Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Au moment où la France préside l'Union européenne et l'Union de l'Europe Occidentale, je suis heureux de m'exprimer devant votre Assemblée. Je veux tout d'abord remercier votre président de son invitation. Je souhaite rendre hommage au rôle précurseur joué par votre Assemblée. Elle a animé en Europe un débat sur les enjeux de notre sécurité collective. De ces échanges est née une culture commune de défense, qui constitue un bien précieux. A cet hommage, je tiens à associer les femmes et les hommes du secrétariat général et des différents organes civils et militaires qui ont assuré le succès de l'UEO. Leur travail permet à l'Union européenne de bénéficier d'un acquis et d'une expérience essentiels à la mise en uvre de l'Europe de la défense, qui doit donner aux Européens les moyens d'assurer leur sécurité et la paix sur le continent.
C'est là un projet ambitieux, que la Présidence française s'attache à faire aboutir. Le Président de la République, le 30 mai, puis le ministre français de la Défense, le 16 octobre, vous ont exposé quelles étaient nos priorités. Avant de vous présenter le contenu de l'accord qui sera souscrit par les Quinze à Nice, et qui conforte une nouvelle architecture permanente européenne de sécurité, je voudrais souligner que l'UEO conserve la place que l'Histoire lui a conférée, celle de pierre angulaire de la sécurité et de la défense européennes.
L'Europe de la défense est née le 17 mars 1948 à Bruxelles. L'organisation de défense mutuelle qui est alors ébauchée franchit une étape décisive, le 23 octobre 1954, avec le Traité de l'Union de l'Europe Occidentale. Celui-ci consacre la réconciliation entre des ennemis d'hier et rassemble tous ceux qui sont à l'origine de la construction européenne. Une communauté de destin est affirmée, dont l'article V du traité reste une expression essentielle : aucune autre organisation de sécurité collective n'admet à un tel degré l'automaticité de l'engagement militaire de chacun de ses membres en cas d'agression. Cette solidarité européenne permet, dans le contexte de la Guerre froide, de consolider le lien transatlantique. Quarante années durant, la stabilité et la sécurité de notre continent reposent en effet sur la puissance de l'Alliance atlantique. En contrepartie, cette prééminence de l'Alliance place en retrait l'UEO, sans pour autant réduire l'ambition originelle des pays de l'Europe occidentale à constituer, le moment venu, une politique de défense commune.
Les années 1980 amorcent un tournant pour la défense européenne. Marquée par le dégel progressif des relations entre les deux superpuissances, cette décennie s'achève avec la chute du Mur de Berlin. La sécurité et les enjeux stratégiques en Europe appellent alors de nouveaux débats : l'UEO en est le lieu privilégié. Votre Assemblée est en effet riche de la diversité des points de vue des vingt-huit Etats la composant et de la légitimité politique que vous confère votre appartenance à des Parlements nationaux.
Face aux bouleversements stratégiques des années quatre vingt dix, des hommes de vision eurent la volonté de donner à l'Europe les moyens d'assurer sa sécurité et sa défense à travers une politique commune. Je veux rappeler ici la clairvoyance d'Helmut KOHL et de François MITTERRAND qui surent, avec leurs pairs, engager une évolution qui de l'Acte unique au Traité de Maastricht jette les fondations de l'Europe de la défense.
" Chrysalide " de l'Europe de la défense, l'UEO est ainsi réactivée, pour être le bras armé d'une politique étrangère et de sécurité commune en devenir. Ce fut le cas lors des interventions européennes au sein de coalitions internationales. Ainsi en 1991, pour la première fois, une force navale de l'UEO mène à bien une opération militaire internationale chargée de contrôler l'embargo contre l'Iraq. Quelques mois plus tard, lors du conflit en ex-Yougoslavie, un groupe naval de l'UEO participe, aux côtés d'une force de l'OTAN, au contrôle de l'Adriatique. La même fonction est assurée sur le Danube par des policiers et des gendarmes européens.
Ces interventions au sein de coalitions internationales eurent une grande portée pédagogique. Tirant les leçons des difficultés rencontrées dans la gestion de ces crises, les Européens précisent, le 15 juin 1992, à Petersberg, le rôle opérationnel de l'UEO. Ils définissent alors les différentes catégories de missions susceptibles d'être confiées à une force européenne. Les " missions de Petersberg " servent encore aujourd'hui de référence pour déterminer les capacités militaires autonomes dont l'Union européenne doit se doter d'ici 2003.
Cette évolution des missions de l'UEO dans les dix dernières années a entraîné d'importantes transformations. Des outils d'aide à la décision ont été mis en place. L'UEO a développé des procédures de contrôle politique et de direction stratégique des opérations. La création du centre satellitaire de Torrejon, qui fournit au Conseil de l'UEO des renseignements de niveau stratégique, a été un élément déterminant dans l'affirmation de l'autonomie européenne. Enfin, des forces rattachées, susceptibles d'être engagées sous le contrôle de l'Union occidentale, ont été mises en place. Le Corps européen, créé au sommet de La Rochelle, le 22 mai 1992, a spontanément rassemblé cinq pays dans une grande unité multinationale. Aujourd'hui, huit forces multinationales sont rattachées à l'UEO, capables de mettre en uvre des moyens provenant des trois armées.
Quoique significatifs, ces progrès étaient insuffisants. Les conflits dans les Balkans -en particulier au Kosovo- ont bien montré le chemin qu'il restait à parcourir pour que les Européens soient capables, collectivement et de façon autonome, de faire face à de nouvelles crises graves sur leur continent. Le renforcement de l'Europe de la sécurité et de la défense exigeait que l'on se dote d'une chaîne de décision unique et que soit dépassée l'ancienne dichotomie entre l'UEO et l'Union européenne. Pour maintenir un partenariat transatlantique vigoureux, il importait que les Européens soient plus déterminés et mieux organisés. Tel est l'esprit de la déclaration de Saint-Malo.
Très bien accueillie par nos partenaires, elle fut à l'origine d'une relance de l'Europe de la défense. Ce processus a été conduit dans la transparence et la concertation, tant vis-à-vis de nos voisins non-membres de l'Union européenne que de nos alliés d'outre-Atlantique. Lors du sommet marquant le cinquantenaire de l'OTAN, nos alliés ont d'ailleurs exprimé un soutien unanime à l'édification de l'Europe de la sécurité et de la défense, l'Union européenne devant à leurs yeux prendre le relais de l'UEO dans la mise en uvre des décisions dites de " Berlin plus ".
Mesdames et Messieurs,
Nous devons conserver à l'esprit le demi-siècle d'histoire que je viens d'évoquer. Il souligne en effet combien l'UEO, dépositaire et garante du principal traité de sécurité collective entre Européens, contribue à la mise en place de la nouvelle architecture permanente européenne de sécurité et de défense que je voudrais maintenant évoquer devant vous.
Le Sommet de Nice, à la fin de cette semaine, va consacrer la résolution des Quinze à se doter d'institutions nouvelles et de capacités militaires autonomes. Cette nouvelle architecture provient également des décisions prises aux Conseils européens de Cologne, d'Helsinki et de Feira. La Présidence française s'est attachée à servir trois priorités.
La première est l'installation des nouvelles institutions de l'Europe de la défense. Aussitôt conçues, ces institutions ont été mises en place le 1er mars dernier, sous la forme d'organes intérimaires préfigurant la structure permanente. La simultanéité de l'instauration des organes politiques et militaires temporaires a permis de vérifier la cohérence d'ensemble du nouveau dispositif. Celui-ci devrait être parachevé, au sommet de Nice, avec l'institution du Comité Politique et de Sécurité (COPS), du Comité militaire (CMUE) et de l'Etat-Major de l'Union européenne (EMUE). Le COPS, chargé d'assurer le contrôle politique et la direction stratégique, s'appuiera sur l'expertise et les avis du Comité militaire. Au sein de ces deux organes, les représentants des Etats mettront à profit les travaux de l'Etat-Major. Celui-ci devra disposer de compétences d'appréciation de situation et de planification stratégique.
La deuxième priorité est la mise en place de capacités militaires autonomes. A Helsinki, les Quinze se sont donné comme objectif d'être en mesure, dès 2003, de déployer, en 60 jours et pour une durée d'un an au moins, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée -c'est-à-dire de 50 à 60.000 hommes pour sa composante terrestre. Constituée à partir des contributions des pays de l'Union, cette force devra être dotée de moyens propres de renseignement, de commandement, de contrôle et de logistique. Elle devra aussi compter des capacités de combat aériennes et navales, à la mesure des forces terrestres.
Cet objectif a été atteint à la conférence de Bruxelles, le 20 novembre dernier. Les Etats-membres se sont engagés précisément sur la nature et le volume de leurs contributions militaires. La plupart des Etats européens non-membres ont tenu à s'associer à cette démarche. Ils ont déclaré les capacités militaires qu'ils accepteraient de fournir au sein d'une coalition conduite par l'Union, dans le cas où leur pays y prendrait part. Les Européens disposent donc désormais d'une capacité d'environ 100.000 hommes, à partir de laquelle serait constituée, si besoin était, une force de réaction rapide pouvant compter jusqu'à 60.000 hommes. Ce dispositif est complété par des moyens aériens et navals significatifs : 650 avions, dont 400 de combat, et une centaine de bâtiments. La conférence de Bruxelles constitue la première étape d'un processus -qui se poursuivra au-delà de 2003- de renforcement des capacités militaires de gestion des crises par l'Union européenne.
La troisième priorité de la Présidence française est la prise en compte de la dimension civile de la gestion des crises. Au sommet de Feira, les Quinze se sont engagés à fournir, d'ici 2003 et sur une base volontaire, jusqu'à 5.000 policiers, dont 1.000 déployables dans un délai de trente jours, pour des missions internationales. Cette force de police devra être en mesure d'exécuter des opérations de maintien de l'ordre, mais aussi des missions de conseil, de formation et d'assistance. La France entend y contribuer par la mise à disposition des moyens de sa gendarmerie et, pour certaines missions, de ceux de sa police nationale.
Le Sommet de Nice devra consacrer ces avancées. Il soulignera que la politique de défense de l'Union procède, dans son élaboration comme dans son exécution, du Conseil européen. Il reviendra aux prochaines Présidences suédoise et belge de veiller à la montée en puissance du nouveau dispositif.
Mesdames et Messieurs,
Dès lors que l'Union européenne se dote des moyens de gérer directement les crises, le rôle de l'UEO change nécessairement de nature. Loin de disparaître, l'UEO peut désormais fusionner ses ambitions avec celles de l'Union.
L'UEO trouve en effet pleinement sa place dans le nouveau dispositif européen.
La France a toujours été un des pays les plus résolus à promouvoir votre institution. Assumant la Présidence de l'Union, elle a donc été particulièrement attentive à ce que la reconfiguration de l'organisation issue du traité de Bruxelles se fasse dans les meilleures conditions. Lors de la réunion de l'UEO à Porto, en mai dernier, elle avait annoncé les deux principes directeurs de sa Présidence : ajuster l'UEO à la nouvelle politique européenne de sécurité et de défense ; préserver dans votre organisation tout ce qui doit l'être.
La reconfiguration de l'UEO, engagée au Conseil des ministres de Marseille, le 13 novembre 2000, devrait être achevée d'ici 2001. L'UEO assurera désormais le relais vers l'Union européenne en matière opérationnelle. Son état-major militaire cessera ses activités lorsque l'Etat-Major européen sera déclaré opérationnel. Nous espérons que cela pourra avoir lieu à l'été 2001. L'UEO s'apprête aussi à transférer à l'Union les fonctions du Centre satellitaire et celles de l'Institut d'études de sécurité. Les Quinze ont donné leur accord de principe à la création de deux Agences qui incorporeront les fonctions de ces deux organismes. Enfin, les deux opérations menées par l'UEO en Croatie -où ses experts militaires participent à l'aide au déminage- et en Albanie -où ses policiers assurent une mission d'assistance à la police civile albanaise- se poursuivront jusqu'au terme de leur mandat. L'Union européenne a d'ores et déjà manifesté son accord pour la reprise de la mission de coopération en matière de police en Albanie.
Des éléments de continuité demeurent. L'article V du Traité de l'UEO, fondement de l'architecture de sécurité européenne, traduit l'engagement de solidarité qui lie tous ses Etats-membres. Aucun de ses signataires -et certainement pas la France- n'a l'intention de renoncer à cet engagement, au moment où l'union politique des Européens se renforce. Les organes prévus par le Traité se maintiennent également. Cependant, la structure de l'UEO se resserre. Soutenu par une structure administrative allégée, son Conseil se réunira chaque année pour préparer son rapport à l'Assemblée, conformément à l'article IX du traité.
Votre fonction de réflexion sera confortée. Enceinte traditionnelle d'échanges et de dialogue, l'UEO doit continuer à favoriser la réflexion des Etats européens sur l'avenir de la sécurité du continent. Elle a déjà joué un rôle particulièrement utile dans ce domaine, grâce aux travaux de votre Assemblée et au dialogue ouvert avec les Etats tiers -Russie, Ukraine ou pays méditerranéens. L'Assemblée constitue un précieux forum de discussions pour les vingt-huit pays qui y sont représentés et pour ceux qui, comme Chypre et Malte, pourraient bientôt les rejoindre.
En particulier, la France est très attachée à ce que l'Assemblée parlementaire de l'UEO demeure un lieu où se façonne une culture européenne de défense. Elus des parlements nationaux, vous constituez en effet un relais auprès des citoyens du continent européen. Pour le moment, la question du contrôle parlementaire de la gestion des crises conduite par l'Union européenne n'est pas posée. Nous soutenons pour l'heure la préservation des compétences des Parlements nationaux et le rôle d'information et de relais joué par le Parlement européen et par votre Assemblée. Il nous faut maintenir cette approche équilibrée.
La fonction " armement " de l'UEO est aujourd'hui entièrement conservée. L'Organisation de l'Armement de l'Europe Occidentale (OAEO) et le Groupe Armement de l'Europe Occidentale (GAEO), regroupant désormais dix-neuf membres, sont maintenus comme des forums de dialogue sur les questions d'armement. Il nous faudra veiller à ce que ces organes fonctionnent en synergie avec les instruments mis en place au sein de l'Union européenne pour traiter des questions de Europe de l'armement.
La Présidence française a été particulièrement attentive à ce que ces changements prennent en compte les personnels de l'UEO. Les contrats en cours et les aspirations légitimes de chacun seront respectés. Je sais que des inquiétudes subsistent concernant la mise en oeuvre d'un plan social. Jusqu'à la fin de notre Présidence de l'UEO, où nous passerons le relais aux Pays-Bas, nous suivrons ce dossier avec attention et veillerons à ce que toutes les décisions soient prises dans la plus grande transparence.
Mesdames et Messieurs,
J'aurais aimé ouvrir un dialogue avec vous en acceptant de répondre à vos questions, mais les charges de mon emploi du temps m'en empêchent. Sachez cependant que je répondrai volontiers, par écrit, aux questions que vous voudrez bien me transmettre. J'ai la conviction que dans la construction d'une Europe de la défense forte et autonome, l'Union de l'Europe Occidentale conserve sa place. Rien de ce qui s'accomplit aujourd'hui dans l'Union européenne, en matière de sécurité collective, ne serait possible sans l'expérience acquise au sein de l'UEO. En son sein, l'Assemblée des parlementaires continuera de jouer un rôle essentiel, à la mesure des atouts qui sont les siens : la juste dimension, la représentativité et la compétence. Il nous appartient à tous de veiller à ce que votre Assemblée ait les moyens de poursuivre sa mission, en particulier au service d'une culture européenne de défense. C'est ainsi que l'Union européenne acquerra les moyens de mieux assurer sa sécurité, de jouer un rôle plus actif encore dans les opérations décidées par l'Organisation des Nations-Unies en vertu du droit international, et de contribuer ainsi à défendre la paix dans le monde.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 8 décembre 2000)
Monsieur le ministre,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Au moment où la France préside l'Union européenne et l'Union de l'Europe Occidentale, je suis heureux de m'exprimer devant votre Assemblée. Je veux tout d'abord remercier votre président de son invitation. Je souhaite rendre hommage au rôle précurseur joué par votre Assemblée. Elle a animé en Europe un débat sur les enjeux de notre sécurité collective. De ces échanges est née une culture commune de défense, qui constitue un bien précieux. A cet hommage, je tiens à associer les femmes et les hommes du secrétariat général et des différents organes civils et militaires qui ont assuré le succès de l'UEO. Leur travail permet à l'Union européenne de bénéficier d'un acquis et d'une expérience essentiels à la mise en uvre de l'Europe de la défense, qui doit donner aux Européens les moyens d'assurer leur sécurité et la paix sur le continent.
C'est là un projet ambitieux, que la Présidence française s'attache à faire aboutir. Le Président de la République, le 30 mai, puis le ministre français de la Défense, le 16 octobre, vous ont exposé quelles étaient nos priorités. Avant de vous présenter le contenu de l'accord qui sera souscrit par les Quinze à Nice, et qui conforte une nouvelle architecture permanente européenne de sécurité, je voudrais souligner que l'UEO conserve la place que l'Histoire lui a conférée, celle de pierre angulaire de la sécurité et de la défense européennes.
L'Europe de la défense est née le 17 mars 1948 à Bruxelles. L'organisation de défense mutuelle qui est alors ébauchée franchit une étape décisive, le 23 octobre 1954, avec le Traité de l'Union de l'Europe Occidentale. Celui-ci consacre la réconciliation entre des ennemis d'hier et rassemble tous ceux qui sont à l'origine de la construction européenne. Une communauté de destin est affirmée, dont l'article V du traité reste une expression essentielle : aucune autre organisation de sécurité collective n'admet à un tel degré l'automaticité de l'engagement militaire de chacun de ses membres en cas d'agression. Cette solidarité européenne permet, dans le contexte de la Guerre froide, de consolider le lien transatlantique. Quarante années durant, la stabilité et la sécurité de notre continent reposent en effet sur la puissance de l'Alliance atlantique. En contrepartie, cette prééminence de l'Alliance place en retrait l'UEO, sans pour autant réduire l'ambition originelle des pays de l'Europe occidentale à constituer, le moment venu, une politique de défense commune.
Les années 1980 amorcent un tournant pour la défense européenne. Marquée par le dégel progressif des relations entre les deux superpuissances, cette décennie s'achève avec la chute du Mur de Berlin. La sécurité et les enjeux stratégiques en Europe appellent alors de nouveaux débats : l'UEO en est le lieu privilégié. Votre Assemblée est en effet riche de la diversité des points de vue des vingt-huit Etats la composant et de la légitimité politique que vous confère votre appartenance à des Parlements nationaux.
Face aux bouleversements stratégiques des années quatre vingt dix, des hommes de vision eurent la volonté de donner à l'Europe les moyens d'assurer sa sécurité et sa défense à travers une politique commune. Je veux rappeler ici la clairvoyance d'Helmut KOHL et de François MITTERRAND qui surent, avec leurs pairs, engager une évolution qui de l'Acte unique au Traité de Maastricht jette les fondations de l'Europe de la défense.
" Chrysalide " de l'Europe de la défense, l'UEO est ainsi réactivée, pour être le bras armé d'une politique étrangère et de sécurité commune en devenir. Ce fut le cas lors des interventions européennes au sein de coalitions internationales. Ainsi en 1991, pour la première fois, une force navale de l'UEO mène à bien une opération militaire internationale chargée de contrôler l'embargo contre l'Iraq. Quelques mois plus tard, lors du conflit en ex-Yougoslavie, un groupe naval de l'UEO participe, aux côtés d'une force de l'OTAN, au contrôle de l'Adriatique. La même fonction est assurée sur le Danube par des policiers et des gendarmes européens.
Ces interventions au sein de coalitions internationales eurent une grande portée pédagogique. Tirant les leçons des difficultés rencontrées dans la gestion de ces crises, les Européens précisent, le 15 juin 1992, à Petersberg, le rôle opérationnel de l'UEO. Ils définissent alors les différentes catégories de missions susceptibles d'être confiées à une force européenne. Les " missions de Petersberg " servent encore aujourd'hui de référence pour déterminer les capacités militaires autonomes dont l'Union européenne doit se doter d'ici 2003.
Cette évolution des missions de l'UEO dans les dix dernières années a entraîné d'importantes transformations. Des outils d'aide à la décision ont été mis en place. L'UEO a développé des procédures de contrôle politique et de direction stratégique des opérations. La création du centre satellitaire de Torrejon, qui fournit au Conseil de l'UEO des renseignements de niveau stratégique, a été un élément déterminant dans l'affirmation de l'autonomie européenne. Enfin, des forces rattachées, susceptibles d'être engagées sous le contrôle de l'Union occidentale, ont été mises en place. Le Corps européen, créé au sommet de La Rochelle, le 22 mai 1992, a spontanément rassemblé cinq pays dans une grande unité multinationale. Aujourd'hui, huit forces multinationales sont rattachées à l'UEO, capables de mettre en uvre des moyens provenant des trois armées.
Quoique significatifs, ces progrès étaient insuffisants. Les conflits dans les Balkans -en particulier au Kosovo- ont bien montré le chemin qu'il restait à parcourir pour que les Européens soient capables, collectivement et de façon autonome, de faire face à de nouvelles crises graves sur leur continent. Le renforcement de l'Europe de la sécurité et de la défense exigeait que l'on se dote d'une chaîne de décision unique et que soit dépassée l'ancienne dichotomie entre l'UEO et l'Union européenne. Pour maintenir un partenariat transatlantique vigoureux, il importait que les Européens soient plus déterminés et mieux organisés. Tel est l'esprit de la déclaration de Saint-Malo.
Très bien accueillie par nos partenaires, elle fut à l'origine d'une relance de l'Europe de la défense. Ce processus a été conduit dans la transparence et la concertation, tant vis-à-vis de nos voisins non-membres de l'Union européenne que de nos alliés d'outre-Atlantique. Lors du sommet marquant le cinquantenaire de l'OTAN, nos alliés ont d'ailleurs exprimé un soutien unanime à l'édification de l'Europe de la sécurité et de la défense, l'Union européenne devant à leurs yeux prendre le relais de l'UEO dans la mise en uvre des décisions dites de " Berlin plus ".
Mesdames et Messieurs,
Nous devons conserver à l'esprit le demi-siècle d'histoire que je viens d'évoquer. Il souligne en effet combien l'UEO, dépositaire et garante du principal traité de sécurité collective entre Européens, contribue à la mise en place de la nouvelle architecture permanente européenne de sécurité et de défense que je voudrais maintenant évoquer devant vous.
Le Sommet de Nice, à la fin de cette semaine, va consacrer la résolution des Quinze à se doter d'institutions nouvelles et de capacités militaires autonomes. Cette nouvelle architecture provient également des décisions prises aux Conseils européens de Cologne, d'Helsinki et de Feira. La Présidence française s'est attachée à servir trois priorités.
La première est l'installation des nouvelles institutions de l'Europe de la défense. Aussitôt conçues, ces institutions ont été mises en place le 1er mars dernier, sous la forme d'organes intérimaires préfigurant la structure permanente. La simultanéité de l'instauration des organes politiques et militaires temporaires a permis de vérifier la cohérence d'ensemble du nouveau dispositif. Celui-ci devrait être parachevé, au sommet de Nice, avec l'institution du Comité Politique et de Sécurité (COPS), du Comité militaire (CMUE) et de l'Etat-Major de l'Union européenne (EMUE). Le COPS, chargé d'assurer le contrôle politique et la direction stratégique, s'appuiera sur l'expertise et les avis du Comité militaire. Au sein de ces deux organes, les représentants des Etats mettront à profit les travaux de l'Etat-Major. Celui-ci devra disposer de compétences d'appréciation de situation et de planification stratégique.
La deuxième priorité est la mise en place de capacités militaires autonomes. A Helsinki, les Quinze se sont donné comme objectif d'être en mesure, dès 2003, de déployer, en 60 jours et pour une durée d'un an au moins, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée -c'est-à-dire de 50 à 60.000 hommes pour sa composante terrestre. Constituée à partir des contributions des pays de l'Union, cette force devra être dotée de moyens propres de renseignement, de commandement, de contrôle et de logistique. Elle devra aussi compter des capacités de combat aériennes et navales, à la mesure des forces terrestres.
Cet objectif a été atteint à la conférence de Bruxelles, le 20 novembre dernier. Les Etats-membres se sont engagés précisément sur la nature et le volume de leurs contributions militaires. La plupart des Etats européens non-membres ont tenu à s'associer à cette démarche. Ils ont déclaré les capacités militaires qu'ils accepteraient de fournir au sein d'une coalition conduite par l'Union, dans le cas où leur pays y prendrait part. Les Européens disposent donc désormais d'une capacité d'environ 100.000 hommes, à partir de laquelle serait constituée, si besoin était, une force de réaction rapide pouvant compter jusqu'à 60.000 hommes. Ce dispositif est complété par des moyens aériens et navals significatifs : 650 avions, dont 400 de combat, et une centaine de bâtiments. La conférence de Bruxelles constitue la première étape d'un processus -qui se poursuivra au-delà de 2003- de renforcement des capacités militaires de gestion des crises par l'Union européenne.
La troisième priorité de la Présidence française est la prise en compte de la dimension civile de la gestion des crises. Au sommet de Feira, les Quinze se sont engagés à fournir, d'ici 2003 et sur une base volontaire, jusqu'à 5.000 policiers, dont 1.000 déployables dans un délai de trente jours, pour des missions internationales. Cette force de police devra être en mesure d'exécuter des opérations de maintien de l'ordre, mais aussi des missions de conseil, de formation et d'assistance. La France entend y contribuer par la mise à disposition des moyens de sa gendarmerie et, pour certaines missions, de ceux de sa police nationale.
Le Sommet de Nice devra consacrer ces avancées. Il soulignera que la politique de défense de l'Union procède, dans son élaboration comme dans son exécution, du Conseil européen. Il reviendra aux prochaines Présidences suédoise et belge de veiller à la montée en puissance du nouveau dispositif.
Mesdames et Messieurs,
Dès lors que l'Union européenne se dote des moyens de gérer directement les crises, le rôle de l'UEO change nécessairement de nature. Loin de disparaître, l'UEO peut désormais fusionner ses ambitions avec celles de l'Union.
L'UEO trouve en effet pleinement sa place dans le nouveau dispositif européen.
La France a toujours été un des pays les plus résolus à promouvoir votre institution. Assumant la Présidence de l'Union, elle a donc été particulièrement attentive à ce que la reconfiguration de l'organisation issue du traité de Bruxelles se fasse dans les meilleures conditions. Lors de la réunion de l'UEO à Porto, en mai dernier, elle avait annoncé les deux principes directeurs de sa Présidence : ajuster l'UEO à la nouvelle politique européenne de sécurité et de défense ; préserver dans votre organisation tout ce qui doit l'être.
La reconfiguration de l'UEO, engagée au Conseil des ministres de Marseille, le 13 novembre 2000, devrait être achevée d'ici 2001. L'UEO assurera désormais le relais vers l'Union européenne en matière opérationnelle. Son état-major militaire cessera ses activités lorsque l'Etat-Major européen sera déclaré opérationnel. Nous espérons que cela pourra avoir lieu à l'été 2001. L'UEO s'apprête aussi à transférer à l'Union les fonctions du Centre satellitaire et celles de l'Institut d'études de sécurité. Les Quinze ont donné leur accord de principe à la création de deux Agences qui incorporeront les fonctions de ces deux organismes. Enfin, les deux opérations menées par l'UEO en Croatie -où ses experts militaires participent à l'aide au déminage- et en Albanie -où ses policiers assurent une mission d'assistance à la police civile albanaise- se poursuivront jusqu'au terme de leur mandat. L'Union européenne a d'ores et déjà manifesté son accord pour la reprise de la mission de coopération en matière de police en Albanie.
Des éléments de continuité demeurent. L'article V du Traité de l'UEO, fondement de l'architecture de sécurité européenne, traduit l'engagement de solidarité qui lie tous ses Etats-membres. Aucun de ses signataires -et certainement pas la France- n'a l'intention de renoncer à cet engagement, au moment où l'union politique des Européens se renforce. Les organes prévus par le Traité se maintiennent également. Cependant, la structure de l'UEO se resserre. Soutenu par une structure administrative allégée, son Conseil se réunira chaque année pour préparer son rapport à l'Assemblée, conformément à l'article IX du traité.
Votre fonction de réflexion sera confortée. Enceinte traditionnelle d'échanges et de dialogue, l'UEO doit continuer à favoriser la réflexion des Etats européens sur l'avenir de la sécurité du continent. Elle a déjà joué un rôle particulièrement utile dans ce domaine, grâce aux travaux de votre Assemblée et au dialogue ouvert avec les Etats tiers -Russie, Ukraine ou pays méditerranéens. L'Assemblée constitue un précieux forum de discussions pour les vingt-huit pays qui y sont représentés et pour ceux qui, comme Chypre et Malte, pourraient bientôt les rejoindre.
En particulier, la France est très attachée à ce que l'Assemblée parlementaire de l'UEO demeure un lieu où se façonne une culture européenne de défense. Elus des parlements nationaux, vous constituez en effet un relais auprès des citoyens du continent européen. Pour le moment, la question du contrôle parlementaire de la gestion des crises conduite par l'Union européenne n'est pas posée. Nous soutenons pour l'heure la préservation des compétences des Parlements nationaux et le rôle d'information et de relais joué par le Parlement européen et par votre Assemblée. Il nous faut maintenir cette approche équilibrée.
La fonction " armement " de l'UEO est aujourd'hui entièrement conservée. L'Organisation de l'Armement de l'Europe Occidentale (OAEO) et le Groupe Armement de l'Europe Occidentale (GAEO), regroupant désormais dix-neuf membres, sont maintenus comme des forums de dialogue sur les questions d'armement. Il nous faudra veiller à ce que ces organes fonctionnent en synergie avec les instruments mis en place au sein de l'Union européenne pour traiter des questions de Europe de l'armement.
La Présidence française a été particulièrement attentive à ce que ces changements prennent en compte les personnels de l'UEO. Les contrats en cours et les aspirations légitimes de chacun seront respectés. Je sais que des inquiétudes subsistent concernant la mise en oeuvre d'un plan social. Jusqu'à la fin de notre Présidence de l'UEO, où nous passerons le relais aux Pays-Bas, nous suivrons ce dossier avec attention et veillerons à ce que toutes les décisions soient prises dans la plus grande transparence.
Mesdames et Messieurs,
J'aurais aimé ouvrir un dialogue avec vous en acceptant de répondre à vos questions, mais les charges de mon emploi du temps m'en empêchent. Sachez cependant que je répondrai volontiers, par écrit, aux questions que vous voudrez bien me transmettre. J'ai la conviction que dans la construction d'une Europe de la défense forte et autonome, l'Union de l'Europe Occidentale conserve sa place. Rien de ce qui s'accomplit aujourd'hui dans l'Union européenne, en matière de sécurité collective, ne serait possible sans l'expérience acquise au sein de l'UEO. En son sein, l'Assemblée des parlementaires continuera de jouer un rôle essentiel, à la mesure des atouts qui sont les siens : la juste dimension, la représentativité et la compétence. Il nous appartient à tous de veiller à ce que votre Assemblée ait les moyens de poursuivre sa mission, en particulier au service d'une culture européenne de défense. C'est ainsi que l'Union européenne acquerra les moyens de mieux assurer sa sécurité, de jouer un rôle plus actif encore dans les opérations décidées par l'Organisation des Nations-Unies en vertu du droit international, et de contribuer ainsi à défendre la paix dans le monde.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 8 décembre 2000)