Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à une question sur le débat sur la torture pendant la guerre d'Algérie, à l'Assemblée nationale le 28 novembre 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député,
La reconnaissance des crimes commis pendant ce que nous appelons maintenant la guerre d'Algérie et du fait que la torture fut pratiquée crée un trouble profond dans l'opinion qui l'exprime et heurte notre conscience. Pourquoi m'élever contre la torture ? Parce que je suis contre la torture. Certes, ces dévoiements qui étaient minoritaires n'étaient pas ignorés, notamment de ma génération. Mais l'aveu récent, la reconnaissance récente par certains des acteurs alors en charge des opérations de maintien de l'ordre à Alger obligent à regarder en face la vérité aussi terrible soit-elle et à la condamner sans appel.
Pourquoi me suis-je exprimé sur ce sujet - brièvement d'ailleurs - au dîner du Crif ? Tout simplement, parce que je m'exprimais sur le devoir de vérité, l'obligation de considérer notre histoire dans tous ses aspects, même les plus sombres. Et il est vrai que j'avais été interpellé - comme le Président de la République d'ailleurs, et moi en tant que Premier ministre - par un appel signé par des intellectuels.
Tout cela s'est produit dans le cadre d'un conflit long et terrible. Il se situait dans un contexte où des crimes, et notamment des massacres, ont été commis - en particulier contre les harkis. Je n'ai naturellement aucune difficulté à dire ma condamnation de ces massacres et à reconnaître ce que sont là aussi des faits historiques tragiques.
Je n'oublie pas non plus de rappeler le fait que le contingent qui s'est battu dans une guerre coloniale qu'il n'avait pas souhaité, contre laquelle il a souvent manifesté - notamment au début du conflit - ce contingent s'est mobilisé pour aider à défendre la République lorsque des factieux ont voulu la menacer dans le cadre de cette guerre coloniale. Et je lui rends hommage.
Je n'oublie donc en rien les crimes, les exactions et les massacres qui étaient perpétrés de l'autre côté, mais je considère qu'une démocratie est d'abord comptable du rapport à ses propres valeurs d'actes qui ont été commis en cette période par de hauts responsables.
Quarante ans après les faits, un travail objectif d'explication et de compréhension est évidemment nécessaire sur ces événements particulièrement dramatiques pris dans toutes leurs dimensions. Ce travail ne relève pas pour moi - j'ai déjà eu l'occasion de le dire - d'un acte de repentance. Le Gouvernement, comme il l'a fait au cours de ces trois dernières années pour l'accès aux archives de la seconde guerre mondiale ou aux documents relatifs aux journées d'octobre 1961, est prêt à favoriser un tel travail scientifique et historique."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 novembre 2000)