Texte intégral
Q - En ce qui concerne votre visite à la maison de l'intégration, avez-vous pu voir quelque chose d'intéressant ou d'applicable puisque les problèmes d'intégration existent en France aussi ?
R - Je ne suis pas sûre que ce qui est fait ici et qui est remarquable - j'ai été très impressionnée - soit transposable tel quel dans notre pays. D'abord parce que chaque population a ses caractéristiques, ses traditions, et l'effort qui est fait pour intégrer ces personnes qui ont le statut de réfugiés politiques n'est pas véritablement comparable aux problèmes que nous avons connus en France et auxquels vous faites sans doute référence. Je rappelle qu'en France il y a eu des difficultés, et d'ailleurs il faudra du temps pour régler dans la durée tous ces problèmes, mais avec des personnes qui sont citoyens français, donc mes compatriotes. Il s'agit là d'autre chose. Néanmoins, je voudrais dire que j'ai été très impressionnée par ce qui est fait ; un formidable effort de prise en charge et d'accompagnement, pour permettre aux réfugiés qui sont aidés ici de maîtriser la langue, puis d'avoir un parcours professionnel qui les mène vers l'emploi, en matière de logement aussi. Je sais que ce sont des programmes coûteux, mais c'est sans doute un investissement dans l'avenir qui est un bon investissement et je suis repartie avec tout de même quelques réflexions.
Q - Pour en venir aux problèmes de la France, y a-t-il maintenant une sorte d'effort d'intégration ? M. Barroso a promis une aide mais ça ne suffira pas, il faudra faire plus.
R - Bien sûr. Ce sont d'abord et avant tout des questions que nous devons traiter en priorité dans un cadre national, parce qu'à la base de tout cela, il y a des problèmes d'intégration, de problèmes d'éducation souvent, de logement, d'accès à l'emploi, et puis pourquoi ne pas le dire aussi, de discrimination. Il y a certaines attitudes qui ne sont pas ce qu'elles devraient être dans la société française. Néanmoins, l'Europe peut nous aider à apporter une partie des réponses, et elle le fait déjà : notre pays, comme la plupart des pays européens, bénéficie soit de programmes spécifiques pour certains quartiers difficiles, c'est un programme qui s'appelle URBAN, soit de Fonds structurels dont une partie peut être utilisée, pour le Fonds social européen par exemple, pour des actions de formation, de reconversion et d'éducation. Le président de la Commission a indiqué en effet sa disponibilité à regarder dans quelle mesure nous pourrions utiliser davantage les crédits qui sont peut être disponibles et qui pourraient être reportés d'un programme sur un autre. Nous sommes en contact avec la Commission et je verrai la commissaire compétente au début du mois de décembre pour préciser les contours de la proposition de la Commission. En tout cas, c'est évidemment quelque chose d'intéressant, mais je rappelle que d'ores et déjà l'Europe nous aide dans ces quartiers.
Q - Il y avait aussi pendant ces émeutes urbaines des rumeurs selon lesquelles elles pourraient s'étendre à l'Allemagne. Pour vous, est-ce un phénomène purement français ?
R - Je crois qu'il y a des racines multiples, complexes, mais assez profondément ancrées dans notre société. Mais cela ne signifie pas que d'autres pays ne peuvent pas avoir leurs propres problèmes. Mais il ne faut pas faire d'amalgame, de confusion. Il y a en France un sujet difficile, qu'il faut traiter avec beaucoup de modération et de réflexion, que, gouvernement après gouvernement, les autorités publiques traitent depuis maintenant 20 ou 30 ans. Beaucoup a été fait. De grands programmes de rénovation, de restructuration de quartiers : il faut les poursuivre et peut-être faire un effort supplémentaire pour lutter contre une réalité : la discrimination.
Q - Pour en revenir au budget européen, vous vous êtes déclarée très déçue de la position britannique, alors est-ce que, comme pour d'autres choses, l'Union européenne a souvent un plan "B" ? Supposons que les Britanniques n'arrivent pas à boucler ce budget, y a-t-il un plan "B" ?
R - D'abord il faut souhaiter qu'ils y arrivent, et c'est leur responsabilité en tant que présidence. Il faut que la présidence britannique fasse passer un certain nombre de messages forts. Je veux dire par là qu'il y a une base possible pour un accord et nous sommes convaincus qu'avec quelques ajustements, la position luxembourgeoise du mois de juin, qui avait permis de réunir 20 pays sur 25, pourrait être reprise et retravaillée de façon à permettre un accord. Nous ne voulons pas perdre de vue la possibilité d'un accord en décembre. Mais cela dépend maintenant très largement de la présidence britannique. Donc, je voudrais lui rappeler ses responsabilités. Jusqu'ici, en effet, cinq mois sur six se sont écoulés et on voit bien que les partenaires du Royaume-Uni commencent à s'interroger assez ouvertement sur la méthode qui a été suivie. Mais vous savez, c'est comme une pièce de théâtre, un film ou un roman, c'est à la fin que l'on voit si l'intrigue était bonne, alors je jugerai la présidence britannique le 31 décembre 2005 et pas avant, et je souhaite d'ici là qu'elle redouble d'efforts pour qu'on arrive à un accord. Nous avons besoin d'une Europe qui marche, vous savez qu'il y a beaucoup d'interrogations, de difficultés en ce moment. Au-delà de la nécessité technique d'avoir des lignes directrices pour un budget, il faut aussi donner aux citoyens européens l'impression que l'Europe a repris sa marche en avant.
Q - Cela pourrait signifier que l'Autriche héritera peut être de ce dossier ?
R - Nous le verrons, mais il serait bon pour beaucoup de raisons, y compris celles que vous citez, qu'il y ait un accord avant la fin de l'année. J'en ai parlé avec Ursula Plassnik tout à l'heure. L'Autriche aura ensuite beaucoup à faire, elle a ses propres priorités de présidence, et il n'est pas souhaitable qu'à toutes ces tâches, s'ajoute encore une tâche difficile, celle de faire le budget. Je crois qu'il faut redire qu'il est possible d'avoir un accord si le Royaume-Uni fait les efforts nécessaires.
Q - En ce qui concerne la probable adhésion de la Turquie, l'Autriche avait une position qui n'était pas tout à fait celle de la France. Finalement, après de longues tractations, un accord a été trouvé. Avec la nouvelle chancelière allemande, il semblerait que le partenariat privilégié soit un peu à la base des relations que vous recherchez avec la Turquie. Alors, pensez-vous que ce soit l'adhésion de la Turquie qui s'éloigne d'un pas de plus ?
R - Nous le verrons. Dans dix ou quinze ans, peut-être que la question de l'adhésion de la Turquie se posera, ainsi que la question de la capacité de la Turquie à mener un certain nombre de réformes - et elles devront être profondes - qui lui permettraient de nous rejoindre. La question qui se posait n'était pas celle-ci. C'était celle de savoir si, les conditions que l'Union européenne avait posées à l'ouverture des négociations étant réunies, nous tenions nos engagements et nous ouvrions les négociations. La conviction de mon pays, c'est, en effet, qu'une Turquie moderne, démocratique et ayant rejoint les valeurs européennes est dans l'intérêt de l'Europe et qu'il faut lui proposer de faire ce chemin, puisque cela correspond également à son souhait. Le pourra-t-elle ? Nous le verrons, les conditions ne sont pas encore toutes là. Beaucoup de réformes ont été faites et beaucoup restent à faire, et c'est sans doute une profonde révolution culturelle qu'il faudra que ce pays effectue pour rejoindre les normes européennes. Cependant, les choses ont démarré et nous nous sommes retrouvés le 3 octobre aux côtés de l'Autriche pour demander que soit précisé dans le cadre de négociations avec la Turquie un certain nombre de choses, y compris la possibilité d'une alternative si les négociations n'aboutissaient pas vers l'adhésion, et y compris, ce qui est très important, que l'un des critères pour juger l'évolution de ces négociations soit aussi, du côté des Européens, celui d'une capacité d'assimilation par l'Union européenne d'un nouveau pays et d'un grand pays.
Q - Ne pensez-vous pas que la politique allemande de M. Schröder, qui était quand même très "pro-turque", ne pouvait pas encore compliquer les négociations futures ?
R - Il m'est difficile de répondre pour un autre pays que le mien. Nous avons suivi de très près les discussions de l'accord de coalition entre les grands partis allemands et je crois que dans cet accord, en ce qui concerne l'adhésion turque, il n'y aura pas de modifications, et qu'ensuite la marche des choses se poursuivra, mais entre les Européens et la Turquie, selon les bases fixées le 3 octobre.
Q - Une dernière question : la Constitution européenne. Après le "non" des Français, quelle est maintenant la marche à suivre ? Et, autre question, comment voyez-vous personnellement l'avenir de cette Constitution ? Est-elle morte ?
R - Je ne le crois pas. Ce n'est pas uniquement parce que je suis quelqu'un d'optimiste que je vous dis ceci. C'est aussi parce que les chefs d'Etat ou de gouvernement ont pris la décision la plus sage au mois de juin en laissant le processus ouvert, et en permettant que les Etats qui le souhaitaient poursuivent le processus de ratification, et que ceux qui souhaitaient prendre un peu plus de temps et adapter leur calendrier le fassent.
Depuis le mois de juin, plusieurs Etats membres ont ratifié le projet de Traité Constitution, il y a aujourd'hui 13 pays sur 25 qui l'ont fait. Ils représentent une majorité de la population européenne et ils se sont donnés rendez-vous à la fin du premier semestre 2006 pour évaluer la situation. Il est prématuré de le faire avant ce rendez-vous.
L'Europe a besoin d'institutions nouvelles : ce texte était sans doute le meilleur texte possible, celui qui représentait le point d'équilibre entre nous Européens, et aussi qui représentait en termes de réformes et de mécanismes de prise de décision, d'amélioration et parfois de réorientation de la construction européenne des avancées réelles, des progrès réels dont l'Union européenne a besoin. Aujourd'hui il n'est pas en vigueur. Néanmoins le processus reste ouvert et donc toutes les possibilités restent ouvertes. Personne ne parle de renégociation : ceux qui avaient prétendu qu'il y avait un plan "B" ont trompé les Français. Je regrette de devoir le dire, mais il faut le dire clairement. L'Europe ne va pas mieux après l'échec du référendum, elle va moins bien, néanmoins il faudra repartir, donc je veux rester optimiste.
Q - Et pour cette Constitution, de quel ordre de grandeur parle-t-on ? Dans dix ans, dans vingt ans ? Après l'adhésion de la Turquie ?
R - Bien avant ! Nous avons un Traité, le Traité de Nice, il n'y a donc pas de vide institutionnel. Il faut aussi le rappeler. Néanmoins nous ne pensons pas que le système du Traité de Nice soit une solution durable dans l'Europe à 25. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, juste après Nice, les Européens avaient entrepris ce travail de rédaction d'un Traité qui a été fait par la Convention, puis par la Conférence intergouvernementale. Parce qu'il fallait se donner des mécanismes de prise de décision plus efficaces afin que l'on ne se fixe pas sur le pas du plus lent et que l'Union européenne puisse continuer sa marche.
Ce besoin demeure. Les rédacteurs du Traité avaient prévu de se donner rendez-vous fin 2006, en novembre, ce qui voulait bien dire que l'on savait qu'il faudrait sans doute au moins deux ans de période de ratification. Nous sommes encore à l'intérieur de cette période. Je ne sais pas si tout le monde aura pu ratifier fin 2006 mais vous voyez bien qu'on reste dans un ordre de temps qui est tout à fait raisonnable par rapport à ce qui avait été imaginé. Cela dit, il faudra 25 ratifications pour que le Traité entre en vigueur. Je le sais bien, et, aujourd'hui, il y a deux pays qui ont dit non à ce projet.
Q - Donc il n'y a pas d'issue immédiate après 2006 ?
R - N'insultons pas l'avenir. Peut-être le temps nous aidera-t-il à apporter des réponses. Et nous devons utiliser ce temps de réflexion que les Européens se sont donnés pour agir, pour ne pas rester immobiles mais au contraire montrer que l'Europe est efficace, qu'elle peut prendre des décisions, qu'elle trouve un accord sur le budget, qu'elle se donne certains projets concrets dans les mois et les années qui viennent. Le Conseil européen de Hampton Court a été une première étape selon moi, mais une première étape qui sera d'autant plus utile qu'elle sera suivie d'autres étapes. Sous présidence autrichienne à partir du 1er janvier, il faudra s'attacher à trouver deux ou trois projets forts, simples, clairs, répondant aux attentes de citoyens et c'est cela qui permettra de renouer le lien de confiance entre les citoyens et la construction européenne.
Q - Toute dernière question - pour la France qui a dit "non", techniquement, comment ce serait possible qu'on change, on peut pas refaire de référendum, donc qu'est ce qu'on peut faire ?
R - Je n'imagine pas qu'on puisse en refaire un sans avoir, de la part du peuple français, la même réponse.
Q - Il n'y a pas d'alternative ?
R - Peut-être le temps nous aidera-t-il à trouver de meilleures réponses. Aujourd'hui, cela n'aurait pas de sens de reposer la question. Donnons-nous un peu de temps, et, pendant ce temps, travaillons, ne restons pas sans rien faire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 2005)