Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le bilan du plan Université 2000, et les orientations du futur programme Université du 3ème Millénaire (U3M), Paris le 4 décembre 1998.

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Circonstance : Colloque consacré au bilan du plan Université 2000 à Paris les 3 et 4 décembre 1998-intervention de M. Poncelet le 4

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les recteurs,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
C'est un plaisir pour moi de participer à l'introduction des travaux de la seconde journée de ce colloque consacré au bilan du plan Université 2000, et à la présentation des premières orientations du futur programme Université du 3ème millénaire.
Introduire la table ronde consacrée à la mobilisation des collectivités locales dans ce cadre constitue, pour le Président du Sénat, un exercice redoutable.
La " nouvelle frontière " que représentent, pour les collectivités locales, l'enseignement supérieur et la recherche, ne peut en effet être envisagée avec sérénité que si l'Etat démontre sa capacité à cesser de pratiquer, comme il le fait trop souvent, une simple " politique de la main tendue ".
A cet égard, j'affirme que le Sénat, assemblée parlementaire à part entière à laquelle la Constitution confère une vocation spécifique de représentant des collectivités locales, assumera pleinement son devoir de vigilance.
Or, j'observe que les deux domaines de l'enseignement supérieur et de la recherche ne devraient - si l'on s'en tient strictement à la loi - n'avoir qu'un lointain rapport avec la décentralisation. Car, vous le savez, le législateur a toujours voulu, depuis la Révolution française, que l'Etat reste seul compétent en ces matières.
Or, vous le savez, la pratique s'est progressivement éloignée de la loi. Ainsi, dans les contrats de plan Etat/régions conclus en 1989, plus de 3 milliards d'investissements ont été contractualisés, dont - déjà - moins de 50 % à la charge de l'Etat. Le plan Université 2000 est donc davantage l'aboutissement d'une démarche plus ancienne qu'une véritable rupture :
Aboutissement du fait de l'ampleur du bilan, dont vous connaissez tous les chiffres. J'en rappelle deux : 3,5 millions de m2 neufs qui seront effectivement construits d'ici la fin 1999, 40 milliards de francs investis, soit un décuplement de l'effort antérieur, à la charge des collectivités locales à plus de 50 %. Qu'en aurait-il été si ces dernières n'avaient pas répondu dans de telles proportions aux sollicitations des Gouvernements successifs ?
Sans l'effort des collectivités locales, la France n'aurait pas pu faire face à l'explosion du nombre des étudiants. Cet effort a permis de rapprocher les universités des étudiants les plus défavorisés.
Aboutissement parce que l'Etat a accepté de tirer les conséquences de son désengagement partiel en laissant, dans nombre de cas, les collectivités, partenaires financiers dominants, assurer le pilotage des opérations et la maîtrise d'ouvrage. Cela n'est pas étranger au retour des universités dans les centre-villes et à la démocratisation géographique de l'enseignement supérieur, qui a investi de très nombreuses villes moyennes.
Aboutissement enfin parce que, au-delà de l'incontestable succès du plan Université 2000, nous sommes sans doute parvenus - pour des motifs parfaitement honorables - au stade où le législateur devra prendre ses responsabilités. Je ne suis certes pas partisan d'enserrer dans un carcan réglementaire tous les partages de compétences entre l'Etat et les collectivités locales. Il faut laisser une place à une salutaire improvisation, surtout dans des domaines aussi innovants que ceux de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mais il faut aussi avoir le courage de tirer les conséquences des insuffisances du programme Université 2000, afin d'assurer le nécessaire succès du plan U3M, qui ne sera peut-être pas aussi facile à financer, alors que l'effort demandé aux collectivités locales va croissant, dans tous les domaines, qu'il s'agisse des réseaux de transports collectifs, de l'environnement... et de l'enseignement secondaire. Je rappelle, à cet égard, que les régions vont devoir financer l'essentiel du plan de modernisation que vous avez annoncé récemment, Monsieur le Ministre.
De surcroît, il peut se révéler très intéressant pour des collectivités - dont les marges de manoeuvre s'amenuisent - de faire sortir de terre un nouveau pôle universitaire. Celui-ci offre une incontestable opportunité de reconversion d'un territoire en difficulté, d'une friche industrielle ou militaire, ou de dynamisation d'un centre-ville...
Qu'en sera-t-il des rénovations en Ile-de-France, de la création de locaux d'information et d'orientation, de salles de travail, ou de la mise en place d'un réseau d'intérêt national alliant enseignement supérieur, recherche et hautes technologies ? Je fais toute confiance aux élus locaux, qui ont une conscience aiguë de leurs responsabilités. Mais je crois qu'une certaine remise en ordre sera de nature à éviter bien des conflits d'objectifs, et aussi à réintroduire l'université, dans toutes ses composantes, dans la sphère de décision, dont elle a parfois été un peu absente.
Vous le savez, l'effort financier global, rapporté au nombre d'étudiants, a fortement varié d'une académie à l'autre, en fonction notamment du degré d'implication des différentes collectivités. Certes, les écarts observés, qui vont du simple au quintuple, doivent être pondérés par d'autres facteurs, à commencer par le niveau d'équipement antérieur à 1990. L'amplitude de l'effort financier comparé des différentes collectivités, régions, départements et communes, a également varié, de façon significative. Certains programmes immobiliers n'ont pu être réalisés que parce que le Conseil Général, voire la commune, ont su prendre le relais à temps.
Une certaine rationalisation des clés de financement est donc indispensable, y compris pour que l'Etat continue d'assumer ses responsabilités, ce qui n'a pas toujours été le cas. Pour tel site universitaire du sud-est de la France, implanté dans une métropole de dimension régionale, l'Etat n'a apporté que 25 % du montant total de l'investissement. Est-ce acceptable ?
Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs, au-delà du seul contexte législatif, à propos duquel le Sénat aura sans doute à mener une réflexion dans le cadre de la future mission d'information sur la décentralisation, que j'ai appelée de mes voeux, le succès du futur plan U3M dépend autant de la méthode d'élaboration qui sera retenue que de son contenu.
Et tant de choses sont dites sur la programmation qui sera retenue, tant de priorités sont d'ores et déjà annoncées, toutes plus consommatrices de crédits les unes que les autres, que j'éprouve quelques craintes quant à la latitude dont disposeront, au plan local, recteurs, présidents d'universités et présidents des conseils régionaux et généraux. Pourtant, celle-ci doit être suffisamment étendue pour que " Université 3ème Millénaire " (U3M) puisse apparaître à l'heure du bilan, en 2006, comme un nouveau succès de la décentralisation et une démonstration de l'efficacité de la gestion déconcentrée, encore bien insuffisante dans notre vieux pays centralisé.
Et elle doit reposer sur des engagements précis et définitifs de l'Etat.
Ainsi, dans le domaine des bibliothèques universitaires, chères à mon ami Jean-Philippe LACHENAUD, qui vient d'y consacrer un rapport remarquablement exhaustif, le plan "Université 3ème Millénaire" devra prendre le relais et combler les insuffisances du plan Université 2000. Les recommandations du rapport MIQUEL sont loin d'être encore satisfaites et il ne suffira pas que les collectivités territoriales participent au financement d'équipements supplémentaires. L'Etat devra affecter les personnels nécessaires. Je rappelle que le ratio d'encadrement est seulement de 2,5 pour mille étudiants en France (3,25 en 1989), contre 6,4 en Allemagne...
Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs, je souhaite, tout comme vous, le succès du plan " Université 3ème Millénaire ", parce qu'il est effectivement indispensable que l'enseignement supérieur saisisse la chance exceptionnelle de développement que représente l'ouverture européenne. En ce sens, l'accueil et les échanges avec des étudiants et des enseignants étrangers constituent un défi essentiel, tout comme la mise en réseau des centres universitaires d'excellence et des laboratoires de recherche.
En guise de conclusion, je constate que la relance de la décentralisation passe, en effet, par l'ouverture aux collectivités locales de nouveaux territoires d'intervention, dont l'enseignement supérieur constitue un exemple.
Toutes ces avancées ne pourront toutefois se réaliser que si l'Etat s'engage à respecter le principe de compensation, concomitante et intégrale, des charges transférées.
Pardonnez-moi, Monsieur le Ministre, d'insister sur cette condition préalable et indispensable, mais les collectivités, échaudées par le passé, craignent, dans ce domaine comme dans d'autres, l'avenir.
J'espère que vous saurez inscrire votre action dans le cadre d'un partenariat responsable et équilibré avec les collectivités locales.
(source http://www.senat.fr, le 18 février 2002)