Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la lecture publique, notamment l'apport de la décentralisation, l'accès aux nouvelles technologies, l'économie du livre, Nancy le 1er décembre 2000.

Prononcé le 1er décembre 2000

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Circonstance : Signature de la convention de développement culturel en matière de lecture publique à Nancy le 1er décembre 2000

Texte intégral

Je suis particulièrement heureux d'être ici parmi vous, pour assister à la signature de la convention de développement culturel qui lie l'Etat et le Conseil général de Meurthe-et-Moselle.
La lecture publique est certainement un sujet privilégié pour, à la fois, comprendre et dynamiser la politique publique de la culture. Il est banal de répéter que tout débute par l'apprentissage de la lecture, et avec le goût des livres. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler qu'il s'agit là d'une mission prioritaire, que les valeurs de la république nous assignent et que l'Etat doit garantir.
C'est la raison pour laquelle j'ai été sensible à votre invitation, qui célèbre la mise en place, à partir de votre bibliothèque départementale, d'un nouveau réseau, d'une organisation innovante, qui prend appui sur les médiathèques de pays.
C'est pour moi l'occasion, en tant que secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, de rappeler très brièvement le bilan d'un domaine qui, depuis les lois de décentralisation de 1983, a connu un essor considérable.
La décentralisation dans le domaine de la lecture a été exemplaire à bien des égards. Les craintes originelles à ce mouvement se sont avérées, de façon générale, dépourvues de fondements. La compétence exercée par la majorité des conseils généraux a permis, en effet, un développement significatif des services des bibliothèques départementales. Ce département en est l'exemple vivant, puisque vous avez créé davantage de postes, consacré davantage de moyens aux collections, que ceux mis en uvre auparavant.
En outre, cette décentralisation n'a pas signifié un abandon du soutien de l'Etat. Je rappelle que le ministère a achevé cette année le programme de mise à niveau des équipements sur l'ensemble du territoire national, pour lequel il s'était engagé, afin qu'une couverture complète du territoire en bibliothèques départementales soit respectée.
Il est une explication simple à cette réussite. La bibliothèque publique est un service culturel de proximité. Elle cumule le plus souvent des fonctions culturelles, sociales, éducatives et patrimoniales.
Elle est la preuve qu'en offrant un large éventail de services, animés par des professionnels compétents, la lecture publique peut gagner peu à peu du terrain auprès de ceux pour lesquels le livre, l'écrit n'est une pratique ni aisée, ni courante. Elle démontre que la conquête de nouveaux publics pour le livre est possible et ne saurait donc être différée, car les inégalités culturelles persistent, s'aiguisent.
Ainsi, les bibliothèques publiques ont été multipliées par trois depuis 1983, et ont favorisé la création de médiathèques, encouragé des initiatives multiples en faveur du livre.
Cette première phase a en définitive totalement changé la donne quant à l'impact de la politique de lecture publique sur l'ensemble du territoire. Cela n'aurait pas été possible sans l'opiniâtreté et la détermination des collectivités locales, à l'instar de la vôtre. Soyez-en remercié. Ce n'est pas de la flagornerie ou de l'autosatisfaction que de le souligner. Savoir d'où l'on est parti est indispensable, si l'on veut mettre sur les rails la deuxième étape de la décentralisation, à laquelle je travaille depuis mon arrivée au gouvernement.
Votre convention, que je n'ose attribuer de la même façon à l'Etat, car vous en êtes la locomotive, le chef de file - malgré le travail effectué par la DRAC et que je tiens à saluer - possède une vertu essentielle à travers la territorialisation que vous engagez. La territorialisation est essentielle, car elle prédomine et commande l'organisation du réseau que vous allez créer, autour de la dynamique des pays. Elle nous oblige à penser la culture différemment.
Parce qu'il s'agit du territoire, vous allez construire, d'abord, des logiques de solidarité culturelle. Pour que les aspirations culturelles de tous soient mieux prises en compte, pour que l'accès à la culture soit plus aisé, la dynamique des pays va entraîner le développement des mises en réseau et des complémentarités.
Parce que vous êtes au plus près des pratiques, grâce à l'écoute qui est la vôtre, vous allez être en mesure de placer le citoyen au cur du projet culturel et de lui apporter des réponses nouvelles. La territorialisation enrichit ainsi l'action culturelle, pour que les écarts creusés par les inégalités sociales et géographiques se réduisent.
Cette ambition n'est pas mince, car elle oblige de surcroît à moderniser notre façon d'appréhender le domaine culturel. La territorialisation rationalise, mutualise, afin de jouer pleinement des solidarités.
C'est donc une construction nouvelle, collective, que vous allez mettre en place.
En outre, la territorialisation porte en elle une autre vertu. Celle de la valorisation de l'identité culturelle. Car elle se fonde sur un espace vécu, sur une ou des identités affirmées qui renvoient inéluctablement à une culture partagée.
Cette mutation que vous saisissez à bras le corps illustre bien le caractère fondateur des bibliothèques en matière d'aménagement culturel, et singulièrement pour ce qui concerne le développement en milieu rural. Cela présage très certainement des ambitions des nouveaux regroupements de communes, qui se saisiront de la compétence culturelle. Ces nouvelles organisations vont également de pair avec le développement des nouvelles technologies qui, seules, permettent la mise en relation technique indispensable au fonctionnement en réseau.
Le rôle de l'Etat est ici de vous accompagner pour accélérer la formation des responsables, des hommes et des femmes qui font vivre ces outils, afin que de façon concrète ce que l'on nomme la société de l'information et de la communication concerne de façon tangible les zones les plus reculées.
La rencontre entre l'écrit et les nouvelles technologies nous fait entrer de plain pied dans une ère nouvelle. Mais elle ne doit pas coïncider avec de nouvelles fractures, être la source de nouvelles inégalités. C'est pourquoi votre action est essentielle. Elle incarne parfaitement la mission du service public, en permettant pour le plus grand nombre la circulation pluraliste des idées, l'éveil du sens critique, le plaisir de l'imaginaire, l'appropriation des savoirs les plus neufs.
Nombreux sont ceux, qui comparent les répercussions du numérique sur le rapport au livre, aux bouleversements provoqués par l'invention du Codex. Ce rapprochement est pertinent. L'écrit n'appartient pas à une époque révolue de la culture. Il n'est pas en recul, il renouvelle radicalement ses formes et cela, afin de jouer le rôle qu'aucun autre registre du champ culturel ne peut jouer à sa place.
Ainsi, le réseau des médiathèques que vous constituez, parce qu'il résulte d'une volonté politique forte, permettra que ces nouvelles formes de l'écrit soient mieux partagées. Plus largement, permettez-moi simplement de souligner qu'au moment ou d'aucuns s'interrogent sur cette toile de fond, sur cette révolution de l'écrit, il en va de la responsabilité publique de s'opposer à tout ce qui résulte de la volonté de faire du livre une marchandise comme une autre.
Je profite de ce moment pour vous dire également que traiter le livre en produit standardisé, c'est se priver des bienfaits que j'évoquais à l'instant. C'est pourquoi Catherine Tasca vient de réaffirmer l'attachement de la France à la garantie que constitue le principe du prix unique pour la chaîne économique du livre, dont chacun se doit de mesurer la fragilité et pour les lecteurs eux-mêmes. Qui plus est, il ne saurait être question de revenir sur l'acquis du prêt gratuit dans les bibliothèques. Comment, en effet, envisager un seul instant de supprimer un principe auquel le succès de la politique de la lecture publique doit tout ?
Cet attachement indéfectible au non-paiement de l'acte a bien évidemment un pendant : celui d'élaborer les solutions politiques qui garantissent une juste rétribution des auteurs, des maisons d'édition et des librairies, et en particulier des plus fragiles d'entre elles.
Pour conclure, il me faut revenir sur un rappel historique. Lorsqu'en 1968, l'Etat créa la bibliothèque centrale de prêt de Meurthe-et-Moselle, il bénéficia du long et fructueux travail engagé depuis plusieurs années par l'association du Bibliobus créée, dès 1948, par le conseil général. La décentralisation de 1983 a finalement restitué à ses concepteurs, à ses initiateurs, les droits et devoirs que la mission du développement de la lecture publique impose sur ce territoire.
La nouvelle phase de décentralisation qui s'ouvre, en raison des réussites que je viens d'évoquer, doit s'opérer en toute sérénité, sans craintes, ni préjugés. Quand nous affirmons que les collectivités sont à l'évidence les mieux placées aujourd'hui pour initier, impulser, développer au plus près du terrain, nous ne faisons que traduire politiquement ce qui déjà s'est produit dans les réalités, et parfois depuis fort longtemps. Le partenariat constant et fort ancien qui existe entre l'Etat et le conseil général dans ce département en atteste.
La singularité française du développement culturel se fonde sur une responsabilité publique partagée. Celle-ci doit s'exercer différemment, selon les domaines, mais réclame l'implication de tous. La décentralisation vise d'abord à organiser, à clarifier, pour permettre la mise en place de nouveaux dispositifs adaptés.
Désigner le chef de file le mieux placé pour rendre lisible et efficace l'intervention des collectivités territoriales, définir et préciser le sens de l'intérêt national pour que l'Etat continue pleinement d'exercer ses missions, voilà ce qui fonde la méthode et régit l'action que j'ai entrepris dans ce domaine.
La décentralisation ne peut être une fin en soi. Sauf à inévitablement se résumer à une démarche technique, voire technocratique et comptable. La décentralisation doit être l'outil d'une démocratie renouvelée, le vecteur de la démocratie culturelle à soutenir des perspectives, et une ambition politique pour notre pays.
"Mal nommer serait ajouter au désordre", "laisser aller le cours des choses, voilà la catastrophe", dit Walter Benjamin. La décentralisation est l'outil de résistance au cours mécanique de l'institutionnel, elle est également une façon de bien nommer la réforme de l'Etat.
Mes nombreux déplacements depuis huit mois dans le pays, à la rencontre de tous ceux qui font la culture, me confortent davantage dans l'idée qu'elle sera une réussite, dans la mesure seulement où elle porte un projet. Celui-ci est en marche, ici, dans le domaine de la lecture publique. Il doit l'être partout et dans tous les domaines.
Je souhaite, en définitive, que nombreux soient ceux qui s'inspirent de vos motivations pour agir dans le domaine culturel, car à l'évidence, elles répondent à la volonté d'intégrer la culture comme constitutive d'un projet de développement durable, au service de tous nos concitoyens. Et c'est bien là l'essentiel.
Je vous remercie.

(Source http://culture.gouv.fr, le 5 décembre 2000)