Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur l'intensification de la coopération économique et des échanges commerciaux entre la France et le Canada et sur la nécessité pour les deux Etats de défendre des positions communes lors des négociations de l'OMC, Montréal, le 13 avril 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déjeuner-conférence organisé par la Chambre de Commerce française au Canada, à Montréal, le 13 avril 2000 dans le cadre du voyage officiel au Canada du 11 au 13 avril 2000

Texte intégral

La coopération entre la France et le Canada, traditionnelle et dense au plan bilatéral, a pris une nouvelle dimension sur la scène internationale
Mesdames et Messieurs,
Je remercie la Chambre de Commerce Française au Canada, et tout particulièrement Monsieur Jean-Jacques LAURANS son président, de l'occasion qui m'est donnée de rencontrer des représentants des communautés d'affaires canadienne et française, des universitaires et des journalistes canadiens.
A l'issue d'un voyage où j'ai pu rencontrer notamment Monsieur Pierre PETTIGREW Ministre du commerce international et différents ministres du Québec, dont Monsieur Guy JULIEN Ministre délégué à l'Industrie et au Commerce, ce matin, permettez-moi d'abord de rappeler les traits principaux de la coopération économique et commerciale entre la France et le Canada sur le plan bilatéral, traditionnelle et dense, avant d'aborder notre coopération sur la scène internationale qui prend chaque jour une dimension plus large.
I - Coopération " bilatérale "
1.1 La coopération économique et commerciale entre la France et le Canada concerne en premier lieu les entreprises des deux pays, dont la Chambre de commerce française au Canada est le symbole.
Les échanges de marchandises entre nos deux pays ont été particulièrement dynamiques ces dernières années. Ils se sont accrus de plus de 50%, en trois ans, entre 1996 et 1999, au bénéfice surtout des exportations françaises, qui ont presque doublé, atteignant le record historique de 18,7 milliards de francs. Cette augmentation est certes due en large partie aux livraisons d'Airbus, mais nos échanges progressent dans tous les secteurs, bénéficiant et participant au dynamisme de la croissance économique au Canada mais aussi en France. Le Canada est ainsi devenu le 14ième client de la France en 1999, et la France est demeurée le 7ième fournisseur et le 7ième client du Canada.
Plus importants encore, pour la solidité et la pérennité de nos relations commerciales bilatérales, les investissements croisés entre les deux pays, encouragés par les autorités françaises et canadiennes, se poursuivent activement. Ils stimulent nos échanges, permettent des transferts de technologie et sont favorables à l'emploi.
Les investissements des entreprises françaises au Canada continuent de progresser, notamment dans le domaine des communications et des technologies de l'information. J'aurai d'ailleurs le plaisir de visiter cet après-midi la filiale canadienne d'Ubisoft, créée en 1997.
Au total, 300 sociétés canadiennes, majoritairement implantées au Québec, sont filiales de plus de 250 sociétés françaises et emploient environ 57 000 salariés. La France est ainsi le 5ème investisseur étranger au Canada, avec plus de 6 milliards de dollars canadiens de stock d'investissements. Ceci, sans compter l'achat annoncé par Alcatel en février dernier de la société Newbridge de matériel de télécommunications, qui constitue la plus importante opération jamais réalisée par un groupe français au Canada.
Les entreprises canadiennes investissent elles aussi significativement en France ces dernières années. La France se place ainsi au 5ième rang des pays de destination des investissements canadiens avec un stock de l'ordre de 4 milliards de dollars canadiens en 1998. Figurent notamment comme gros investisseurs en France, Nortel, Mac Cain, Bombardier, Cascades, et la Caisse des Dépôts du Québec ou encore QUEBECOR. Je suis très heureux d'avoir aujourd'hui l'occasion de rencontrer des représentants de ces entreprises prestigieuses ; vous êtes, Mesdames et Messieurs, les bienvenus en France, au cur du marché européen.
1.2 Comme les investissements croisés, les partenariats industriels et la coopération sectorielle mise en uvre par les autorités de nos deux pays sont des facteurs importants des relations bilatérales. Leur renforcement est un des objectifs partagés par les deux gouvernements et a été réaffirmé lors de la visite au Canada du Premier ministre français et du Ministre de l'industrie en décembre 1998.
Dans ce cadre, j'ai présidé hier à Ottawa, avec mon collègue Pierre PETTIGREW, la réunion de la Commission mixte économique franco-canadienne. Nous avons fait le point sur les diverses coopérations sectorielles engagées entre les deux pays pour promouvoir leurs intérêts communs, et décidé de continuer à encourager les initiatives du secteur privé, notamment dans quatre secteurs: les technologies de l'information et les produits multimédias culturels, les biotechnologies agricoles, l'environnement et le secteur aéronautique et spatial.
Dans ce dernier secteur, nous nous sommes entretenus avec des représentants des industries canadienne et française à l'occasion des rencontres organisées conjointement par le Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales et l'Association des Industries Aéronautiques du Canada. 26 entreprises françaises de ce secteur sont présentes dans ce cadre au Canada cette semaine.
L'aéronautique est en effet le secteur privilégié de la coopération industrielle franco-canadienne. Air Canada est actuellement le plus gros utilisateur nord-américain d'Airbus, avec environ 80 appareils. Les deux plus gros sous-traitants hors Europe d'Aérospatiale sont canadiens : Pratt Whitney et Bombardier à travers sa filiale Canadair. Bombardier compte enfin une vingtaine de sous-traitants français pour ses programmes propres, en premier lieu Sextant Avionique, dont je salue le Président présent parmi nous aujourd'hui.
II - Coopération " multilatérale "
2.1. Au delà de ces coopérations anciennes, nous avons au cours des dernières années développé avec le Canada une concertation sur les sujets commerciaux multilatéraux.
a) Nous attachons en effet une forte importance à la primauté des enceintes multilatérales sur le simple rapport de forces commercial. Le Canada et la France veulent améliorer le fonctionnement de l'édifice construit à Marrakech, ; l'OMC elle-même et son mécanisme de règlement des différends ainsi que les nombreux accords qu'ils recouvrent. Notre opposition commune aux manifestations d'unilatéralisme, comme les lois Helms-Burton et d'Amato aux Etats-Unis, se fonde sur cet attachement.
b) Nous faisons de plus partie des deux principaux ensembles commerciaux au monde, l'Union européenne et l'ALENA. Ces deux ensembles sont soumis au défi de l'élargissement, vers l'est et le sud pour l'Union européenne, ou dans le cadre de la ZLEA pour le Canada.
L'élargissement de l'Union européenne vers l'Est représente, pour le Canada, la meilleure garantie que ces Etats, comme la Pologne, la République tchèque et la Hongrie, s'intègrent le plus rapidement possible aux échanges internationaux et présentent un degré d'ouverture comparable, en termes commerciaux comme en matière d'investissements, à celui du reste des Etats membres de l'Union. La volonté du Canada de promouvoir, à l'intérieur de la ZLEA, des réformes pour faciliter les échanges, ne peut être que bénéfique aux autres partenaires commerciaux des Etats de l'Amérique latine, et notamment à l'Union européenne.
c) Nos intérêts vont enfin au delà de notre bloc régional, en faveur de liens accrus entre les différents pôles de développement régional. Le Canada a déjà signé ou va signer différents traités bilatéraux de libre-échange, notamment avec des pays d'Amérique latine, tels le Chili et le Costa-Rica, en prélude à l'intégration dans la ZLEA ; l'Union européenne entretient un dialogue privilégié avec l'Asie et vient de signer des traités de libre-échange avec le Mexique et l'Afrique du Sud.
La volonté de tisser des liens avec d'autres ensembles régionaux ne constituent pas pour nous un substitut à la primauté des enceintes multilatérales. Ce serait plutôt, de notre point de vue, le meilleur moyen pour de nombreux pays de faciliter la mise en uvre de leurs engagements vis-à-vis de l'OMC par exemple. C'est ainsi que les mesures en faveur des PMA et des pays en développement, que nous soutenons, comme le Canada, ne peuvent que bénéficier de l'effort que fait l'Union européenne en faveur des pays bénéficiaires des anciens accords de Lomé.
La coordination sur les sujets multilatéraux est un des points figurant dans la déclaration de partenariat renforcé signée en janvier 1997 par les Premiers Ministres français et canadien. Cet aspect prend une importance croissante dans nos relations bilatérales. Je m'en réjouis et j'estime que cette tendance devrait se maintenir, et qu'elle apportera une contribution positive aux débats à l'intérieur de l'OMC, mais aussi vis-à-vis de nos opinions publiques ou de certains de nos partenaires commerciaux.
2.2. La conférence de Seattle et ses suites ont montré que la convergence entre nos deux pays sur de nombreux sujets subissait avec succès l'épreuve du feu, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout.
a) Nous partageons un même diagnostic sur l'échec de la conférence. Il révèle à la fois l'échec du processus préparatoire à la conférence et le manque de transparence dans la conduite des négociations multilatérales lors de la conférence, malgré le rôle très positif joué par M. PETTIGREW dans le groupe de travail sur la mise en oeuvre. Il montre ainsi que des modes de décision valables pour un dialogue limité à quelques négociateurs de grands pays développés sont maintenant obsolètes. Cela est tout particulièrement vrai depuis que l'OMC a vocation à accueillir tous les pays et que la société civile réclame sa voix au chapitre. Cette réalité n'échappe pas à la France habituée à la négociation à 15 membres au sein de l'Union européenne ; elle est aussi familière au Canada, qu'il s'agisse des relations entre le gouvernement fédéral et les provinces, ou dans le cadre de la ZLEA.
b) Nous sommes ainsi d'accord sur la nécessité de revoir les structures de décision au sein de l'OMC. L'objectif n'est pas d'engager aujourd'hui une réforme lourde qui risquerait de dénaturer l'organisation, de l'enliser dans des débats sans issue et de reporter d'autant la préparation des négociations sur les sujets déjà identifiés pour les négociations prochaines.
Je sais que M. PETTIGREW a avancé des propositions qui montrent que le Canada partage notre souci de savoir remettre en cause des fonctionnements défectueux. Il a déjà évoqué la possibilité d'adopter une structure avec une assemblée générale et un conseil ou comité directeur, composé d'Etats représentant chaque groupe d'acteurs du commerce international.
Sur ce dernier point, la position de la France et de l'Union européenne n'est pas arrêtée. Il nous semble important de ne pas négliger, dans un premier temps, de nombreuses modifications de pratiques et de textes existants, qui peuvent se faire sans procédure très lourde : je pense par exemple au mécanisme des " chambres vertes ", dont on peut imaginer que les participants ou les modes de fonctionnement pourraient être fixés de façon à refléter réellement les pôles du commerce international et à la clarification des rôles du Directeur général et du Président du conseil général. L'objectif de transparence accrue pourrait enfin être atteint en définissant une liste plus large de documents diffusés sans restriction par l'OMC.
La réforme du mémorandum sur le règlement des différends pourrait être, elle aussi, reprise, compte tenu des travaux préparatoires menés avant la conférence de Seattle et des enseignements tirés à la lumière de la jurisprudence.
En revanche, pour une remise à plat plus systématique, se fondant sur un bilan des institutions mises en place à Marrakech, nous souhaitons prendre le temps de la réflexion, sans lier d'ailleurs ce sujet avec celui du lancement du cycle de négociations.
c) Nos deux pays attachent la même importance à la cohérence des actions des organisations internationales d'une part et à l'inclusion des pays en développement dans le dialogue multilatéral.
Sur le premier point, je partage le diagnostic exprimé par M. PETTIGREW sur le manque de cohérence dans les actions des différentes organisations, pourtant toutes membres du système des Nations Unies. L'efficacité et la légitimité de l'OMC dépendront de sa capacité à développer des relations de coopération avec les grandes institutions financières, notamment le FMI et la Banque Mondiale et les institutions créatrices de normes, telles l'OIT et l'OMPI. Il faut dès lors institutionnaliser les réunions des responsables des organisations internationales concernées ; créer des passerelles entre chaque organe créateur de normes susceptibles d'avoir un impact sur une autre organisation ; créer des capacités d'analyses communes, en matière d'examen des politiques commerciales et financières par exemple.
Je constate que cette coopération fonctionne sur certains points. J'ai inauguré lundi la quinzième session du Comité des principes généraux du Codex Alimentarius à Paris. Je rappelle que le Codex est sur ce point assez exemplaire puisque, placé sous l'égide de la FAO et de l'OMS, ses normes sont intégrées au sein de l'OMC.
Sur le deuxième point, nous sommes convaincus que l'adoption rapide d'un paquet de mesures conduisant à la suppression des barrières tarifaires imposées par les pays développés aux produits des PMA, serait un signal important pour convaincre les pays en développement de la sincérité de notre discours sur le lien entre liberté des échanges et développement. En la matière, la France comme le Canada ont su faire coïncider leur discours avec la réalité.
Une prochaine étape importante est le soutien technique aux pays en développement dans le cadre de la négociation, soutien qui pourrait faire l'objet de réflexions communes entre nos deux pays, pour les pays francophones en particulier. Je relève simplement que l'OMC ne consacre cette année que 13,4% de son budget, par ailleurs extrêmement faible au regard d'autres institutions des Nations-Unies, à l'assistance technique. La proposition du Canada de majorer de 10 millions de francs suisses le budget ordinaire de l'OMC pour l'assistance technique me semble mériter considération. Je rappelle que la France a pour sa part annoncé une contribution volontaire d'un million de francs suisses pour aider les pays en développement à mieux tirer parti des mécanismes de l'OMC.
2.3. La présidence française de l'Union européenne va être l'occasion de faire progresser la coopération franco-canadienne.
De même que les questions multilatérales occupent une part significative de la déclaration de partenariat renforcé entre la France et le Canada, elles constituent le cur de l'initiative commerciale euro-canadienne (tirée du plan d'action de 1996), dont la France va prendre, du côté de l'Union européenne, la responsabilité pendant le 2e semestre 2000. Dans la perspective du sommet euro-canadien de décembre, nous avons la volonté de faire avancer substantiellement les coopérations et réflexions communes.
a) La France croit comme le Canada qu'il faut tenter de relancer la dynamique des négociations à l'OMC, dans un cycle le plus large possible. L'Union européenne, en tout état de cause, participe aux travaux qui ont débuté dans le cadre de l'agenda incorporé à Genève. C'est dire l'importance que nous attachons aux comités et groupes de travail, notamment à celui des services, dont la présidence est assurée par l'ambassadeur canadien M. Marchi. Ces enceintes doivent permettre à tous les membres de l'OMC d'être fins prêts lorsqu'un cycle global de négociations pourra être lancé.
b) les " nouveaux sujets " abordés à l'OMC, qu'il s'agisse des normes sociales, de l'environnement, de l'investissement, de la concurrence et du commerce électronique méritent eux aussi un travail approfondi de préparation avant d'être inclus dans la négociation. Il faut que nous soyons capables de convaincre nos partenaires développés et en développement que des règles multilatérales sont préférables dans ces domaines à l'unilatéralisme, ou à une construction jurisprudentielle à la faveur de contentieux commerciaux. Dans les mois qui viennent, une collaboration franco-canadienne ne pourra qu'être fructueuse pour promouvoir des idées qui nous sont communes : partage intelligent des rôles entre l'OMC et l'OIT ; définition d'une articulation efficace entre accords multilatéraux sur l'environnement et accords commerciaux ; élaboration d'un cadre définissant les grands principes à respecter par les législations nationales sur la concurrence.
Ces nouveaux sujets correspondent aux attentes de nos sociétés respectives, parce qu'ils doivent permettre de faire avancer des valeurs qui nous sont communes, qu'ils s'agisse des droits sociaux ou du respect de l'environnement. Dans le même temps, ils éloignent l'OMC de son rôle traditionnel d'abaissement des barrières aux frontières, pour l'amener sur le terrain des législations nationales, voire des modes de vie et des différences culturelles, alimentant les fantasmes d'une OMC toute-puissante. Il y a donc un équilibre à trouver, difficile mais qui constitue la clé de la pérennité de l'organisation, et de sa crédibilité, tant vis-à-vis des opinions publiques que des pays en développement.
c) le deuxième semestre 2000 devrait être l'occasion d'avancer sur la voie de l'amélioration du fonctionnement de l'OMC, et la recherche de pistes nouvelles. L'association plus étroite des parlements nationaux a la faveur de la France et je crois que M. Pettigrew a souligné l'intérêt d'une formule qui existe ailleurs, au sein de l'OTAN par exemple. La réforme du mémorandum sur le règlement des différends doit aussi être une de nos priorités. Sur ce dernier point, le Canada et la France sont largement sur la même longueur d'onde en souhaitant renforcer la transparence du mécanisme de règlement des différends, à la fois par la publicité des débats, la participation de tiers aux auditions des groupes spéciaux , l'accès à certaines pièces du dossier (avec l'accords des parties). Ce choix de transparence ne devra pas en revanche aller à l'encontre de la confidentialité des informations commerciales et du maintien des prérogatives des Etats dans une procédure où ils doivent continuer de représenter les intérêts privés. M. PETTIGREW s'est d'ailleurs prononcé récemment contre l'accès direct des entreprises aux procédures de règlement des différends.
d) enfin, la question du traitement des industries culturelles dans le cadre commercial multilatéral est bien évidemment une de nos préoccupations communes. Dans l'immédiat, l'absence d'engagements dans le cadre de l'accord services reste la meilleure forme de protection. Pour autant, nous partageons tout à fait le souci du Canada de proposer à nos partenaires une vision positive et offensive de la préservation de la diversité culturelle. La meilleure enceinte pour cela reste l'UNESCO. Dans ce cadre, notre coordination est forte et doit aboutir prochainement à des propositions concrètes.
*
Comme vous le constatez, la France et le Canada ont développé une relation bilatérale particulièrement dense, confiante et diversifiée.
Je souhaite que cette coopération se poursuive et s'approfondisse encore dans les années qui viennent, et je remercie la Chambre de commerce française au Canada et ses membres pour leur action présente et à venir dans ce sens.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 18 avril 2000)