Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la sécurité, le financement des retraites, le service public et le droit de grève et sur le renouveau du dialogue social et politique, Tulle le 16 janvier 1999.

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Circonstance : Présentation des voeux à la Corrèze, à Tulle le 16 janvier 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames, Messieurs,
Mes chers compatriotes,
Mes Chers Amis,
Ces mots ont ici, pour moi, vous limaginez, toute leur force et tout leur sens. Vous êtes venus nombreux. De tout coeur Bernadette et moi vous en remercions.
Vous savez, quelles que soient les circonstances, la Corrèze nest jamais loin de mes pensées. Il y a les origines, il y a les racines, il y a les souvenirs : mes premiers pas dans la vie politique, mais aussi mes premières expériences de ce dialogue démocratique entre personnes venant souvent dhorizons idéologiques très différents, qui est un dialogue qui est toujours naturel ici. Et puis, il y a toutes les richesses humaines que jai trouvées auprès de vous et qui me sont toujours précieuses. Cest pourquoi, je suis heureux dêtre avec vous aujourdhui. Heureux de pouvoir mexprimer en toute confiance, comme on le fait avec des amis. Heureux de vous adresser, avec Bernadette, qui est votre élue, mais qui est aussi mon ambassadrice permanente en Corrèze, nos vux très chaleureux , pour vous, pour tous les vôtres, de très bonne et de très heureuse année.

Il est de tradition daffirmer que lannée écoulée a été importante et que lannée qui vient le sera davantage encore. Pourtant il est vrai que 1998 restera dans les mémoires, ne serait-ce que par cette fête de lunité, ce sentiment dappartenance nationale, cette joie collective autour dune ambition vécue ensemble, qua été la Coupe du Monde. Ce fut un moment fort qui a montré ce que pouvait la France quand elle était sûre delle-même, enthousiaste et rassemblée.
Bien sûr, les heures sombres nont pas manqué. Catastrophes naturelles, avec leur lot de dénuement et de tragédies en Amérique Centrale. Récente intervention en Irak, où il est urgent dinventer de nouvelles relations et de nouveaux moyens de contrôle qui respectent mieux les intérêts vitaux des populations. Sur notre sol, les chômeurs restent beaucoup trop nombreux, et tout particulièrement les chômeurs de longue durée. La misère, exacerbée par lhiver, mobilise toujours les centres daide ou dhébergement, ce qui est une réalité choquante dans un pays prospère comme le nôtre.
Quant à 1999 qui vient de commencer, eh bien je crois quon peut dire que cest dabord lannée de lEuro qui a depuis le 1er janvier son existence officielle. Il est difficile de prévoir les changements, notamment dans les mentalités, quune monnaie unique européenne va provoquer. Nous ne sommes quau début dun long processus, qui aura des conséquences positives, à nen pas douter, sur les prix, sur les possibilités dachat, sur les investissements et bien sûr sur lemploi. LEuro est le symbole tangible dune Europe réalisée, dune Europe qui nous est déjà familière en Corrèze, tout simplement parce quaucun agriculteur ne peut exercer son métier en dehors du fait européen aujourdhui.
Mais une Europe qui doit dessiner avec toujours plus de force ses autres visages. Je pense à lEurope de la défense. Je pense à lEurope de léducation, qui passe notamment par lharmonisation des études et des diplômes, condition de la mobilité des étudiants, et aussi par lapprentissage de deux langues étrangères pour chaque élève, ce qui est le seul moyen de conforter et de développer la francophonie. Je pense à lEurope de la culture qui devrait, au-delà des mesures défensives auxquelles nous limitons trop souvent notre ambition, être fertilisée par léchange, donc devenir plus forte et ainsi rayonner davantage dans le monde. Je pense bien sûr à lEurope sociale et de lemploi qui, depuis le Mémorandum que jai déposé au nom de la France en 1996, a beaucoup progressé, conseil après conseil, et est devenue une ambition partagée par tous les Chefs dEtat et de Gouvernement de lUnion.
Oui, mes Chers Amis, nous sommes dans un mouvement irrésistible, et nous devons en avoir bien conscience. Informations illimitées et sans frontière. Brassage des connaissances. Circulation des personnes et des richesses. Essor des nouvelles technologies, elles-mêmes source de nouveaux emplois puisque cest dans linformatique et dans la communication que les entreprises embauchent le plus. Des nouvelles technologies qui participent désormais de nos vies quotidiennes, quil sagisse des sites Internet sur lesquels nos enfants « surferont » de plus en plus, des métiers exercés à distance, du télé-enseignement, de la télé-médecine ou de toutes les mises en réseaux qui vont modifier toujours plus nos pratiques et nos habitudes.
Face à ce monde nouveau, face à cette explosion de possibilités, nous avons en main toutes les cartes pour réussir : la formation excellente en France, la qualité, le savoir-faire de nos travailleurs reconnu partout, lintelligence et linventivité de nos chercheurs, le dynamisme de nos entrepreneurs et de nos paysans. Encore faut-il libérer, naturellement, nos énergies créatrices, et pour cela, conforter, aider et rassembler les Français.

Conforter, pourquoi ? Simplement parce que lon a besoin de se sentir en sécurité pour aborder les changements dont chacun sent quils arrivent.
Sécurité, dabord, au regard de lavenir, et cest tout lenjeu de la réflexion qui est actuellement menée sur le problème des retraites. Pouvoir profiter dun repos mérité après une vie de travail est une aspiration légitime. Or, nous sommes en train de changer dépoque. La durée de la vie ne cesse de sallonger. Tout indique quavec les progrès de la médecine, nous allons vieillir en meilleure santé. Beaucoup dentre nous seront alors désireux de poursuivre leur activité professionnelle, ce qui sera un moyen daugmenter leurs droits à la retraite. Par ailleurs les générations nombreuses de laprès-guerre vont céder la place à des générations moins nombreuses. Les données du problème sont connues, elles appellent des réformes, dans le dialogue et dans la concertation. Renforcer la retraite par répartition. Assurer lavenir des pensions du secteur public dans des conditions supportables pour la collectivité. Créer une véritable épargne-retraite qui pourra conforter nos entreprises, afin que des capitaux français, comme cela se passe ailleurs, puissent soutenir notre économie et défendre surtout nos emplois. Cest ainsi que nous sauvegarderons les retraites et que nous rassurerons les Français sur leur avenir.
Sécurité, aussi, grâce à la famille qui doit plus que jamais être soutenue parce quelle est le socle sur lequel on peut construire. Il importe de permettre aux parents davoir les enfants quils souhaitent. Dans un pays où limmense majorité des femmes travaillent, cela signifie quil faut favoriser la garde des enfants et veiller à légalité des salaires et des carrières entre les hommes et les femmes. Faute dune politique familiale ambitieuse, nous irons vers une fragilisation de la famille doublée dune baisse dangereuse de notre démographie.
Et puis les Français ont besoin de sécurité tout court. Ils veulent être protégés dans leurs personnes comme dans leurs biens. Ils veulent pouvoir se déplacer en toute liberté, travailler en toute quiétude partout en France. Les élèves, dans leur immense majorité, veulent étudier dans des conditions normales parce que la violence et lagitation sont très exactement le contraire de légalité des chances qui est au coeur de nos valeurs républicaines.
Chacun sait que ce nest pas le cas aujourdhui. La petite et la moyenne délinquance, qui fait trop souvent lobjet de classements sans suite, touche actuellement lensemble de notre pays, y compris les régions rurales. Quant aux quartiers sensibles, ils sont de plus en plus le théâtre de scènes de guérilla urbaine comme on la vu toutes ces dernières semaines. Il y a urgence à prendre toute la mesure dune situation dont les causes sont multiples et doivent être traitées, mais dont les effets sont devenus insupportables. Il y a urgence à agir. Responsabilisation des jeunes et des familles. Accompagnement du corps social. Action des forces de lordre face à des circonstances nouvelles. Réponse efficace et adaptée de la justice. Autant de sujets qui appellent, je le répète, de promptes décisions.
Si la sécurité est une attente très forte, la solidarité ne lest pas moins. Lépoque des fêtes nous rend particulièrement sensibles à la détresse, au dénuement de tous ceux qui sont en situation de survie. Mais il ny a pas de bonne période pour la misère. Elle est constamment intolérable dans une société riche comme la nôtre.
Nous sommes fiers de notre système social, et nous avons des raisons pour cela. Pourtant il se révèle trop souvent impuissant face à la souffrance sociale. Par exemple, toute la partie « insertion » qui était un élément central dans le concept du RMI disparaît trop souvent au profit de la seule assistance, qui ne résout rien même si elle est évidemment nécessaire. Bien sûr, les grands blessés de la vie ont besoin dune prise en charge fraternelle. Mais tous ceux qui souffrent du chômage de longue durée, avant de perdre peu à peu tout ce qui fait lidentité dune personne, ont besoin dune solidarité de proximité, moins anonyme, mieux informée des situations personnelles, des solutions envisageables, des possibilités locales qui peuvent déboucher sur la réinsertion. Besoin, aussi, du dialogue qui doit sinstaurer entre celui qui donne au nom de la collectivité et celui qui reçoit, lobjectif étant quà laide apportée correspondent des engagements précis et vérifiables à la mesure des possibilités et de la situation de chacun : selon les cas, suivre une formation, faire des démarches, ne pas refuser un emploi même sil nest pas totalement satisfaisant, etc. Cest au plus près du terrain, avec les associations et les élus, que le processus de retour à lemploi peut être conduit, en combinant le soutien et lincitation. Solidarité rime avec fraternité mais aussi avec responsabilité et avec dignité.
La liberté est une autre aspiration de notre société. Liberté dentreprendre, dexercer ses talents, de développer ses projets. Notre pays a beaucoup à faire pour créer les conditions dune vraie libération des énergies. Combien de jeunes, pourtant porteurs de projets intéressants, qui ne trouvent pas les prêts nécessaires au lancement de leurs activités ? Combien de jeunes chercheurs qui peinent à trouver leur place dans des laboratoires ouverts sur lindustrie ? Combien de jeunes entrepreneurs, accablés dentrée de jeu de charges et de taxes, alors même quils nont encore rien gagné ? Combien de PME soumises à des réglementations lourdes, à une paperasserie où se diluent le temps et lénergie ? Tradition ou exception, si jose dire, française depuis bien longtemps.
Nous sommes toujours, parmi nos partenaires, le seul pays qui favorise lemploi public plutôt que lemploi privé. Le pays où le secteur public emploie le quart de la population active contre 15 % chez nos grands voisins comme lAllemagne ou lAngleterre. Le pays où les dépenses publiques sont les plus lourdes et se traduisent par les impôts les plus élevés dEurope sans que le résultat ne justifie cette réalité.
Et pourtant, je rencontre, on rencontre partout, notamment chez les jeunes, le désir de créer, dinnover, de se grouper à quelques uns pour faire vivre un projet. Il y a désormais des tournants à prendre, car lespace européen ouvert où nous vivons et où nous allons de plus en plus vivre nous incite à faire des choix, nous invite à avancer. Nous navons plus le temps dattendre.
Oui, il faut, secteur par secteur, rendre la dépense publique plus efficace afin que largent des contribuables soit bien dépensé, bien investi et non pas gaspillé. Il faut baisser les impôts, les charges pour que les employeurs, aujourdhui conduits à privilégier lautomatisation ou le recours aux heures supplémentaires, puissent faire le choix dembaucher, notamment des salariés peu qualifiés. Evitons aussi les réglementations contraignantes. Ce nest pas à lEtat mais aux partenaires sociaux de décider de lavenir des entreprises et des voies de leur développement. Si nous ne faisons pas cela, nous continuerons à brider, à décourager nos forces créatrices et nous serons peu attractifs pour ceux qui, en Europe, veulent ou songent à sinstaller chez nous. La compétition des territoires est commencée. Il y a là un enjeu majeur.

Enfin, essayons de répondre au désir et au besoin dunion et de cohésion des Français. Donnons la priorité au dialogue. Il importe de forger une vraie culture de dialogue qui nous manque. Notre société a la nostalgie de périodes où les gens se parlent, où les barrières tombent, où la solitude se brise. Cest sous ces couleurs conviviales que nous imaginons la vie rurale dautrefois. Ce sont les souvenirs que nous gardons des événements qui ont bouleversé la vie ordinaire, des grands mouvements sociaux aux grandes fêtes sportives. Il y a tout à la fois besoin et désir de dialogue et, en réalité, aujourdhui chez nous absence de dialogue . Quand je dis aujourdhui, je veux dire la période contemporaine.
Cest particulièrement vrai du dialogue social, éternellement vanté et si peu pratiqué. Au lieu davoir, en cas de conflit, des procédures dalerte qui laissent le temps, par les échanges et les négociations, de trouver des solutions satisfaisantes pour les parties, le blocage, la grève, sont trop souvent le premier acte dun conflit au lieu dêtre le dernier recours. Cest la triste spécialité française qui fait bon marché du droit des usagers et qui porte atteinte à la vocation même du service public.
Il est donc urgent dinventer de nouvelles relations sociales avec des partenaires sociaux responsables. Cest possible, car il y a actuellement une vraie prise de conscience des problèmes modernes au sein du syndicalisme français, comme dans lopinion, prise de conscience de la nécessité dexplorer dautres voies. Encore faut-il encourager résolument ce civisme de responsabilité, seul moyen de restaurer lesprit de service public. Le dialogue social est un élément-clé de la cohésion nationale et surtout de la modernisation de notre société.
Dans le même esprit, je voudrais dire une nouvelle fois que, face aux enjeux daujourdhui, les responsables politiques doivent avoir le souci de rassembler toujours davantage nos compatriotes. Proposer des objectifs communs à lensemble de la Nation. Au sein de chaque famille politique, privilégier ce qui unit et non ce qui divise. Donner la priorité à lessentiel, cest-à-dire les préoccupations des Français, et surtout, surtout, écarter les vaines querelles.

Voilà, mes Chers Amis corréziens, les quelques réflexions que je voulais vous livrer en ce début dannée. La France bouge. Partout où je vais, je constate que les Français ont envie dagir, de créer, de réaliser idées et projets. Peu à peu les esprits évoluent, et nos concitoyens savent de mieux en mieux ce quil faut préserver dans notre pays et ce quil faut changer. Sils se sentent appuyés, accompagnés. Sils voient devant eux une belle et grande aventure collective, ils sy engageront de tout leur cur et de toute leur intelligence. Cest le vu que je forme pour 1999 : réussir ensemble. Changer dépoque ensemble.
A chacune et à chacun dentre vous, je souhaite une très bonne et une très heureuse année.