Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et interviews à MBC et "Al Hayat" sur le rôle, le fonctionnement et l'élargissement de l'OTAN, son action en liaison ou non avec le Conseil de sécurité de l'ONU, ses relations avec l'UEO et la sécurité européenne, Bruxelles le 8 décembre 1998.

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Circonstance : Réunion ministérielle du Conseil de l'Atlantique Nord à Bruxelles (Belgique) le 8 décembre 1998

Média : Al Hayat - MBC - Presse étrangère

Texte intégral

REUNION MINISTERIELLE DU CONSEIL DE L'ATLANTIQUE NORD
CONFERENCE DE PRESSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, M. HUBERT VEDRINE
Bruxelles - 08.12.1998

Mesdames et Messieurs,
Comme vous le savez j'ai participé, ce matin, à une réunion très intéressante du Conseil, dans la formation "16 + 3" ainsi qu'à un déjeuner de travail également fort intéressant. Je pense que cette réunion a été une bonne réunion parce que les discussions que nous avons eues ont été très utiles. Elles viennent à un bon moment. Nous avons entamé une préparation sérieuse du Sommet de Washington, que nous souhaitons tous voir réussir. Cette discussion commence bien parce qu'elle est sérieuse et porte sur tous les aspects, c'est-à-dire : le rôle de l'Alliance, son fonctionnement, l'élargissement, les bases de son action, selon qu'on est dans le cadre de l'Article V ou hors Article V, la question du mandat pour la prise de décision, selon les cas ; le développement de l'identité européenne de sécurité et de défense, la stratégique générale. Tous ces points, d'une façon ou d'une autre, ont été déjà abordés. Il s'agit donc d'une vraie réunion et pas d'une rencontre informelle. Nous avons eu de vraies discussions qui ne se sont pas résumées à une simple juxtaposition de rappel des positions de principe déjà connues. C'est une bonne façon de travailler et c'est une réunion bien préparée.
Maintenant, je crois que vous connaissez l'intervention que j'ai faite ce matin, que j'ai déjà vu résumée dans une dépêche, mais dont le titre m'a déjà paru inexact. Vous avez ce texte, je ne vais pas le reprendre. Le mieux c'est que je réponde aux éventuelles questions.
Q - Vous avez discuté de ce que l'on appelle le nouveau concept stratégique de l'Alliance. Comment qualifiez-vous la différence d'approche entre ce que vous avez déclaré dans votre intervention et ce qu'un membre important de l'Alliance, en la personne de Mme Albright a déclaré notamment aujourd'hui dans le journal "Le Monde" concernant, je résume, la "capacité de l'Alliance à agir d'elle-même". Est-ce que vous pouvez nous apporter quelques éclaircissements sur ce point ?
R - D'abord, je crois qu'il n'y a aucune divergence entre les alliés, et notamment pas entre les Etats-Unis et nous à propos de l'Article V. C'est important parce que c'est la base de l'Alliance. Je veux rappeler que c'est une Alliance défensive, compétente pour ce qu'on appelle l'Atlantique Nord, sur la zone euro-atlantique. Il s'agit de la base de l'Alliance, de son ciment, et personne ne propose de remplacer cela par autre chose.
La question qui est posée et sur laquelle il peut y avoir des approches différentes, - tout à fait normal et à ce stade de la discussion -, c'est ce qui se passe quand on n'est pas directement dans l'Article V, les actions dites "non-Article V". J'ai rappelé dans mon discours, qu'il y a une formule déjà agréée au niveau des chefs d'Etat, dans des sommets antérieurs, selon laquelle ces missions doivent être placées sous l'autorité du Conseil de sécurité. Ce n'est pas une demande de la France, ce n'est pas une revendication de la France. Nous ne demandons aucun changement. C'est exactement ce qui est inscrit dans la Charte des Nations unies et dans le Traité de Washington. Cet excellent Traité dit les choses très clairement. Je vous engage d'ailleurs à relire pour ceux d'entre vous qui ne l'ont pas fait récemment, notamment les Article IV, V et VII, puisqu'on va en parler assez souvent jusqu'au Sommet de Washington.
Sur quoi porte la discussion ? Elle porte sur le fait de savoir ce que nous devons faire quand nous essayons d'obtenir un mandat du Conseil de sécurité et que nous risquons de ne pas l'avoir parce qu'il peut y avoir le veto de tel ou tel pays. Là, certains responsables américains disent : "ce serait dangereux de faire de l'OTAN une succursale des Nations unies". Mais c'est un langage que l'on ne peut pas transposer puisqu'il ne s'agit pas de faire de l'OTAN une succursale des Nations unies. Les textes existent déjà, ce n'est pas un changement que la France demande. La Charte des Nations unies existe, l'OTAN existe, le Traité de Washington est là depuis longtemps. Nous avons réussi à fonctionner intelligemment et efficacement dans ce contexte.
Dans le cas du Kossovo, qui est cité en exemple, nous avons réussi à combiner ces différentes approches puisque nous avons réussi à obtenir le vote de résolution du Conseil de sécurité, - peut-être pas aussi explicite que ce que nous souhaitions, nous Français. Mais nous avons aussi su faire preuve en même temps de pragmatisme. Cette résolution a été combinée avec l'action du Groupe de contact, avec les prises de position de l'Union européenne, avec les décisions au sein de l'OTAN. Il y a donc une combinaison des instruments multilatéraux compétents et pertinents pour avoir une action efficace dans la partie actuelle de la crise du Kossovo qui consistait à rétablir une situation de sécurité sur place.
On n'a pas encore réglé la dimension politique. Je veux dire par là que la position que nous rappelons, - celle qui découle des textes existants -, ne nous a pas paralysés dans l'affaire du Kossovo. Je voulais vous le préciser. Maintenant, il y a une discussion qui est ouverte, apparente ce matin et pendant le déjeuner, sur le fait de savoir comment combiner l'autorité du Conseil de sécurité et le fait que les Alliés de l'OTAN doivent pouvoir agir quand même dans certains cas. Cette discussion n'est pas complètement conclue puisqu'elle ne le sera qu'à Washington avec la publication du communiqué. J'insiste encore sur le fait que nous ne demandons pas de corriger les compétences des organismes existants. Nous ne demandons pas à changer les traités. Nous demandons qu'on fonctionne le plus intelligemment possible dans le cadre des grands textes qui existent déjà. Voilà pour la question du mandat. Ce n'est pas à proprement parler le point de vue français puisqu'il s'agit du simple rappel de la légalité internationale. Ce que je dis est partagé par beaucoup de délégations, avec des nuances. Chacun s'exprime dans son style.
Q - Certains parlent de définir d'autres fonctions essentielles de l'OTAN. En particulier existe une proposition pour dire que la réponse aux crises qui pourraient mettre en danger des "intérêts communs" est une fonction essentielle de l'OTAN. Etes-vous d'accord ?
R - Notre position est qu'il ne faut pas mettre sur le même plan la fonction essentielle de l'Article V qui est la défense collective des membres de l'Alliance face à une menace, et les autres missions éventuelles, utiles, qu'on peut développer, parce qu'il est vrai qu'existent d'autres sources de menace possibles. Nous pensons qu'il ne faut pas le mettre sur le même plan. Quand on parle des autre sujets : armes de destruction massive ou autre sujet, l'OTAN n'est pas la seule organisation compétente. Nous ne sommes pas hostiles à l'élargissement des fonctions, sur ce plan là, à condition de bien distinguer la fonction essentielle des autres.
Q - Pensez-vous que dans le nouveau concept stratégique les opérations non-article V seront désormais la norme et pas l'exception pour l'OTAN ?
R - D'abord, on ne peut pas le souhaiter puisqu'il ne faut pas souhaiter qu'il y ait une multiplication de crises qui obligerait à recourir à ce type d'action. Sur le fond, nous n'en savons rien ; on ne peut rien prévoir. Rien ne dit que les fonctions de base de type de l'Article V n'auront plus l'occasion de jouer. Tant mieux si c'est le cas, mais c'est peut-être une vision trop optimiste de l'avenir et de l'Histoire. Il peut y avoir d'autres types d'action, que vous appelez "hors zone". Attention à ce terme ! Ce qui a été fait jusqu'ici, dans le cadre de la Bosnie ou du Kossovo, ne concernait que la périphérie immédiate de l'Alliance. Il ne s'agissait pas véritablement de "hors zone". Si ceci devait aller au-delà, beaucoup de pays seraient réticents. Les Etats-Unis redisent d'ailleurs que leur but n'est pas du tout de faire une Alliance globale, compétente pour toutes les régions du monde.
Les différences d'approche me paraissent moins tranchées et moins fixées que ce qu'on a l'habitude de dire ici à l'OTAN. Je vous incite à la prudence dans les commentaires. Les choses me paraissent assez ouvertes.
Q - En tout cas, vous voyez des limites géographiques aux opérations de l'OTAN qui ne seront pas Article V ?
R - Oui, c'est l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et pas celle du Pacifique Nord. Je dis cela par simple bon sens. Personne, me semble-t-il n'a préconisé un élargissement planétaire. Sauf une fois, il y a très longtemps, le président Reagan, au Sommet de Williamsburg, à propos du Japon, en 1983.
Q - Il y a un an, la France, à Madrid, avait plaidé pour que des négociations d'adhésion commencent, avec la Roumanie notamment, et elle avait obtenu le principe de la situation soit revue lors du Sommet de Washington? Est-ce que vous aurez la même position à Washington qu'il y a un an ?
R - Dans la préparation du Sommet de Washington, nous défendrons l'idée que l'on ne peut pas être en deçà de Madrid. Le minimum sera de manifester le même degré d'ouverture, dans les mêmes termes qu'à Madrid.
Q - Dans quelle mesure l'affirmation de l'identité européenne au sein de l'OTAN contribuera à la reprise du mouvement que la France avait amorcé de rapprochement de ses forces vers la structure intégrée ?
R - Je crois que c'est une démarche qui n'est pas comparable, qui est engagée sur d'autres bases et dans un autre contexte. Il s'agit, en ce qui concerne ce que nous avons entamé avec le Royaume-Uni, depuis que celui-ci, depuis que le Premier ministre Tony Blair a montré une attitude nouvelle, d'un déblocage de la situation antérieure. Ce que nous avons entrepris avec la Grande-Bretagne vise à créer quelque chose de nouveau dans le respect des obligations respectives des deux pays par rapport à l'OTAN, dans un esprit de complémentarité et non pas de concurrence, sans rechercher en aucune façon des doubles-emplois ou des redondances inutiles. Il s'agit de créer quelque chose de nouveau. Ceci ne change pas la situation de la Grande-Bretagne par rapport à l'OTAN, ni la situation de la France par rapport à l'OTAN. Il s'agit de répondre à un besoin qui est ressenti par les opinions européennes comme par les dirigeants européens. Il s'agit de donner à l'Europe une capacité d'évaluation, une capacité de décision qui lui soit propre et une capacité d'agir, en complémentarité avec l'Alliance, ce qui veut dire en bonne intelligence avec les Etats-Unis, en suivant des modalités pratiques qui sont encore à préciser et sur lesquelles nous allons encore travailler.
Pour le moment à Saint-Malo, la France et la Grande-Bretagne ont exprimé une intention générale et une déclaration. Cette démarche a reçu un accueil très sympathique, hier au Conseil Affaires générales où les pays membres de l'Union européenne, nous ont réservé un accueil sympathique et encourageant. Cela a également été la tonalité dominante ici à l'OTAN. Mme Albright s'est exprimée à ce sujet. Elle s'est exprimée également dans le Financial Times, en disant que naturellement les Etats-Unis ne souhaitaient pas qu'il y ait de double-emploi ou de discrimination, mais qu'ils "accueillaient favorablement", - c'est le terme -, l'initiative franco-britannique.
Nous sommes au début et nous avons l'intention de poursuivre ce travail pour élaborer ensemble une proposition plus précise. Pour le moment, c'est une démarche générale dont nous avons donné le sens politique. Nous la poursuivrons, étape après étape, dans la transparence et dans la discussion avec nos partenaires, qu'il s'agisse de nos partenaires européens ou de nos partenaires de l'Alliance. Mais, à ce stade, nous sommes, et je pense que Robin Cook, si vous l'avez vu ou quand vous le verrez, vous dira la même chose. Nous sommes encouragés par les réactions reçues.
Q - Sur l'identité de défense européenne, est-ce que vous pensez que tous les éléments militaires de la future défense européenne devront rester à l'OTAN ? Que pourrez-vous faire de l'infrastructure militaire de l'UEO et du chapitre V de l'UEO ?
R - En réalité, nous n'en sommes pas là. Vous devez d'abord gardez à l'esprit qu'à l'origine de cette démarche figure une idée politique. Il n'est pas possible que l'Union européenne, au stade de développement où elle est parvenue aujourd'hui, n'ait pas ses propres moyens d'analyser, de décider, d'agir. Mais, une fois qu'on en arrive à l'action, il ne faut pas recréer quelque chose qui existe déjà et qui marche très bien. Il peut y avoir des cas dans lesquels l'ensemble de l'OTAN ou les Etats-Unis n'ont pas le même intérêt par rapport tel ou tel problème, des cas que les Européens estimeraient nécessaire de régler. Il peut y avoir une variété de cas concrets, comme on l'a vu ces dernières années, qui justifie que les Européens agissent et soient en première ligne. Il faut donc trouver la bonne complémentarité. Nous n'avons pas posé, au départ, le problème des institutions. Nous savons très bien qu'à l'OTAN, l'Union européenne, l'UEO, différents mécanismes compliqués ont été mis en place. Mais nous ne voulons pas nous laisser arrêter par des problèmes d'organigramme ou d'organisation. Nous voulons avancer dans notre idée.
Quand Tony Blair s'est exprimé à Pörtschach, il a présenté, sur l'avenir de l'UEO, trois hypothèses. Dans les discussions franco-britanniques qui ont eu lieu depuis, notamment celles que le ministre de la Défense et moi-même avons eues avec nos homologues, nous avons envisagé également plusieurs possibilités. Mais nous n'en sommes pas là. Il n'y a pas de plan secret qui prédétermine l'avenir des organisations, parce que nous n'avons pas le pouvoir de décider à la place des autres, ceux qui sont aussi concernés. C'est une démarche très pragmatique, très progressive, qui vise à identifier le besoin, la nécessité politique, et c'est sur ce point que nous avons recueilli des encouragements très forts. Après, il se posera évidemment des questions pour savoir comment tout ceci s'intégrera dans les différentes figures. A quoi servent les différents dispositifs dans le cadre de l'UEO ? Une position qui a la préférence de la France, c'est que l'UEO devient un élément de l'Union européenne. Mais il y a d'autres points de vue. Nous ne sommes pas dans une phase où l'on cherche à formaliser, à durcir les points de vue. Nous cherchons à avancer en prenant notre temps et, je le répète, en expliquant, à chaque étape, à nos partenaires ce que nous avons fait et pourquoi nous voulons avancer. Et, semble-t-il, avec les différentes sensibilités nationales, tout le monde souhaite, aujourd'hui, que l'Europe prenne plus de responsabilités en matière de sécurité et de défense. Cela correspond à un besoin pour l'Europe, au stade où elle est parvenue, comme pour l'Alliance. J'ai dit tout à l'heure dans mon intervention que ce serait cela le couplage moderne.
Q - Même si cette question n'est pas réglée, il y a quand même un problème. Est-ce que l'on ne s'orienterait pas vers une identité européenne de sécurité et de défense au sein de l'OTAN à deux vitesses puisque certains pays de l'OTAN ne sont pas membres de l'Union européenne, si je ne prends pas la Turquie, la Norvège a refusé de s'intégrer dans l'Union européenne. A terme, comment cela pourrait-il s'agencer ? Si je comprends bien, l'initiative franco-britannique parle d'une défense communautaire plus qu'européenne ?
R - Non. On ne parle pas de défense communautaire dans le texte. Il faut vous reporter au texte de Saint-Malo. Nous savons très bien qu'il y a une grande variété de situations. La situation des différents pays en Europe n'est pas la même par rapport à l'OTAN, pas la même par rapport à l'Union européenne, et pas la même par rapport à l'UEO. Nous connaissons très bien cette diversité. Si on veut tout régler au début, on ne peut pas avancer.
D'autre part, je ne vois pas au nom de quoi la France et la Grande-Bretagne pourraient prendre des décisions concernant les autres. Il ne faut pas décider que tel ou tel pays sera dedans, tel autre sera dehors et pourquoi. On ne peut pas faire comme cela. On peut dire que la France et la Grande-Bretagne, ensemble, prennent leurs responsabilités. Nous avons envie d'avancer sur ce plan, et nous voulons surmonter la contradiction qui fait que depuis des décennies on ne bouge pas sur ces questions. Nous voulons avancer pour des raisons politiques et nous allons le faire dans un esprit qui est un esprit de bon sens. Nous ne voulons pas créer des concurrences inutiles, mais nous voulons avancer quand même. Nous savons bien que, quand nous allons cheminer, - je ne sais pas si c'est dans quelques jours, ou quelques semaines, ou quelques mois -, nous allons devoir traiter une série de problèmes touchant aux situations particulières de tel ou tel pays.
A ce stade, nous ne voulons exclure personne, mais nous voulons avoir le temps et qu'on nous laisse un peu de temps pour préciser les choses. Nous souhaitons un accueil intéressé, un accueil compréhensif et un accueil patient pour qu'on ait le temps d'avancer. Mais nous sommes a une époque où il faut informer très régulièrement dès le début d'une idée. C'est ce que nous faisons.
Q - Je présume que vous étiez au déjeuner au moment où votre homologue allemand s'est prononcé en faveur d'une diminution importante du rôle nucléaire dans l'Alliance. Quel est votre réponse à cela ?
R - Sur ce point, j'ai indiqué qu'il me semblait tout à fait naturel qu'il puisse y avoir dans l'Alliance une discussion sur la stratégie. C'est même l'inverse qui serait bizarre, qu'on ne puisse pas avoir de discussions sur la stratégie, à ce niveau là dans l'Alliance. Cela dit, j'ai ajouté aussi que mon pays est tout à fait favorable en matière de dissuasion nucléaire à ce que l'on réduise le niveau des armements. Vous savez que depuis que la France a une arme nucléaire, elle a toujours été fidèle à une stratégie de dissuasion et a défendu l'idée d'une dissuasion à un niveau suffisant parce que l'avantage de la dissuasion nucléaire, est d'être une stratégie efficace avec un niveau d'armes relativement peu élevé. En tout cas, c'est notre conception en France.
Nous encourageons tous les efforts pour réduire les arsenaux trop importants. Cela étant dit, j'ai très clairement indiqué que la dissuasion nucléaire était plutôt considérée en France comme ayant assuré la paix, et que, par conséquent, le besoin d'une remise en cause de cette stratégie n'était pas ressenti. Ce n'était pas une demande que nous faisions.
Nous en avions déjà parlé deux fois avec M. Fischer : la première fois à Paris, la deuxième fois à Potsdam. Il a un point de vue qui n'est pas le nôtre. Là dessus, chacun donne son point de vue, en discute, mais cela n'empêche pas d'avancer sur les autres plans.
Q - En ce qui concerne la force d'extraction au Kossovo, est-ce que vous envisagez un problème entre le rôle que joue la France dans la force d'extraction et le contrôle opéré par la structure de commandement militaire de l'OTAN ?
R - Je ne vois pas pourquoi il y aurait un problème. Nous avons accepté cette organisation. Nous avons fait deux choses : nous avons pris l'initiative, et vous savez que la France a été de cette initiative (mais aussi la Grande-Bretagne et d'autres pays qui se sont joints à ces démarches) parce qu'il nous semblait qu'il fallait compléter les accords Holbrooke/Milosevic par un dispositif de sécurité pour la force de vérification de l'OSCE. C'était un point manquant, donc nous l'avons mis en oeuvre.
Nous avons par là montré notre engagement et notre capacité militaire et logistique en organisant cette affaire. Mais nous avons accepté pour des raisons pratiques d'organisation, de cohérence, de coordination, d'information, etc, que cela s'inscrive dans le cadre des missions de l'OTAN. Nous l'avons accepté depuis le début. Les deux choses sont combinées. Je ne vois pas pourquoi il y aurait un problème. C'est même une démonstration de pragmatisme de la part des différents participants qui est, je crois, intéressante, même si ce n'est pas tout à fait la même chose que ce que nous préconisons dans la démarche franco-britannique. Mais l'un n'empêche pas l'autre. Peut-être que nous sommes à une époque où tout bouge !
Q - Dans le cadre du nouveau concept stratégique, il est question aussi des intérêts communs des Alliés que l'OTAN devraient défendre. Ceci est différent de la défense collective des frontières. Cela veut dire, qu'intellectuellement, on peut imaginer que l'OTAN peut aller là où se trouvent les intérêts des Alliés, par exemple, dans le Golfe, au Pakistan, en Afghanistan. C'est quoi ces intérêts communs de l'Alliance au XXIème siècle, auraient-ils une spécificité par rapport à ceux des pays africains, arabes ou asiatiques ?
R - Il faudra trouver pour Washington une position équilibrée sur ce point. On ne peut pas prétendre que les membres d'une Alliance comme celle-ci n'ont pas d'intérêts en commun. D'ailleurs, si vous relisez le Traité de Washington, vous verrez qu'il fait référence à beaucoup de considérations qui ne sont pas que militaires. Donc ce n'est pas totalement nouveau non plus. En même temps, il ne faut pas exagérer, c'est-à-dire qu'il ne faut pas donner à cet élément, ces intérêts communs des membres de l'Alliance, une interprétation trop élastique. Donc on discutera.
Q - Considérez-vous toujours que dans les Balkans, l'OTAN doit absolument avoir besoin d'un mandat du Conseil de sécurité pour agir ?
R - J'ai dit tout à l'heure ce que j'avais à dire sur l'action de l'OTAN en dehors de l'Article V, les missions non-Article V. J'ai dit que la France demandait simplement qu'on respecte ce qui est dans la Charte des Nations unies et dans le Traité de Washington. On ne demande rien de moins, rien de plus.
Après on doit pouvoir trouver des solutions pratiques, comme on l'a déjà fait ces dernières années, en montrant une capacité d'adaptation réelle. Encore une fois, on ne peut pas raisonner comme si on était enfermé dans des textes qui seraient des carcans. Vous me ramenez par votre question au même sujet et je fais la même réponse, c'est-à-dire que l'on va discuter, c'est un des sujets de la discussion.
On ne peut pas nier qu'il y ait une dimension d'intérêt commun ou de valeur commune. C'est écrit dans les traités de base. Mais, encore une fois, tout dépend de l'interprétation qu'on en donne des conséquences qu'on en tire et du rôle qu'on veut voir jouer à l'Organisation. Nous ne sommes pas pour une extension abusive, ni en ce qui concerne des fonctions, ni en ce qui concerne la zone. Nous ne sommes pas pour une interprétation trop élastique de cette donnée. Après, c'est affaire de discussion.
Q - En matière de prolifération d'armes de destruction massive, que pensez-vous de l'idée de créer un centre commun au sein de l'OTAN ?
R - Sur la menace d'armes de destruction massive, là aussi, je dirais que c'est une menace qui est à considérer, qui est à traiter avec sérieux, mais que tout dépend des conséquences qu'on tire de ce fait. Là aussi, l'OTAN doit jouer un rôle. L'OTAN n'est pas la seule organisation qui a à se préoccuper de cette question. Il y a toutes sortes de régimes, de contrôle, de vérification. Il faut à la fois que l'OTAN puisse s'adapter au nouveau contexte et à de nouveaux risques, mais, qu'elle garde sa force, son utilité et sa cohésion à partir du concept fondamental. Pour le reste, c'est une position équilibrée, pragmatique qu'il convient de retenir. Il ne faut pas que les choses soient mises à toutes les sauces. Comme c'est un début de discussion, je suis obligé de redire que tout dépend des conséquences qu'on veut tirer de ces considérations : autres menaces, destruction massive, etc. On verra, tout cela ça se discute d'ici le Sommet de Washington. Je trouve que la discussion démarre bien avec un éventail de positions.
Des nuances existent sur les principaux points sur lesquels vous m'avez questionné. Il y a des nuances, il n'y a pas de clivage brusque. Quand il y a des nuances, elles ne séparent pas les mêmes pays selon les différents sujets. C'est donc une vraie Alliance et une situation ouverte et un bon début de discussion. J'espère que la préparation de Washington se poursuivra sur cette voie et que des textes seront finalement adoptés à Washington.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2001)