Texte intégral
Q - Monsieur Védrine, l'armée israélienne est en état d'alerte, des bombes tombent sur Hébron. C'est la guerre ?
R - La situation est extrêmement grave. Elle est plus grave qu'elle n'a jamais été depuis des années, peut-être depuis avant le début du processus de paix à Oslo, il y a huit ans. L'inquiétude est profondément justifiée.
Q - La vôtre aussi ?
R - Oui, d'autant que la France, comme vous le savez, est particulièrement engagée dans la recherche de la paix. On ne peut pas faire la paix à la place des protagonistes, mais nous déployons tous nos efforts. On sait d'où c'est venu. La résolution, qui a été adoptée cette nuit au Conseil de sécurité et à laquelle les Etats-Unis ne se sont pas opposés...
Q - Pour la première fois...
R - ... déplore la provocation commise à Jérusalem le 28 septembre, c'est-à-dire celle effectuée par M. Sharon, "violence consécutive", comme le dit la résolution, "là-bas et dans d'autres lieux saints", ce qui couvre aussi ce qui a été fait hier au tombeau de Joseph. Mais au point où nous sommes, l'urgence absolue c'est que les responsables, de part et d'autre, trouvent d'urgence les gestes parallèles de désescalade pour éviter de basculer dans le pire.
Q - Mais vous, qui vous dites ce matin, inquiet, redoutez-vous des actions militaires d'envergure dans les heures qui viennent, puisque cela a été annoncé par le Premier ministre d'Israël, Ehud Barak ?
R - Le Premier ministre d'Israël a indiqué que, d'ici à 48 heures, si la situation n'était pas revenue sous contrôle, il serait obligé de prendre d'autres mesures. Dans ce très court laps de temps, je voudrais dire à chacun d'entre eux, de part et d'autre, à ceux qui ont des responsabilités et qui sont responsables, sur le plan de l'état d'esprit, qu'il faut qu'ils trouvent les gestes, les mesures. De part et d'autre, ils ne sont pas dans la même situation, ils n'ont pas les mêmes moyens, mais il faut qu'ils entament la désescalade. C'est urgent. Ils sont au bord d'un gouffre.
Q - Vous leur dites qu'ils sont au bord du gouffre, mais vous voyez bien que c'est le contraire de la désescalade. On est en train de monter rapidement vers les extrêmes et vers cette guerre, alors que, dans quelques heures, commence le Grand Pardon et que dans le monde, en Israël, on se souvient de ce qu'a été la guerre du Kippour, il y a 27 ans presque jour pour jour. Il y a cette peur et cette proximité du conflit. Dites-vous qu'aujourd'hui, on est dans une phase de non-guerre, de non-paix, mais qu'un rien peut faire tout basculer dans le conflit ?
R - Le destin hésite encore. De toutes façons, je ne veux pas désespérer, il ne faut désespérer. Il ne faut pas baisser les bras. Il faut les exhorter inlassablement à trouver les gestes qui vont bloquer cette escalade et cet engrenage et entamer l'inverse. Ils étaient venus à Paris, il y a très peu de temps. Cela montrait bien qu'ils voyaient eux-mêmes la nécessité de trouver une façon de reprendre le contrôle de cela, même s'ils n'ont pas pu se mettre d'accord autant qu'on aurait pu le souhaiter. D'ailleurs, on voit les engrenages sur le terrain, dans l'opinion, engrenages politiques...
Q - Mais il y a un risque d'élargissement du front du conflit : il y a le Liban, la Syrie, qui est menacée par les propos tenus hier soir par le Premier ministre d'Israël. Bref, ce conflit risque d'être généralisé, ou en tous cas, de s'étendre.
R - Oui, il y a un risque, notamment à la frontière libanaise puisque des éléments du Hezbollah ont pris des soldats israéliens, vraisemblablement pour faire comme d'autres fois, dans le passé, pour les échanger contre des prisonniers. Donc, il y a un risque de ce côté-là. Quand vous avez affaire à un incendie, la priorité absolue c'est de le circonscrire, d'empêcher qu'il ne s'étende. Mais il faut traiter la cause au centre et c'est du côté israélien et du côté palestinien qu'il faut briser cet engrenage terrible qui s'est réveillé...
Q - Mais vous n'avez pas pu le faire avec Mme Albright, avec Kofi Annan à Paris. Qu'est-ce qui serait un geste de part et d'autre ? Donnez-moi un exemple. Chez les Israéliens, par exemple.
R - Par exemple, les instructions à donner à l'armée, - que M. Barak a tentées, mais je crois que cela ne suffit pas pour le moment - de se retirer des endroits les plus sensibles. Par exemple, M. Barak l'a fait, en retirant les soldats israéliens du tombeau de Joseph. Ensuite, malheureusement, cela a été pris d'assaut par une foule...
Q - Et reconstruit ce matin à la demande d'Arafat. On peut considérer que c'était un geste de sa part aussi.
R - Oui. D'ailleurs vous pouvez même noter que Mme Shahid, la représentante d'Arafat à Paris a condamné cet assaut palestinien. Donc, on voit qu'il y a des gens qui essaient de reprendre le contrôle. Et du côté palestinien, il faut qu'ils emploient tous les moyens qu'ils ont, toute leur force. Il y a une police palestinienne également importante pour contenir les assauts, les manifestants. Mais on voit que les choses ne sont pas jouées encore. On voit à travers les images de télévision qu'il y a à la fois des pulsions de violence, de haine, de vengeance, ou de peur, d'ailleurs. La peur c'est le pire, le nouvel engrenage de la peur.
Q - Que fait aujourd'hui la France, au nom de l'Europe, pour arrêter le tic-tac de la guerre annoncée ?
R - L'essentiel du travail de la France, depuis longtemps, c'est un travail sur le fond. On ne sortira de cette situation d'éruption volcanique qu'en ayant trouvé un accord sur le fond. Nous apportons une contribution que les uns et les autres reconnaissent comme importante. D'ailleurs, sinon, ils n'auraient pas eu le réflexe de tenter de renouer la discussion à Paris. Sur le fond, donc, en essayant de les aider à trouver une solution pour Jérusalem, pour les réfugiés, pour les frontières, pour tous les sujets. Cela peut paraître surréaliste de parler de cela aujourd'hui, dans cette ambiance de guerre, mais cela ne l'est pas. Il y un lien direct. C'est précisément s'il n'y a plus de perspective de discussion sur le fond et que les uns et les autres se disent - ce qui est, malheureusement, je le sais, la tentation de certains aujourd'hui - finalement on n'y arrivera jamais, on n'arrivera pas à se mettre d'accord, la paix n'est pas possible, si cela devait basculer dans ce type de conception, les pires choses seraient alors possibles. C'est cela qu'il faut arrêter. Le traitement de l'incendie et la discussion de fond sont liés.
Q - Vous nous dites souvent que l'Europe est là pour aider à construire la paix. Ne peut-elle pas commencer à arrêter ce qui peut se produire, c'est-à-dire la guerre ?
R - Non. On sait très bien que quand l'Europe s'exprime à 15, elle tient souvent des propos beaucoup plus édulcorés que lorsque la France parle seule, car les avis ne sont pas encore convergents, aussi avancés, aussi engagés dans cette affaire. Je parle du rôle de l'Europe pour la construction de la paix quand elle sera conclue. Là, on n'est même pas à la conclusion de la paix. La conclusion de la paix, c'est le sujet sur lequel on a tant travaillé depuis Camp David, au mois d'août, jusqu'à ces derniers jours. Maintenant, nous sommes dans l'incendie. Il faut le circonscrire, le juguler et recommencer dans la foulée, sans perdre une seconde entre les deux. Donc, cela pourrait être, si les choses ne s'aggravent pas, un rebondissement de la négociation de paix, dans les prochains jours, car il n'y a que cette perspective qui peut contenir la peur de ces deux populations, donc, leur angoisse et leur antagonisme. Il faut reprendre sur le fond.
Q - Vous voulez dire que, si au bout de l'ultimatum, il n'y a pas eu d'opérations militaires, on pourrait retrouver Barak aux Etats-Unis chez M. Clinton, avec Arafat pour parler de la paix et pour négocier, dans le meilleur des cas.
R - Oui, je suis sûr que c'est encore possible. Ils ont un sens de la responsabilité historique tous les deux. Je souhaite que, dans cette phase aiguë, ils gardent tout leur sang-froid, tout leur sens de la responsabilité et que rien ne soit commis d'irréparable, ni sur le plan militaire, ni sur le plan politique, qui puisse les empêcher les uns ou les autres de poursuivre ce processus.
Q - On est dans une situation assez extraordinaire et assez contradictoire. M. Barak a été élu pour faire la paix. Il est politiquement minoritaire. On voit bien que l'opinion est en train de tourner à droite dans son pays. Quelle différence y a-t-il aujourd'hui entre Barak, Sharon et Netanyahou ?
R - Barak reste, jusqu'à preuve du contraire, jusqu'à ce qu'il y ait éventuellement un changement politique, que naturellement nous ne souhaitons pas du tout, l'homme qui a fait, à Camp David, des ouvertures qui n'avaient été faites par aucun responsable israélien avant lui.
Q - En particulier sur Jérusalem.
R - Oui, en particulier sur Jérusalem. De même que les Palestiniens ont fait des ouvertures à Camp David à propos du sort des colonies de peuplement qui pourraient être annexées en échange de certains territoires. Ils n'ont quand même pas fait tout cela depuis des années, depuis ce processus de paix, autant de discussions laborieuses pour s'arrêter ainsi et accepter que toute la table soit renversée, uniquement parce que M. Sharon aurait réussi son opération du 28 septembre. Cette idée est intolérable pour nous, autant que pour eux.
Q - Dans deux mois, vous souhaitez qu'il n'y ait pas de changement d'interlocuteurs, qu'il n'y ait ni Sharon, ni Netanyahou ni même Saul Moffaz, le chef d'état-major Likoud de l'armée israélienne ?
R - Ce n'est pas nous qui décidons, à la place des Israéliens ou Palestiniens ou des Américains. Je sais seulement qu'il y a, en ce moment, et peut-être pas pour très longtemps, compte tenu des calendriers électoraux dans les différents pays, des partenaires qui sont engagés dans la recherche de la paix comme aucun de leurs prédécesseurs ne l'ont été et avec notre aide entière qui continuera.
Q - Mais cela a changé de voix ?
R - Car il y un moment terrible de tension, car un provocateur, une fois de plus, comme certains de ceux qui l'ont fait avant, peut penser qu'il est en train de réussir son coup. Il faut lui donner tort. C'est ce que je dis à M. Barak et au Président Arafat. Nous les respectons tous les deux, nous connaissons les difficultés. Les choix qu'ils ont à faire sont terribles mais il ne faut pas qu'ils se trompent.
Q - Vous dites bien que c'est le choix des Israéliens. Imaginons que, dans quelques heures, M. Barak fasse entrer M. Sharon dans son gouvernement, que direz-vous ?
R - Nous n'en sommes pas là. Pour le moment, nous parlons à M. Barak.
Q - Quand M. Barak va jusqu'à dire qu'à Paris, le président de la République a encouragé le terrorisme, pour vous, visait-il Jacques Chirac ou tout l'exécutif français ?
R - Je ne veux pas entrer dans cette polémique.
Q - Il y a polémique...
R - Oui, peut-être, mais cela ne m'oblige pas à y entrer. Il y a, dans ces moments d'extrêmes tensions et d'extrême inquiétude, des moments pénibles et quand cela ne marche pas, on est inquiet et on cherche des responsabilités. Je ne veux pas entrer sur ce terrain. La seule chose utile aujourd'hui c'est de parler aux uns et aux autres, dans des termes qui puissent les convaincre d'entamer la désescalade, dont je parle depuis que vous m'interrogez.
Q - Vous pensez qu'il y a un froid qui n'est que passager avec Israël ou durable ?
R - Je pense que la France est reconnue comme étant l'un des seuls pays, en dehors des protagonistes directs et des Etats-Unis, qui sont au centre du jeu depuis 50 ans, et de l'Egypte sur ces certains points, qui est reconnu et respecté pour sa contribution à la paix. Mais à un moment donné, encore une fois, ce sont les protagonistes eux-mêmes qui décident.
Q - La France n'a-t-elle pas renoncé de facto à la politique qui s'était rééquilibrée au Proche-Orient ? Ne privilégie-t-elle pas à nouveau une politique arabe et palestinienne au détriment d'Israël ?
R - Non. Le contact se poursuit, dans le même esprit. J'ai eu une longue conversation dans la soirée avec M. Shlomo Ben-Ami, le ministre des Affaires étrangères. Je peux vous dire que nous restons dans cette situation que je viens de décrire. Nous sommes, en dehors des protagonistes directs, l'un des rares pays reconnus pour sa contribution. Mais il y a d'extrêmes difficultés et des tensions qui sont liées à la difficultés des choses.
Q - Et M. Ben-Ami est aussi inquiet que vous ?
R - Oui, il est ministre des Affaires étrangères d'Israël. Il voit bien que la situation est extrêmement difficile.
Q - Monsieur Védrine, après-demain, vous irez à Belgrade. C'est la première fois...
R - En principe.
Q - Comment "en principe" ?
R - En principe, parce qu'il reste à organiser les choses et qu'il faut s'assurer que cette visite puisse avoir lieu dans de bonnes conditions. Il s'agit d'établir un contact avec M. Kostunica et, si je peux y aller mardi, j'irai après le Conseil Affaires générales, qui réunit les quinze ministres des Affaires étrangères de l'UE et qui a lieu demain à Luxembourg, pour lui communiquer les décisions que nous allons prendre demain et que nous avons, que j'ai personnellement préparées par toute une série d'initiatives...
Q - Depuis début septembre...
R - Oui, depuis début septembre. Décisions qui sont la levée de l'embargo... M. Kostunica lui-même m'a fait dire, au mois de septembre, à plusieurs reprises, que cette perspective, que nous avons ouverte début septembre, a joué un vrai rôle dans la détermination des Serbes. Cela n'enlève rien au fait que, fondamentalement, ce sont eux qui ont eu ce courage inouï de renverser la situation.
Q - Une parenthèse, Milosevic vous avait inscrit sur sa liste des inculpés. Cette fois-ci, je pense que vous ne risquez rien si vous allez à Belgrade. On ne va pas vous arrêter...
N'est-ce pas un chèque en blanc donné à Kostunica ?
R - Non, pas du tout. Il faut distinguer les temps chronologiques. La priorité absolue pour les Européens, comme pour les Américains et pour les pays voisins, de la région, c'est que Milosevic soit mis hors d'état de nuire et écarté, pour commencer, du pouvoir. C'est la priorité.
Q - Pour vous, il ne doit pas, il ne doit plus jouer de rôle politique dans son pays ?
R - Je pense qu'il est inconcevable pour le monde entier que Milosevic joue encore un rôle politique. Je suppose que très vite cette évidence apparaîtra aux Serbes eux-mêmes. Nous allons mettre en uvre nos promesses, tenir nos engagements. Nous allons lever l'embargo pétrolier, l'embargo sur le contrôle aérien, puis, petit à petit, supprimer le gel des investissements - c'est plus compliqué techniquement, mais on va le faire étape par étape. On ne change rien naturellement aux interdictions de visas et au gel des avoirs financiers qui s'étaient portés sur les dirigeants de l'ancien régime. Voilà ce que nous allons décider lundi à Luxembourg, voilà ce que je vais aller dire à M. Kostunica mardi, si c'est possible, pour préparer la suite. D'ailleurs, si c'est possible aussi pour lui, compte tenu de la situation à Belgrade, il viendra même à Biarritz, où il y aura un Conseil européen informel, où l'a invité le président Chirac. A partir de là, nous allons discuter. Mais rien ne dit que l'on va être d'accord avec lui sur tous les sujets. D'ailleurs, cela n'arrive jamais que l'on soit d'accord avec un autre pays sur tous les sujets. Simplement, nous allons discuter, de façon normale, des points d'accord ou de désaccord avec la nouvelle République fédérale de Yougoslavie.
Q - Vous nous avez parlé du sommet de Biarritz. Y a-t-il un moyen d'associer la Serbie aujourd'hui, ou de la rapprocher de l'Europe ?
R - Oui. Précisément, nous allons commencer ce processus. Ce qui était complètement impossible auparavant avec Milosevic va pouvoir désormais débuter. Cela débute par la levée de l'embargo, par l'établissement de nouveaux liens et ensuite, nous verrons quelles sont les formes de coopération... Nous n'allons pas plaquer sur la nouvelle Serbie, qui mérite le respect, qui a montré son courage et sa force démocratique nouvelle, sur ce peuple...
Q - C'est formidable ce que l'on aime aujourd'hui la Serbie... Qui aime bien châtie bien... Il fallait leur faire la guerre, il fallait les sanctions, peut-être même fallait-il faire tomber Milosevic, pour, ensuite, les accueillir...
R - Ce que je suis en train de dire est un peu différent. C'est très important pour l'avenir de la Serbie que ce soit le peuple serbe qui se soit lui-même débarrassé de Milosevic. Pour l'avenir et pour la refondation démocratique de la Yougoslavie, c'est bien que cela se soit passé ainsi et que Milosevic ne soit pas tombé, par exemple, sous le coup des bombardements de l'OTAN. C'est dix fois mieux. La relation avec l'Europe s'établit ainsi sur des bases saines. Maintenant, nous aurons forcément des sujets de désaccord. Mais chaque chose en son temps. Il s'agit, pour le moment, de s'assurer que M. Kostunica est bien installé au pouvoir et que M. Milosevic n'a plus de pouvoir de nuire à cette nouvelle Serbie.
(...)
Q - Je voudrais parler de la Côte d'Ivoire parce qu'il y a une présidentielle prévue dans 15 jours. La dictature militaire est en train de se mettre en place cyniquement. Est-ce que la France, l'Europe laisse faire, ou laisseront faire ?
R - La France, et l'Europe viennent de déplorer que les décisions des autorités constitutionnelles Ivoiriennes aient restreint la liberté de choix et d'appréciation puisqu'un certain nombre de candidats
Q - Les candidats des grands partis
R - ... à la présidentielle, - non pas tous.
Q - Trois des grands candidats
R - Oui, il reste à l'heure actuelle maintenant deux candidats autorisés pour des grands partis et trois pour des petits. Nous avons déploré que la liberté de choix soit restreinte pour le peuple ivoirien. Nous avons rappelé ce que nous disons depuis des mois qui est que le peuple ivoirien doit pouvoir choisir et que le pays doit revenir à une situation constitutionnelle normale. Mais, en même temps, nous devons faire preuve de sens des responsabilités. Nous ne sommes pas dans la même position que les Etats-Unis qui peuvent exprimer des préférences comme ça, sans se soucier des conséquences particulières.
Q - Est-ce que l'élection qui vient est une élection légale ou illégale ?
R - Elle est légale en ce sens où elle est conforme à la légalité ivoirienne, elle est conforme à la constitution ivoirienne.
Q - ()
R - Oui mais la Côte d'Ivoire est un pays indépendant vous savez depuis quelques décennies.
Q - ()
R - Donc on ne peut pas comme ça trancher du fait qu'une décision constitutionnelle qui nous déplaît ou qu'on trouve maladroite ou choquante ne l'est pas parce qu'elle ne nous plaît pas. C'est plus compliqué que ça.
Q - Est-ce que vous pouvez dire, je sais que nous sommes obligés, nous les journalistes de simplifier, mais est-ce que vous dites M. Védrine comme vous l'avez dit pour la Serbie, Milosevic, etc, que l'Europe dont la France suspendra toute aide ou toute coopération tant que la démocratie ne reviendra pas dans ce pays africain parce qu'il y a un risque d'embrasement de l'Afrique de l'Ouest ?
R - C'est vrai, mais à l'heure actuelle nous n'avons pas pris cet engagement de façon définitive quant à l'élection qui s'annonce.
Q - Vous pourriez la prendre ?
R - Ca dépend de la façon dont se déroule la campagne et dont se déroule l'élection. Par exemple, M. Gbagbo qui est un candidat autorisé représente un parti tout à fait important. Lui approuve les décisions qui ont été prises donc la situation n'est pas manichéenne, n'est pas tout à fait bouclée.
Q - Vous prenez des mesures pour protéger les 20000 ressortissants français qui sont en Côte d'Ivoire ?
R - Il n'y a pas à prendre des mesures particulières mais nous devons avoir à l'esprit dans les positions que nous prenons sur ce sujet et c'est là où nous sommes dans une position un peu différente des Etats-Unis, nous devons précisément avoir à l'esprit le fait qu'il y a 20000 français en Côte d'Ivoire et qu'il y en a beaucoup dans la région. Mais qu'il soit bien clair que notre objectif c'est le retour de la Côte d'Ivoire à une situation constitutionnelle normale, qu'il est tout à fait fâcheux que les possibilités de choix du peuple ivoirien aient été artificiellement restreintes. Pour autant, on ne peut pas dire que ce soit illégal, ce n'est pas contraire à la légalité ivoirienne, ni à cette constitution qui a été acceptée par le peuple ivoirien. Donc la situation est un peu délicate et notre jugement définitif et le fait de savoir si la France ou alors l'Union européenne coopèrent ou non avec les autorités issues du futur scrutin, va dépendre encore beaucoup de la façon dont la campagne va se dérouler.
Q - Vous savez que le scrutin est truqué.
R - Non vous ne pouvez pas le dire comme ça. C'est trop facile, uniquement parce que c'est un pays africain, de trancher de tout comme ça. Vous ne pourriez pas vous exprimer comme ça sur un autre pays qui ne serait pas africain. Il faut faire attention.
Q - Non on ne peut pas nous accuser de paternalisme, toutes les institutions sont faussées, la cour constitutionnelle, etc
R - Ce n'est pas l'avis du principal opposant socialiste, M. Gbagbo, qui est candidat à cette présidentielle donc on ne peut pas trancher aussi simplement.
Q - Mais les trois autres chefs de parti, qui ne sont pas tolérés, eux, pensent différemment. M. Gbagbo est toléré. Alors peut-être qu'on est gentil avec lui parce qu'il est le représentant du parti socialiste ivoirien ?
R - Cela montre que la situation n'est pas si simple justement.
Q - Alors dernière remarque. Vous avez participé et assisté à tout M. Védrine. On a l'impression de voir surgir l'imprévisible de toute part, et le citoyen français ou européen pense que les politiques aujourd'hui n'ont de maîtrise sur rien ou pas grand chose. Est-ce que c'est vrai ?
R - Cela n'est pas vrai sur les crises, c'est un trop vaste sujet pour trente secondes à la fin d'une émission. Je crois qu'en ce qui concerne les crises internationales, les gouvernements ont des responsabilités et ils peuvent enclencher ce qui conduit à la paix ou à la guerre. Là, on est dans un domaine où ils ont des vraies responsabilités. On leur demande des comptes tout le temps, c'est bien qu'ils sont censés avoir un pouvoir sur ces choses. Si on parle de l'évolution de l'économie mondiale en général, c'est tout à fait autre chose. Sur les sujets dont on a parlé, le fait que les dirigeants fassent de bons ou de mauvais choix, en Côte d'Ivoire, au Proche Orient, en Serbie, là on est encore dans un domaine où la politique joue encore son plus noble rôle, mais les conséquences peuvent être formidables ou tragiques.../.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2000)
Q - Face à l'escalade qui vient de se produire ces dernières heures au Proche-Orient, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que le processus de paix est moribond ?
R - "Non, je ne voudrais pas dire ça, je ne veux pas penser ça et je crois qu'il faut tout faire encore, et que c'est encore possible pour circonscrire cet incendie. C'est vrai que la situation est très grave et que ça fait douter du processus de paix mais il faut résister à ce sentiment qu'on pourrait avoir aujourd'hui. Je crois que de part et d'autre, les Israéliens et les Palestiniens peuvent faire des gestes coordonnés parallèles et qui leur permettraient de reprendre le contrôle de la situation. Je crois qu'il faut qu'ils fassent tout pour éviter les provocations, qu'ils fassent tout pour réduire les occasions d'affrontements entre les uns et les uns, qu'ils aient des gestes concrets et que le dialogue se reprenne. Je suggère à M. Barak de parler aux Palestiniens, je suggère à M. Arafat de parler aux Israéliens, pour qu'ils se disent mutuellement : "Nous savons que nous sommes obligés de nous entendre et que nous continuerons à coexister. Nous n'avons pas d'autre solution".
Q - Ehud Barak a lancé un ultimatum lundi soir. Concrètement quels pourraient être selon vous ces gestes qui pourraient arriver vers une des escalades ?
R - Ceux que je viens de citer - d'abord ils ont des instructions de part et d'autre à donner pour les différentes forces de sécurité - quelques soient leurs noms mais il faut que le dialogue se renoue et que ces deux populations se retrouvent en situation de protagonistes qui ont peur l'une de l'autre, arrivent à surmonter cela d'urgence avec l'aide de leurs dirigeants qui ont fait un travail historique déjà considérable que nous avons constamment soutenu, accompagné, encouragé et que nous saluons mais qui en même temps sont responsables devant leur peuple de la poursuite de cet effort. Il faut qu'il trouve les mots, pas que les gestes pour enrayer cette remontée de l'inquiétude et de l'antagonisme.
Q - Est-ce que l'Union européenne qui est présidée par la France actuellement peut faire autre chose que de lancer des appels au calme ?
R - Je crois qu'à travers la France qui est Présidente, l'Union européenne est présente dans cette affaire, s'exprime beaucoup en cherchant des mots utiles et que surtout nous avons fait un travail de fond énorme ces deux dernières semaines puisque comme vous le savez, en dehors des protagonistes directs Israéliens et Palestiniens et des Américains qui sont en position centrale au Proche-Orient depuis 50 ans et des Egyptiens, la France est le seul autre pays qui ait au fond participé à ce travail ardu mais indispensable de recherche de solutions sur Jérusalem et sur les autres sujets. Nous participons à ce travail depuis plusieurs semaines et je ne veux pas désespérer, je ne crois pas que ce soit fini, que ce soit complètement brisé parce que de part et d'autre ils savent qu'ils n'ont pas d'autre solution que de reprendre la recherche de la paix, sinon c'est le volcan, vous voyez, l'alternative est brutale.
Q - La France est aussi alliée et amie du Liban, est-ce que vous entendez dans les heures ou les jours qui viennent aussi dialoguer avec le Liban, faire pression peut-être sur le Liban pour éviter que le conflit ne s'embrase aussi au Liban et au Liban Sud ?
R - Nous le faisons, la particularité de la position de la France c'est que nous avons ce dialogue intense et confiant avec tous les protagonistes en même temps et c'est pour cela que chacun reconnaît notre présence et notre apport comme utiles. C'est pour ça que les Américains le considèrent également et nous parlons en ce moment même également aux Libanais et aux Syriens dans le même sens.
Q - Est-ce que vous estimez que la position américaine hier, qui s'est abstenue au Conseil de sécurité est aussi un signe encourageant, il n'y a pas eu de veto ?
R - Oui, je crois que c'est important que les Américains n'aient pas mis de veto à ce texte qui est un texte clair et qui en même temps ne cherche pas à compliquer les choses - qui cherche à dire clairement comment les choses se sont passées mais qui essaie de dégager des pistes d'avenir et c'est important qu'il y ait eu cette expression du Conseil de sécurité et que les Etats-Unis vont poursuivre leur rôle très important. Le travail du président Clinton et de Mme Albright a été remarquable ces dernières semaines, ils veulent le poursuivre et c'était pour eux une condition en quelque sorte que de ne pas mettre leur veto, ce qui aurait sans doute brisé ce mouvement.
Q - Autre partie du monde, dans les Balkans - en Serbie l'avènement d'un nouveau leader M. Kostunica, le départ de Milosevic, c'est évidemment un signe qui a été salué par l'ensemble de la Communauté internationale. L'Union européenne, vous l'avez dit, devrait dès demain lever les sanctions et vous-même pourriez vous rendre à Belgrade pour donner ce signe d'encouragement au nouveau pouvoir serbe et yougoslave ?
R - Dès le début du mois de septembre, j'ai eu l'occasion de dire que si la démocratie l'emportait à Belgrade l'Union européenne réviserait radicalement sa politique ; c'est à dire en pratique lèverait l'embargo. Après le premier tour, j'avais dit que nous entamions immédiatement les préparatifs techniques et juridiques pour prendre ces décisions car nous avions tout de suite bien aperçu l'importance du premier tour. J'avais dit ce jour là que ce qui avait commencé ne s'arrêterait plus, on l'a vu après et il y a trois jours j'ai pu indiquer que, en tant que Présidence, nous avions mis la levée concrète de l'embargo à l'ordre du jour du Conseil Affaires générales qui a lieu à Luxembourg ce lundi. Donc, nous avançons et il fallait répondre au courage extraordinaire dont le peuple serbe a fait preuve sur ce régime en tenant nos promesses au plus vite - c'est ce que nous allons faire lundi et ça reste à confirmer pour des raisons d'organisation et pour des raisons techniques. J'irais sans doute ce mardi, sur place, pour le dire moi-même au président Kostunica et commencer à entamer avec lui un dialogue sur ce que pourrait être les relations à l'avenir entre la nouvelle République fédérale de Yougoslavie et l'Europe.
Q - L'élection présidentielle en Côte d'Ivoire s'annonce déjà comme un scrutin contesté après l'invalidation par la cour suprême ivoirienne d'Alassane Outtara, déjà les Etats-Unis estiment que ce scrutin ne sera pas légal, est-ce que c'est aussi la position de la France et est-ce que Paris ne sera pas amené aussi à revoir sa politique avec Abidjan ?
R - La politique de coopération avec Abidjan a été largement mise entre parenthèse depuis la chute du président Bédié et l'arrivée au pouvoir d'un régime de facto, qui est le régime du général Guei et donc, nous ne sommes pas dans la situation habituelle et depuis des mois et des mois, nous avons une politique tout à fait claire par rapport à la Côte d'Ivoire, c'est que ce pays doit revenir à un ordre constitutionnel et à des institutions légales. La décision qui vient d'être prise par la Cour suprême, qui écarte un certain nombre de candidats - il n'y en a plus que deux importants et trois moins importants - c'est une décision qui est regrettable, qui n'est pas opportune. Mais la Côte d'Ivoire est un pays indépendant et souverain depuis 1960. On ne peut pas dire que ce soit illégal au regard de la constitution ivoirienne, cela dit évidemment cela réduit le sens de l'élection qui va avoir lieu. Donc, nous allons rester très attentifs et très vigilants et consulter nos partenaires européens pour savoir quelle devrait être au bout du compte notre position./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2000)
R - La situation est extrêmement grave. Elle est plus grave qu'elle n'a jamais été depuis des années, peut-être depuis avant le début du processus de paix à Oslo, il y a huit ans. L'inquiétude est profondément justifiée.
Q - La vôtre aussi ?
R - Oui, d'autant que la France, comme vous le savez, est particulièrement engagée dans la recherche de la paix. On ne peut pas faire la paix à la place des protagonistes, mais nous déployons tous nos efforts. On sait d'où c'est venu. La résolution, qui a été adoptée cette nuit au Conseil de sécurité et à laquelle les Etats-Unis ne se sont pas opposés...
Q - Pour la première fois...
R - ... déplore la provocation commise à Jérusalem le 28 septembre, c'est-à-dire celle effectuée par M. Sharon, "violence consécutive", comme le dit la résolution, "là-bas et dans d'autres lieux saints", ce qui couvre aussi ce qui a été fait hier au tombeau de Joseph. Mais au point où nous sommes, l'urgence absolue c'est que les responsables, de part et d'autre, trouvent d'urgence les gestes parallèles de désescalade pour éviter de basculer dans le pire.
Q - Mais vous, qui vous dites ce matin, inquiet, redoutez-vous des actions militaires d'envergure dans les heures qui viennent, puisque cela a été annoncé par le Premier ministre d'Israël, Ehud Barak ?
R - Le Premier ministre d'Israël a indiqué que, d'ici à 48 heures, si la situation n'était pas revenue sous contrôle, il serait obligé de prendre d'autres mesures. Dans ce très court laps de temps, je voudrais dire à chacun d'entre eux, de part et d'autre, à ceux qui ont des responsabilités et qui sont responsables, sur le plan de l'état d'esprit, qu'il faut qu'ils trouvent les gestes, les mesures. De part et d'autre, ils ne sont pas dans la même situation, ils n'ont pas les mêmes moyens, mais il faut qu'ils entament la désescalade. C'est urgent. Ils sont au bord d'un gouffre.
Q - Vous leur dites qu'ils sont au bord du gouffre, mais vous voyez bien que c'est le contraire de la désescalade. On est en train de monter rapidement vers les extrêmes et vers cette guerre, alors que, dans quelques heures, commence le Grand Pardon et que dans le monde, en Israël, on se souvient de ce qu'a été la guerre du Kippour, il y a 27 ans presque jour pour jour. Il y a cette peur et cette proximité du conflit. Dites-vous qu'aujourd'hui, on est dans une phase de non-guerre, de non-paix, mais qu'un rien peut faire tout basculer dans le conflit ?
R - Le destin hésite encore. De toutes façons, je ne veux pas désespérer, il ne faut désespérer. Il ne faut pas baisser les bras. Il faut les exhorter inlassablement à trouver les gestes qui vont bloquer cette escalade et cet engrenage et entamer l'inverse. Ils étaient venus à Paris, il y a très peu de temps. Cela montrait bien qu'ils voyaient eux-mêmes la nécessité de trouver une façon de reprendre le contrôle de cela, même s'ils n'ont pas pu se mettre d'accord autant qu'on aurait pu le souhaiter. D'ailleurs, on voit les engrenages sur le terrain, dans l'opinion, engrenages politiques...
Q - Mais il y a un risque d'élargissement du front du conflit : il y a le Liban, la Syrie, qui est menacée par les propos tenus hier soir par le Premier ministre d'Israël. Bref, ce conflit risque d'être généralisé, ou en tous cas, de s'étendre.
R - Oui, il y a un risque, notamment à la frontière libanaise puisque des éléments du Hezbollah ont pris des soldats israéliens, vraisemblablement pour faire comme d'autres fois, dans le passé, pour les échanger contre des prisonniers. Donc, il y a un risque de ce côté-là. Quand vous avez affaire à un incendie, la priorité absolue c'est de le circonscrire, d'empêcher qu'il ne s'étende. Mais il faut traiter la cause au centre et c'est du côté israélien et du côté palestinien qu'il faut briser cet engrenage terrible qui s'est réveillé...
Q - Mais vous n'avez pas pu le faire avec Mme Albright, avec Kofi Annan à Paris. Qu'est-ce qui serait un geste de part et d'autre ? Donnez-moi un exemple. Chez les Israéliens, par exemple.
R - Par exemple, les instructions à donner à l'armée, - que M. Barak a tentées, mais je crois que cela ne suffit pas pour le moment - de se retirer des endroits les plus sensibles. Par exemple, M. Barak l'a fait, en retirant les soldats israéliens du tombeau de Joseph. Ensuite, malheureusement, cela a été pris d'assaut par une foule...
Q - Et reconstruit ce matin à la demande d'Arafat. On peut considérer que c'était un geste de sa part aussi.
R - Oui. D'ailleurs vous pouvez même noter que Mme Shahid, la représentante d'Arafat à Paris a condamné cet assaut palestinien. Donc, on voit qu'il y a des gens qui essaient de reprendre le contrôle. Et du côté palestinien, il faut qu'ils emploient tous les moyens qu'ils ont, toute leur force. Il y a une police palestinienne également importante pour contenir les assauts, les manifestants. Mais on voit que les choses ne sont pas jouées encore. On voit à travers les images de télévision qu'il y a à la fois des pulsions de violence, de haine, de vengeance, ou de peur, d'ailleurs. La peur c'est le pire, le nouvel engrenage de la peur.
Q - Que fait aujourd'hui la France, au nom de l'Europe, pour arrêter le tic-tac de la guerre annoncée ?
R - L'essentiel du travail de la France, depuis longtemps, c'est un travail sur le fond. On ne sortira de cette situation d'éruption volcanique qu'en ayant trouvé un accord sur le fond. Nous apportons une contribution que les uns et les autres reconnaissent comme importante. D'ailleurs, sinon, ils n'auraient pas eu le réflexe de tenter de renouer la discussion à Paris. Sur le fond, donc, en essayant de les aider à trouver une solution pour Jérusalem, pour les réfugiés, pour les frontières, pour tous les sujets. Cela peut paraître surréaliste de parler de cela aujourd'hui, dans cette ambiance de guerre, mais cela ne l'est pas. Il y un lien direct. C'est précisément s'il n'y a plus de perspective de discussion sur le fond et que les uns et les autres se disent - ce qui est, malheureusement, je le sais, la tentation de certains aujourd'hui - finalement on n'y arrivera jamais, on n'arrivera pas à se mettre d'accord, la paix n'est pas possible, si cela devait basculer dans ce type de conception, les pires choses seraient alors possibles. C'est cela qu'il faut arrêter. Le traitement de l'incendie et la discussion de fond sont liés.
Q - Vous nous dites souvent que l'Europe est là pour aider à construire la paix. Ne peut-elle pas commencer à arrêter ce qui peut se produire, c'est-à-dire la guerre ?
R - Non. On sait très bien que quand l'Europe s'exprime à 15, elle tient souvent des propos beaucoup plus édulcorés que lorsque la France parle seule, car les avis ne sont pas encore convergents, aussi avancés, aussi engagés dans cette affaire. Je parle du rôle de l'Europe pour la construction de la paix quand elle sera conclue. Là, on n'est même pas à la conclusion de la paix. La conclusion de la paix, c'est le sujet sur lequel on a tant travaillé depuis Camp David, au mois d'août, jusqu'à ces derniers jours. Maintenant, nous sommes dans l'incendie. Il faut le circonscrire, le juguler et recommencer dans la foulée, sans perdre une seconde entre les deux. Donc, cela pourrait être, si les choses ne s'aggravent pas, un rebondissement de la négociation de paix, dans les prochains jours, car il n'y a que cette perspective qui peut contenir la peur de ces deux populations, donc, leur angoisse et leur antagonisme. Il faut reprendre sur le fond.
Q - Vous voulez dire que, si au bout de l'ultimatum, il n'y a pas eu d'opérations militaires, on pourrait retrouver Barak aux Etats-Unis chez M. Clinton, avec Arafat pour parler de la paix et pour négocier, dans le meilleur des cas.
R - Oui, je suis sûr que c'est encore possible. Ils ont un sens de la responsabilité historique tous les deux. Je souhaite que, dans cette phase aiguë, ils gardent tout leur sang-froid, tout leur sens de la responsabilité et que rien ne soit commis d'irréparable, ni sur le plan militaire, ni sur le plan politique, qui puisse les empêcher les uns ou les autres de poursuivre ce processus.
Q - On est dans une situation assez extraordinaire et assez contradictoire. M. Barak a été élu pour faire la paix. Il est politiquement minoritaire. On voit bien que l'opinion est en train de tourner à droite dans son pays. Quelle différence y a-t-il aujourd'hui entre Barak, Sharon et Netanyahou ?
R - Barak reste, jusqu'à preuve du contraire, jusqu'à ce qu'il y ait éventuellement un changement politique, que naturellement nous ne souhaitons pas du tout, l'homme qui a fait, à Camp David, des ouvertures qui n'avaient été faites par aucun responsable israélien avant lui.
Q - En particulier sur Jérusalem.
R - Oui, en particulier sur Jérusalem. De même que les Palestiniens ont fait des ouvertures à Camp David à propos du sort des colonies de peuplement qui pourraient être annexées en échange de certains territoires. Ils n'ont quand même pas fait tout cela depuis des années, depuis ce processus de paix, autant de discussions laborieuses pour s'arrêter ainsi et accepter que toute la table soit renversée, uniquement parce que M. Sharon aurait réussi son opération du 28 septembre. Cette idée est intolérable pour nous, autant que pour eux.
Q - Dans deux mois, vous souhaitez qu'il n'y ait pas de changement d'interlocuteurs, qu'il n'y ait ni Sharon, ni Netanyahou ni même Saul Moffaz, le chef d'état-major Likoud de l'armée israélienne ?
R - Ce n'est pas nous qui décidons, à la place des Israéliens ou Palestiniens ou des Américains. Je sais seulement qu'il y a, en ce moment, et peut-être pas pour très longtemps, compte tenu des calendriers électoraux dans les différents pays, des partenaires qui sont engagés dans la recherche de la paix comme aucun de leurs prédécesseurs ne l'ont été et avec notre aide entière qui continuera.
Q - Mais cela a changé de voix ?
R - Car il y un moment terrible de tension, car un provocateur, une fois de plus, comme certains de ceux qui l'ont fait avant, peut penser qu'il est en train de réussir son coup. Il faut lui donner tort. C'est ce que je dis à M. Barak et au Président Arafat. Nous les respectons tous les deux, nous connaissons les difficultés. Les choix qu'ils ont à faire sont terribles mais il ne faut pas qu'ils se trompent.
Q - Vous dites bien que c'est le choix des Israéliens. Imaginons que, dans quelques heures, M. Barak fasse entrer M. Sharon dans son gouvernement, que direz-vous ?
R - Nous n'en sommes pas là. Pour le moment, nous parlons à M. Barak.
Q - Quand M. Barak va jusqu'à dire qu'à Paris, le président de la République a encouragé le terrorisme, pour vous, visait-il Jacques Chirac ou tout l'exécutif français ?
R - Je ne veux pas entrer dans cette polémique.
Q - Il y a polémique...
R - Oui, peut-être, mais cela ne m'oblige pas à y entrer. Il y a, dans ces moments d'extrêmes tensions et d'extrême inquiétude, des moments pénibles et quand cela ne marche pas, on est inquiet et on cherche des responsabilités. Je ne veux pas entrer sur ce terrain. La seule chose utile aujourd'hui c'est de parler aux uns et aux autres, dans des termes qui puissent les convaincre d'entamer la désescalade, dont je parle depuis que vous m'interrogez.
Q - Vous pensez qu'il y a un froid qui n'est que passager avec Israël ou durable ?
R - Je pense que la France est reconnue comme étant l'un des seuls pays, en dehors des protagonistes directs et des Etats-Unis, qui sont au centre du jeu depuis 50 ans, et de l'Egypte sur ces certains points, qui est reconnu et respecté pour sa contribution à la paix. Mais à un moment donné, encore une fois, ce sont les protagonistes eux-mêmes qui décident.
Q - La France n'a-t-elle pas renoncé de facto à la politique qui s'était rééquilibrée au Proche-Orient ? Ne privilégie-t-elle pas à nouveau une politique arabe et palestinienne au détriment d'Israël ?
R - Non. Le contact se poursuit, dans le même esprit. J'ai eu une longue conversation dans la soirée avec M. Shlomo Ben-Ami, le ministre des Affaires étrangères. Je peux vous dire que nous restons dans cette situation que je viens de décrire. Nous sommes, en dehors des protagonistes directs, l'un des rares pays reconnus pour sa contribution. Mais il y a d'extrêmes difficultés et des tensions qui sont liées à la difficultés des choses.
Q - Et M. Ben-Ami est aussi inquiet que vous ?
R - Oui, il est ministre des Affaires étrangères d'Israël. Il voit bien que la situation est extrêmement difficile.
Q - Monsieur Védrine, après-demain, vous irez à Belgrade. C'est la première fois...
R - En principe.
Q - Comment "en principe" ?
R - En principe, parce qu'il reste à organiser les choses et qu'il faut s'assurer que cette visite puisse avoir lieu dans de bonnes conditions. Il s'agit d'établir un contact avec M. Kostunica et, si je peux y aller mardi, j'irai après le Conseil Affaires générales, qui réunit les quinze ministres des Affaires étrangères de l'UE et qui a lieu demain à Luxembourg, pour lui communiquer les décisions que nous allons prendre demain et que nous avons, que j'ai personnellement préparées par toute une série d'initiatives...
Q - Depuis début septembre...
R - Oui, depuis début septembre. Décisions qui sont la levée de l'embargo... M. Kostunica lui-même m'a fait dire, au mois de septembre, à plusieurs reprises, que cette perspective, que nous avons ouverte début septembre, a joué un vrai rôle dans la détermination des Serbes. Cela n'enlève rien au fait que, fondamentalement, ce sont eux qui ont eu ce courage inouï de renverser la situation.
Q - Une parenthèse, Milosevic vous avait inscrit sur sa liste des inculpés. Cette fois-ci, je pense que vous ne risquez rien si vous allez à Belgrade. On ne va pas vous arrêter...
N'est-ce pas un chèque en blanc donné à Kostunica ?
R - Non, pas du tout. Il faut distinguer les temps chronologiques. La priorité absolue pour les Européens, comme pour les Américains et pour les pays voisins, de la région, c'est que Milosevic soit mis hors d'état de nuire et écarté, pour commencer, du pouvoir. C'est la priorité.
Q - Pour vous, il ne doit pas, il ne doit plus jouer de rôle politique dans son pays ?
R - Je pense qu'il est inconcevable pour le monde entier que Milosevic joue encore un rôle politique. Je suppose que très vite cette évidence apparaîtra aux Serbes eux-mêmes. Nous allons mettre en uvre nos promesses, tenir nos engagements. Nous allons lever l'embargo pétrolier, l'embargo sur le contrôle aérien, puis, petit à petit, supprimer le gel des investissements - c'est plus compliqué techniquement, mais on va le faire étape par étape. On ne change rien naturellement aux interdictions de visas et au gel des avoirs financiers qui s'étaient portés sur les dirigeants de l'ancien régime. Voilà ce que nous allons décider lundi à Luxembourg, voilà ce que je vais aller dire à M. Kostunica mardi, si c'est possible, pour préparer la suite. D'ailleurs, si c'est possible aussi pour lui, compte tenu de la situation à Belgrade, il viendra même à Biarritz, où il y aura un Conseil européen informel, où l'a invité le président Chirac. A partir de là, nous allons discuter. Mais rien ne dit que l'on va être d'accord avec lui sur tous les sujets. D'ailleurs, cela n'arrive jamais que l'on soit d'accord avec un autre pays sur tous les sujets. Simplement, nous allons discuter, de façon normale, des points d'accord ou de désaccord avec la nouvelle République fédérale de Yougoslavie.
Q - Vous nous avez parlé du sommet de Biarritz. Y a-t-il un moyen d'associer la Serbie aujourd'hui, ou de la rapprocher de l'Europe ?
R - Oui. Précisément, nous allons commencer ce processus. Ce qui était complètement impossible auparavant avec Milosevic va pouvoir désormais débuter. Cela débute par la levée de l'embargo, par l'établissement de nouveaux liens et ensuite, nous verrons quelles sont les formes de coopération... Nous n'allons pas plaquer sur la nouvelle Serbie, qui mérite le respect, qui a montré son courage et sa force démocratique nouvelle, sur ce peuple...
Q - C'est formidable ce que l'on aime aujourd'hui la Serbie... Qui aime bien châtie bien... Il fallait leur faire la guerre, il fallait les sanctions, peut-être même fallait-il faire tomber Milosevic, pour, ensuite, les accueillir...
R - Ce que je suis en train de dire est un peu différent. C'est très important pour l'avenir de la Serbie que ce soit le peuple serbe qui se soit lui-même débarrassé de Milosevic. Pour l'avenir et pour la refondation démocratique de la Yougoslavie, c'est bien que cela se soit passé ainsi et que Milosevic ne soit pas tombé, par exemple, sous le coup des bombardements de l'OTAN. C'est dix fois mieux. La relation avec l'Europe s'établit ainsi sur des bases saines. Maintenant, nous aurons forcément des sujets de désaccord. Mais chaque chose en son temps. Il s'agit, pour le moment, de s'assurer que M. Kostunica est bien installé au pouvoir et que M. Milosevic n'a plus de pouvoir de nuire à cette nouvelle Serbie.
(...)
Q - Je voudrais parler de la Côte d'Ivoire parce qu'il y a une présidentielle prévue dans 15 jours. La dictature militaire est en train de se mettre en place cyniquement. Est-ce que la France, l'Europe laisse faire, ou laisseront faire ?
R - La France, et l'Europe viennent de déplorer que les décisions des autorités constitutionnelles Ivoiriennes aient restreint la liberté de choix et d'appréciation puisqu'un certain nombre de candidats
Q - Les candidats des grands partis
R - ... à la présidentielle, - non pas tous.
Q - Trois des grands candidats
R - Oui, il reste à l'heure actuelle maintenant deux candidats autorisés pour des grands partis et trois pour des petits. Nous avons déploré que la liberté de choix soit restreinte pour le peuple ivoirien. Nous avons rappelé ce que nous disons depuis des mois qui est que le peuple ivoirien doit pouvoir choisir et que le pays doit revenir à une situation constitutionnelle normale. Mais, en même temps, nous devons faire preuve de sens des responsabilités. Nous ne sommes pas dans la même position que les Etats-Unis qui peuvent exprimer des préférences comme ça, sans se soucier des conséquences particulières.
Q - Est-ce que l'élection qui vient est une élection légale ou illégale ?
R - Elle est légale en ce sens où elle est conforme à la légalité ivoirienne, elle est conforme à la constitution ivoirienne.
Q - ()
R - Oui mais la Côte d'Ivoire est un pays indépendant vous savez depuis quelques décennies.
Q - ()
R - Donc on ne peut pas comme ça trancher du fait qu'une décision constitutionnelle qui nous déplaît ou qu'on trouve maladroite ou choquante ne l'est pas parce qu'elle ne nous plaît pas. C'est plus compliqué que ça.
Q - Est-ce que vous pouvez dire, je sais que nous sommes obligés, nous les journalistes de simplifier, mais est-ce que vous dites M. Védrine comme vous l'avez dit pour la Serbie, Milosevic, etc, que l'Europe dont la France suspendra toute aide ou toute coopération tant que la démocratie ne reviendra pas dans ce pays africain parce qu'il y a un risque d'embrasement de l'Afrique de l'Ouest ?
R - C'est vrai, mais à l'heure actuelle nous n'avons pas pris cet engagement de façon définitive quant à l'élection qui s'annonce.
Q - Vous pourriez la prendre ?
R - Ca dépend de la façon dont se déroule la campagne et dont se déroule l'élection. Par exemple, M. Gbagbo qui est un candidat autorisé représente un parti tout à fait important. Lui approuve les décisions qui ont été prises donc la situation n'est pas manichéenne, n'est pas tout à fait bouclée.
Q - Vous prenez des mesures pour protéger les 20000 ressortissants français qui sont en Côte d'Ivoire ?
R - Il n'y a pas à prendre des mesures particulières mais nous devons avoir à l'esprit dans les positions que nous prenons sur ce sujet et c'est là où nous sommes dans une position un peu différente des Etats-Unis, nous devons précisément avoir à l'esprit le fait qu'il y a 20000 français en Côte d'Ivoire et qu'il y en a beaucoup dans la région. Mais qu'il soit bien clair que notre objectif c'est le retour de la Côte d'Ivoire à une situation constitutionnelle normale, qu'il est tout à fait fâcheux que les possibilités de choix du peuple ivoirien aient été artificiellement restreintes. Pour autant, on ne peut pas dire que ce soit illégal, ce n'est pas contraire à la légalité ivoirienne, ni à cette constitution qui a été acceptée par le peuple ivoirien. Donc la situation est un peu délicate et notre jugement définitif et le fait de savoir si la France ou alors l'Union européenne coopèrent ou non avec les autorités issues du futur scrutin, va dépendre encore beaucoup de la façon dont la campagne va se dérouler.
Q - Vous savez que le scrutin est truqué.
R - Non vous ne pouvez pas le dire comme ça. C'est trop facile, uniquement parce que c'est un pays africain, de trancher de tout comme ça. Vous ne pourriez pas vous exprimer comme ça sur un autre pays qui ne serait pas africain. Il faut faire attention.
Q - Non on ne peut pas nous accuser de paternalisme, toutes les institutions sont faussées, la cour constitutionnelle, etc
R - Ce n'est pas l'avis du principal opposant socialiste, M. Gbagbo, qui est candidat à cette présidentielle donc on ne peut pas trancher aussi simplement.
Q - Mais les trois autres chefs de parti, qui ne sont pas tolérés, eux, pensent différemment. M. Gbagbo est toléré. Alors peut-être qu'on est gentil avec lui parce qu'il est le représentant du parti socialiste ivoirien ?
R - Cela montre que la situation n'est pas si simple justement.
Q - Alors dernière remarque. Vous avez participé et assisté à tout M. Védrine. On a l'impression de voir surgir l'imprévisible de toute part, et le citoyen français ou européen pense que les politiques aujourd'hui n'ont de maîtrise sur rien ou pas grand chose. Est-ce que c'est vrai ?
R - Cela n'est pas vrai sur les crises, c'est un trop vaste sujet pour trente secondes à la fin d'une émission. Je crois qu'en ce qui concerne les crises internationales, les gouvernements ont des responsabilités et ils peuvent enclencher ce qui conduit à la paix ou à la guerre. Là, on est dans un domaine où ils ont des vraies responsabilités. On leur demande des comptes tout le temps, c'est bien qu'ils sont censés avoir un pouvoir sur ces choses. Si on parle de l'évolution de l'économie mondiale en général, c'est tout à fait autre chose. Sur les sujets dont on a parlé, le fait que les dirigeants fassent de bons ou de mauvais choix, en Côte d'Ivoire, au Proche Orient, en Serbie, là on est encore dans un domaine où la politique joue encore son plus noble rôle, mais les conséquences peuvent être formidables ou tragiques.../.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2000)
Q - Face à l'escalade qui vient de se produire ces dernières heures au Proche-Orient, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que le processus de paix est moribond ?
R - "Non, je ne voudrais pas dire ça, je ne veux pas penser ça et je crois qu'il faut tout faire encore, et que c'est encore possible pour circonscrire cet incendie. C'est vrai que la situation est très grave et que ça fait douter du processus de paix mais il faut résister à ce sentiment qu'on pourrait avoir aujourd'hui. Je crois que de part et d'autre, les Israéliens et les Palestiniens peuvent faire des gestes coordonnés parallèles et qui leur permettraient de reprendre le contrôle de la situation. Je crois qu'il faut qu'ils fassent tout pour éviter les provocations, qu'ils fassent tout pour réduire les occasions d'affrontements entre les uns et les uns, qu'ils aient des gestes concrets et que le dialogue se reprenne. Je suggère à M. Barak de parler aux Palestiniens, je suggère à M. Arafat de parler aux Israéliens, pour qu'ils se disent mutuellement : "Nous savons que nous sommes obligés de nous entendre et que nous continuerons à coexister. Nous n'avons pas d'autre solution".
Q - Ehud Barak a lancé un ultimatum lundi soir. Concrètement quels pourraient être selon vous ces gestes qui pourraient arriver vers une des escalades ?
R - Ceux que je viens de citer - d'abord ils ont des instructions de part et d'autre à donner pour les différentes forces de sécurité - quelques soient leurs noms mais il faut que le dialogue se renoue et que ces deux populations se retrouvent en situation de protagonistes qui ont peur l'une de l'autre, arrivent à surmonter cela d'urgence avec l'aide de leurs dirigeants qui ont fait un travail historique déjà considérable que nous avons constamment soutenu, accompagné, encouragé et que nous saluons mais qui en même temps sont responsables devant leur peuple de la poursuite de cet effort. Il faut qu'il trouve les mots, pas que les gestes pour enrayer cette remontée de l'inquiétude et de l'antagonisme.
Q - Est-ce que l'Union européenne qui est présidée par la France actuellement peut faire autre chose que de lancer des appels au calme ?
R - Je crois qu'à travers la France qui est Présidente, l'Union européenne est présente dans cette affaire, s'exprime beaucoup en cherchant des mots utiles et que surtout nous avons fait un travail de fond énorme ces deux dernières semaines puisque comme vous le savez, en dehors des protagonistes directs Israéliens et Palestiniens et des Américains qui sont en position centrale au Proche-Orient depuis 50 ans et des Egyptiens, la France est le seul autre pays qui ait au fond participé à ce travail ardu mais indispensable de recherche de solutions sur Jérusalem et sur les autres sujets. Nous participons à ce travail depuis plusieurs semaines et je ne veux pas désespérer, je ne crois pas que ce soit fini, que ce soit complètement brisé parce que de part et d'autre ils savent qu'ils n'ont pas d'autre solution que de reprendre la recherche de la paix, sinon c'est le volcan, vous voyez, l'alternative est brutale.
Q - La France est aussi alliée et amie du Liban, est-ce que vous entendez dans les heures ou les jours qui viennent aussi dialoguer avec le Liban, faire pression peut-être sur le Liban pour éviter que le conflit ne s'embrase aussi au Liban et au Liban Sud ?
R - Nous le faisons, la particularité de la position de la France c'est que nous avons ce dialogue intense et confiant avec tous les protagonistes en même temps et c'est pour cela que chacun reconnaît notre présence et notre apport comme utiles. C'est pour ça que les Américains le considèrent également et nous parlons en ce moment même également aux Libanais et aux Syriens dans le même sens.
Q - Est-ce que vous estimez que la position américaine hier, qui s'est abstenue au Conseil de sécurité est aussi un signe encourageant, il n'y a pas eu de veto ?
R - Oui, je crois que c'est important que les Américains n'aient pas mis de veto à ce texte qui est un texte clair et qui en même temps ne cherche pas à compliquer les choses - qui cherche à dire clairement comment les choses se sont passées mais qui essaie de dégager des pistes d'avenir et c'est important qu'il y ait eu cette expression du Conseil de sécurité et que les Etats-Unis vont poursuivre leur rôle très important. Le travail du président Clinton et de Mme Albright a été remarquable ces dernières semaines, ils veulent le poursuivre et c'était pour eux une condition en quelque sorte que de ne pas mettre leur veto, ce qui aurait sans doute brisé ce mouvement.
Q - Autre partie du monde, dans les Balkans - en Serbie l'avènement d'un nouveau leader M. Kostunica, le départ de Milosevic, c'est évidemment un signe qui a été salué par l'ensemble de la Communauté internationale. L'Union européenne, vous l'avez dit, devrait dès demain lever les sanctions et vous-même pourriez vous rendre à Belgrade pour donner ce signe d'encouragement au nouveau pouvoir serbe et yougoslave ?
R - Dès le début du mois de septembre, j'ai eu l'occasion de dire que si la démocratie l'emportait à Belgrade l'Union européenne réviserait radicalement sa politique ; c'est à dire en pratique lèverait l'embargo. Après le premier tour, j'avais dit que nous entamions immédiatement les préparatifs techniques et juridiques pour prendre ces décisions car nous avions tout de suite bien aperçu l'importance du premier tour. J'avais dit ce jour là que ce qui avait commencé ne s'arrêterait plus, on l'a vu après et il y a trois jours j'ai pu indiquer que, en tant que Présidence, nous avions mis la levée concrète de l'embargo à l'ordre du jour du Conseil Affaires générales qui a lieu à Luxembourg ce lundi. Donc, nous avançons et il fallait répondre au courage extraordinaire dont le peuple serbe a fait preuve sur ce régime en tenant nos promesses au plus vite - c'est ce que nous allons faire lundi et ça reste à confirmer pour des raisons d'organisation et pour des raisons techniques. J'irais sans doute ce mardi, sur place, pour le dire moi-même au président Kostunica et commencer à entamer avec lui un dialogue sur ce que pourrait être les relations à l'avenir entre la nouvelle République fédérale de Yougoslavie et l'Europe.
Q - L'élection présidentielle en Côte d'Ivoire s'annonce déjà comme un scrutin contesté après l'invalidation par la cour suprême ivoirienne d'Alassane Outtara, déjà les Etats-Unis estiment que ce scrutin ne sera pas légal, est-ce que c'est aussi la position de la France et est-ce que Paris ne sera pas amené aussi à revoir sa politique avec Abidjan ?
R - La politique de coopération avec Abidjan a été largement mise entre parenthèse depuis la chute du président Bédié et l'arrivée au pouvoir d'un régime de facto, qui est le régime du général Guei et donc, nous ne sommes pas dans la situation habituelle et depuis des mois et des mois, nous avons une politique tout à fait claire par rapport à la Côte d'Ivoire, c'est que ce pays doit revenir à un ordre constitutionnel et à des institutions légales. La décision qui vient d'être prise par la Cour suprême, qui écarte un certain nombre de candidats - il n'y en a plus que deux importants et trois moins importants - c'est une décision qui est regrettable, qui n'est pas opportune. Mais la Côte d'Ivoire est un pays indépendant et souverain depuis 1960. On ne peut pas dire que ce soit illégal au regard de la constitution ivoirienne, cela dit évidemment cela réduit le sens de l'élection qui va avoir lieu. Donc, nous allons rester très attentifs et très vigilants et consulter nos partenaires européens pour savoir quelle devrait être au bout du compte notre position./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2000)