relation plus équilibrée par rapport au Parlement européen.
Je suis convaincu que, grâce à ces réformes, l'Union européenne sera en mesure de répondre aux défis futurs. Mais nous aurons bien sûr besoin, pour bâtir cette "démocratie commune" dont Franck Biancheri vient de parler, de la participation de tous, de l'apport que représentent les débats au sein de la société civile, dont le présent Congrès fournit un remarquable exemple. Pour être vivante, la démocratie européenne a besoin de la participation des citoyens.
Pour être actifs, ceux-ci doivent disposer des moyens nécessaires. Je pense au droit de vote aux élections européennes, mais aussi aux élections municipales, je pense à l'émergence de partis politiques européens, bref, à tout ce qui peut faciliter petit à petit l'avènement d'un espace public et démocratique européen. Enfin, je mentionnerai aussi la Charte des droits fondamentaux qui, après sa proclamation au Conseil européen de Nice, constituera un référentiel de valeurs communes très fort pour nos peuples.
2/ J'en viens maintenant à la deuxième grande perspective d'avenir pour l'Europe, celle d'un espace européen réunifié et en paix.
La présence parmi vous de nombreux représentants des pays d'Europe centrale et orientale, que je salue, en témoigne : le mouvement de construction d'une Europe démocratique et en paix ne peut se comprendre que si l'on y intègre pleinement nos voisins d'Europe centrale et orientale, que si nous parvenons à effacer définitivement toutes les traces de fractures qui ont divisé profondément l'Europe pendant si longtemps.
Permettez-moi de dire ici quel magnifique espoir nous donnent aujourd'hui, tous ceux qui, en Serbie, se sont battus pour la démocratie. Ils ont donné, 10 ans après la chute du mur de Berlin, une formidable impulsion au processus de stabilisation dans les Balkans et ouvert la voie, espérons le, à une complète réunification de l'Europe dans la paix et la démocratie.
J'ai souvent l'occasion de le dire, car cela est parfois perdu de vue, au profit de considérations de court terme : l'intégration de l'Europe centrale et orientale à l'Union est absolument consubstantielle à l'idée même de construction européenne. Si les Communautés européennes, puis l'Union européenne, ont dû se bâtir, pendant quarante ans, dans la seule moitié occidentale de l'Europe, ce n'est qu'en raison de la séparation brutale qui avait été imposée par la guerre froide.
Maintenant que cette séparation n'existe plus, il est non seulement souhaitable, mais absolument nécessaire, que l'Union européenne s'élargisse. C'est ainsi qu'elle sera plus forte, c'est ainsi qu'elle pourra réaliser le rêve de ses pères fondateurs, celui d'une Europe unifiée et durablement en paix, pour la première fois de son histoire.
Quelles que soient les difficultés, les risques, il me paraît toujours important de ne pas perdre de vue la raison d'être essentielle de cette perspective historique qu'est la réunification de l'Europe. Ce vaste mouvement, loin de dénaturer les objectifs fondamentaux de la construction européenne, les conforte en les renouvelant.
Et c'est justement parce que nous y accordons une priorité claire que nous souhaitons mettre toutes les chances de réussite de notre côté. Car rien ne serait pire qu'un élargissement mal conduit, pour les actuels Etats membres comme pour les candidats. C'est pour cela que nous devons mettre un minimum d'ordre dans la maison Europe avant d'accueillir de nouveaux membres. Mais il ne faut pas non plus le courir le risque de retarder les premières adhésions. Il convient donc pour l'instant s'en tenir à une réforme réaliste, qui ne remette pas en cause, à ce stade, l'ensemble de l'équilibre des institutions européennes.
Et il est essentiel, dès maintenant, comme vous en montrez parfaitement l'exemple avec ce Congrès, d'associer les pays candidats à un maximum de travaux de l'Union européenne, en premier lieu, bien sûr, ceux dont dépendra le visage de l'Europe future. C'est dans cet esprit que la France souhaite utiliser pleinement la Conférence européenne, qui réunit à la fois les Etats membres et les pays candidats, et dont toutes les potentialités n'ont pas été explorées à ce jour.
Une réunion ministérielle rassemblant les quinze Etats membres et les pays candidats aura ainsi lieu le mois prochain, à Sochaux, pour nous permettre de faire le point sur la réforme des institutions, mais aussi pour avoir un grand débat, auquel la société civile sera d'ailleurs associée, sur l'Europe future. Puis, en décembre, à Nice, juste avant le Conseil européen qui marquera la fin de la Présidence française, aura lieu un sommet de la Conférence européenne, véritable préfiguration de l'Europe de demain.
3/ Enfin, et - ce sera mon troisième point - cette Europe réunifiée doit pouvoir mieux remplir son rôle dans le monde.
Vous avez largement évoqué au cours de vos débats la problématique de la place de l'Europe dans le monde, dans le contexte actuel de globalisation. Il s'agit pour moi d'un enjeu essentiel, et je suis assez confiant dans les capacités de l'Europe à y faire face.
L'Europe doit se mettre rapidement en mesure d'avoir un poids politique sur la scène internationale conforme à son poids économique, de parler d'une seule voix sur les grands problèmes internationaux, afin de faire porter son message de coopération et de solidarité dans les autres régions du monde.
L'Europe réunifiée devra être en mesure de mieux peser en faveur de la paix dans son environnement proche. Tel est le sens des progrès considérables - même s'ils sont trop peu connus- que les pays européens ont accomplis depuis deux ans dans le domaine de la Politique étrangère et de sécurité commune, ainsi que dans le domaine de la défense.
C'est ainsi que, depuis deux ans, autour des initiatives prises notamment par les gouvernements français, britannique et allemand, les conditions d'une capacité européenne autonome de défense sont peu à peu mises en place. Il s'agit pour les pays européens, en parfaite concertation avec l'Alliance atlantique - car je crois que les faux débats entre défense européenne et défense atlantique sont largement derrière nous, et c'est bien ainsi -, d'être en mesure de mener, par eux-mêmes, des opérations de maintien de la paix sur notre continent.
Le conflit du Kosovo, l'année dernière, a montré que de telles menaces pour la paix en Europe n'avaient pas disparu, malheureusement, avec la fin de la guerre froide et que nous devions être en mesure d'y faire face, notamment grâce à des capacités d'action militaire rapide, quand bien même nos partenaires atlantiques ne seraient pas en mesure de participer.
Agir pour la paix et le développement, c'est tout le sens de la politique étrangère commune des Européens, qui se met progressivement en place. Je pense en particulier à notre politique méditerranéenne, à laquelle la présidence française accorde une priorité, et que nous souhaitons renforcer, ce qui implique, bien sûr, que l'Europe joue tout son rôle dans la recherche de la paix au Proche-Orient, fortement mise à l'épreuve actuellement.
Mais, assurer la place et l'identité de l'Europe dans la mondialisation, c'est aussi défendre nos intérêts et notre modèle économique et social dans les négociations commerciales internationales. Même si elles sont actuellement en sommeil, nous ne devons pas perdre de vue les futures négociations au sein de l'OMC, vis à vis desquelles il est essentiel que l'Europe puisse afficher une position unie et attentive aux préoccupations de ses citoyens, notamment dans le domaine de la sécurité alimentaire, que vous avez abordé au cours de vos travaux.
De même, nous ne devons pas relâcher les efforts qui ont permis à l'Europe, en grande partie sous l'impulsion du gouvernement français, d'exercer pleinement sa vigilance lors des négociations transatlantiques NTM, qui s'avéraient dangereuses parce qu'elles remettaient en cause ce qui est l'essence du modèle de développement européen, fondé sur la conciliation de la performance économique et de l'exigence sociale.
Vous le voyez, et contrairement à ce que l'on dit trop souvent, l'Europe ne manque pas d'ambition. Elle a, au contraire, fort à faire.
Elle s'efforce d'approfondir son ancrage démocratique, d'améliorer ses modes de fonctionnement, et de remplir tout son rôle à l'intérieur de ses frontières et sur la scène internationale. Mais cette entreprise ne doit pas demeurer l'apanage des Etats et des gouvernements. L'intervention de la société civile et, tout particulièrement, la vôtre, celle des jeunes européens, est absolument décisive. Nous devons la solliciter, nous en avons besoin.
En cela, les travaux de votre Congrès auront contribué de façon évidente à l'ambition que nous formons pour l'Europe, et je ne peux que vous encourager à poursuivre votre engagement avec le bel enthousiasme qui vous anime ! ./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2000)