Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la politique agricole commune en faveur des pays en voie de développement, Paris le 6 décembre 2000.

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Circonstance : Conférence sur les négociations à l'OMC "Agriculture et pays en développement" à Paris le 6 décembre 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le Commissaire,
Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir à Paris, pour cette réunion ministérielle.
Avant que nous commencions nos travaux, cet après-midi, je voudrais vous dire, en quelques mots, dans quel esprit j'aborde ces discussions.
Le prochain cycle devra être celui de la solidarité entre le Nord et le Sud. L'objectif n'est pas facile à remplir : SEATTLE l'a bien montré. Mais je crois que l'Europe est prête, plus peut-être que la plupart de ses grands partenaires développés.
La coopération nourrie depuis de longues années, nos efforts d'aide au développement, les conventions de LOME, les relations bilatérales, politiques, culturelles entre nos différents pays sont autant d'éléments au travers desquels nous avons tissés des liens solides.
Naturellement, il s'agit aujourd'hui de bâtir quelque chose de nouveau, et c'est de cela que nous allons parler, aujourd'hui, dans les mois qui viennent, et au-delà au cours des négociations que nous relancerons bien un jour.
Mais gardons cela à l'esprit : nous ne partons pas de rien.
Nous partons avec un socle commun, constitué de cette longue tradition de coopération. Et au-delà, je crois profondément que ceci se traduit par une communauté d'aspiration pour l'avenir qu'on ne retrouvera pas avec d'autres partenaires, ou en tout cas pas au même degré.
Nous ne partons pas de rien, les faits le montrent bien :
Je voudrais relever quelques chiffres, non pas pour mettre tel ou tel pays en accusation, mais pour souligner le caractère singulier de l'expérience européenne.
L'Europe importe 6 fois plus de produits agricoles venus des PMA que les Etats-Unis.
99% des droits des exportations des pays ACP entrent en Europe sans droit de douane, contre 65% aux Etats-Unis.
40 % des exportations des pays ACP vers l'Europe sont des produits agricoles, alors que le chiffre n'est que de 10% pour les Etats-Unis : ce qu'importent les Etats-Unis des pays d'Afrique et des caraïbes, ce sont essentiellement des matières premières - du pétrole, pour les deux tiers -, cela illustre bien, je crois, que nos relations sont de nature différentes.
Nous ne partons pas de rien, aussi, pour une autre raison :
Avec les ACP, nous avons commencé à moderniser le cadre de nos relations économiques, au travers des conventions successives entre l'Europe et les pays ACP, en nous donnant des objectifs de moyen terme, la création d'une zone de libre échange en 2008, en incitant, dans l'intervalle, à plus d'intégration régionale, et en décidant de mettre en oeuvre les moyens nécessaires, sous forme d'aide financière, pour préparer ces évolutions. Cela nous donne un champ d'expérience important pour l'avenir.
Nous ne partons pas de rien, et nous ne manquons pas, je crois, d'aspirations communes pour l'avenir.
C'est peut-être cela l'essentiel : dans le domaine agricole, on oppose parfois l'Europe aux PVD. L'Europe serait fermée, et ce protectionnisme agricole serait le principal obstacle au développement de l'agriculture des pays du Sud. Ce n'est pas un mauvais débat et l'accusation n'est pas sans fondement.
Mais nous devons nous comprendre sur un point essentiel : le souci de l'Europe, aujourd'hui, est d'avancer dans une direction qui concilie ces deux histoires, celle de la coopération entre nous, riche de son passé, pleine d'avenir, et celle d'une agriculture qui évolue dans une direction nouvelle.
Après la tentation productiviste de l'après-guerre, nous avons pris, dans la période récente, un tournant important, avec un objectif que je résumerais ainsi : il faut redéfinir le rôle de l'agriculteur dans la société. C'est ce que nous avons entrepris, en mettant en place un nouveau volet de la PAC, le développement rural ; en mettant l'accent sur les aspects sociaux et l'aménagement du territoire ; en donnant aux agriculteurs les moyens nécessaires pour faire vivre les zones rurales, pour protéger l'environnement, pour tenir compte des relations avec des consommateurs toujours plus demandeurs de qualité, de diversité, de sécurité alimentaire.
Cela pose de nouvelles questions pour la négociation internationale, qu'il s'agisse du traitement des organismes génétiquement modifiés ou de la protection des appellations d'origine. Mais en définitive, loin d'être une nouvelle manière de justifier des mesures protectionnistes, nous réformons la PAC dans une direction qui nous conduit, progressivement, à une politique agricole qui perturbera moins les marchés mondiaux, qui sera plus facilement compatible avec la poursuite de l'ouverture aux échanges internationaux dans le domaine agricole.
C'est cela principalement que je voulais vous dire, en introduction à nos travaux : l'agriculture ne doit pas être, ne sera pas, un obstacle dans la négociation à venir entre les pays en développement et l'Europe.
Ceci est d'autant plus vrai que ce que nous voulons pour l'agriculture européenne, je suis convaincu que beaucoup d'entre vous le partage s'agissant de votre propre agriculture.
Nous voulons éviter qu'une vision extrémiste du libéralisme agricole ne vienne simplement faire obstacle, au nom des profits de quelques uns, aux efforts collectifs que nous avons entrepris pour que notre agriculture puisse jouer son rôle social.
Nous voulons refuser que mondialisation ne rime avec uniformisation - ce qui ne veut pas dire que nous refusons plus d'ouverture, au contraire, nous la souhaitons, François HUWART en parlera probablement, mais que nous voulons concilier plus d'échange avec plus de diversité.
Nous voulons fixer des règles du jeu international, pour éviter que les grandes multinationales de l'agro-alimentaire ne viennent dicter l'avenir de nos agriculteurs et de nos politiques agricoles.
Tout cela ce sont des objectifs sur lesquels, j'en suis convaincu, nous pouvons trouver des points d'entente ou de compréhension mutuelle.
Mais je le disais en introduction : nous devons élaborer une approche nouvelle pour nos discussions futures. Cela signifie, naturellement, que nous devons prendre le temps du dialogue. C'est là, en définitive, la première, la principale raison d'être de cette journée de travail.
Il ne s'agit pas aujourd'hui de négocier une position commune, ni même de prétendre que nous serons facilement d'accord sur tous les sujets. Mais face aux pays du groupe de Cairns qui sont souvent les mieux disants, mais les moins agissants, nous voulons, nous commencer par nous écouter mutuellement, parce que c'est comme cela que nous finirons par définir, pas à pas, les points de négociation que nous pourrons pousser ensemble, comme ceux sur lesquels nous devons poursuivre le dialogue pour mieux nous comprendre.
Après le déjeuner, nous aurons l'occasion de revenir en détail sur ces différents sujets, l'accès au marché, le traitement spécial et différencié, la multifonctionnalité de l'agriculture. Un rapport de chacun des trois groupes de travail qui se sont réunis ce matin nous permettra d'ouvrir la discussion. Mike MOORE, qui nous rejoindra au début de l'après-midi, nous donnera à ce moment le point de vue de l'OMC.
Nous n'aurons pas de conclusions formelles. Je souhaite simplement que nous réussissions, à la fin de la journée, à enclencher un dialogue qui est indispensable si nous voulons progresser ensemble.
A ce stade je voudrais, sans attendre, que nous puissions compléter cette introduction en passant la parole à François HUWART, puis à Franz FISCHLER.

(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 8 décembre 2000)