Déclarations de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et de la décentarlisation culturelle, sur la spoliation des biens et oeuvres d'art juif pendant la deuxième guerre mondiale, Vilnius le 4 octobre 2000.

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Circonstance : Forum international sur les biens culturels juifs spoliés pendant la Shoah et inauguration du musèe de la culture juive de Vilnius le 4 octobre 2000

Texte intégral

Inauguration du Musée de la Culture juive de Vilnius
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je voudrais vivement remercier M. Zingueris, d'avoir aménagé l'organisation initiale de notre journée de travail afin de nous permettre de nous retrouver ce soir au musée de la culture juive de Vilnius.
Je suis heureux en effet de pouvoir vous faire part in situ de la décision qu'a pris la France de soutenir financièrement les efforts engagés par la Lituanie pour le réaménagement et le développement de ce musée.
La France mène en effet depuis de longues années une politique résolue de protection et de mise en valeur du patrimoine lié à l'histoire des communautés juives, avec la triple volonté de l'étudier, de le protéger et de le faire connaître au public. Je rappellerai à ce titre l'organisation en 1991 à la Bibliothèque nationale de l'exposition D'une main forte, première exposition française entièrement consacrée aux manuscrits hébreux, mais aussi les campagnes systématiques de recensement des synagogues menées dans les années 80 et qui ont permis le classement ou la protection au titre des monuments historiques des plus importantes d'entre elles, et également des restaurations dont la plus prestigieuse est celle de la synagogue de Cavaillon.
L'attention portée aux fonds d'art juif réunis et conservés dans les musées d'histoire traduisent l'enracinement des communautés dans l'histoire locale française. Leur étude avait été relancée par le succès de l'exposition Trésor d'art juif, qui avait présentée en 1981 à Paris, la célèbre collection réunie par Isaac Strauss au XIXème siècle et maintenant conservée au musée national du Moyen Age. L'inauguration l'année dernière à Paris du musée d'Art et d'histoire du judaïsme permet maintenant avec une toute autre ampleur de rendre accessible le patrimoine des communautés juives. Ce musée mène une politique de collecte, de recensement et de conservation et au-delà d'une seule politique de patrimoine, ses actions pédagogiques et de diffusion permettent au public de comprendre ce qu'est le judaïsme, ce que recouvre l'idée de civilisation juive, ce que véhicule la transmission, pour prendre conscience de la diversités des traditions, des identités culturelles, des formes d'identification.
Mais aujourd'hui, par l'aide qu'elle apporte aujourd'hui au projet du musée de Vilnius, la France va au-delà de ses seules frontières : en effet, soucieuse des devoirs de mémoire et désirant marquer sa solidarité internationale à l'égard des victimes du nazisme, elle s'est associée avec onze autres pays occidentaux (Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne ...) ou d'Europe centrale (Pologne, République tchèque) pour contribuer au Fonds international d'aide aux victimes des persécutions nazies mis en place à la suite de la conférence de Londres de décembre 1997.
Le gouvernement français, qui y contribue pour un montant de 20 MF, a souhaité affecter cette dotation à des Organisations Non Gouvernementales (ONG) à vocation internationale, menant des actions dans les pays d'Europe centrale et orientale. Les onze projets financés dans ce cadre visent principalement la communauté juive et, pour deux projet, la communauté tzigane. Ils se répartissent entres des actions à caractère social et humanitaire et des initiatives à vocation culturelle liées au devoir de mémoire. Le musée de la culture juive de Vilnius est l'exemple d'aboutissement d'un de ces projets. Il confortera j'en suis persuadé, notre pays dans sa volonté d'oeuvrer pour des initiatives à vocation éducative, guidées par le souci de transmettre à la fois la culture de la Communauté juive et le souvenir des disparus.
Demain, j'en suis sûr, nos musées trouveront de nouvelles voies de collaboration qui permettront à nos deux pays de se rapprocher plus encore et de faire comprendre au monde que chaque patrimoine culturel particulier est le patrimoine commun de l'humanité.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 6 octobre 2000)
Forum international sur les biens culturels juifs
spoliés pendant la Shoah
Monsieur le Président de la République,
Messieurs les Premier Ministre et Ministres,
Messieurs les membres de l'Assemblée Parlementaire,
Messieurs les membres du Corps Diplomatique,
Mesdames et Messieurs,
Parler en ce lieu particulier de la spoliation des biens culturels donne immédiatement une mesure particulière à l'enjeu d'une telle conférence.
Nous connaissons la complexité de l'histoire de ce pays qui a fourni tant et tant d'artistes et de penseurs qui ont fécondé la vie esthétique et intellectuelle de la France au premier rang desquels Soutine et Levinas. Aussi est-il presque normal que la Lituanie, au point de rencontre douloureux de la mémoire juive - Vilna ne fut-elle pas durant des siècles la nouvelle Jérusalem - et du souci culturel, organise cette conférence sur la spoliation des biens culturels.
Les conférences de Washington en décembre 98 et de Stockholm en janvier 2000 ont ouvert la voie d'une prise en compte par la communauté internationale du douloureux problème de la Shoah considéré non plus seulement comme tragédie humaine mais aussi comme drame de la dépossession. La France y a pris une part active et a entrepris de longue date de mener les travaux les plus approfondis sur cette question. Elle le devait à ses compatriotes juifs mais aussi à l'humanité toute entière : puisque oublier le passé ou choisir de l'ignorer c'est s'exposer à le revivre.
Ecrire l'histoire
La position choisie par la France a été de mener les travaux sur les pillages des oeuvres d'art dans la perspective plus large de l'étude qui a été confiée par le Premier Ministre à la Mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France mise en place dès mars 1997. En effet, la Mission s'est attachée à couvrir l'ensemble des domaines de la spoliation, permettant ainsi la publication, aux côtés d'un rapport général, d'études spécifiques portant sur la spoliation financière, l'aryanisation économique, les droits des auteurs et des compositeurs, les biens des internés dans les camps situés sur le territoire français, le pillage des oeuvres d'art donnant lui aussi lieu à un rapport particulier.
Pour tous ces sujets, le parti retenu a été de réaliser une synthèse historique approfondie établie à partir d'importants fonds d'archives, et de ne pas s'en tenir au seul établissement de listes de noms de personnes ou de biens matériels.
La Mission a également permis de mettre à disposition de fructueux instruments de travail en publiant un recueil des textes officiels (sur papier et également sur cédérom) et un guide des recherches en archives, qui faciliteront grandement les travaux à venir des chercheurs français comme étrangers. Vous pourrez prendre connaissance des différents rapports publiés à ce jour en vous rendant au stand " France " situé dans le hall du palais des congrès.
Les résultats font apparaître pleinement aujourd'hui le bien fondé de cette méthode, qui permet de situer convenablement la place du pillage des oeuvres d'art dans l'ensemble des mécanismes de spoliation. Je suis profondément convaincu pour ma part de la nécessité d'écrire l'histoire pour conserver et transmettre la mémoire.
L'étude sur le pillage des oeuvres d'art en France a ainsi permis de mettre en évidence le rôle déterminant joué par les services allemands, et notamment par l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, plus connu sous le sigle ERR. Elle rappelle en outre l'ampleur des opérations de restitutions mises en uvre, en collaboration avec les pays alliés, dans l'immédiat après-guerre.
Ainsi en 1945 ce sont 60 000 uvres de toute nature (peintures, sculptures) qui reviennent en France. L'exposition de Compiègne, un très lourd travail de recherche, permettent en l'espace de 5 ans de rendre à leurs légitimes propriétaires ou ayant droits 45 000 uvres. Sur les 15 000 objets et uvres restants la CRA (Commission de Récupération Artistique) en classera 2000 d'intérêt patrimonial national qui seront confiés à la garde des musées sous le sigle MNR (Musées Nationaux Récupération).
Les 13 000 autres objets de peu de valeur seront vendus par l'Administration des Domaines entre 1951 et 1954. C'est sur les MNR que s'est porté l'essentiel des travaux de la mission et de la Direction des Musées de France.
Nous avons ainsi pu confirmer qu'une grande part de ces objets avaient été vendus par des galeries ou des particuliers parisiens à des institutions et des musées allemands dont le pouvoir d'achat s'appuyait sur le cours forcé du Reichmark. Sur ces 2000 oeuvres nous savons que 163 ont été spoliés et pour une dizaine d'entre elles nous sommes en train d'examiner des pistes de propriétaires. Grâce aux recherches de ces dernières années, trente-deux objets ont pu être restitués à des ayants droit de marchands ou de collectionneurs.
Les historiques de ces objets seront prochainement accessibles sur le site Internet du ministère de la Culture français, sur lequel il est déjà possible depuis 1997 de consulter la liste complète des 2000 objets étudiés. Ceux d'entre vous qui le souhaitent pourront consulter cette base sur le stand France situé dans le hall du centre de conférences. La collaboration fructueuse que nous menons depuis plusieurs années maintenant avec différentes institutions étrangères, qui se sont lancées dans les recherches de provenance, et tout particulièrement les musées, nous permet d'affirmer que les informations ainsi rendues consultables à distance seront d'une grande aide pour tous ceux qui travaillent sur des oeuvres passées sur le marché parisien pendant l'Occupation.
L'expérience acquise grâce à ces études de cas montre toutes les difficultés inhérentes aux recherches sur la provenance des oeuvres d'art, tant par la prudence qu'il faut avoir dans l'identification des objets que par la nécessité de confronter des sources diverses, parfois contradictoires et qui peuvent se révéler bien difficiles d'accès.
La création d'une fondation pour la mémoire
Le gouvernement français s'attache à présent à la mise en uvre des recommandations émises par la Mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France. Le point certainement le plus important est la création d'une Fondation pour la Mémoire, dont les statuts en cours d'élaboration seront adoptés avant la fin de l'année. Cette Fondation aura une triple mission, relevant à la fois de l'histoire, de l'éducation et de la solidarité.
Elle développera à ce titre les recherches sur les persécutions antisémites et les atteintes aux droits de la personne humaine perpétrées durant la Seconde Guerre mondiale ainsi que sur les victimes de ces persécutions et sur les conditions qui ont permis en France à la grande majorité de Juifs d'échapper à la déportation. Elle contribuera à la conservation et à la diffusion des témoignages relatifs à ces événements et aidera l'action des organisations qui uvrent en ce sens, et en particulier le Centre de documentation juive contemporaine et le Mémorial du martyr juif inconnu.
Elle pourra également mener des recherches sur d'autres génocides ou crimes contre l'humanité. Son rôle est de mémoire, de recherche, d'édification. A cet effet, la Fondation contribuera au financement et à la mise en uvre des actions de solidarité. Elle portera une attention toute particulière à l'étude et au développement des langues et cultures. Ainsi ce Yiddishland dont Vilna fut le cur ne doit pas disparaître et pour ce faire le yiddish, comme langue, le théâtre yiddish seront particulièrement aidés.
La dotation financière de la Fondation sera constituée pour partie par l'Etat mais aussi par différents contributeurs, notamment par les banques et par les compagnies d'assurances. Pour ce qui est des oeuvres d'art, nous réfléchissons activement à la possibilité d'un dépôt de quelques oeuvres spoliées au musée de Jérusalem. Elles témoigneront de ce qu'ont pu être les spoliations. Les premières rencontres avec les responsables israéliens ont été particulièrement encourageantes.
Répondre aux demandes des particuliers
Par ailleurs, le Premier Ministre a mis en place par décret du 10 septembre 1999 une instance spécifique chargée d'examiner les demandes des particuliers. La Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation est chargée d'examiner les demandes des particuliers portant sur les biens immobiliers comme mobiliers. Composée de magistrats assistés de chercheurs spécialisés elle adopte une attitude résolument pragmatique, prenant en compte tous les aspects des dossiers qui lui sont soumis.
Son rôle est et de rechercher les mesures de réparation et d'indemnisation appropriées à chaque cas en rapprochant les points de vue des demandeurs et des institutions concernées. En un an, cette Commission a été saisie de plus de 5000 demandes, dont seul un faible nombre concerne des oeuvres d'art.
L'étude des dossiers actuellement examinés montre combien la recherche d'une solution juste exige une connaissance exacte de la période, une capacité d'appréciation des circonstances et une attention constante portée au cas de chacun, à l'histoire de chaque famille dans la compréhension du contexte politique, économique et social dans lequel sont intervenues les spoliations, qui même pour le seul territoire de la France, n'ont pas été mises en uvre d'une façon uniforme.
Au-delà de la seule question des oeuvres d'art, la France s'attache à favoriser tout ce qui permet de perpétuer la mémoire de la culture et je suis heureux à ce titre de vous annoncer que nous venons de dégager des crédits destinés à la rénovation du musée d'art juif de Vilnius. Je tiens tout particulièrement à remercier M. Zingueris d'avoir organisé à l'occasion de cette conférence une manifestation qui permettra de présenter ce projet muséographique. De même que nous nous réjouissons de pouvoir aider le magnifique projet des villes de Grenoble et de Kaunas de présenter les uvres marquantes de l'Ecole de Paris... Ce trait d'union entre nos deux pays, qui les attache résolument l'un à l'autre par ce qu'ils ont de meilleur : leur culture.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 6 octobre 2000)