Déclaration de M. Jacques Chirac, président du RPR et maire de Paris, sur la politique de l'eau sur le plan national et à Paris, Paris le 10 mai 1990.

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Circonstance : Journées nationales de l'eau à Paris les 10 et 11 mai 1990, organisées par l'Association des maires de France et l'Association nationale des élus du littoral

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Association des Maires de France,
Mon Cher Michel GIRAUD,
Monsieur le Président de l'Association Nationale des Elus du Littoral,
Mon Cher Antoine RUFENACHT,
Monsieur le Président du Comité d'Organisation de ces premières "Journées Nationales de l'Eau",
Mon Cher Jacques OUDIN,
Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les Elus régionaux et départementaux,
Messieurs les Maires,
Messieurs les Experts,
Mesdames, Messieurs,
Que mon premier mot soit pour féliciter les organisateurs de ces premières "Journées Nationales de l'Eau"
Au moment où, dans l'ensemble de notre pays, et dans toute l'Europe, continent de climat pourtant tempéré, s'installe l'inquiétude et parfois l'angoisse du manque d'eau, dans les campagnes et dans les villes, il est remarquable que deux Associations d'Elus aient pris l'initiative de préparer une aussi importante réunion pour étudier et préparer l'avenir de l'eau en France.
Je vous félicite aussi pour la qualité des animateurs, le sérieux des documents préparatoires de cette rencontre, le savoir-faire et l'expérience de tous ceux que vous réunissez pendant ces deux journées pour traiter de cet enjeu du 21ème siècle : notre Eau !
II est significatif que ces journées aient été voulues et préparées par des élus, à l'intention des élus, avec la participation des meilleurs experts !
Le cycle de l'eau est en effet d'abord sous la responsabilité des Maires, chargés de la procurer à leur concitoyens, de répondre de sa qualité, et de veiller à l'assainissement des eaux usées.
Certes, d'autres instances que les Communes interviennent dans le cycle de l'Eau : l'Etat, responsable de la politique nationale de l'Eau, les Comités et Agences de Bassin, les Régions et les Départements, et les professionnels, qui comptent en France, par chance pour notre pays, parmi les meilleurs du monde.
Je veux donc souligner la force et la signification de l'appel à nous réunir ici, lancé par l'Association des Maires de France et l'Association Nationale des Elus du Littoral : les élus devaient prendre l'Initiative. Ils l'ont prise : c'est le gage, non seulement du succès de ces deux journées, mais de la relance tant attendue d'une politique française de l'Eau !
Vous êtes tous ici trop avertis et trop conscients de ces problèmes, les travaux préparatoires ont été suffisamment élaborés pour que je m'engage à exposer devant vous toutes nos préoccupations et toutes les orientations souhaitables.
Je voudrais cependant vous présenter mes deux préoccupations principales :
- l'eau est menacée
- nous en sommes responsables pour les générations futures.
1 - L'EAU EST MENACEE
Ce n'est pas la première fois dans notre histoire que l'abondance et la qualité de l'eau sont compromises !
L'alternance naturelle des inondations et des sécheresses est dans la mémoire de toutes les générations, et, il n'y a guère, en 1832, le choléra propagé par des eaux contaminées, ravageait Paris. Jusqu'à une époque récente, la Seine n'était qu'un grand égout nauséabond !
Mais aujourd'hui des menaces nouvelles se multiplient, s'étendent et se perpétuent.
L'inquiétude commence par les dérèglements climatiques, qui peuvent aggraver les phénomènes de sécheresse et de pluviosité.
Les modes de vie, de production et de consommation à la ville comme à la campagne demandent toujours plus d'eau.
Et ces mêmes modes de vie, de production et de consommation contaminent toujours davantage les ressources en eau, et restituent à la nature des effluents très insuffisamment épurés, qui agressent à leur tour la faune et la flore aquatique, et de là, la vie même.
Les mers et les océans, et donc notre littoral, sont atteints de la même manière : déversements abusifs de pollutions domestiques ou industrielles, marées noires : trop d'événements récents justifient nos préoccupations !
Certes, tout n'est pas nouveau pour nous, et les efforts pour protéger l'eau sont anciens : les hygiénistes du XIXème siècle, avec PASTEUR, ont engagé nos prédécesseurs dans des travaux et des méthodes dont nous bénéficions encore. Le vaste projet des Barrages-Réservoirs, achevé cette année, remonte aux années 1920, et le programme appelé aujourd'hui "Seine Propre" a été conçu dans les années 1930 et devrait s'achever en 1994.
Mais c'est le Général de GAULLE qui a voulu et engagé le redressement décisif, dans ce domaine essentiel comme dans bien d'autres.
La grande loi sur l'eau du 16 décembre 1964, et la mise en place des Agences de Bassin en 1967, ont donné à notre pays une politique de l'eau et les moyens de l'appliquer.
Or, depuis le début des années 1980, la crise commence et se développe : les investissements, pourtant indispensables, ont diminué de 30 %, en même temps d'ailleurs que nos autres efforts d'infrastructures et de logements, et ceci malgré le redressement entamé entre 1986 et 1988.
En effet, en 1986, j'ai libéré les prix dont celui de l'eau, permettant ainsi une relance des investissements, et en 1987 j'ai engagé la nécessaire amélioration de l'organisation de l'Etat dans le domaine de l'Eau, et j'ai relevé, à l'époque le taux de redevance en faveur du FNDAE, inexplicablement bloqué pendant des années.
Depuis, les menaces se confirment :
- dramatique insuffisance de l'épuration domestique,
- insuffisance des ouvrages de protection et de retenue d'eau,
- vétusté des réseaux et des installations,
- vulnérabilité croissante et durable des sources et des cours d'eaux aux pollutions permanentes et accidentelles,
- confirmation de nouvelles pollutions à retardement causées par les nitrates, les pesticides, les métaux lourds et autres déchets toxiques enfouis,
- répétition de sécheresses historiques,
- inondations catastrophiques, comme à Nîmes en 1988,
- importance croissante, en ville comme à la campagne, des pollutions d'orages.
Ce bilan et ces menaces nous imposent, à tous, d'agir, et c'est à nous d'apprendre à l'opinion publique, trop longtemps indifférente, que l'eau n'est pas une ressource illimitée que l'on peut utiliser, gaspiller et polluer à discrétion, et que cette ressource a son prix : celui que notre génération doit payer pour garantir l'eau à nos descendants. C'est l'héritage le plus vital que nous devons leur transmettre, et même en meilleur état si possible que nous l'avons reçu de nos prédécesseurs.
II - NOUS SOMMES RESPONSABLES DE L'EAU POUR LES GENERATIONS FUTURES
1) A nous d'agir!
" D'abord la recherche
Aussi confiants que nous soyons dans la science de notre temps, il nous faut convenir qu'il y a encore beaucoup à apprendre et donc à chercher :
- recherches géologiques et hydrologiques pour mieux comprendre et mieux maîtriser les étapes essentielles du cycle de l'eau,
- recherches physiques, chimiques et biologiques pour mieux protéger et épurer notre eau, mieux combattre les produits polluants actuels et futurs, mieux défendre la vie aquatique,
- recherches agricoles et industrielles pour mieux maîtriser les besoins en eau et les nuisances causées au milieu naturel.
Ensuite, adapter notre dispositif législatif, institutionnel et administratif.
Nous avons l'essentiel : la loi sur l'Eau de 1964 et le système des Comités et agences de Bassin : il faut les perfectionner et les adapter aux exigences d'aujourd'hui et de demain.
Le Gouvernement a annoncé une réforme de la loi de 1964 : j'attends avec un esprit positif ce qu'il proposera au législateur, et je l'approuve à l'avance, s'il s'agit de :
- renforcer notre droit de l'eau, concernant les prélèvements et les rejets, notamment,
- renforcer le contrôle des pollutions, permanentes ou accidentelles, ponctuelles ou diffuses,
- préciser le Code de l'Urbanisme, concernant les prescriptions d'assainissement des eaux usées et pluviales.
Sur ce dernier point de l'assainissement pluvial, des prescriptions hardies sont nécessaires, à commencer par les zones d'urbanisation nouvelles.
Au Gouvernement il appartient aussi de simplifier et d'améliorer le financement des investissements des collectivités locales dans le domaine de l'Eau.
Chacun sait que la chute désastreuse des investissements de ce secteur, entre 1980 et 1985 est due à l'encadrement du prix de l'eau et des redevances de bassin, à la suppression des subventions spécifiques de l'Etat et à des taux d'emprunt excessifs.
Au Gouvernement encore d'assumer ses responsabilités de maître d'ouvrage des 17 000 km de cours d'eau dont l'Etat est propriétaire, et dont le défaut d'entretien aggrave, aujourd'hui, nos inquiétudes sur nos ressources en eau. J'avais en 1987, montré la voie de ce redressement.
La réforme du financement de la protection de l'eau est affaire de prévoyance, de clairvoyance et de courage : souhaitons que le Gouvernement n'en manque pas !
* Enfin, il nous faut investir : rattraper le temps perdu, et atteindre le niveau de nos meilleurs voisins !
Nos équipements actuels, en valeur neuve, sont estimés à environ 550 milliards de francs. Les estimations raisonnables chiffrent à 300 milliards le coût de ce qui reste à faire, auxquels s'ajoute une dizaine de milliards par an pour renouveler ou réhabiliter ce qui existe ! II faut donc au moins doubler le rythme actuel des travaux de toutes natures.
2) Ce que je viens de dire me conduit, naturellement, à évoquer les orientations de la politique de l'eau à Paris comme il m'a été demandé par les organisateurs.
Nous y sommes privilégiés, héritiers d'HAUSSMANN et de BELGRAND : puissent les générations futures de Parisiens nous remercier de leur avoir transmis à notre tour un aussi bel héritage !
Toute la politique municipale est tendue vers l'objectif de maintenir aux Parisiens la meilleure eau potable, et de toujours mieux protéger la Seine.
La récompense de nos efforts commence à venir : elle nous stimule pour les poursuivre autant et aussi longtemps qu'il le faudra !
Par exemple, je suis le Maire d'une ville qui compte désormais parmi les meilleurs coins de pêche de France (je cite le "Chasseur Français"). Mais je sais bien que la reconquête de la propreté de la Seine est une longue et coûteuse affaire, encore inachevée.
J'ai donc d'abord associé la Ville, et proposé aux Ententes Interdépartementales qu'elle anime, l'Institution des Barrages-Réservoirs (IBRBS) et le Syndicat Interdépartemental d'Assainissement de l'Agglomération Parisienne (SIAAP) de s'y engager avec elle, dans le programme d'études et de recherches sur l'Environnement, le "PIREN SEINE", conduit par le C.N.R.S.
II s'agit d'effectuer des recherches fondamentales sur l'écosystème de la Seine, qui nous est encore mal connu, particulièrement en ce qui concerne la gestion hydraulique des barrages-réservoirs, l'effet sur la qualité de l'eau des différentes affectations des sols, et l'impact des pluies d'orage sur la qualité de l'eau.
La Ville et ses partenaires du bassin de la Seine attendent beaucoup de ces recherches, pour éclairer nos choix sur les ressources en eau de l'agglomération, et faire de la Seine un cours d'eau exemplaire.
Mais, dès à présent, mon premier et grand motif de satisfaction est l'inauguration prochaine du barrage "AUBE" : les 4 grands ouvrages de l'institution des Barrages-Réservoirs, voulus par la Ville de Paris qui y participe financièrement et techniquement, offrent aujourd'hui une capacité de 800 millions de m3 d'eau, soit plus d'un an de consommation d'eau de l'agglomération parisienne toute entière !
C'est grâce à ces barrages, que les Parisiens n'ont subi aucun effet de la sécheresse de l'an dernier. Leur remplissage actuel, qui est optimal, est notre meilleure défense contre la sécheresse annoncée pour 1990.
De plus, ces lacs artificiels (celui du barrage "AUBE" est l'équivalent du lac d'Annecy !) favorisent un milieu écologique exceptionnel : des espèces rares d'oiseaux en ont fait une étape de migration ou y ont élu domicile, comme les grues cendrées, les oies sauvages ou les rarissimes aigles à queue blanche.
Ces nouvelles étendues d'eau font partie maintenant du patrimoine naturel national.
Mais il faut réfléchir à l'avenir, et j'ai demandé aux services de la Ville, en collaboration avec nos partenaires de l'Institution des Barrages-Réservoirs, l'Agence de Bassin, et nos principaux partenaires publics et privés, d'étudier deux projets :
- celui de la réalisation d'un nouveau barrage, qui viendrait compléter le dispositif actuel pour renforcer les ressources en eau et améliorer la protection contre les inondations.
- celui d'une grande canalisation qui conduirait directement l'eau peu polluée de ces barrages vers l'agglomération parisienne, de façon à protéger l'eau ainsi transportée contre les pollutions rencontrées sur son parcours actuel, et réduire les diverses déperditions subies en cours de route.
Un tel projet doit être étudié : l'exemple d'autres villes au Monde qui bénéficient d'un tel système comme New-York, Los Angelès, ou Stuttgart nous sera précieuse. En ce qui nous concerne, nos prédécesseurs avaient étudié au début de ce siècle deux projets d'aqueducs de plus de 500 km chacun pour acheminer à Paris l'eau du lac de Genève ou du lac de Neuchatel !
Aurions-nous moins d'audace que nos grand-pères ?
Et ne faudrait-il pas, Mon Cher Michel GIRAUD, que l'Association des Maires de France prenne une fois encore l'initiative et propose aux 6 Comités de Bassin d'étudier la possibilité de projets de cette nature dans toute la France, et spécialement dans les régions les plus concernées par la sécheresse ?
En ce qui concerne l'eau potable de Paris, qui est et reste parmi les meilleures, la garantir en abondance et en qualité est, pour moi comme pour chacun d'entre vous, MM. les Maires, une préoccupation première. J'ai engagé depuis 1984 une politique de modernisation de l'ensemble des installations et des réseaux municipaux âgés de plus d'un siècle.
L'adduction, le traitement et la distribution de l'eau potable à Paris ont été réorganisés, en vue de la meilleure efficacité technique et financière.
Notre usine d'eau d'Ivry est en cours de reconstruction et sera l'une des plus modernes ; des centaines de km de canalisations sont remplacées ;les déperditions d'eau sont progressivement réduites ; et la qualité de l'eau fait l'objet d'une vigilance renforcée. Ce programme de l'ordre de 10 milliards de francs se poursuivra pendant une vingtaine d'années, et s'accompagnera d'une coopération active avec les partenaires locaux et les milieux agricoles pour augmenter les protections de nos sources contre les nitrates et les pesticides.
Enfin, nous recherchons de nouvelles sources, pour compléter, et au besoin remplacer celles de nos sources actuelles qui seraient atteintes par les pollutions diffuses.
En ce qui concerne les eaux usées de Paris, je viens de décider la première phase d'un ambitieux programme de modernisation des égouts : il s'agit, là encore d'installations et de réseaux centenaires, qui ont donc beaucoup vieilli, dans leurs structures comme dans leur exploitation.
II faut donc en rétablir d'abord la sécurité. Pour certains ouvrages, en améliorer le rendement. Engager aussi un grand travail de protection de la Seine contre les pollutions entraînées par les pluies sur Paris.
Ce programme, de l'ordre de 5 milliards de francs, devrait durer 20 ans !
Enfin, la Ville de Paris participe, anime et soutient les actions du SIAAP, et principalement le programme "SEINE PROPRE" qui devrait préserver en 1994 la Seine contre tout déversement par temps sec dans l'agglomération parisienne.
Je sais que l'achèvement de ce programme soulève quelques remarques d'ordre technique, ou des objections de riverains des installations. Mais je constate avec satisfaction que l'accord est unanime sur deux objectifs communs : parvenir un jour à la "pollution zéro", et réduire les nuisances des installations de traitement : le maximum doit être fait pour réduire les odeurs et le bruit des installations existantes, et bien entendu, les installations futures doivent être, à cet égard, aussi irréprochables que les meilleurs exemples étrangers.
Mesdames et Messieurs, pendant ces deux journées, vous allez traiter du problème de l'Eau : vous le savez comme moi, il faut agir tout de suite et travailler longtemps.
La recherche scientifique, les réflexions et les projets sont à longue portée. Le retard accumulé pèse. Les menaces sur l'eau croissent, en même temps qu'augmentent l'inquiétude et les exigences légitimes de nos concitoyens.
Ces deux journées nationales de l'Eau feront date : l'eau est un immense problème collectif, et le rassemblement exceptionnel d'élus et d'experts que vous formez ici, aujourd'hui, montre à notre pays comment il faut aborder un grand problème de protection de l'Environnement.
En ouvrant vos travaux maintenant, je citerai l'helléniste Jacques LACARRIERE :
"Rien n'est plus banal, plus répandu, plus quotidien que l'eau, en apparence.
Mais rien n'est plus miraculeux, plus rare, plus fragile aussi.
Garder pure notre eau quotidienne est une tâche urgente".