Interview de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans le mensuel "La Chronique d'Amnesty International" de janvier 2001, sur l'aide publique au développement de la France et la question des Droits de l'Homme en Afrique.

Prononcé le 1er janvier 2001

Intervenant(s) : 

Média : La Chronique d'Amnesty International

Texte intégral

Q - L'Aide publique au développement (ADP) diminue tout comme le nombre de coopérants français, d'expatriés, de militaires... Comment interpréter ce retrait ?
R - L'APD a en effet baissé au cours de la dernière décennie. L'aide française n'a pas échappé à cette tendance, mais reste très au-dessus de la moyenne. La France demeure le pays le plus généreux du G7. Notre souhait aujourd'hui est d'améliorer la qualité et l'efficacité de notre aide bilatérale. Il y a moins de coopérants techniques, c'est exact, mais nous cherchons à promouvoir une coopération fondée sur la formation des partenaires plutôt que la substitution. Quant à la baisse du nombre de militaires présents en Afrique, il faut y voir une redéfinition de nos relations avec ce continent, dans le sens de la non-ingérence. Toutefois, n'oubliez pas que la dimension multilatérale de la sécurité en Afrique a pris une importance nouvelle. La France accroît son appui aux efforts de sécurité régionale dans tout le continent. Toutes ces évolutions vont dans le sens de la modernisation de notre politique.
L'Union européenne qui représente plus de la moitié de l'APD mondiale, a de même engagé un processus de réformes sans précédent qui s'est traduit, le 10 novembre dernier, par l'adoption, sous ma présidence d'une déclaration du Conseil et de la Commission sur la politique de développement de la communauté.
Q - Quand l'aide bilatérale de la France était plus importante, Paris disposait d'un levier qui lui aurait permis de faire pression sur les autorités pour obtenir des concessions en matière de Droits de l'Homme, mais elle l'utilisait peu. Aujourd'hui que la France aide moins, sa parole est certes plus libre mais de moindre portée... S'agit-il d'un jeu à somme nulle ?
R - Je ne suis pas certain que le respect des Droits de l'Homme soit lié à l'importance de l'aide bilatérale. Dans les pays africains qui connaissent la paix, l'attention portée aux Droits de l'Homme est plus grande qu'il y a dix ans. Cela ne veut pas dire qu'ils soient respectés. Mais je crois que des signaux très utiles ont été donnés par la France. Je pense au discours de La Baule de 1990 mais aussi à de nouvelles pratiques comme le dialogue politique prévu par les accords Union européenne/ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).
Q - La France a-t-elle une politique active en faveur des Droits de l'Homme en Afrique ?
R - Plutôt que de sanctionner, nous préférons inciter. Nous aidons des pays africains à travers des programmes centrés sur les Droits de l'Homme. Nous intervenons auprès des autorités sur des cas individuels. Nous dispensons également des aides permettant de former des journalistes et des magistrats, et nous aidons certaines associations de Droits de l'Homme. En matière de sanctions, nous avons deux instruments encore peu connus, outre ceux des Nations unies : la convention UE/ACP de Cotonou, signée en juin 2000, et la déclaration de Bamako adoptée dans le cadre de la Francophonie en novembre dernier.
Q - Pourquoi la France ne suspend--elle pas sa coopération avec la Guinée, pour marquer son désaccord avec une pratique généralisée de violations des Droits de l'Homme ?
R - La France suit attentivement ce qui se passe en Guinée. En ce qui concerne la situation d'Alpha Condé, je peux vous dire qu'il reçoit la visite régulière de sa sur et de son médecin et qu'il peut lire son courrier et se procurer des vivres. Il convient de rappeler que la Guinée connaît par ailleurs de graves difficultés, dues à une déstabilisation en provenance de pays voisins. La France en est très préoccupée.
Q - La décision d'aider financièrement la Côte d'Ivoire marque-t-elle la volonté de la France de se démarquer à nouveau des recommandations des institutions financières internationales ?
R - La situation en Côte d'Ivoire n'est pas stabilisée et il serait prématuré d'annoncer des chiffres en ce qui concerne l'aide financière de la France. Celle-ci sera décidée en concertation avec les institutions financières internationales. Il n'est pas question d'abandonner la doctrine d'Abidjan, qui exclut que la France fasse, en cette matière sensible, cavalier seul.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 janvier 2001)