Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la place des communautés d'origine étrangère dans la mémoire collective, Vaulx-en-Velin le 10 novembre 2000.

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  • Michel Duffour - secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle

Circonstance : Visite de l'exposition "Les rues de la soie" à Vaulx-en-Velin le 10 novembre 2000

Texte intégral

Je veux vous faire part, tout simplement mais très sincèrement, de ma reconnaissance.
Le projet que vous construisez, pas à pas depuis 1996, montre combien une certaine idée du patrimoine et de la mémoire collective peut contribuer à dessiner les contours d'une société plus ouverte, c'est à dire plus humaine, plus habitable. Si je n'avais à retenir qu'un motif de ma présence parmi vous ce matin, ce serait celui-ci.
Je vois une inspiration majeure dans votre travail : la confrontation à l'altérité, la rencontre avec ces " étranges étrangers " dont nous parle Prévert. Elle est tout sauf une figure imposée avec laquelle il conviendrait de composer. Il s'agit à l'inverse de la chance et du socle de notre communauté nationale. Pour ne pas le comprendre, il faudrait refuser d'entendre ce que nous révèle avec d'autres Lévi Strauss, de l'essence même de la culture. Il n'y a pas à proprement parler d'échanges entre les cultures, puisque la culture est de part en part échange, coopération, emprunt. Une culture, c'est le résultat, toujours en mouvement, du désir de construire une identité traversée et fécondée par l'altérité.
Quand une culture se prive de cette dimension, c'est à elle-même qu'elle renonce. Chacun sait jusqu'où cela peut conduire.
Le poison du racisme est moins, en effet, le refus d'une différence radicale que le refus d'admettre ce que la proximité de l'autre rend manifeste : nous avons choisi ce que nous sommes, nous devons assumer la contingence de ce choix. Voilà pourquoi votre proposition de halte au sein de cette " ambassade du monde " que vous édifiez ensemble, est tout bonnement de salubrité publique.
Elle met tout d'abord en pleine lumière, ce qui est trop souvent occultée : la présence et la contribution de ces femmes et de ces hommes venus d'ailleurs, à ce que nous sommes devenus. Votre action agit comme un révélateur, au sens photographique du terme. Des jardins des ouvriers maghrébins de Montreynaud au quartier arménien de Valence en passant par celui de la soie à Vaulx en Velin, c'est un itinéraire silencieux que vous sortez de l'ombre.
A ce titre, votre choix d'accueillir ici une exposition réalisée par les enfants de celles et de ceux dont elle relate le périple, les peines et les espoirs, prend une résonance particulière. C'est à mes yeux l'incarnation magistrale d'une conception vivante et moderne du patrimoine. Celle pour qui les " archives " de l'intime, la mémoire immatérielle des coeurs et des mots, les traces de l'anonyme, appartiennent tout autant que les lieux consacrés, à cet héritage en mouvement qu'est le patrimoine.
Quant à l'exposition " 2492... L'espace d'une Odyssée ", elle en dit long sur le rôle imparti à l'appropriation du patrimoine, dans l'invention de la société de demain. La connaissance que prend la communauté nationale de son passé lui restitue son avenir, lui redonne, paradoxalement, la possibilité de le choisir. N'est ce pas ce que vous dites avec humour, donc beaucoup mieux que moi, quand vous qualifiez cette exposition de projection " sur des fouilles archéologiques du futur ".
Il n'est pas non plus anodin que vous ayez choisi d'installer votre structure, " L'Escale ", au cur d'une friche industrielle. Les migrations, dont vous ambitionnez d'être l'observatoire en misant sur la médiation culturelle et artistique, ont en effet apporté une contribution majeure à cette facette de l'identité nationale. D'aucuns tentent de taire cet apport. Vous lui redonnez la place qu'il mérite.
Je ne veux pas terminer sans évoquer ici l'appel à la condamnation de la torture durant la guerre d'Algérie, lancé il y a quelques jours par 12 personnalités. Ce crime, que l'historien Pierre Vidal-Naquet qualifie de " forme la plus directe et la plus immédiate de la domination de l'homme sur l'homme ", ce sont des autorités françaises qui l'ont perpétré. En le déclarant publiquement lors du dîner annuel du CRIF, le Premier ministre vient de rompre avec 46 ans de silence d'Etat, avec un non-dit insupportable qui, en voulant occulter la faute, ne faisait que la redoubler. Avec retard diront certains, et ils ont raison.
Mais pour ma part, j'y vois l'accomplissement du devoir de justice et du travail de mémoire vis-à-vis d'une communauté sans laquelle notre pays ne serait pas ce qu'il est. N'est ce pas la même marque de respect, au sens philosophique du terme, dont vos initiatives sont porteuses ? Tous ont à y gagner, ceux qui témoignent de ce respect et ceux qui le reçoivent.
Tous y conquièrent une part supplémentaire de leur humanité.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 13 novembre 2000)