Texte intégral
1. Vous avez déclaré : "une entreprise qui marche bénéficie à toute la société." Comment, selon vous, valoriser la démarche de l'entrepreneur en France, relancer l'esprit d'entreprise ?
C'est avec les PME qui naissent aujourd'hui, que le futur de notre économie se joue. Un salarié sur cinq travaille dans une entreprise créée ou reprise voici moins de cinq ans. Demain, en créant de l'activité, des marchés, en soutenant la consommation et l'investissement, elles feront reculer le chômage. Dans dix ans certaines seront leader sur leur marché et pousseront en avant nos exportations. Dans vingt ans, pourquoi pas, lune d'entre elles deviendra une société à dimension internationale permettant à la France de drainer capitaux et cerveaux. Alors oui, même si cela demande un travail de longue haleine pour agir sur les mentalités et les représentations, je ne crois pas qu'il faut diaboliser l'entreprise, l'initiative, l'audace. Au contraire, il faut faire le maximum pour encourager l'esprit d'entreprise.
2. Faire que l'échec soit pardonné et revoir la pédagogie de notre système universitaire peut-il suffire ?
Aujourd'hui l'échec est stigmatisant. Du système scolaire au monde des entreprises, le même schéma se reproduit. Quand les jeux sont faits, il n'y a pas de deuxième chance. Quelle
erreur ! Celui qui a fait faillite n'a pas forcément "failli". Mieux accompagné dans ses démarches, il peut réussir autant que celui qui n'a jamais rien tenté. A l'école comme dans le monde du travail, culte de la perfection et crainte de la difficulté, du faux pas, de l'obstacle, clouent au sol l'élan et le risque sans lesquels il n'est pas de progrès. Nous le payons au prix fort. Le nombre des créations d'entreprises ne cesse malheureusement de décliner.
Un nouvel état d'esprit créatif doit imprégner la société. Préparer au travail en équipe, habituer à la prise de responsabilités et d'initiatives, développer les talents individuels, former des individus autonomes et responsables, inventifs et réactifs. Pas simplement en s'adressant aux dix/vingt ans, mais en mettant en place les moyens d'acquérir et de développer une éducation/formation tout au long de la vie.
L'instauration de nouvelles passerelles entre filières, le développement des échanges entre secteurs d'activité et de recherche, entre entreprises, laboratoires et universités, sont des priorités. L'esprit de technopole, l'âme des campus décloisonnés qui animent les universités de la vieille Angleterre, les secteurs porteurs des Etats-Unis ou Israël dont les PME se multiplient dans le domaine des biotechnologies, doivent nous inspirer. Découvrir est une chose. Utiliser cette découverte en est une autre. En tirer profit est une troisième. La chaîne ne doit pas s'interrompre. Sans cela, aussi massives soient-elles, les campagnes nationales de promotion de l'esprit d'entreprise resteront vaines. C'est en amont qu'il faut traiter la question.
3. Lors du colloque consacré à la création d'entreprise auquel vous avez participé, Jean Arthuis et Philippe Mathot ont plaidé pour la suppression des très nombreuses aides publiques "inutiles". Que pensez-vous de cette proposition ?
Le problème posé par les aides, je ne parle pas uniquement de celles tournées vers les entreprises, c'est qu'elles ne profitent pas assez à ceux auxquelles elles sont initialement destinées. Les plus habiles à s'y retrouver ne sont pas toujours les plus nécessiteux. Des démarches longues et complexes, une multitude de dossiers à remplir, un manque de renseignements patent, tout cela entrave l'efficacité de ces mesures.
L'entrepreneur individuel, lui, doit souvent agir dans l'urgence, investir dans des machines, du matériel, constituer au plus vite un fonds de roulement, augmenter son nombre de clients. C'est le propre des commencements. Il n'a tout simplement pas le temps.
C'est aussi pourquoi il est urgent de simplifier ces procédures, de mettre également en réseau les multiples agences d'aide et de conseil pour tendre vers le guichet unique : ce travail a été commencé, il faut l'approfondir. Lisibilité, accessibilité, efficacité, voilà les maîtres mots. Aplanir les montagnes bureaucratiques qui se dressent en travers de la route du créateur, lui simplifier la tâche pour lui laisser l'élan nécessaire à son essor, voilà ce qui me paraît le plus immédiatement nécessaire.
4. Lors de ce même colloque, vous avez appelé à un allégement dégressif des charges pesant sur les jeunes entreprises : précisément, quelles mesures vous sembleraient à même de libérer un peu plus les initiatives des apprentis créateurs ?
Trop de contraintes pèsent sur les épaules de celui qui se lance dans l'aventure de la création d'entreprise. Le poids de la fiscalité étouffe dans bien des cas les espoirs de développement. Dans ce contexte, comment investir pour renforcer son assise, recruter du personnel pour accompagner son essor ? Les bas salaires sont trop taxés. Les mesures d'exonération et d'allégement qui existent aujourd'hui sont insuffisantes. Pourquoi ne pas réfléchir à un assujettissement progressif à la pression fiscale, de la naissance à la cinquième année d'une société, assorti si elle réussit d'un report et d'un étalement de l'allégement obtenu sur la période de maturité, de 6 à 10 ans ? Une telle mesure serait à terme plus rentable pour les caisses de l'Etat que ce qu'elle leur coûterait. De même, une simplification de la réglementation faciliterait les démarches des chefs d'entreprises, en particulier en ce qui concerne l'embauche. La complexité est un facteur de ralentissement, donc d'appauvrissement pour la Nation. On en sous-estime trop souvent les effets. Le parlement a sa part de responsabilité. Nous ne cessons de légiférer. Combien de textes sont en vigueur, combien se contredisent ? Interrogez un législateur, à 1000 près il n'en saura rien. Inflation de textes et loghorée normative sont passées par là.
Nombreux sont, également, les porteurs de projets qui ne passent pas à l'acte par peur de se lancer sans filet. Deux millions de Français voudraient créer une entreprise et pourtant n'osent pas. Ne faudrait-il pas ménager des transitions ? Un statut de l'entrepreneur occasionnel permettrait à chacun de tester aussi bien les réactions du marché que ses propres capacités entrepreneuriales, avant de se lancer définitivement. Ce serait aussi un moyen d'encourager les chômeurs à créer d'un même geste leur entreprise et leur emploi, en rendant possible le cumul provisoire des indemnités chômage avec les premiers revenus d'une activité indépendante. Là encore, le gain à moyen terme pour la société l'emporterait sur le coût à court terme.
5. Le manque de conseils et de suivi est sans doute un des premiers facteurs de disparition des jeunes entreprises. Augmenter leurs chances de survie ne passe-t-il pas par une certaine professionnalisation de l'accompagnement des créateurs d'entreprise, confiée au réseau consulaire ou aux professionnels libéraux du conseil ?
Oui, il faut des « anges gardiens ». Que nous indiquent les enquêtes ? Que la création d'entreprises en France, c'est surtout l'affaire de petits entrepreneurs individuels, qui démarrent avec un capital de départ très modeste et une gamme de projets variée. C'est généralement un homme seul aidé de sa famille, de ses proches. Comment pourrait-il remplir toutes ces
tâches ? Comment aurait-il tous les talents à la fois ? On ne s'improvise pas du jour au lendemain expert comptable ou avocat d'affaires.
Banques, organismes consulaires, services de l'Etat, il faut coordonner l'ensemble des acteurs par un pilotage efficace, pour que l'entrepreneur individuel sache à qui s'adresser sans perdre de temps, organiser des partenariats, mettre en réseaux les différents interlocuteurs, trouver des tuteurs, tendre vers le guichet unique. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication représentent une formidable opportunité pour les PME, souvent isolées et dispersées sur notre territoire. Elles brisent les hiérarchies, les isolements. Redistribution des informations, partage des connaissances, ce sont les éléments de la nouvelle richesse des Nations. La créativité, c'est là-dessus qu'il faut mettre massivement l'accent.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr)