Interview de M. Daniel Cohn-Bendit, député Vert au Parlement européen, à France 2 le 13 décembre 2000, sur le "mauvais accord" obtenu au conseil européen de Nice et sur la situation des Verts au sein de la gauche plurielle.

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Circonstance : Conseil européen à Nice du 7 au 11 décembre 2000

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

G. Morin Vous avez entendu J. Chirac relater le Sommet de Nice. Le Parlement de Strasbourg n'a pas été très chaud pour l'applaudir. Avez-vous eu ces mêmes réticences ?
- "Oui, parce que le Traité de Nice est mauvais. Il devait rendre l'Europe élargissable et en fait, le fonctionnement de l'Europe a été rendu plus compliqué par ce Traité. Monsieur Chirac a voulu nous vendre un bon traité et les député européens ont dit "non, ce n'est pas vrai, c'est un mauvais traité.""
Il tenait à ce qu'il y ait un accord plutôt que pas d'accord du tout. Il disait au départ qu'il valait mieux pas d'accord plutôt qu'un mauvais accord mais finalement, il préfère un petit accord que pas d'accord. Ne fallait-il pas quand même en sortir quelque chose pour avancer ?
- "Le problème de Nice était qu'il y avait énormément de gouvernements qui défendaient l'intérêt national plus que l'intérêt européen. A partir de ce moment, il aurait fallu présenter la possibilité d'un accord et s'il y avait des Etats qui le refusaient, il fallait aller à la crise, que tout le monde rentre chez soi, et revenir quinze jours après, entre Noël et le nouvel an, pour forcer la main aux gouvernements qui n'avaient que des stratégies nationales, pour ne pas dire nationalistes. Vouloir un accord était juste, mais vouloir un accord à tout prix, au rabais, a rendu possible toutes les stratégies nationalisantes contre l'Europe."
Pour l'avenir, pour avancer vers cette Europe à 27, il faut de toute façon faire quelque chose. Vous pensez qu'on ne pourra pas faire fonctionner le système et qu'il faut prendre des dispositions dans les prochains mois ?
- "Regardez, par exemple, ce qu'on appelle la pondération. C'est tellement compliqué qu'il faudra venir avec une règle à calculette, il y aura des ordinateurs qui fonctionneront en permanence pendant les prises de décisions parce que personne ne s'y retrouvera. Et puis, il y a des tas d'exceptions : il y a parfois codécision avec le Parlement, parfois il n'y en a pas ; le droit de veto existe toujours et il bloque tout. Il fallait le supprimer complètement, faire prendre des décisions à la majorité qualifiée avec codécision du Parlement ; il fallait donner la possibilité d'initiative, renforcer la Commission, et cela n'a pas été fait. On donne la possibilité aux pays de l'Est de rentrer en Europe mais le fonctionnement de l'Europe va devenir quelque chose d'incompréhensible pour les citoyens."
La suppression du droit de veto, c'est votre point de vue. D'autres le partagent mais quel est votre poids et qui pouvez-vous rallier pour faire bouger les choses ? Combien de divisions derrière vous ?
- "Ce qui était intéressant hier au Parlement européen, c'est que tous les groupes politiques étaient extrêmement critiques. Il y a une réelle possibilité qu'en mars prochain la majorité du Parlement européen se prononce contre le Traité de Nice. A partir de là, il y aura des négociations sur ce qu'on appelle le post-Nice et comment arriver à une nouvelle réforme de nos institutions. Il faut faire comprendre aux parlementaires et aux citoyens que si nous voulons une véritable sécurité alimentaire, une véritable sécurité maritime, une Europe capable de structurer la mondialisation, il faut aller plus vite dans les réformes. Je crois que le processus, dans les mois à venir, va se remettre en branle. Un mauvais accord nécessite de reprendre les choses en mains et les possibilités sont réelles au Parlement européen."
Cela veut dire que vous allez continuer de parler avec des politiques français comme F. Bayrou pour faire avancer les choses ensemble - éventuellement A. Madelin ? Vous êtes prêt à avancer avec eux ?
- "Oui, ou alors avec O. Duhamel, les socialistes... Aujourd'hui, les majorités au Parlement européen ne se font pas simplement comme dans un parlement national, elles sont parfois transcourants. J'ai fait un débat hier avec F. Bayrou à l'université de Strasbourg et il y avait plus de 1 000 étudiants pour débattre de l'Europe. Elle peut intéresser les citoyens si on en parle clairement, si on affiche là où on a des positions communes et là où nous avons des divergences. Aujourd'hui, l'écoute des députés et la volonté de dépasser des positions partisanes, bloquées, est très très grande."
Quelques commentaires sur l'international : aux Etats-Unis, c'est peut-être imminent, Bush devrait être enfin Président, puisque la Cour suprême des Etats-Unis donne tort à Gore pour le recomptage des bulletins. Que pensez-vous de cette situation ?
- "Elle ne donne pas tort à Gore, elle dit que s'il faut recompter, il faut plus de temps. La présidence de Bush est mal partie, parce que vous allez avoir des recomptages - les journaux pouvant recompter dans un mois toutes les voix de Floride - et on s'apercevra alors que c'est Gore qui a gagné et ce sera une présidence à mauvais goût. Je suis très pessimiste sur les capacités politiques de Bush en tant que Président."
Un dernier mot de politique française : N. Mamère a laissé entendre hier qu'il faudrait peut-être que les Verts quittent le Gouvernement avant la présidentielle de 2002, parce qu'ils n'ont pas toute leur place et que d'autres sont plus gâtés. A-t-il raison ?
- "Je suis absolument contre ces états d'âme permanents - "je reste, je pars, je reste, je pars." Que ce soit difficile, que les Verts n'aient pas leur représentation réelle à l'intérieur de la gauche plurielle, c'est vrai. Mais ce n'est pas en menaçant en permanence, alors que tout le monde sait que si les Verts partent de la gauche plurielle et du Gouvernement, ils auront extrêmement de difficultés à avoir des députés après, puisqu'on ne peut être élu qu'à l'intérieur de la gauche plurielle. Ce sont donc des phrases vides. Il faut rester dans le Gouvernement, structurer la gauche plurielle et se battre pour une meilleure représentation, et arrêter de pleurnicher."
Vous n'êtes toujours pas candidat à la candidature présidentielle des Verts ?
- "Je suis Allemand ! Je ne peux pas être candidat, qu'on se le dise une fois pour toutes ! Je ne suis candidat à rien, si ce n'est à être député européen."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 13 décembre 2000)