Interview de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, dans "Libération" du 8 janvier 1999, sur sa proposition de baisser les coûts d'accès à internet.

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- Les coûts daccès à lInternet sont-ils excessifs ?
Laccès à la « toile » est encore trop cher. Si on part de lidée que lInternet est un formidable outil pour le futur, il ne faut pas quexiste de barrage financier à son usage. Or, les coûts dus à sa facturation, à la durée dutilisation, restent trop élevés. Dans ces conditions, le risque est grand de voir se développer un fossé entre inforiches et infopauvres. On ne favorisera ni léducation, ni la formation, ni la culture en laissant sinstaller une sorte de nouvel illettrisme numérique.
La France a de gros progrès à accomplir afin de diffuser lInternet dans tout le pays. Pour favoriser ce mouvement, indispensable en termes de vie démocratique comme daménagement du territoire, je crois beaucoup à léquipement des écoles, aux points daccès publics et notamment aux bibliothèques. Mais au-delà de cet effort dinvestissement, se dressera toujours la barrière du prix du téléphone. La dernière étude de lIDATE, qui porte sur 31 pays, classés par ordre croissant des coûts daccès au réseau, place la France en 22ème position. Et encore, pour six heures par mois. Pour dix heures, on se place en 26ème position. Comment dit-on lanterne rouge dans le langage moderne de la communication ?
- Se focaliser sur les coûts daccès à lInternet alors que près de 80 % des foyers français ne sont pas équipés dordinateur multimédia, nest-il pas indécent ?
Non, ce nest pas du tout contradictoire. Dans un autre domaine, ce nest pas parce que la moitié des Français ne paient pas limpôt sur le revenu quil ne faut pas le baisser pour ceux qui le paient. Ici, la crainte de recevoir des factures de télécom trop élevées est un obstacle supplémentaire à lachat dun ordinateur. Evitons de nous focaliser sur le prix actuel des machines, alors que bientôt, grâce à la baisse constante du coût des matériels, les sociétés qui fournissent laccès à lInternet offriront peut-être lordinateur en prime comme le font déjà les opérateurs de téléphone portable.
- Comment faire baisser les coûts daccès à lInternet ?
La meilleure solution me paraît être linstauration dun forfait pour un nombre substantiel dheures. Par exemple, 100 francs pour 100 heures de connexion mensuelles serait un bon objectif, à atteindre rapidement.
- Qui peut imposer ce forfait ?
La tentation est grande de se tourner vers France Télécom. Cest facile. Cest eux qui envoient la facture. Mais lopérateur de répondre aussitôt que lorsquil veut proposer des tarifs avantageux pour les internautes, ces prix ne sont pas acceptés par lAutorité de Régulation des Télécommunications (ART). En fait, il ny a pas un responsable unique à cette situation. Chacun se renvoie la balle. Cest pourquoi je crois que la grève récente qui vit claviers, modems et écrans boudés une journée durant, a été utile. Elle a permis à lensemble des responsables, France Télécom, lART, le gouvernement, de mieux se rendre compte de lampleur et de la réalité du problème . Quand il y a prise de conscience, on peut estimer quon a déjà avancé. Il nétait pas trop tard, mais il était temps
- LART risque de retoquer ce tarif. A un franc de lheure, cest en dessous du prix de revient
LART, pour rendre ses avis, qui sont toujours très argumentés, se réfère à une grille des « tarifs dinterconnexion ». Ils correspondent au coût auquel France Télécom facture le transit sur ses propres lignes aux autres opérateurs. Il faudra donc créer des tarifs dinterconnexions spécifiques à lInternet afin que les concurrents de France Télécom ne soient pas pénalisés et puissent proposer une offre de nature identique. Ainsi la concurrence sera respectée.
- Vous excluez une intervention de lAssemblée nationale ?
Je suis partisan de la méthode du bon sens partagé, de la bonne volonté et dune négociation fondée sur un calendrier plutôt quune législation immédiate mais inadaptée. Les responsables publics, lART, les opérateurs sont saisis du dossier. Le gouvernement, avec raison, y insiste. Nous sommes au mois de janvier. Donnons-nous un semestre. Si en juin, tout le monde continue à se regarder en chien de faïence, il faudra au Parlement se saisir certainement de ce dossier et trouver une solution. Cest son rôle de définir les missions de service public de lopérateur. Mais je préférerais de beaucoup la solution concertée qui prouverait la maturité, le sens des responsabilités et la démarche de progrès de tous les acteurs. Créativité, modernité, solidarité, ce peut être aussi cela lInternet. Qui osera déclarer quil ne fait pas le choix de lavenir ?
- Louverture du capital de France Télécom na-t-elle pas entamé les marges de manuvre du gouvernement ?
Je ne crois pas. LEtat reste majoritaire dans le capital et peut faire valoir ses positions. Et certaines obligations de France Télécom sont définies par la loi du 26 juillet 1996. On doit bien sûr veiller à ce quelles soient respectées.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr)