Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur l'activité parlementaire en 1998 à Paris le 13 janvier 1999.

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Circonstance : Voeux à la presse à Paris le 13 janvier 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, chers amis,
Nous nous sommes séparés lavant veille de Noël. Nous nous retrouverons Lundi 18 janvier, en congrès, à Versailles, afin dadapter notre Constitution au traité dAmsterdam et Mardi 19 nous reprendrons nos travaux ici. Dans cet intervalle, cest lheure des résolutions, celle des bilans, mais surtout celle des vux et je vous accueille au seuil de cette nouvelle année avec beaucoup de plaisir.
Dans sa partie bilan, lexercice exige sans doute quelques chiffres. Certains sont bons. En douze mois de 1998, lAssemblée aura examiné plusieurs lois importantes, tout comme elle le fera dans les prochains jours sur lintercommunalité, laménagement du territoire et lélectricité, développé spectaculairement sa fonction de contrôle (commissions denquête et missions dinformation). Nous avons accompli un pas vers la parité, non seulement en comptant sur nos bancs plus de femmes quen 1997, mais surtout en adoptant un projet de loi constitutionnelle en ce sens. Cest un signe de bon augure, souligné par le fait que devrait se créer en 1999, sur ma proposition, une délégation parlementaire à légalité des chances entre femmes et hommes et aux droits des femmes. Nous avons aussi adopté pour la troisième fois, je le note parce que jy attache de limportance, un texte issu du parlement des enfants et je vous informe que, pour marquer le passage à lan 2000, se réunira en octobre 1999 (à notre invitation et à celle de lUNESCO) dans notre hémicycle un « Parlement mondial des
enfants », qui devrait adopter une Déclaration des Enfants pour le 21ème siècle. Enfin, je souligne que nous avons accueilli en nos murs lan dernier plus de 200 000 citoyens visiteurs et accru de plus de 100 % la fréquentation de notre site Internet, qui, devenu le premier site institutionnel de France, est depuis le 1er janvier, complété par lédition de nos travaux de commissions sur CD.Rom.
Il existe aussi des éléments beaucoup moins positifs et qui expliquent la lassitude ressentie en fin dannée par beaucoup de députés et sans doute par quelques journalistes. Doctobre à décembre 1998, lAssemblée a siégé 525 heures, contre 481 en 1997 et 394 en 1996. Elle a examiné 5500 amendements, soit le double de la « normale ». On se souvient en particulier quun texte, certes symbolique, aura vu au dernier trimestre 1998 le temps consacré aux motions de procédure dépasser largement les dix heures et, en pratique, sa discussion générale sorganiser 4 fois de suite. Tout cela na pas été sans redondance, même si certains ont su parler avec leur cur.
Ces quelques chiffres témoignent de ce que nous constatons tous intuitivement : le rythme de travail de lAssemblée nationale nest pas bon. Si le nombre des textes examinés ou adoptés est plutôt moins important que par le passé, si le nombre des jours de session demeure globalement ce quil a été au cours des années précédentes, notre calendrier, lui, sest emballé, ou plutôt sest emmêlé. La session unique est devenue une session permanente. Ce rythme nest pas favorable à la qualité et à limage du travail parlementaire. Quand la législation est inflationniste, quand le droit devient bavard, alors il en est de la loi comme de la monnaie : linflation amène la dévaluation. On assiste à un risque de dévaluation de la loi.
Cest pourquoi, avec de très nombreux parlementaires, je souhaite que plusieurs initiatives, indépendantes de la question légitime du cumul et du statut de lélu, aboutissent pour permettre à lAssemblée nationale de trouver les conditions dun meilleur travail. Cest à notre portée et le Gouvernement le souhaite aussi. Une règle a été fixée en 1995 et réaffirmée depuis :en dehors de la période budgétaire, lAssemblée doit siéger en séance publique les mardis, mercredis et jeudis ; il faut se tenir à cette règle. Cela implique, de la part de lexécutif, une programmation allégée. Je pense que ce sera désormais le cas et cest ma tâche dy encourager.
Parallèlement, des améliorations devront intervenir concernant notamment - je cite quelques chapitres - linitiative parlementaire qui pourrait trouver un cadre plus accueillant que le vendredi, lorganisation de nos discussions générales, le délai de dépôt des amendements ou la longueur des motions de procédure. Sur le dernier point il paraît souhaitable quelles soient en règle générale limitées à une heure (elles sont de 15 minutes au Sénat) : si on ne peut pas en une heure dire précisément ce quon pense dun sujet, fut-il complexe, je pense que cest lorateur lui-même qui doit se remettre en cause. Le Parlement, cest étymologiquement la parole, elle ne doit donc pas être entravée, mais elle doit être régulée. Le Parlement, cest bien sûr le respect des droits de la majorité, mais au moins autant ceux de lopposition : jy suis et jy serai très attentif. Certaines réformes silencieuses, je pense aux procédures dexamen simplifiée, ont montré que lon pouvait réussir. Le Parlement enfin, cest la fabrication de la loi mais de plus en plus la fonction de contrôle : elle doit être améliorée. Certains domaines, je pense aux accords de défense et aux engagements extérieurs, ne doivent pas lui échapper. Des propositions sont ou seront présentées sur ces différents aspects aux présidents de groupe. Cela devrait se traduire très prochainement par une résolution que je déposerai portant réforme du règlement. Le Parlement doit se moderniser, se rénover pour être revalorisé.
Sur un autre plan, beaucoup de parlementaires et pas seulement eux - déplorent depuis longtemps à la fois une certaine dérive des dépenses publiques, le caractère artificiel du débat budgétaire et la faiblesse du contrôle parlementaire. Depuis plusieurs mois, à raison dune séance par semaine je préside, avec à mes côtés le Président et le Rapporteur général de la Commission des Finances, un groupe de travail multipartite sur le contrôle parlementaire et lefficacité des dépenses publiques. Nous avons travaillé, beaucoup et sans bruit et je remercie vivement tous les participants. Ce matin, nous auditionnions Jacques Delors, ainsi que le Président du National Audit Office britannique, et il y a quelques minutes nous discutions avec Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter, qui et je men réjouis apparaissent rejoindre nos préoccupations. Nous rendrons nos premières conclusions dans quelques jours. Elles traduiront la nécessité et les modalités dun changement profond de nos pratiques. Là aussi, nous proposerons et engagerons une réforme de nos modes de travail. En liaison avec le Gouvernement, nous devons en effet avancer fortement en ce sens pendant la législature.
Ces remarques débordent cela est naturel sur une réflexion politique plus générale. Puisque nous sommes en période de vux, jen formulerai trois.
Le premier concerne lEurope et la France. Lannée 1999 sera une année européenne. Leuro nest pas quun changement économique majeur, cest lappel à un changement politique de grande ampleur. Des modifications de toutes sortes seront nécessaires, y compris dans le fonctionnement même de nos Gouvernements. La nomination, évoquée récemment, dune sorte de Vice Premier Ministre, en tous cas dun super-ministre chargé de la coordination et de limpulsion des affaires européennes dans chaque Gouvernement, rencontre depuis longtemps mon total soutien. De même, sera indispensable une meilleure association des Parlements de chaque pays à lactivité européenne, sinon ils risquent de devenir peu à peu des Parlements localistes. Pendant quelques mois, cette élection va mobiliser les dirigeants
politiques et, espérons-le, aussi les Français. Si on veut que cette élection intéresse, il convient quelle soit vraiment européenne, cest-à-dire que les listes, plutôt que comportant un seul enjeu de politique intérieure, indiquent clairement les orientations, les changements concrets quelles proposent dans la politique européenne : jespère quil en ira ainsi.
Mon deuxième vu concerne lemploi et le chômage. La situation en France a commencé de saméliorer. Il faut en féliciter tous les responsables, dont bien sûr le Gouvernement. Nous travaillons les uns et les autres à ce que cela samplifie en 1999. On retrouve là aussi lEurope, une Europe majoritairement progressiste et désormais au pied du mur. On retrouve aussi le dialogue social, encore beaucoup trop timide en France, et la question des impôts et des charges, quil faut diminuer. Cette dernière conviction que je répète souvent nest peut être pas encore partagée par tous, en tous cas elle est fortement la mienne. Oui, surtout dans un contexte de compétition mondiale et dharmonisation européenne, je considère quimpôts et taxes doivent être allégés, car ils pénalisent aujourdhui lactivité et la créativité : cela veut dire, car tout bilan comporte deux colonnes, que les dépenses publiques devront être réexaminées. Je reviens à ce que je disais il y a un instant sur le contrôle parlementaire et lefficacité des dépenses publiques. Un argent bien contrôlé sera mieux dépensé et donc moins prélevé.
Mon dernier vu fait le lien entre les réformes et le Parlement. LAssemblée Nationale doit être saisie ou se saisir des grandes réformes nécessaires à la France et aux Français. Prenons garde à ce que, outre les nombreux fossés qui existent déjà dans notre société, ne sen ajoute un autre, entre dun côté les thèmes qui sont ceux du quotidien et de lessentiel, et de lautre côté les thèmes qui seraient abordés à lAssemblée. Ici, pendant cette législature, on doit traiter du quotidien et de lessentiel. Lemploi, cest quotidien et essentiel. La sécurité, cest quotidien et essentiel. La retraite, cest quotidien et essentiel. La ville, cest quotidien et essentiel. Léducation et la formation, cest quotidien et essentiel. Mon vu est que lordre du jour de lAssemblée Nationale fasse écho à lordre du jour des questions principales des Français et de la France.
Vous le voyez, cest donc un travail important qui nous attend, aux côtés du Gouvernement, à lécoute des parlementaires de la majorité et de lopposition. Cest ce à quoi je vais me consacrer, même si, pour les raisons que vous connaissez, je prendrai du recul en Février et confierai aux vice-présidents de lAssemblée la présidence des séances et de nos instances.
Soucieux dapporter une contribution à la modernisation de notre démocratie, javais voici 18 mois désiré placer lensemble de cette législature sous une triple devise : initiative, contrôle, ouverture. Linitiative parlementaire : elle a déjà doublé et nous devrons veiller à laméliorer. Le contrôle : nous progressons mais il reste beaucoup à faire et je viens de vous indiquer plusieurs pistes. Louverture : Romano Prodi, Tony Blair, Abdou Diouf, Kofi Annan, ont déjà marqué par leur intervention notre hémicycle, et bientôt je lespère Gerhard Schröder. Cette maison souvre, grâce notamment à vous, que je remercie tout particulièrement. Elle devrait le faire encore plus à travers la chaîne parlementaire télévisée, quavec le Président Christian Poncelet, nous allons, je lespère, lancer effectivement à la fin de cette année. Beaucoup de travail est à accomplir. Jai à cur de le mener à bien avec le concours de tous les députés, avec celui du Premier Ministre et avec le vôtre, Mesdames et Messieurs de la presse. Jengage donc cette année nouvelle avec détermination. Je vous souhaite une belle et heureuse dernière année avant lan 2000.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr)