Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à France-Inter le 27 novembre 2000, sur la polémique avec la Grande-Bretagne après l'échec des négociations de la conférence de La Haye sur l'effet de serre, l'interdiction des farines animales et le calendrier des élections en 2002.

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Circonstance : Conférence mondiale sur le changement climatique à La Haye (Pays-Bas) du 13 au 24 novembre 2000

Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - Après le bras de fer franco-anglais sur la vache folle et l'embargo imposé au boeuf anglais qui s'en est suivi, l'environnement est-il un nouveau thème de discorde entre Anglais et Français ? Le vice-Premier ministre britannique,J. Prescott, accuse D. Voynet, d'être responsable de l'échec des discussions au Sommet de La Haye sur le réchauffement climatique. On entend tout et on lit tout dans la presse britannique ce matin : vous étiez fatiguée, vous n'avez pas compris certains détails des propositions...Quelle est votre version ?
- "Je crois que cette polémique est assez minable, et que J. Prescott démontre d'abord qu'il est un macho invétéré ! Une femme, c'est forcément fatigué, ça a peur, et ça ne comprend pas. J. Prescott doit se rappeler que je n'étais pas représentante de la France mais représentante de l'Union européenne, que pendant une semaine j'ai été étroitement associée au travail de mes 15 collègues de l'Union. J'ai eu le souci de les associer à toutes les étapes de la discussion et je n'ai pas pris de décision seule mais avec une écrasante majorité de mes collègues qui pensaient, comme moi, que rien ne pouvait être accepté qui laissait les Etats-Unis - premiers pollueurs de la planète ! - ne prendre aucun engagement sérieux de réduction de leurs émissions. Quelques Etats ont cherché à remettre en cause les engagements pris à Kyoto, nous ne le souhaitions pas et nous avons tenu bon. Cela peut ne pas faire plaisir à J. Prescott mais c'est la réalité !"

C'est du petit lait pour Américains, parce que là où l'on pouvait imaginer que l'Union européenne parlerait d'une seule voix, on est en train de se rendre compte ce matin que ça part dans tous les sens ?
- "Non, l'Europe a parlé d'une seule voix, elle a tenu bon. Sans doute J. Prescott est-il frustré de n'avoir pas pu imposer son point de vue ! Publiquement, pendant toute la semaine à La Haye, nous avons parlé d'une seule voix. C'est parce que nous étions très conscients du contexte américain que nous avons souhaité négocier jusqu'à la dernière minute en espérant que la position américaine allait s'assouplir - c'est ce qu'on a constaté d'ailleurs dans les dernières heures de la négociation -, avec l'espoir de pouvoir faire accepter aux gros émetteurs de la planète, un accord qui, au moins, permettait de nous engager vers une démarche de réduction des émissions. Les échappatoires au protocole étaient tels qu'on ne pouvait pas avoir cette garantie. Nous avons d'ailleurs été félicités, non seulement par les ONG mais aussi par la plupart des pays du tiers-monde qui nous ont dit: "un accord des pays riches sur notre dos, nous aurait scandalisés.""

Mais avec qui maintenant allez-vous négocier car c'est très important, il faut aboutir à un accord ? Or, c'est peut-être avec le Président Bush qu'il faudra négocier. Est-ce que tout serait à refaire si c'est lui qui est élu ?
- "Je ne le crois pas. D'une part, parce que les Etats-Unis ont marqué leur engagement à Kyoto, il y a trois ans, pour une réduction de leurs émissions de 7 %. Ensuite parce que, qu'il le veuille ou non, G. Bush sera aussi soumis à la pression des citoyens américains qui ne sont pas forcément d'accord avec les sénateurs les plus réactionnaires des Etats du MiddleWest. Enfin, parce que la communauté internationale a beaucoup avancé sur ces sujets et que nous ne sommes pas si loin d'un accord. Il sera très difficile à une nouvelle administration américaine de repartir de zéro."

Mais vous, avec l'Union européenne, après ce que vous venez d'envoyer au visage de monsieur Prescott, ce matin, comment les choses vont-elles se passer ? Il faut en effet que l'Union européenne ...
- "Ne renversez pas les termes de l'équation."

Non, vous lui répondez ...
- "Les déclarations de J. Prescott sont inadmissibles sur la forme et sur le fond. Elles sont médiocres, minables, et il est normal qu'on lui réponde ! Je souhaite lui répondre, à la fois pour qualifier ces déclarations comme elles le méritent mais aussi pour proposer des pistes de sortie. J'ai proposé à la fin de la conférence que le dialogue se poursuive entre les gros pays émetteurs et l'Union européenne, avec le souci de trouver un accord qui convienne aussi aux Etats du tiers-monde. On ne va pas leur dire simplement : "on va se mettre d'accord pour renégocier à la baisse nos engagements. On n'est même pas sûrs que cela permettra une diminution des émissions de carbone. Vous allez continuer à subir des événements climatiques extrêmes, des cyclones, l'augmentation du niveau des mers, des événements majeurs dans les deltas des grands fleuves. Et on va peut-être vous dire après, à la fin de la négociation, combien ça coûte pour que vous vous taisiez, pour que vous vous résignez à ce qu'on ne respecte pas nos engagements.." C'était cela qui était proposé par les Américains."

C'est vrai qu'il est important que l'Europe arrive un jour à avoir une position commune.
- "J'aimerais bien pouvoir interpréter la déclaration de J. Prescott comme un plaidoyer vigoureux pour une accélération de la construction européenne. J'espère que cela se sentira lors de la conférence intergouvernementale de Nice et que les Anglais seront à nos côtés pour renforcer la cohésion européenne. L'Europe est aujourd'hui un nain politique, une juxtaposition d'Etats qui font des efforts conséquents par le biais de leurs ministres sur tel ou tel sujet pour avoir une position commune mais qui ne disposent pas des moyens de leurs ambitions."

Est-ce que la terrible question des farines animales va être un élément fédérateur pour l'Europe ? On voit maintenant que les Allemands, à leur tour, commencent à se poser la question de l'interdiction des farines. Est-ce qu'on va enfin y venir, partout ?
- "Il en aura fallu du temps pour que certains pays admettent que si on ne cherchait pas l'ESB dans leur pays, il était assez logique qu'on n'en trouve pas, et qu'il fallait donc mettre en place à l'échelle européenne un programme de détection et des mesures de protection coordonnées ! La conscience progresse à grands pas : aujourd'hui, le Gouvernement français ne fait plus figure d'accusé isolé sur la scène européenne et je suis convaincu que J. Glavany aura un peu plus de facilité au cours des prochaines semaines à obtenir de ses collègues des politiques ambitieuses pour prévenir et éradiquer l'ESB en Europe."

Sans faire de caricature ni tomber dans les images faciles, est-ce que, pour échapper à la vache folle, on est obligé d'en passer par les organismes génétiquement modifiés ? Il paraît que vous n'êtes pas d'accord avec la décision du Conseil d'Etat qui vient d'être rendue et qui autorise l'utilisation de certains OGM ?
- "La décision du Conseil d'Etat n'est pas une décision politique, mais une décision juridique : elle reconnaît simplement que la France n'avait pas d'autre solution que l'autorisation, dans le respect des règles communautaires, et elle affirme que le Gouvernement devait donner une autorisation dans le cadre de la législation sur les semences, c'est-à-dire pour dix ans et non pas pour trois ans. Cela dit, les agriculteurs ne sèment plus ces semences, Novartis a décidé de ne plus les commercialiser, et nous devons poursuivre le moratoire sur les OGM. Est-ce qu'il est inévitable d'avoir recours à des semences OGM pour remplacer les farines animales ? Je ne le crois pas. Encore faut-il revoir les fondements de la politique agricole commune, qui limitent de façon très stricte la mise en culture de protéagineux sur le sol français, dans le cadre des engagements que nous avons pris à Blair House. Il est indispensable d'y revenir et de donner à la France les moyens de réorienter son agriculture vers des productions de qualité, retrouvant la confiance des consommateurs. Cela suppose qu'on réfléchisse profondément : après la deuxième guerre mondiale, on a choisi des productions de masse permettant des aliments à bas prix. Cela n'a été bon ni pour les agriculteurs ni pour les consommateurs. Il faut revoir ce système, il faut que les agriculteurs reprennent le contrôle sur leurs productions et que les consommateurs acceptent de payer le juste prix des produits de qualité."

Une question politique relative à ce que L. Jospin a avancé comme réflexion sur le renversement du calendrier électoral : qu'en dites-vous ?
"Je ne suis pas sûre que cette question passionne les foules. Ce n'est pas pour fuir la discussion, mais on risque de se trouver dans la même situation que pour le quinquennat : l'impression donnée à la population qu'il s'agit d'une question politicienne, qui intéresse d'abord les partis et les élus. Deuxièmement, je cherche depuis des années à rééquilibrer les pouvoirs, entre le Président de la République et le Parlement, et je ne suis pas sûre que l'inversion du calendrier le permette, parce qu'en fait, on va subordonner toute la vie politique française à l'élection au suffrage universel du Président de la République. Cela ferait certainement plaisir au Général De Gaulle ; ce n'est pas forcément ce dont on a besoin pour entrer dans le XXIème siècle. Troisièmement, on m'explique aujourd'hui qu'on ne change pas la règle du jeu à un an des élections, pour expliquer le refus d'introduire une dose de proportionnelle ; alors, pourquoi la changer pour le calendrier électoral ? Si on devait s'orienter vers l'inversion du rythme et de l'ordre des élections, alors il faut que ce soit dans le cadre d'un paquet qui permette de représenter justement les différentes forces politiques sur l'échiquier électoral."

(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 novembre 2000)