Texte intégral
Linda GIGER
L'OTAN aura cinquante ans l'an prochain. Depuis sa création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le monde a changé. En outre, les défis auxquels sont confrontés les alliés du Traité d'Atlantique nord, ne sont plus les mêmes. L'OTAN, à l'approche de la cinquantaine, se doit d'être réformé, question débattue ces jours-ci à Bruxelles avec celle de la place de l'Europe au sein de la nouvelle alliance. Pour la première fois de l'histoire, des responsables de l'Union européenne et de l'OTAN ont tenu hier une réunion sur ce thème. Peu à peu, l'idée de créer un pôle européen de défense fait son chemin. Je suis avec Alain RICHARD, le ministre français de la Défense, qui a de nombreuses raisons de croire en la nécessité de cette force européenne.
Alain RICHARD
Trois raisons pour être exact. La première concerne le changement de contexte stratégique : les deux blocs ennemis et la forte interpénétration euro-atlantique en constituaient l'essentiel. Mais, aujourd'hui, les crises et les tensions auxquelles on a à faire face, sont de nature plus régionale comme le prouvent les événements en Bosnie et au Kosovo. Les Européens doivent traiter en priorité ces affaires par eux-mêmes. Deuxièmement, les Européens ont appris à se parler sur le plan de la politique étrangère, car ils ont beaucoup plus d'objectifs en commun. Il était inconcevable que les Européens aient la même position sur la paix au Proche-Orient, il y a quinze ou vingt ans : aujourd'hui, ils ont la même.
Linda GIGER
La construction européenne a donc fait progresser les choses.
Alain RICHARD
La défense est un des objectifs politiques communs, de plus en plus nombreux. La troisième raison concerne l'euro qui fait office d'électrochoc comme en témoigne le changement d'influence entre les Etats-Unis, superpuissance monétaire, et l'Europe. Ce changement s'est fait grâce au groupement des Etats européens. Aujourd'hui, les esprits sont en effet mieux préparés à une certaine mise en commun de moyens qui permettent de répartir autrement les rôles que ceux que nous connaissons dans l'Alliance Atlantique. Je tiens à préciser qu'il ne s'agit nullement de remettre en cause cette Alliance.
Linda GIGER
Cela veut-il dire qu'il y a aujourd'hui une division entre les Américains et les Européens ?
Alain RICHARD
Non, il y a un partenariat. Nos amis américains réclament souvent une plus grande prise collective de responsabilité de la part des Européens. Mon collègue William COHEN, le secrétaire à la Défense américain, m'expliquait les difficultés qu'il avait pour faire accepter au Congrès l'engagement américain dans des crises européennes : l'argument principal de cette assemblée était de laisser les Européens régler eux-mêmes leurs crises. En Bosnie par exemple, les deux tiers de la force internationale sont européens. Mais depuis que nous nous coordonnons mieux et que nous prenons nos décisions en temps réel, ce qui suppose encore un effort de la part des Européens, nous avons une voix au chapitre dans le traitement des crises.
Linda GIGER
Le signe concret de la volonté des Européens de prendre en charge leurs intérêts est le conflit du Kosovo. La France commande actuellement la force d'extraction de l'OTAN en Macédoine. C'est une force qui a pour mission de secourir éventuellement les 2 000 observateurs internationaux déployés dans la province serbe. Un pont aérien a d'ailleurs démarré il y a trois jours.
Kader ABDERRAHIM (REPORTAGE)
Compte tenu de l'enlisement de ce conflit, l'OTAN a décidé de prendre des mesures pour faire face à un éventuel dérapage des belligérants kosovars et serbes. L'organisation atlantique a voté l'envoi d'une force de 1 700 hommes en Macédoine. Le rôle de cette force est de protéger les 2 000 membres de la mission de vérification de l'OSCE qui doit se déployer dans la province à majorité albanaise. Cette force baptisée " garantie conjointe " est en cours de déploiement par voies aériennes et maritimes. Elle est pour moitié française. C'est la première opération de l'histoire de l'Alliance Atlantique commandée par un général français. Avant vendredi 11 décembre, les 1 700 soldats seront à pied d'oeuvre et pourraient intervenir en une heure pour rapatrier la mission de vérification.
Linda GIGER
La force d'extraction de l'OTAN pour le Kosovo sera officiellement inaugurée demain. Pourrait-on presque dire que le pilier européen de défense est déjà opérationnel ?
Alain RICHARD
Oui. Dans le traitement du conflit du Kosovo, le groupe de contact européen a permis qu'un règlement soit fixé par les Nations Unies sur des propositions britannique et française, auxquelles les Etats-Unis se sont associés et sur lesquelles les Russes ont donné leur accord. Les Européens étaient donc à la pointe de la politique définie. Mais, lorsqu'il a fallu négocier la mise en oeuvre de ce règlement sous la pression militaire, ce fut un diplomate américain, Richard HOLBROOKE, qui l'a fait parce que les Etats-Unis sont un seul Etat et ont une capacité immédiate pour traiter les situations urgentes. C'est plus difficile quand il s'agit d'un ensemble de gouvernements comme en Europe. Ce thème fut débattu dernièrement avec nos amis britanniques, à Saint-Malo, afin que les Européens sachent travailler ensemble et s'organiser pour traiter les crises. Il nous faut adopter d'autres méthodes pour avoir une capacité d'évaluation militaire des situations afin de prendre les décisions qui s'avéreront judicieuses.
Linda GIGER
Il y a donc un resserrement du couple franco-britannique ?
Alain RICHARD
Effectivement. Je reviens un instant sur le problème du Kosovo dont la résolution est issue d'un partenariat franco-britannique au sein de l'Alliance en prenant comme principe qu'il s'agit d'une crise principalement européenne et que la force de protection doit être européenne. Cette force a pour délicate mission de protéger les vérificateurs qui se déploient au Kosovo et qui sont dans des situations de risque. La force, pour cette raison, a été positionnée en Macédoine, le pays voisin, afin de permettre une projection très rapide au Kosovo. Nous assumons ce risque afin de démontrer les capacités des Européens en la matière.
Linda GIGER
Dernière question, Monsieur le Ministre : Londres a autorisé finalement aujourd'hui la poursuite de la procédure d'extradition d'Augusto PINOCHET vers l'Espagne. Etes-vous d'accord avec cette décision ?
Alain RICHARD
Oui. Les Européens permettent des progrès concrets du droit dans les conflits internationaux, et notamment dans les atteintes faites aux droits de l'homme. Nous avons contribué ensemble à la mise en place du nouveau tribunal pénal international. Nos amis britanniques avaient un cas concret qui mettait en cause leurs responsabilités devant le service du droit et leur système judiciaire : leur gouvernement fait honneur à toute l'Europe.
Linda GIGER
Merci Monsieur le Ministre pour cet entretien.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 8 janvier 2002)
L'OTAN aura cinquante ans l'an prochain. Depuis sa création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le monde a changé. En outre, les défis auxquels sont confrontés les alliés du Traité d'Atlantique nord, ne sont plus les mêmes. L'OTAN, à l'approche de la cinquantaine, se doit d'être réformé, question débattue ces jours-ci à Bruxelles avec celle de la place de l'Europe au sein de la nouvelle alliance. Pour la première fois de l'histoire, des responsables de l'Union européenne et de l'OTAN ont tenu hier une réunion sur ce thème. Peu à peu, l'idée de créer un pôle européen de défense fait son chemin. Je suis avec Alain RICHARD, le ministre français de la Défense, qui a de nombreuses raisons de croire en la nécessité de cette force européenne.
Alain RICHARD
Trois raisons pour être exact. La première concerne le changement de contexte stratégique : les deux blocs ennemis et la forte interpénétration euro-atlantique en constituaient l'essentiel. Mais, aujourd'hui, les crises et les tensions auxquelles on a à faire face, sont de nature plus régionale comme le prouvent les événements en Bosnie et au Kosovo. Les Européens doivent traiter en priorité ces affaires par eux-mêmes. Deuxièmement, les Européens ont appris à se parler sur le plan de la politique étrangère, car ils ont beaucoup plus d'objectifs en commun. Il était inconcevable que les Européens aient la même position sur la paix au Proche-Orient, il y a quinze ou vingt ans : aujourd'hui, ils ont la même.
Linda GIGER
La construction européenne a donc fait progresser les choses.
Alain RICHARD
La défense est un des objectifs politiques communs, de plus en plus nombreux. La troisième raison concerne l'euro qui fait office d'électrochoc comme en témoigne le changement d'influence entre les Etats-Unis, superpuissance monétaire, et l'Europe. Ce changement s'est fait grâce au groupement des Etats européens. Aujourd'hui, les esprits sont en effet mieux préparés à une certaine mise en commun de moyens qui permettent de répartir autrement les rôles que ceux que nous connaissons dans l'Alliance Atlantique. Je tiens à préciser qu'il ne s'agit nullement de remettre en cause cette Alliance.
Linda GIGER
Cela veut-il dire qu'il y a aujourd'hui une division entre les Américains et les Européens ?
Alain RICHARD
Non, il y a un partenariat. Nos amis américains réclament souvent une plus grande prise collective de responsabilité de la part des Européens. Mon collègue William COHEN, le secrétaire à la Défense américain, m'expliquait les difficultés qu'il avait pour faire accepter au Congrès l'engagement américain dans des crises européennes : l'argument principal de cette assemblée était de laisser les Européens régler eux-mêmes leurs crises. En Bosnie par exemple, les deux tiers de la force internationale sont européens. Mais depuis que nous nous coordonnons mieux et que nous prenons nos décisions en temps réel, ce qui suppose encore un effort de la part des Européens, nous avons une voix au chapitre dans le traitement des crises.
Linda GIGER
Le signe concret de la volonté des Européens de prendre en charge leurs intérêts est le conflit du Kosovo. La France commande actuellement la force d'extraction de l'OTAN en Macédoine. C'est une force qui a pour mission de secourir éventuellement les 2 000 observateurs internationaux déployés dans la province serbe. Un pont aérien a d'ailleurs démarré il y a trois jours.
Kader ABDERRAHIM (REPORTAGE)
Compte tenu de l'enlisement de ce conflit, l'OTAN a décidé de prendre des mesures pour faire face à un éventuel dérapage des belligérants kosovars et serbes. L'organisation atlantique a voté l'envoi d'une force de 1 700 hommes en Macédoine. Le rôle de cette force est de protéger les 2 000 membres de la mission de vérification de l'OSCE qui doit se déployer dans la province à majorité albanaise. Cette force baptisée " garantie conjointe " est en cours de déploiement par voies aériennes et maritimes. Elle est pour moitié française. C'est la première opération de l'histoire de l'Alliance Atlantique commandée par un général français. Avant vendredi 11 décembre, les 1 700 soldats seront à pied d'oeuvre et pourraient intervenir en une heure pour rapatrier la mission de vérification.
Linda GIGER
La force d'extraction de l'OTAN pour le Kosovo sera officiellement inaugurée demain. Pourrait-on presque dire que le pilier européen de défense est déjà opérationnel ?
Alain RICHARD
Oui. Dans le traitement du conflit du Kosovo, le groupe de contact européen a permis qu'un règlement soit fixé par les Nations Unies sur des propositions britannique et française, auxquelles les Etats-Unis se sont associés et sur lesquelles les Russes ont donné leur accord. Les Européens étaient donc à la pointe de la politique définie. Mais, lorsqu'il a fallu négocier la mise en oeuvre de ce règlement sous la pression militaire, ce fut un diplomate américain, Richard HOLBROOKE, qui l'a fait parce que les Etats-Unis sont un seul Etat et ont une capacité immédiate pour traiter les situations urgentes. C'est plus difficile quand il s'agit d'un ensemble de gouvernements comme en Europe. Ce thème fut débattu dernièrement avec nos amis britanniques, à Saint-Malo, afin que les Européens sachent travailler ensemble et s'organiser pour traiter les crises. Il nous faut adopter d'autres méthodes pour avoir une capacité d'évaluation militaire des situations afin de prendre les décisions qui s'avéreront judicieuses.
Linda GIGER
Il y a donc un resserrement du couple franco-britannique ?
Alain RICHARD
Effectivement. Je reviens un instant sur le problème du Kosovo dont la résolution est issue d'un partenariat franco-britannique au sein de l'Alliance en prenant comme principe qu'il s'agit d'une crise principalement européenne et que la force de protection doit être européenne. Cette force a pour délicate mission de protéger les vérificateurs qui se déploient au Kosovo et qui sont dans des situations de risque. La force, pour cette raison, a été positionnée en Macédoine, le pays voisin, afin de permettre une projection très rapide au Kosovo. Nous assumons ce risque afin de démontrer les capacités des Européens en la matière.
Linda GIGER
Dernière question, Monsieur le Ministre : Londres a autorisé finalement aujourd'hui la poursuite de la procédure d'extradition d'Augusto PINOCHET vers l'Espagne. Etes-vous d'accord avec cette décision ?
Alain RICHARD
Oui. Les Européens permettent des progrès concrets du droit dans les conflits internationaux, et notamment dans les atteintes faites aux droits de l'homme. Nous avons contribué ensemble à la mise en place du nouveau tribunal pénal international. Nos amis britanniques avaient un cas concret qui mettait en cause leurs responsabilités devant le service du droit et leur système judiciaire : leur gouvernement fait honneur à toute l'Europe.
Linda GIGER
Merci Monsieur le Ministre pour cet entretien.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 8 janvier 2002)