Texte intégral
Q - Catherine Colonna, bonsoir. Merci d'avoir accepté notre invitation à la veille de ce sommet. Vous êtes la ministre déléguée aux Affaires européennes. Tout ce qu'on entend est catastrophique. Vous, vous êtes braqués sur vos positions, "pas touche à la Politique agricole commune (PAC)" et M. Blair, lui, veut continuer à défendre ce qui est absolument l'obsession britannique, c'est-à-dire le fameux rabais qu'avait obtenu Mme Thatcher. Entre ces deux pôles de crispation, est-ce qu'il y a la moindre chance de succès après-demain à Bruxelles ?
R - Oui, je le souhaite, je l'espère et je le crois possible. Le problème du budget européen n'est pas un problème franco-britannique, c'est une responsabilité collective. Le Royaume-Uni a la responsabilité de la présidence et donc, il doit faire une bonne proposition, qui permette de dégager un consensus.
Q - Ce n'est pas le cas jusqu'à présent. Au contraire, la proposition britannique a fait, en quelque sorte, l'unanimité contre elle. Il y a eu une coalition, aussi de la Commission, du Parlement européen, on va le voir avec son président M. Borrell, et la plupart des Etats membres.
R - La première proposition qui est arrivée tardivement, la semaine dernière seulement au bout de cinq mois de présidence, a déçu tout le monde. C'est vrai, c'était un mauvais projet de budget, une Europe au rabais qui nous était proposée, et une Europe qui ne correspondait pas aux besoins réels de la construction européenne aujourd'hui.
Q - Il y a la raideur britannique, mais il y a aussi, Madame Colonna, la raideur française. Parce qu'au fond, si vous voulez arriver à un compromis dans deux jours, il faut un peu de "donnant-donnant" à la négociation. Or on a entendu à l'Assemblée nationale encore aujourd'hui le Premier ministre répéter qu'il n'était pas question de toucher à la PAC qui est gelée, en quelque sorte, jusqu'en 2011.
R - En effet, mais il faudrait dire pourquoi. La politique agricole commune a été réformée en 2002 par un accord unanime, avec le Royaume-Uni parmi les Etats membres qui avaient accepté cette décision ; qui vaut jusqu'en 2013. La réforme de la Politique agricole commune a été faite par anticipation sur les négociations financières que nous avons aujourd'hui. Donc, la Politique agricole commune n'est pas en retard d'une réforme, mais bien en avance d'une réforme ; à la différence de ce que vous appelez le chèque britannique ou d'autres éléments du budget.
Alors, il faut un budget à l'Union, mais il faut surtout un bon budget. Qu'est-ce qu'un bon budget ? C'est un budget qui permette de financer les politiques communes, dont la Politique agricole commune et les autres politiques communes, un budget qui permette aussi de développer des politiques qui doivent monter en puissance, la recherche, l'innovation, les questions de sécurité, de justice, la politique étrangère commune, et enfin un budget qui permette de tenir nos engagements vis-à-vis de nos nouveaux partenaires.
Q - Et tout cela fixé à 1,03 du revenu intérieur brut.
R - A 1,056, c'est à dire la proposition de la présidence précédente, le projet de budget était un bon projet de budget parce qu'il permettait de faire ces trois choses là. A 1,03, ce n'est pas le cas.
Q - Ce n'est pas une espèce de partie de poker menteur ? On a les gros contributeurs, dont la France, dont Jacques Chirac, président de la République, qui disent "on ne veut pas trop payer pour l'Europe, pas plus de 1%". C'est ce qui a été rappelé dans le petit sujet. En même temps, on demande à Tony Blair de faire la quadrature du cercle. Lui, il a eu deux variables d'ajustement, d'un côté la PAC, et les Français disent "on ne veut pas y toucher", et il y a les fonds structurels. Donc il choisit les fonds structurels, il choisit l'aide aux pays qui viennent d'entrer dans l'Union.
R - Lors de la négociation du mois de juin, les choses avaient bougé et la France avait fait des efforts considérables comme la plupart de ses autres partenaires. On l'a rappelé dans le sujet que nous avons vu, 20 pays sur 25 avaient accepté la proposition luxembourgeoise.
Q - Donc, cela a déjà "capoté" en juin, il faut s'en souvenir.
R - Du fait du Royaume-Uni, il faut aussi s'en souvenir !
Q - La Commission voulait un budget plus conséquent, un vrai budget.
R - Il faut des contributeurs : un budget ce sont des recettes et des dépenses. Pour avoir des recettes, il faut des contributeurs. Le budget proposé par la présidence luxembourgeoise était un bon budget, un budget qui représentait 871 milliards d'euros, sur la période de 7 ans. En pourcentage de la richesse européenne, cela représentait non pas 1%, mais 1,056%. Alors on peut dire 1,056 %, c'est compliqué mais cela voulait dire plus de 50 milliards d'euros en plus pour l'Union européenne.
Q - Mais si cela a "capoté" en juin dernier, c'est déjà parce que la France refusait qu'on remette en cause le gel, la sanctuarisation de la Politique agricole commune ?
R - La Politique agricole commune avait déjà été réformée, et profondément réformée. A 25, au niveau où était l'enveloppe consacrée à l'agriculture à 15, c'est un effort de stabilisation remarquable, c'est même, en réalité, une baisse.
Q - Oui, mais pendant ce temps là, le monde change. Il y a d'autres défis, les populations expriment d'autres priorités?
R - La part de la Politique agricole commune dans le budget baisse.
Q - A peu près 40, 42 %
R - Aujourd'hui, un peu plus de 40% et dans le budget dont nous parlons 35 %. Donc la part de la PAC est en baisse. Voilà ce qui a déjà été décidé entre les Quinze, avec, à l'époque, l'accord des Dix. Ce sont sur les autres éléments du budget qu'il faut se mettre d'accord. C'est possible, non seulement sur l'expérience du mois de juin, où nous étions près d'un accord, mais je reste convaincue qu'il est possible, au Conseil européen cette semaine, d'avoir un accord si le Royaume-Uni, dans son rôle de présidence, fait une deuxième proposition. La première n'était pas la bonne et il faut que la deuxième s'approche davantage des besoins de l'Union.
Q - Donc, aucune concession possible de la part de la France ?
R - C'est une chose qui a été décidée tous ensemble, à l'unanimité. Au demeurant, la Politique agricole, qui est une politique commune, n'intéresse pas que la France. La France a de bons taux de retour sur la PAC : elle bénéficie d'environ 20 % du budget de la PAC. Ce qui veut dire que 80 % du budget de la PAC intéresse aussi nos partenaires, et, en particulier, le Royaume-Uni qui en a presque 10 %. On ne le sait pas assez, il est le cinquième bénéficiaire de la PAC.
(...)
Q - Catherine Colonna, on se souvient que la Grande-Bretagne a été véritablement le champion de l'élargissement aux nouveaux entrants. On voit, selon l'expression du président de la Commission, M. Barroso, que maintenant Tony Blair joue Robin des Bois à l'envers, c'est-à-dire qu'il veut prendre de l'argent aux plus pauvres en leur disant "plus question que vous ayez autant d'aides structurelles que prévu".
R - Reprenons certaines choses. Je regrette, Dennis (Mc Shane), de devoir parler assez rapidement du chèque britannique, vous allez voir pourquoi. Bien sûr, il faut une Europe ambitieuse, il faut - Marielle de Sarnez n'a pas tort de dire qu'en ce moment c'est l'esprit européen qui ne souffle pas beaucoup - remettre l'Europe au travail. Cela veut dire que l'Europe doit prendre des décisions et cela commence par le budget parce qu'il se trouve que, sur le calendrier, c'est le budget qui est à l'ordre du jour. Le budget est toujours un moment délicat pour l'Union européenne, ce sont toujours des négociations difficiles parce que chaque Etat membre regarde, et c'est normal, la contribution qu'il doit faire à l'Union, ce qu'elle lui rapporte, quel est l'état de ses finances publiques? Ce ne sont pas des intérêts illégitimes.
Q - Là, vous avez les mêmes arguments que M. Mc Shane.
R - Pourquoi faut-il néanmoins parler du chèque britannique ? Parce que c'est le paramètre clé dans cette négociation. C'est ce qui va nous permettre de réussir ou d'échouer tous ensemble. Dennis, cela n'est pas un duo franco-britannique que je fais là.
Q - Un duel, plutôt ?
R - J'ai dit exprès un "duo". Le chèque britannique a quelques inconvénients, du moins à nos yeux. D'abord, c'est qu'en effet plus rien ne le justifie. En 1984, certains arguments avaient été avancés, qu'on peut contester par ailleurs, mais qui expliquaient qu'un accord avait été donné. Tout cela n'existe plus aujourd'hui. Il y a un deuxième inconvénient, c'est que c'est pris en charge par les autres. Ce qu'on appelle le chèque britannique, c'est en réalité une ristourne?
Q - On rembourse au Royaume-Uni?
R - C'est un rabais sur la contribution normale du Royaume-Uni.
Q - Et donc la France rembourse 29 % du rabais britannique.
R - En effet. Et trois pays en remboursent 60 % : la France, l'Italie et l'Espagne. Le rabais est pris en charge par tous les autres Etats membres, y compris les dix nouveaux. Le chèque britannique, troisième inconvénient, croît tous les jours, ce n'est pas comme la Politique agricole commune ; il ne se réforme pas non plus, puisque c'est un pourcentage. Donc, au fur et à mesure de l'augmentation du budget, il augmente. Si on ne le réforme pas du tout, il augmente année après année. Et sur la période budgétaire considérée, 2007-2013, il atteindrait plus de 50 milliards d'euros. C'est à comparer avec un certain nombre de sommes dont on a besoin, par exemple pour l'élargissement.
Q - Il faut reconnaître que le Premier ministre britannique a proposé que ce chèque reste en l'état.
R - Pas tout à fait. Il augmenterait. Aujourd'hui, il est d'un peu plus de 5 milliards d'euros par an, et, avec la proposition de la semaine dernière qui n'a pas fait l'unanimité, sinon contre elle, il augmentait au-delà de 6 milliards. Mais surtout, le remboursement consenti par le Royaume-Uni était un versement forfaitaire, et non pas un remboursement basé sur une réforme du mode de calcul. Ce que nous proposons, c'est que le Royaume-Uni, au minimum, prenne sa part en contribuant comme les autres Etats membres au financement de l'Union élargie.
Q - (A propos de l'idée de ne pas consacrer le budget à des dépenses fixes, mais de le redéployer en fonction des priorités)
C'est un peu comme le budget de la France. On en discute au Parlement chaque année, mais en fait, en gros, l'essentiel en est figé?
R - ? Mais il évolue. Et le budget européen aussi. Il ne faut pas dire que la structure du budget n'évolue pas. On parlait tout à l'heure du chèque britannique, quoique ce ne soit pas un problème entre la France et le Royaume-Uni, mais un problème pour vingt-quatre pays sur vingt-cinq. En 1984, la part de la Politique agricole commune représentait plus de 70 %, aujourd'hui un peu plus de 40 % et dans le projet de budget de demain, 35 %. Donc, les choses évoluent. De même, il y avait très peu de dépenses européennes en matière de recherche. Dans le projet luxembourgeois, qui sur ce point avait été repris la semaine dernière par le Royaume-Uni, les dépenses de recherche-développement augmentaient de 33 % sur un seul exercice budgétaire. C'est considérable.
Q - Et là il peut y avoir une avancée ?
R - Il y a une avancée possible. Il y aura même, peut-être, des ressources complémentaires en utilisant la Banque européenne d'investissement. Mais il ne faut pas dire que le budget ne bouge pas. Néanmoins, Jean Pisani-Ferry a raison, un budget exprime des objectifs. Quels sont nos objectifs et comment ensuite trouve-t-on les financements ? Donc, il faudra, après ce budget-ci, une réforme plus fondamentale du budget, à la fois dans les dépenses et dans le système des recettes, qui pousse, on le voit bien, un peu chacun à se chamailler, à regarder quel est son solde net et comment il peut s'en sortir le mieux possible.
Q - Catherine Colonna, une question très précise à propos de l'élargissement : la France, le président de la République répète, notamment vis-à-vis de pays balkaniques, que bien évidemment l'Europe, très légitimement, doit leur ouvrir ses portes, et cependant il semble que, sur le cas très précis de la Macédoine, la France fasse marche arrière et dise "pas question que les Macédoniens rentrent". Pourquoi ?
R - Alors, pour les Balkans, bien sûr, il faut leur donner une perspective européenne?
Q - La Macédoine, c'est dans les Balkans?
R - Et nous en arrivons à la Macédoine. La perspective européenne existe depuis 2000, quand l'Union européenne était sous présidence française. Et vous savez comme moi ce qu'a fait la France dans les Balkans pour y remettre un peu de stabilité, un peu de respect des principes fondamentaux et de la démocratie. La Macédoine a beaucoup progressé, et donc la Commission aujourd'hui propose de lui reconnaître le statut de candidat.
Nous avons, hier, voulu lancer un débat qui est un sujet en soi. La perspective d'adhésion est bien sûr un outil important pour la stabilité des pays des Balkans, mais c'est aussi, d'abord et avant tout, une décision importante pour l'Union que de s'agrandir ou de ne pas s'agrandir. On ne peut pas faire l'un sans l'autre. Or, nous n'avons jamais ce type de débats.
Q - On a bien vu d'ailleurs la sanction lors du referendum sur la Constitution en France.
R - Je crois que ces questions doivent être posées et qu'il faut les aborder avec autant de sérénité que possible. Parlons-en entre Européens ! Quelle Europe veut-on faire, qu'est-ce que l'identité européenne ? Et d'ailleurs la réponse n'est pas seulement une question de géographie. Parlons-en avec nos partenaires. Nous avons commencé à lancer le débat hier, et nous avons obtenu qu'il y ait un débat en 2006 entre Européens sur les élargissements futurs. Je crois que c'est indispensable.
Q - A propos de la Macédoine et de la Turquie : débat sur les élargissements en général. A propos de ce qu'a dit le ministre des Affaires étrangères : "Stop à l'élargissement, arrêtons la Macédoine".
R - Ce n'est pas ce que Philippe Douste-Blazy a dit. Il a dit : "ayons un débat sur l'élargissement". Parce qu'aujourd'hui, je me demande comme vous si l'Union est bien en mesure de se lancer dans un nouveau train d'élargissement. Sans doute la Macédoine sera-t-elle récompensée de ses efforts, mais au moins ayons ce débat, je trouve cela positif. En tout cas, il faut en parler. Il n'est pas trop tard pour le faire.
Q - Est-ce que la France perd de son influence au sein de l'Europe et singulièrement au sein de la Commission de Bruxelles ?
R - Je ne le crois pas. Je ne dirais pas, contrairement à Benoît Hamon, qu'on a fait une bonne affaire en votant "non" au referendum. Mais c'est un autre débat. Il a déjà eu lieu. La France est l'un des pays moteurs en Europe. Elle continue à avoir des idées, elle continue à faire des propositions?
Q - Malgré le referendum ?
R - Malgré le referendum, même si tout le monde s'accorde à dire que l'Europe traverse une mauvaise passe. Evidemment, elle ne va pas bien. Il y a eu des élections en Allemagne, plusieurs mois pour former un gouvernement, et on a pas vu le moteur franco-allemand à l'?uvre peut-être autant qu'on aurait pu le voir?
Q - Et on ne voit pas beaucoup de soutien allemand, pardonnez-moi, aux positions prises par la France depuis quelques semaines.
R - Je pense que l'année 2006 vous permettra de le voir.
Q - Y compris sur la TVA?
R - Peut être même avant l'année 2006, en effet, vous avez raison.
Q - Vous pensez que les Allemands pourraient se rallier à l'idée d'une TVA à taux réduit ?
R - Nous le verrons au Conseil européen jeudi et vendredi, puisque cela fait partie des questions qui seront traitées.
Q - Qu'est-ce qu'on va leur donner en échange, parce que c'est toujours l'Allemagne qui s'est opposée sur l'histoire de la TVA ?
R - Les dossiers de la TVA sont des sujets en eux-mêmes. Cela n'est pas lié aux perspectives financières, pas plus qu'à la Macédoine.
Q - Ce sont des catégories au sein du dispositif de la TVA.
R - Oui, il n'est pas interdit de convaincre quand on a un bon dossier. Cela peut créer de l'emploi.
(...)
Q - Les internautes de France Info se sentent visiblement concernés par l'Europe. Ils ont posé des questions assez précises, à commencer par celle de Philippe qui voudrait savoir, Madame Colonna, comment vous faites dans les sommets européens pour transmettre à nos partenaires européens la volonté qui s'est exprimée le 29 mai ?
R - On en parle beaucoup, et, croyez-moi, ils en parlent aussi beaucoup entre eux.
Q - Est-ce que c'est difficile pour une ministre française ? Avez-vous le sentiment d'être montrée du doigt ?
R - Non, cela n'a pas été le cas. Il est vrai que j'aurais été tout à fait vexée d'être montrée du doigt ! Mais on a tous été très bien accueillis et vous avez vu qu'au-delà de la France et des Pays-Bas, il y a eu un questionnement généralisé partout en Europe sur la façon dont marche la construction européenne aujourd'hui. Ce qui nous a évité, certainement, d'être mis à l'index. Néanmoins, nous en parlons très ouvertement, très librement.
Q - Comment cela peut se traduire concrètement ?
R - Bien sûr que l'Europe ne va pas bien. Tout le monde le sait. Il y a eu deux référendums négatifs, il y a eu une absence d'accord sur le budget, du moins jusqu'à ce jour ou peut-être cette semaine et il y a, d'une façon générale, une difficulté dans cette Europe nouvelle à trouver des accords entre tous les Etats membres. Il y a sûrement un peu un affaiblissement de l'esprit européen. C'est cela qui est le plus préoccupant. Un manque d'ambition pour l'Europe. Comment faire ? Il y a des solutions : remettre l'Europe en marche. La remettre au travail. Et, pour moi, la remettre au travail, cela veut dire qu'elle sache prendre des décisions, à commencer par le budget. Qu'elle montre aux citoyens européens, aux Français, qu'elle leur est utile.
Q - Vous avez du pain sur la planche pour convaincre les citoyens français et notamment Eric, qui trouve que, finalement, l'Europe ne sert à rien, qu'elle coûte cher aux Français, que l'euro nous coûte cher et, par exemple, il dit que si on convertissait en francs, on n'accepterait jamais de payer aussi cher certains produits. Il dit que, quand on voyage dans les pays de la zone euro, on ne peut même pas payer en carte bleue, puisque les banques prennent des commissions exorbitantes. Ce sont des problèmes très concrets qui font que les Français ont le sentiment que l'Europe est très loin et qu'elle ne se préoccupe pas de leurs problèmes quotidiens.
Q - Catherine Colonna, votre réponse ? Il y avait un brouhaha au sujet des cartes de crédit. Cela, il est inexact de dire que les banques prennent des commissions exorbitantes, ce n'est plus le cas.
R - Qu'il y ait eu un brouhaha, ce n'est pas mal, cela prouve que les débats sont animés ! On a donné les chiffres tout à l'heure, non, l'Europe ne coûte pas cher. Elle ne coûte pas cher aux Européens et elle ne coûte pas cher aux Français. Si on doit regarder ce que nous donnons au budget européen et ce que nous en recevons, bien que je n'aime pas beaucoup ce raisonnement parce que si on doit investir un euro pour récupérer un euro, ce n'est pas la peine de s'ennuyer à discuter tous ensemble, autant rester dans son coin et couler tranquillement tout seul? Néanmoins, quand on fait ce calcul comptable - qui n'est pas le bon critère - l'Europe nous coûte environ 50 euros par an et par Français : le prix d'un dîner pour deux au restaurant. Tout cela pour la paix, la stabilité. Ce n'est pas rien. Ne l'oublions pas. Et pour des avantages économiques réels.
Oui, Jean Pisani-Ferry a eu raison de dire que l'Europe a réussi ses élargissements. Comme beaucoup d'autres choses qu'elle fait et qu'elle réussit, mais on ne le dit pas suffisamment. Nous pouvons continuer à regarder des choses en face, sereinement. Moi, ce que je redoute par-dessus tout, c'est qu'on ne parle pas d'Europe. C'est le silence qui est le pire ennemi de l'Europe. Quand on a un vrai débat, je suis prête à en parler longuement, l'Europe n'a rien à craindre en réalité.
Q - Madame Colonna, quelques précisions. On a l'impression qu'il y a un gros coup de frein sur l'élargissement. Vous confirmez ce frein ?
R - J'espère que non. Si je disais en début d'émission qu'un bon budget était un budget qui permettait de financer des politiques communes, d'en développer certaines et de tenir nos engagements pour nos nouveaux partenaires, c'est parce que c'est capital dans le monde d'aujourd'hui. Nous sommes tous ensemble, nous avons un avenir commun, nous avons intérêt à ce que ces pays effectuent leur rattrapage économique, social, fiscal, environnemental, on pourrait citer bien d'autres exemples. Nous bénéficions d'ores et déjà, nous, Français, de l'élargissement. On ne l'a jamais suffisamment dit. Je le regrette.
Q - Malgré les plombiers polonais ?
R - Quand on cherche à la loupe, on en trouve pas mal en Angleterre, semble-t-il, mais en France, on ne les a pas beaucoup trouvés. Ce qu'on a trouvé, en revanche, ce sont des dizaines de milliers d'emplois qui ont été créés en France grâce à l'élargissement. Les exportations françaises dans les dix nouveaux Etats membres, depuis dix ans, ont été multipliées par quatre. Vous voyez ce que cela représente d'activités supplémentaires, d'exportations, d'emplois. Au passage, je réponds à Benoît Hamon : la baisse de la TVA sur les travaux à 5,5 %?
Q -? Moi, je parlais de l'hôtellerie.
R - Je le sais, mais je vous donne un exemple, puisque je suis dans le réel, contrairement à vous. Cela a été 40.000 emplois créés en France. Voilà.
Q - Je vous demandais si c'était le coup de frein sur l'élargissement, vous me répondez que cela marche très bien, l'élargissement, et que tout le monde en profite. C'est très bien, mais on a quand même l'impression qu'il y a un coup de frein général.
R - Il faut le financer et donc on retombe sur les discussions du début.
Q ? Est-ce que parmi les autres coups de frein, il y en a un, c'est le peuple français et en l'occurrence néerlandais, qui ont mis un coup de frein sur les institutions. Plus personne n'en parle. On en reparlera un jour, ou vous, par exemple, en tant que ministre des Affaires européennes, c'est une question qui est" zappée" ?
R - Pas du tout. C'est une question importante et notre avenir en dépend en grande partie. Je vous dirai deux choses. Premièrement, le besoin d'institutions rénovées demeure dans une Europe élargie?
Q - Quand ? Il y a un chantier qui va s'ouvrir, ou est-ce qu'on attend 2007, 2008, quoi ?
R - En vous écoutant je pense à une troisième chose. Le besoin d'institutions rénovées demeure. Nous ne pourrons fonctionner durablement avec le seul Traité de Nice?
Q - Quel horizon ?
R - Les chefs d'Etat ou de gouvernement, au Conseil européen de juin ont pris dans les circonstances qui étaient celles du mois de juin, la meilleure décision possible : se donner rendez-vous un an plus tard pour évaluer la situation et, en attendant, travailler. Travailler et remettre l'Europe en marche. Voilà ce qu'il faut faire.
Q - Bon, bah, je n'ai pas de chance.
R - Troisièmement, nous verrons donc plus tard. Le sujet demeure, il est réel, mais la priorité est de remettre l'Europe en marche, c'est évident.
Q - Oui, j'ai entendu votre message : remettre l'Europe en marche. On a l'impression que, soit il manque du carburant, soit toutes les bielles ont été coulées?
R - Il va falloir faire quelques réparations?
Q - ? Je vois bien comment la remise en marche va se faire? Alors, l'agriculture française est en vedette, dans le monde entier. C'est l'un des sujets en ce qui concerne le budget européen, et c'est le sujet aussi à Hong Kong.
R - C'est l'un des sujets. Ce n'est pas "le" sujet.
Q - C'est quand même formidable ! Est-ce que vous vous êtes trompés du point de vue du calendrier ? On a l'impression que quelque chose n'a pas été prévu de se retrouver avec un effet de ciseaux, comme cela, sur ces 20 % d'agriculteurs français qui reçoivent 80 % de la contribution de la PAC.
R - Peut-on parler un instant, sans être trop technique, de l'Organisation mondiale du Commerce ? Ce n'est pas l'agriculture française, c'est l'agriculture européenne. C'est une différence fondamentale. En tout cas, ce n'est pas le sujet, et de loin, le seul sujet de la négociation. Je voudrais juste dire pourquoi après avoir souligné que nous souhaitons qu'il y ait un accord pour le cycle de Doha et que se serait une bonne chose. Ce serait créateur de richesses et donc d'emplois. La négociation comprend plusieurs volets : l'agriculture, les services, l'industrie. Il n'y aura d'accord que si l'accord est global. Jusqu'ici, l'Europe a fait des propositions sur l'agriculture, c'est d'ailleurs la seule. C'est aussi l'ensemble le plus ouvert aux productions des pays les plus pauvres. Je souhaiterais qu'avant de lui donner des leçons, nos partenaires fassent peut-être un peu mieux.
Q - Il ne faut pas produire du beurre en Afrique.
R - Ils n'ont pas fait d'offres à hauteur des propositions européennes qui sont sur la table et qui sont conditionnelles. Sur l'industrie et les services, nous n'avons rien vu avancer. Je vais, pour une fois, me référer à Peter Mandelson?
Q - Le commissaire européen au Commerce.
R - Il représente l'Union européenne dans ces négociations qui ont commencé aujourd'hui. Il a clairement dit que la balle était dans le camp des partenaires de l'Union européenne parce que c'est l'Union européenne qui était allée le plus loin dans ses propositions.
Q - Tout à l'heure, dans la discussion, j'ai eu le sentiment que vous étiez prête à esquisser le compromis possible sur le budget européen. M. Mc Shane disait qu'il faut un petit geste français ; on fait un petit geste britannique, on y arrive. Vous avez?
R - C'est un accord global et pas un sujet franco-britannique. Mais, en effet, il y a évidemment une solution possible dans le cadre des contraintes que nous connaissons tous, qui sont réelles et qui s'imposent aujourd'hui à tous les Etats, même si, un jour, il faudra faire un budget certainement bien différent. Si nous montons un peu le niveau du budget pour redonner à nos nouveaux partenaires les fonds de solidarité dont ils ont besoin - c'est aussi dans notre intérêt, je le répète - d'une part, la négociation nous dira jusqu'où il faut la remonter, mais si nous le faisons, et nous devons le faire, et si d'autre part le chèque britannique est réformé dans son mécanisme, au lieu de grignoter des marges comme il le fait aujourd'hui, jour après jour, pour permettre de financer les politiques de l'Union, nous pouvons arriver à une solution. Avec une clause de révision qui nous permettrait de prendre le temps nécessaire, mais sans tarder, pour se mettre au travail, pour faire le budget suivant, nous pourrions, sans doute, avoir un accord au Conseil européen. Tout dépendra de la base que nous propose la présidence, nous ne le savons pas encore, c'est prévu pour demain. Ce sera, soit une bonne proposition, soit une mauvaise proposition. Je souhaite que ce soit une bonne proposition.
Q - Il y a un malade très célèbre dans un hôpital français depuis très longtemps maintenant, qui est le président algérien. C'est mystérieux, ça ?
R - Il y a un malade, et il y a surtout un secret médical et je le respecterai.
Q - Vous savez comment il va ?
R - Au demeurant, je n'ai pas d'information privilégiée, mais je souhaite surtout que l'on respecte le secret médical et le respect que l'on doit à tous les malades. Je lui souhaite aussi un bon rétablissement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 décembre 2005
Q - A propos de la Macédoine et de la Turquie : débat sur les élargissements en général. A propos de ce qu'a dit le ministre des Affaires étrangères : "Stop à l'élargissement, arrêtons la Macédoine".
R - Ce n'est pas ce que Philippe Douste-Blazy a dit. Il a dit : "ayons un débat sur l'élargissement". Parce qu'aujourd'hui, je me demande comme vous si l'Union est bien en mesure de se lancer dans un nouveau train d'élargissement. Sans doute la Macédoine sera-t-elle récompensée de ses efforts, mais au moins ayons ce débat, je trouve cela positif. En tout cas, il faut en parler. Il n'est pas trop tard pour le faire.
Q - Est-ce que la France perd de son influence au sein de l'Europe et singulièrement au sein de la Commission de Bruxelles ?
R - Je ne le crois pas. Je ne dirais pas, contrairement à Benoît Hamon, qu'on a fait une bonne affaire en votant "non" au referendum. Mais c'est un autre débat. Il a déjà eu lieu. La France est l'un des pays moteurs en Europe. Elle continue à avoir des idées, elle continue à faire des propositions?
Q - Malgré le referendum ?
R - Malgré le referendum, même si tout le monde s'accorde à dire que l'Europe traverse une mauvaise passe. Evidemment, elle ne va pas bien. Il y a eu des élections en Allemagne, plusieurs mois pour former un gouvernement, et on a pas vu le moteur franco-allemand à l'?uvre peut-être autant qu'on aurait pu le voir?
Q - Et on ne voit pas beaucoup de soutien allemand, pardonnez-moi, aux positions prises par la France depuis quelques semaines.
R - Je pense que l'année 2006 vous permettra de le voir.
Q - Y compris sur la TVA?
R - Peut être même avant l'année 2006, en effet, vous avez raison.
Q - Vous pensez que les Allemands pourraient se rallier à l'idée d'une TVA à taux réduit ?
R - Nous le verrons au Conseil européen jeudi et vendredi, puisque cela fait partie des questions qui seront traitées.
Q - Qu'est-ce qu'on va leur donner en échange, parce que c'est toujours l'Allemagne qui s'est opposée sur l'histoire de la TVA ?
R - Les dossiers de la TVA sont des sujets en eux-mêmes. Cela n'est pas lié aux perspectives financières, pas plus qu'à la Macédoine.
Q - Ce sont des catégories au sein du dispositif de la TVA.
R - Oui, il n'est pas interdit de convaincre quand on a un bon dossier. Cela peut créer de l'emploi.
(...)
Q - Les internautes de France Info se sentent visiblement concernés par l'Europe. Ils ont posé des questions assez précises, à commencer par celle de Philippe qui voudrait savoir, Madame Colonna, comment vous faites dans les sommets européens pour transmettre à nos partenaires européens la volonté qui s'est exprimée le 29 mai ?
R - On en parle beaucoup, et, croyez-moi, ils en parlent aussi beaucoup entre eux.
Q - Est-ce que c'est difficile pour une ministre française ? Avez-vous le sentiment d'être montrée du doigt ?
R - Non, cela n'a pas été le cas. Il est vrai que j'aurais été tout à fait vexée d'être montrée du doigt ! Mais on a tous été très bien accueillis et vous avez vu qu'au-delà de la France et des Pays-Bas, il y a eu un questionnement généralisé partout en Europe sur la façon dont marche la construction européenne aujourd'hui. Ce qui nous a évité, certainement, d'être mis à l'index. Néanmoins, nous en parlons très ouvertement, très librement.
Q - Comment cela peut se traduire concrètement ?
R - Bien sûr que l'Europe ne va pas bien. Tout le monde le sait. Il y a eu deux référendums négatifs, il y a eu une absence d'accord sur le budget, du moins jusqu'à ce jour ou peut-être cette semaine et il y a, d'une façon générale, une difficulté dans cette Europe nouvelle à trouver des accords entre tous les Etats membres. Il y a sûrement un peu un affaiblissement de l'esprit européen. C'est cela qui est le plus préoccupant. Un manque d'ambition pour l'Europe. Comment faire ? Il y a des solutions : remettre l'Europe en marche. La remettre au travail. Et, pour moi, la remettre au travail, cela veut dire qu'elle sache prendre des décisions, à commencer par le budget. Qu'elle montre aux citoyens européens, aux Français, qu'elle leur est utile.
Q - Vous avez du pain sur la planche pour convaincre les citoyens français et notamment Eric, qui trouve que, finalement, l'Europe ne sert à rien, qu'elle coûte cher aux Français, que l'euro nous coûte cher et, par exemple, il dit que si on convertissait en francs, on n'accepterait jamais de payer aussi cher certains produits. Il dit que, quand on voyage dans les pays de la zone euro, on ne peut même pas payer en carte bleue, puisque les banques prennent des commissions exorbitantes. Ce sont des problèmes très concrets qui font que les Français ont le sentiment que l'Europe est très loin et qu'elle ne se préoccupe pas de leurs problèmes quotidiens.
Q - Catherine Colonna, votre réponse ? Il y avait un brouhaha au sujet des cartes de crédit. Cela, il est inexact de dire que les banques prennent des commissions exorbitantes, ce n'est plus le cas.
R - Qu'il y ait eu un brouhaha, ce n'est pas mal, cela prouve que les débats sont animés ! On a donné les chiffres tout à l'heure, non, l'Europe ne coûte pas cher. Elle ne coûte pas cher aux Européens et elle ne coûte pas cher aux Français. Si on doit regarder ce que nous donnons au budget européen et ce que nous en recevons, bien que je n'aime pas beaucoup ce raisonnement parce que si on doit investir un euro pour récupérer un euro, ce n'est pas la peine de s'ennuyer à discuter tous ensemble, autant rester dans son coin et couler tranquillement tout seul? Néanmoins, quand on fait ce calcul comptable - qui n'est pas le bon critère - l'Europe nous coûte environ 50 euros par an et par Français : le prix d'un dîner pour deux au restaurant. Tout cela pour la paix, la stabilité. Ce n'est pas rien. Ne l'oublions pas. Et pour des avantages économiques réels.
Oui, Jean Pisani-Ferry a eu raison de dire que l'Europe a réussi ses élargissements. Comme beaucoup d'autres choses qu'elle fait et qu'elle réussit, mais on ne le dit pas suffisamment. Nous pouvons continuer à regarder des choses en face, sereinement. Moi, ce que je redoute par-dessus tout, c'est qu'on ne parle pas d'Europe. C'est le silence qui est le pire ennemi de l'Europe. Quand on a un vrai débat, je suis prête à en parler longuement, l'Europe n'a rien à craindre en réalité.
Q - Madame Colonna, quelques précisions. On a l'impression qu'il y a un gros coup de frein sur l'élargissement. Vous confirmez ce frein ?
R - J'espère que non. Si je disais en début d'émission qu'un bon budget était un budget qui permettait de financer des politiques communes, d'en développer certaines et de tenir nos engagements pour nos nouveaux partenaires, c'est parce que c'est capital dans le monde d'aujourd'hui. Nous sommes tous ensemble, nous avons un avenir commun, nous avons intérêt à ce que ces pays effectuent leur rattrapage économique, social, fiscal, environnemental, on pourrait citer bien d'autres exemples. Nous bénéficions d'ores et déjà, nous, Français, de l'élargissement. On ne l'a jamais suffisamment dit. Je le regrette.
Q - Malgré les plombiers polonais ?
R - Quand on cherche à la loupe, on en trouve pas mal en Angleterre, semble-t-il, mais en France, on ne les a pas beaucoup trouvés. Ce qu'on a trouvé, en revanche, ce sont des dizaines de milliers d'emplois qui ont été créés en France grâce à l'élargissement. Les exportations françaises dans les dix nouveaux Etats membres, depuis dix ans, ont été multipliées par quatre. Vous voyez ce que cela représente d'activités supplémentaires, d'exportations, d'emplois. Au passage, je réponds à Benoît Hamon : la baisse de la TVA sur les travaux à 5,5 %?
Q -? Moi, je parlais de l'hôtellerie.
R - Je le sais, mais je vous donne un exemple, puisque je suis dans le réel, contrairement à vous. Cela a été 40.000 emplois créés en France. Voilà.
Q - Je vous demandais si c'était le coup de frein sur l'élargissement, vous me répondez que cela marche très bien, l'élargissement, et que tout le monde en profite. C'est très bien, mais on a quand même l'impression qu'il y a un coup de frein général.
R - Il faut le financer et donc on retombe sur les discussions du début.
Q ? Est-ce que parmi les autres coups de frein, il y en a un, c'est le peuple français et en l'occurrence néerlandais, qui ont mis un coup de frein sur les institutions. Plus personne n'en parle. On en reparlera un jour, ou vous, par exemple, en tant que ministre des Affaires européennes, c'est une question qui est" zappée" ?
R - Pas du tout. C'est une question importante et notre avenir en dépend en grande partie. Je vous dirai deux choses. Premièrement, le besoin d'institutions rénovées demeure dans une Europe élargie?
Q - Quand ? Il y a un chantier qui va s'ouvrir, ou est-ce qu'on attend 2007, 2008, quoi ?
R - En vous écoutant je pense à une troisième chose. Le besoin d'institutions rénovées demeure. Nous ne pourrons fonctionner durablement avec le seul Traité de Nice?
Q - Quel horizon ?
R - Les chefs d'Etat ou de gouvernement, au Conseil européen de juin ont pris dans les circonstances qui étaient celles du mois de juin, la meilleure décision possible : se donner rendez-vous un an plus tard pour évaluer la situation et, en attendant, travailler. Travailler et remettre l'Europe en marche. Voilà ce qu'il faut faire.
Q - Bon, bah, je n'ai pas de chance.
R - Troisièmement, nous verrons donc plus tard. Le sujet demeure, il est réel, mais la priorité est de remettre l'Europe en marche, c'est évident.
Q - Oui, j'ai entendu votre message : remettre l'Europe en marche. On a l'impression que, soit il manque du carburant, soit toutes les bielles ont été coulées?
R - Il va falloir faire quelques réparations?
Q - ? Je vois bien comment la remise en marche va se faire? Alors, l'agriculture française est en vedette, dans le monde entier. C'est l'un des sujets en ce qui concerne le budget européen, et c'est le sujet aussi à Hong Kong.
R - C'est l'un des sujets. Ce n'est pas "le" sujet.
Q - C'est quand même formidable ! Est-ce que vous vous êtes trompés du point de vue du calendrier ? On a l'impression que quelque chose n'a pas été prévu de se retrouver avec un effet de ciseaux, comme cela, sur ces 20 % d'agriculteurs français qui reçoivent 80 % de la contribution de la PAC.
R - Peut-on parler un instant, sans être trop technique, de l'Organisation mondiale du Commerce ? Ce n'est pas l'agriculture française, c'est l'agriculture européenne. C'est une différence fondamentale. En tout cas, ce n'est pas le sujet, et de loin, le seul sujet de la négociation. Je voudrais juste dire pourquoi après avoir souligné que nous souhaitons qu'il y ait un accord pour le cycle de Doha et que se serait une bonne chose. Ce serait créateur de richesses et donc d'emplois. La négociation comprend plusieurs volets : l'agriculture, les services, l'industrie. Il n'y aura d'accord que si l'accord est global. Jusqu'ici, l'Europe a fait des propositions sur l'agriculture, c'est d'ailleurs la seule. C'est aussi l'ensemble le plus ouvert aux productions des pays les plus pauvres. Je souhaiterais qu'avant de lui donner des leçons, nos partenaires fassent peut-être un peu mieux.
Q - Il ne faut pas produire du beurre en Afrique.
R - Ils n'ont pas fait d'offres à hauteur des propositions européennes qui sont sur la table et qui sont conditionnelles. Sur l'industrie et les services, nous n'avons rien vu avancer. Je vais, pour une fois, me référer à Peter Mandelson?
Q - Le commissaire européen au Commerce.
R - Il représente l'Union européenne dans ces négociations qui ont commencé aujourd'hui. Il a clairement dit que la balle était dans le camp des partenaires de l'Union européenne parce que c'est l'Union européenne qui était allée le plus loin dans ses propositions.
Q - Tout à l'heure, dans la discussion, j'ai eu le sentiment que vous étiez prête à esquisser le compromis possible sur le budget européen. M. Mc Shane disait qu'il faut un petit geste français ; on fait un petit geste britannique, on y arrive. Vous avez?
R - C'est un accord global et pas un sujet franco-britannique. Mais, en effet, il y a évidemment une solution possible dans le cadre des contraintes que nous connaissons tous, qui sont réelles et qui s'imposent aujourd'hui à tous les Etats, même si, un jour, il faudra faire un budget certainement bien différent. Si nous montons un peu le niveau du budget pour redonner à nos nouveaux partenaires les fonds de solidarité dont ils ont besoin - c'est aussi dans notre intérêt, je le répète - d'une part, la négociation nous dira jusqu'où il faut la remonter, mais si nous le faisons, et nous devons le faire, et si d'autre part le chèque britannique est réformé dans son mécanisme, au lieu de grignoter des marges comme il le fait aujourd'hui, jour après jour, pour permettre de financer les politiques de l'Union, nous pouvons arriver à une solution. Avec une clause de révision qui nous permettrait de prendre le temps nécessaire, mais sans tarder, pour se mettre au travail, pour faire le budget suivant, nous pourrions, sans doute, avoir un accord au Conseil européen. Tout dépendra de la base que nous propose la présidence, nous ne le savons pas encore, c'est prévu pour demain. Ce sera, soit une bonne proposition, soit une mauvaise proposition. Je souhaite que ce soit une bonne proposition.
Q - Il y a un malade très célèbre dans un hôpital français depuis très longtemps maintenant, qui est le président algérien. C'est mystérieux, ça ?
R - Il y a un malade, et il y a surtout un secret médical et je le respecterai.
Q - Vous savez comment il va ?
R - Au demeurant, je n'ai pas d'information privilégiée, mais je souhaite surtout que l'on respecte le secret médical et le respect que l'on doit à tous les malades. Je lui souhaite aussi un bon rétablissement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 décembre 2005
R - Oui, je le souhaite, je l'espère et je le crois possible. Le problème du budget européen n'est pas un problème franco-britannique, c'est une responsabilité collective. Le Royaume-Uni a la responsabilité de la présidence et donc, il doit faire une bonne proposition, qui permette de dégager un consensus.
Q - Ce n'est pas le cas jusqu'à présent. Au contraire, la proposition britannique a fait, en quelque sorte, l'unanimité contre elle. Il y a eu une coalition, aussi de la Commission, du Parlement européen, on va le voir avec son président M. Borrell, et la plupart des Etats membres.
R - La première proposition qui est arrivée tardivement, la semaine dernière seulement au bout de cinq mois de présidence, a déçu tout le monde. C'est vrai, c'était un mauvais projet de budget, une Europe au rabais qui nous était proposée, et une Europe qui ne correspondait pas aux besoins réels de la construction européenne aujourd'hui.
Q - Il y a la raideur britannique, mais il y a aussi, Madame Colonna, la raideur française. Parce qu'au fond, si vous voulez arriver à un compromis dans deux jours, il faut un peu de "donnant-donnant" à la négociation. Or on a entendu à l'Assemblée nationale encore aujourd'hui le Premier ministre répéter qu'il n'était pas question de toucher à la PAC qui est gelée, en quelque sorte, jusqu'en 2011.
R - En effet, mais il faudrait dire pourquoi. La politique agricole commune a été réformée en 2002 par un accord unanime, avec le Royaume-Uni parmi les Etats membres qui avaient accepté cette décision ; qui vaut jusqu'en 2013. La réforme de la Politique agricole commune a été faite par anticipation sur les négociations financières que nous avons aujourd'hui. Donc, la Politique agricole commune n'est pas en retard d'une réforme, mais bien en avance d'une réforme ; à la différence de ce que vous appelez le chèque britannique ou d'autres éléments du budget.
Alors, il faut un budget à l'Union, mais il faut surtout un bon budget. Qu'est-ce qu'un bon budget ? C'est un budget qui permette de financer les politiques communes, dont la Politique agricole commune et les autres politiques communes, un budget qui permette aussi de développer des politiques qui doivent monter en puissance, la recherche, l'innovation, les questions de sécurité, de justice, la politique étrangère commune, et enfin un budget qui permette de tenir nos engagements vis-à-vis de nos nouveaux partenaires.
Q - Et tout cela fixé à 1,03 du revenu intérieur brut.
R - A 1,056, c'est à dire la proposition de la présidence précédente, le projet de budget était un bon projet de budget parce qu'il permettait de faire ces trois choses là. A 1,03, ce n'est pas le cas.
Q - Ce n'est pas une espèce de partie de poker menteur ? On a les gros contributeurs, dont la France, dont Jacques Chirac, président de la République, qui disent "on ne veut pas trop payer pour l'Europe, pas plus de 1%". C'est ce qui a été rappelé dans le petit sujet. En même temps, on demande à Tony Blair de faire la quadrature du cercle. Lui, il a eu deux variables d'ajustement, d'un côté la PAC, et les Français disent "on ne veut pas y toucher", et il y a les fonds structurels. Donc il choisit les fonds structurels, il choisit l'aide aux pays qui viennent d'entrer dans l'Union.
R - Lors de la négociation du mois de juin, les choses avaient bougé et la France avait fait des efforts considérables comme la plupart de ses autres partenaires. On l'a rappelé dans le sujet que nous avons vu, 20 pays sur 25 avaient accepté la proposition luxembourgeoise.
Q - Donc, cela a déjà "capoté" en juin, il faut s'en souvenir.
R - Du fait du Royaume-Uni, il faut aussi s'en souvenir !
Q - La Commission voulait un budget plus conséquent, un vrai budget.
R - Il faut des contributeurs : un budget ce sont des recettes et des dépenses. Pour avoir des recettes, il faut des contributeurs. Le budget proposé par la présidence luxembourgeoise était un bon budget, un budget qui représentait 871 milliards d'euros, sur la période de 7 ans. En pourcentage de la richesse européenne, cela représentait non pas 1%, mais 1,056%. Alors on peut dire 1,056 %, c'est compliqué mais cela voulait dire plus de 50 milliards d'euros en plus pour l'Union européenne.
Q - Mais si cela a "capoté" en juin dernier, c'est déjà parce que la France refusait qu'on remette en cause le gel, la sanctuarisation de la Politique agricole commune ?
R - La Politique agricole commune avait déjà été réformée, et profondément réformée. A 25, au niveau où était l'enveloppe consacrée à l'agriculture à 15, c'est un effort de stabilisation remarquable, c'est même, en réalité, une baisse.
Q - Oui, mais pendant ce temps là, le monde change. Il y a d'autres défis, les populations expriment d'autres priorités?
R - La part de la Politique agricole commune dans le budget baisse.
Q - A peu près 40, 42 %
R - Aujourd'hui, un peu plus de 40% et dans le budget dont nous parlons 35 %. Donc la part de la PAC est en baisse. Voilà ce qui a déjà été décidé entre les Quinze, avec, à l'époque, l'accord des Dix. Ce sont sur les autres éléments du budget qu'il faut se mettre d'accord. C'est possible, non seulement sur l'expérience du mois de juin, où nous étions près d'un accord, mais je reste convaincue qu'il est possible, au Conseil européen cette semaine, d'avoir un accord si le Royaume-Uni, dans son rôle de présidence, fait une deuxième proposition. La première n'était pas la bonne et il faut que la deuxième s'approche davantage des besoins de l'Union.
Q - Donc, aucune concession possible de la part de la France ?
R - C'est une chose qui a été décidée tous ensemble, à l'unanimité. Au demeurant, la Politique agricole, qui est une politique commune, n'intéresse pas que la France. La France a de bons taux de retour sur la PAC : elle bénéficie d'environ 20 % du budget de la PAC. Ce qui veut dire que 80 % du budget de la PAC intéresse aussi nos partenaires, et, en particulier, le Royaume-Uni qui en a presque 10 %. On ne le sait pas assez, il est le cinquième bénéficiaire de la PAC.
(...)
Q - Catherine Colonna, on se souvient que la Grande-Bretagne a été véritablement le champion de l'élargissement aux nouveaux entrants. On voit, selon l'expression du président de la Commission, M. Barroso, que maintenant Tony Blair joue Robin des Bois à l'envers, c'est-à-dire qu'il veut prendre de l'argent aux plus pauvres en leur disant "plus question que vous ayez autant d'aides structurelles que prévu".
R - Reprenons certaines choses. Je regrette, Dennis (Mc Shane), de devoir parler assez rapidement du chèque britannique, vous allez voir pourquoi. Bien sûr, il faut une Europe ambitieuse, il faut - Marielle de Sarnez n'a pas tort de dire qu'en ce moment c'est l'esprit européen qui ne souffle pas beaucoup - remettre l'Europe au travail. Cela veut dire que l'Europe doit prendre des décisions et cela commence par le budget parce qu'il se trouve que, sur le calendrier, c'est le budget qui est à l'ordre du jour. Le budget est toujours un moment délicat pour l'Union européenne, ce sont toujours des négociations difficiles parce que chaque Etat membre regarde, et c'est normal, la contribution qu'il doit faire à l'Union, ce qu'elle lui rapporte, quel est l'état de ses finances publiques? Ce ne sont pas des intérêts illégitimes.
Q - Là, vous avez les mêmes arguments que M. Mc Shane.
R - Pourquoi faut-il néanmoins parler du chèque britannique ? Parce que c'est le paramètre clé dans cette négociation. C'est ce qui va nous permettre de réussir ou d'échouer tous ensemble. Dennis, cela n'est pas un duo franco-britannique que je fais là.
Q - Un duel, plutôt ?
R - J'ai dit exprès un "duo". Le chèque britannique a quelques inconvénients, du moins à nos yeux. D'abord, c'est qu'en effet plus rien ne le justifie. En 1984, certains arguments avaient été avancés, qu'on peut contester par ailleurs, mais qui expliquaient qu'un accord avait été donné. Tout cela n'existe plus aujourd'hui. Il y a un deuxième inconvénient, c'est que c'est pris en charge par les autres. Ce qu'on appelle le chèque britannique, c'est en réalité une ristourne?
Q - On rembourse au Royaume-Uni?
R - C'est un rabais sur la contribution normale du Royaume-Uni.
Q - Et donc la France rembourse 29 % du rabais britannique.
R - En effet. Et trois pays en remboursent 60 % : la France, l'Italie et l'Espagne. Le rabais est pris en charge par tous les autres Etats membres, y compris les dix nouveaux. Le chèque britannique, troisième inconvénient, croît tous les jours, ce n'est pas comme la Politique agricole commune ; il ne se réforme pas non plus, puisque c'est un pourcentage. Donc, au fur et à mesure de l'augmentation du budget, il augmente. Si on ne le réforme pas du tout, il augmente année après année. Et sur la période budgétaire considérée, 2007-2013, il atteindrait plus de 50 milliards d'euros. C'est à comparer avec un certain nombre de sommes dont on a besoin, par exemple pour l'élargissement.
Q - Il faut reconnaître que le Premier ministre britannique a proposé que ce chèque reste en l'état.
R - Pas tout à fait. Il augmenterait. Aujourd'hui, il est d'un peu plus de 5 milliards d'euros par an, et, avec la proposition de la semaine dernière qui n'a pas fait l'unanimité, sinon contre elle, il augmentait au-delà de 6 milliards. Mais surtout, le remboursement consenti par le Royaume-Uni était un versement forfaitaire, et non pas un remboursement basé sur une réforme du mode de calcul. Ce que nous proposons, c'est que le Royaume-Uni, au minimum, prenne sa part en contribuant comme les autres Etats membres au financement de l'Union élargie.
Q - (A propos de l'idée de ne pas consacrer le budget à des dépenses fixes, mais de le redéployer en fonction des priorités)
C'est un peu comme le budget de la France. On en discute au Parlement chaque année, mais en fait, en gros, l'essentiel en est figé?
R - ? Mais il évolue. Et le budget européen aussi. Il ne faut pas dire que la structure du budget n'évolue pas. On parlait tout à l'heure du chèque britannique, quoique ce ne soit pas un problème entre la France et le Royaume-Uni, mais un problème pour vingt-quatre pays sur vingt-cinq. En 1984, la part de la Politique agricole commune représentait plus de 70 %, aujourd'hui un peu plus de 40 % et dans le projet de budget de demain, 35 %. Donc, les choses évoluent. De même, il y avait très peu de dépenses européennes en matière de recherche. Dans le projet luxembourgeois, qui sur ce point avait été repris la semaine dernière par le Royaume-Uni, les dépenses de recherche-développement augmentaient de 33 % sur un seul exercice budgétaire. C'est considérable.
Q - Et là il peut y avoir une avancée ?
R - Il y a une avancée possible. Il y aura même, peut-être, des ressources complémentaires en utilisant la Banque européenne d'investissement. Mais il ne faut pas dire que le budget ne bouge pas. Néanmoins, Jean Pisani-Ferry a raison, un budget exprime des objectifs. Quels sont nos objectifs et comment ensuite trouve-t-on les financements ? Donc, il faudra, après ce budget-ci, une réforme plus fondamentale du budget, à la fois dans les dépenses et dans le système des recettes, qui pousse, on le voit bien, un peu chacun à se chamailler, à regarder quel est son solde net et comment il peut s'en sortir le mieux possible.
Q - Catherine Colonna, une question très précise à propos de l'élargissement : la France, le président de la République répète, notamment vis-à-vis de pays balkaniques, que bien évidemment l'Europe, très légitimement, doit leur ouvrir ses portes, et cependant il semble que, sur le cas très précis de la Macédoine, la France fasse marche arrière et dise "pas question que les Macédoniens rentrent". Pourquoi ?
R - Alors, pour les Balkans, bien sûr, il faut leur donner une perspective européenne?
Q - La Macédoine, c'est dans les Balkans?
R - Et nous en arrivons à la Macédoine. La perspective européenne existe depuis 2000, quand l'Union européenne était sous présidence française. Et vous savez comme moi ce qu'a fait la France dans les Balkans pour y remettre un peu de stabilité, un peu de respect des principes fondamentaux et de la démocratie. La Macédoine a beaucoup progressé, et donc la Commission aujourd'hui propose de lui reconnaître le statut de candidat.
Nous avons, hier, voulu lancer un débat qui est un sujet en soi. La perspective d'adhésion est bien sûr un outil important pour la stabilité des pays des Balkans, mais c'est aussi, d'abord et avant tout, une décision importante pour l'Union que de s'agrandir ou de ne pas s'agrandir. On ne peut pas faire l'un sans l'autre. Or, nous n'avons jamais ce type de débats.
Q - On a bien vu d'ailleurs la sanction lors du referendum sur la Constitution en France.
R - Je crois que ces questions doivent être posées et qu'il faut les aborder avec autant de sérénité que possible. Parlons-en entre Européens ! Quelle Europe veut-on faire, qu'est-ce que l'identité européenne ? Et d'ailleurs la réponse n'est pas seulement une question de géographie. Parlons-en avec nos partenaires. Nous avons commencé à lancer le débat hier, et nous avons obtenu qu'il y ait un débat en 2006 entre Européens sur les élargissements futurs. Je crois que c'est indispensable.
Q - A propos de la Macédoine et de la Turquie : débat sur les élargissements en général. A propos de ce qu'a dit le ministre des Affaires étrangères : "Stop à l'élargissement, arrêtons la Macédoine".
R - Ce n'est pas ce que Philippe Douste-Blazy a dit. Il a dit : "ayons un débat sur l'élargissement". Parce qu'aujourd'hui, je me demande comme vous si l'Union est bien en mesure de se lancer dans un nouveau train d'élargissement. Sans doute la Macédoine sera-t-elle récompensée de ses efforts, mais au moins ayons ce débat, je trouve cela positif. En tout cas, il faut en parler. Il n'est pas trop tard pour le faire.
Q - Est-ce que la France perd de son influence au sein de l'Europe et singulièrement au sein de la Commission de Bruxelles ?
R - Je ne le crois pas. Je ne dirais pas, contrairement à Benoît Hamon, qu'on a fait une bonne affaire en votant "non" au referendum. Mais c'est un autre débat. Il a déjà eu lieu. La France est l'un des pays moteurs en Europe. Elle continue à avoir des idées, elle continue à faire des propositions?
Q - Malgré le referendum ?
R - Malgré le referendum, même si tout le monde s'accorde à dire que l'Europe traverse une mauvaise passe. Evidemment, elle ne va pas bien. Il y a eu des élections en Allemagne, plusieurs mois pour former un gouvernement, et on a pas vu le moteur franco-allemand à l'?uvre peut-être autant qu'on aurait pu le voir?
Q - Et on ne voit pas beaucoup de soutien allemand, pardonnez-moi, aux positions prises par la France depuis quelques semaines.
R - Je pense que l'année 2006 vous permettra de le voir.
Q - Y compris sur la TVA?
R - Peut être même avant l'année 2006, en effet, vous avez raison.
Q - Vous pensez que les Allemands pourraient se rallier à l'idée d'une TVA à taux réduit ?
R - Nous le verrons au Conseil européen jeudi et vendredi, puisque cela fait partie des questions qui seront traitées.
Q - Qu'est-ce qu'on va leur donner en échange, parce que c'est toujours l'Allemagne qui s'est opposée sur l'histoire de la TVA ?
R - Les dossiers de la TVA sont des sujets en eux-mêmes. Cela n'est pas lié aux perspectives financières, pas plus qu'à la Macédoine.
Q - Ce sont des catégories au sein du dispositif de la TVA.
R - Oui, il n'est pas interdit de convaincre quand on a un bon dossier. Cela peut créer de l'emploi.
(...)
Q - Les internautes de France Info se sentent visiblement concernés par l'Europe. Ils ont posé des questions assez précises, à commencer par celle de Philippe qui voudrait savoir, Madame Colonna, comment vous faites dans les sommets européens pour transmettre à nos partenaires européens la volonté qui s'est exprimée le 29 mai ?
R - On en parle beaucoup, et, croyez-moi, ils en parlent aussi beaucoup entre eux.
Q - Est-ce que c'est difficile pour une ministre française ? Avez-vous le sentiment d'être montrée du doigt ?
R - Non, cela n'a pas été le cas. Il est vrai que j'aurais été tout à fait vexée d'être montrée du doigt ! Mais on a tous été très bien accueillis et vous avez vu qu'au-delà de la France et des Pays-Bas, il y a eu un questionnement généralisé partout en Europe sur la façon dont marche la construction européenne aujourd'hui. Ce qui nous a évité, certainement, d'être mis à l'index. Néanmoins, nous en parlons très ouvertement, très librement.
Q - Comment cela peut se traduire concrètement ?
R - Bien sûr que l'Europe ne va pas bien. Tout le monde le sait. Il y a eu deux référendums négatifs, il y a eu une absence d'accord sur le budget, du moins jusqu'à ce jour ou peut-être cette semaine et il y a, d'une façon générale, une difficulté dans cette Europe nouvelle à trouver des accords entre tous les Etats membres. Il y a sûrement un peu un affaiblissement de l'esprit européen. C'est cela qui est le plus préoccupant. Un manque d'ambition pour l'Europe. Comment faire ? Il y a des solutions : remettre l'Europe en marche. La remettre au travail. Et, pour moi, la remettre au travail, cela veut dire qu'elle sache prendre des décisions, à commencer par le budget. Qu'elle montre aux citoyens européens, aux Français, qu'elle leur est utile.
Q - Vous avez du pain sur la planche pour convaincre les citoyens français et notamment Eric, qui trouve que, finalement, l'Europe ne sert à rien, qu'elle coûte cher aux Français, que l'euro nous coûte cher et, par exemple, il dit que si on convertissait en francs, on n'accepterait jamais de payer aussi cher certains produits. Il dit que, quand on voyage dans les pays de la zone euro, on ne peut même pas payer en carte bleue, puisque les banques prennent des commissions exorbitantes. Ce sont des problèmes très concrets qui font que les Français ont le sentiment que l'Europe est très loin et qu'elle ne se préoccupe pas de leurs problèmes quotidiens.
Q - Catherine Colonna, votre réponse ? Il y avait un brouhaha au sujet des cartes de crédit. Cela, il est inexact de dire que les banques prennent des commissions exorbitantes, ce n'est plus le cas.
R - Qu'il y ait eu un brouhaha, ce n'est pas mal, cela prouve que les débats sont animés ! On a donné les chiffres tout à l'heure, non, l'Europe ne coûte pas cher. Elle ne coûte pas cher aux Européens et elle ne coûte pas cher aux Français. Si on doit regarder ce que nous donnons au budget européen et ce que nous en recevons, bien que je n'aime pas beaucoup ce raisonnement parce que si on doit investir un euro pour récupérer un euro, ce n'est pas la peine de s'ennuyer à discuter tous ensemble, autant rester dans son coin et couler tranquillement tout seul? Néanmoins, quand on fait ce calcul comptable - qui n'est pas le bon critère - l'Europe nous coûte environ 50 euros par an et par Français : le prix d'un dîner pour deux au restaurant. Tout cela pour la paix, la stabilité. Ce n'est pas rien. Ne l'oublions pas. Et pour des avantages économiques réels.
Oui, Jean Pisani-Ferry a eu raison de dire que l'Europe a réussi ses élargissements. Comme beaucoup d'autres choses qu'elle fait et qu'elle réussit, mais on ne le dit pas suffisamment. Nous pouvons continuer à regarder des choses en face, sereinement. Moi, ce que je redoute par-dessus tout, c'est qu'on ne parle pas d'Europe. C'est le silence qui est le pire ennemi de l'Europe. Quand on a un vrai débat, je suis prête à en parler longuement, l'Europe n'a rien à craindre en réalité.
Q - Madame Colonna, quelques précisions. On a l'impression qu'il y a un gros coup de frein sur l'élargissement. Vous confirmez ce frein ?
R - J'espère que non. Si je disais en début d'émission qu'un bon budget était un budget qui permettait de financer des politiques communes, d'en développer certaines et de tenir nos engagements pour nos nouveaux partenaires, c'est parce que c'est capital dans le monde d'aujourd'hui. Nous sommes tous ensemble, nous avons un avenir commun, nous avons intérêt à ce que ces pays effectuent leur rattrapage économique, social, fiscal, environnemental, on pourrait citer bien d'autres exemples. Nous bénéficions d'ores et déjà, nous, Français, de l'élargissement. On ne l'a jamais suffisamment dit. Je le regrette.
Q - Malgré les plombiers polonais ?
R - Quand on cherche à la loupe, on en trouve pas mal en Angleterre, semble-t-il, mais en France, on ne les a pas beaucoup trouvés. Ce qu'on a trouvé, en revanche, ce sont des dizaines de milliers d'emplois qui ont été créés en France grâce à l'élargissement. Les exportations françaises dans les dix nouveaux Etats membres, depuis dix ans, ont été multipliées par quatre. Vous voyez ce que cela représente d'activités supplémentaires, d'exportations, d'emplois. Au passage, je réponds à Benoît Hamon : la baisse de la TVA sur les travaux à 5,5 %?
Q -? Moi, je parlais de l'hôtellerie.
R - Je le sais, mais je vous donne un exemple, puisque je suis dans le réel, contrairement à vous. Cela a été 40.000 emplois créés en France. Voilà.
Q - Je vous demandais si c'était le coup de frein sur l'élargissement, vous me répondez que cela marche très bien, l'élargissement, et que tout le monde en profite. C'est très bien, mais on a quand même l'impression qu'il y a un coup de frein général.
R - Il faut le financer et donc on retombe sur les discussions du début.
Q ? Est-ce que parmi les autres coups de frein, il y en a un, c'est le peuple français et en l'occurrence néerlandais, qui ont mis un coup de frein sur les institutions. Plus personne n'en parle. On en reparlera un jour, ou vous, par exemple, en tant que ministre des Affaires européennes, c'est une question qui est" zappée" ?
R - Pas du tout. C'est une question importante et notre avenir en dépend en grande partie. Je vous dirai deux choses. Premièrement, le besoin d'institutions rénovées demeure dans une Europe élargie?
Q - Quand ? Il y a un chantier qui va s'ouvrir, ou est-ce qu'on attend 2007, 2008, quoi ?
R - En vous écoutant je pense à une troisième chose. Le besoin d'institutions rénovées demeure. Nous ne pourrons fonctionner durablement avec le seul Traité de Nice?
Q - Quel horizon ?
R - Les chefs d'Etat ou de gouvernement, au Conseil européen de juin ont pris dans les circonstances qui étaient celles du mois de juin, la meilleure décision possible : se donner rendez-vous un an plus tard pour évaluer la situation et, en attendant, travailler. Travailler et remettre l'Europe en marche. Voilà ce qu'il faut faire.
Q - Bon, bah, je n'ai pas de chance.
R - Troisièmement, nous verrons donc plus tard. Le sujet demeure, il est réel, mais la priorité est de remettre l'Europe en marche, c'est évident.
Q - Oui, j'ai entendu votre message : remettre l'Europe en marche. On a l'impression que, soit il manque du carburant, soit toutes les bielles ont été coulées?
R - Il va falloir faire quelques réparations?
Q - ? Je vois bien comment la remise en marche va se faire? Alors, l'agriculture française est en vedette, dans le monde entier. C'est l'un des sujets en ce qui concerne le budget européen, et c'est le sujet aussi à Hong Kong.
R - C'est l'un des sujets. Ce n'est pas "le" sujet.
Q - C'est quand même formidable ! Est-ce que vous vous êtes trompés du point de vue du calendrier ? On a l'impression que quelque chose n'a pas été prévu de se retrouver avec un effet de ciseaux, comme cela, sur ces 20 % d'agriculteurs français qui reçoivent 80 % de la contribution de la PAC.
R - Peut-on parler un instant, sans être trop technique, de l'Organisation mondiale du Commerce ? Ce n'est pas l'agriculture française, c'est l'agriculture européenne. C'est une différence fondamentale. En tout cas, ce n'est pas le sujet, et de loin, le seul sujet de la négociation. Je voudrais juste dire pourquoi après avoir souligné que nous souhaitons qu'il y ait un accord pour le cycle de Doha et que se serait une bonne chose. Ce serait créateur de richesses et donc d'emplois. La négociation comprend plusieurs volets : l'agriculture, les services, l'industrie. Il n'y aura d'accord que si l'accord est global. Jusqu'ici, l'Europe a fait des propositions sur l'agriculture, c'est d'ailleurs la seule. C'est aussi l'ensemble le plus ouvert aux productions des pays les plus pauvres. Je souhaiterais qu'avant de lui donner des leçons, nos partenaires fassent peut-être un peu mieux.
Q - Il ne faut pas produire du beurre en Afrique.
R - Ils n'ont pas fait d'offres à hauteur des propositions européennes qui sont sur la table et qui sont conditionnelles. Sur l'industrie et les services, nous n'avons rien vu avancer. Je vais, pour une fois, me référer à Peter Mandelson?
Q - Le commissaire européen au Commerce.
R - Il représente l'Union européenne dans ces négociations qui ont commencé aujourd'hui. Il a clairement dit que la balle était dans le camp des partenaires de l'Union européenne parce que c'est l'Union européenne qui était allée le plus loin dans ses propositions.
Q - Tout à l'heure, dans la discussion, j'ai eu le sentiment que vous étiez prête à esquisser le compromis possible sur le budget européen. M. Mc Shane disait qu'il faut un petit geste français ; on fait un petit geste britannique, on y arrive. Vous avez?
R - C'est un accord global et pas un sujet franco-britannique. Mais, en effet, il y a évidemment une solution possible dans le cadre des contraintes que nous connaissons tous, qui sont réelles et qui s'imposent aujourd'hui à tous les Etats, même si, un jour, il faudra faire un budget certainement bien différent. Si nous montons un peu le niveau du budget pour redonner à nos nouveaux partenaires les fonds de solidarité dont ils ont besoin - c'est aussi dans notre intérêt, je le répète - d'une part, la négociation nous dira jusqu'où il faut la remonter, mais si nous le faisons, et nous devons le faire, et si d'autre part le chèque britannique est réformé dans son mécanisme, au lieu de grignoter des marges comme il le fait aujourd'hui, jour après jour, pour permettre de financer les politiques de l'Union, nous pouvons arriver à une solution. Avec une clause de révision qui nous permettrait de prendre le temps nécessaire, mais sans tarder, pour se mettre au travail, pour faire le budget suivant, nous pourrions, sans doute, avoir un accord au Conseil européen. Tout dépendra de la base que nous propose la présidence, nous ne le savons pas encore, c'est prévu pour demain. Ce sera, soit une bonne proposition, soit une mauvaise proposition. Je souhaite que ce soit une bonne proposition.
Q - Il y a un malade très célèbre dans un hôpital français depuis très longtemps maintenant, qui est le président algérien. C'est mystérieux, ça ?
R - Il y a un malade, et il y a surtout un secret médical et je le respecterai.
Q - Vous savez comment il va ?
R - Au demeurant, je n'ai pas d'information privilégiée, mais je souhaite surtout que l'on respecte le secret médical et le respect que l'on doit à tous les malades. Je lui souhaite aussi un bon rétablissement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 décembre 2005
Q - A propos de la Macédoine et de la Turquie : débat sur les élargissements en général. A propos de ce qu'a dit le ministre des Affaires étrangères : "Stop à l'élargissement, arrêtons la Macédoine".
R - Ce n'est pas ce que Philippe Douste-Blazy a dit. Il a dit : "ayons un débat sur l'élargissement". Parce qu'aujourd'hui, je me demande comme vous si l'Union est bien en mesure de se lancer dans un nouveau train d'élargissement. Sans doute la Macédoine sera-t-elle récompensée de ses efforts, mais au moins ayons ce débat, je trouve cela positif. En tout cas, il faut en parler. Il n'est pas trop tard pour le faire.
Q - Est-ce que la France perd de son influence au sein de l'Europe et singulièrement au sein de la Commission de Bruxelles ?
R - Je ne le crois pas. Je ne dirais pas, contrairement à Benoît Hamon, qu'on a fait une bonne affaire en votant "non" au referendum. Mais c'est un autre débat. Il a déjà eu lieu. La France est l'un des pays moteurs en Europe. Elle continue à avoir des idées, elle continue à faire des propositions?
Q - Malgré le referendum ?
R - Malgré le referendum, même si tout le monde s'accorde à dire que l'Europe traverse une mauvaise passe. Evidemment, elle ne va pas bien. Il y a eu des élections en Allemagne, plusieurs mois pour former un gouvernement, et on a pas vu le moteur franco-allemand à l'?uvre peut-être autant qu'on aurait pu le voir?
Q - Et on ne voit pas beaucoup de soutien allemand, pardonnez-moi, aux positions prises par la France depuis quelques semaines.
R - Je pense que l'année 2006 vous permettra de le voir.
Q - Y compris sur la TVA?
R - Peut être même avant l'année 2006, en effet, vous avez raison.
Q - Vous pensez que les Allemands pourraient se rallier à l'idée d'une TVA à taux réduit ?
R - Nous le verrons au Conseil européen jeudi et vendredi, puisque cela fait partie des questions qui seront traitées.
Q - Qu'est-ce qu'on va leur donner en échange, parce que c'est toujours l'Allemagne qui s'est opposée sur l'histoire de la TVA ?
R - Les dossiers de la TVA sont des sujets en eux-mêmes. Cela n'est pas lié aux perspectives financières, pas plus qu'à la Macédoine.
Q - Ce sont des catégories au sein du dispositif de la TVA.
R - Oui, il n'est pas interdit de convaincre quand on a un bon dossier. Cela peut créer de l'emploi.
(...)
Q - Les internautes de France Info se sentent visiblement concernés par l'Europe. Ils ont posé des questions assez précises, à commencer par celle de Philippe qui voudrait savoir, Madame Colonna, comment vous faites dans les sommets européens pour transmettre à nos partenaires européens la volonté qui s'est exprimée le 29 mai ?
R - On en parle beaucoup, et, croyez-moi, ils en parlent aussi beaucoup entre eux.
Q - Est-ce que c'est difficile pour une ministre française ? Avez-vous le sentiment d'être montrée du doigt ?
R - Non, cela n'a pas été le cas. Il est vrai que j'aurais été tout à fait vexée d'être montrée du doigt ! Mais on a tous été très bien accueillis et vous avez vu qu'au-delà de la France et des Pays-Bas, il y a eu un questionnement généralisé partout en Europe sur la façon dont marche la construction européenne aujourd'hui. Ce qui nous a évité, certainement, d'être mis à l'index. Néanmoins, nous en parlons très ouvertement, très librement.
Q - Comment cela peut se traduire concrètement ?
R - Bien sûr que l'Europe ne va pas bien. Tout le monde le sait. Il y a eu deux référendums négatifs, il y a eu une absence d'accord sur le budget, du moins jusqu'à ce jour ou peut-être cette semaine et il y a, d'une façon générale, une difficulté dans cette Europe nouvelle à trouver des accords entre tous les Etats membres. Il y a sûrement un peu un affaiblissement de l'esprit européen. C'est cela qui est le plus préoccupant. Un manque d'ambition pour l'Europe. Comment faire ? Il y a des solutions : remettre l'Europe en marche. La remettre au travail. Et, pour moi, la remettre au travail, cela veut dire qu'elle sache prendre des décisions, à commencer par le budget. Qu'elle montre aux citoyens européens, aux Français, qu'elle leur est utile.
Q - Vous avez du pain sur la planche pour convaincre les citoyens français et notamment Eric, qui trouve que, finalement, l'Europe ne sert à rien, qu'elle coûte cher aux Français, que l'euro nous coûte cher et, par exemple, il dit que si on convertissait en francs, on n'accepterait jamais de payer aussi cher certains produits. Il dit que, quand on voyage dans les pays de la zone euro, on ne peut même pas payer en carte bleue, puisque les banques prennent des commissions exorbitantes. Ce sont des problèmes très concrets qui font que les Français ont le sentiment que l'Europe est très loin et qu'elle ne se préoccupe pas de leurs problèmes quotidiens.
Q - Catherine Colonna, votre réponse ? Il y avait un brouhaha au sujet des cartes de crédit. Cela, il est inexact de dire que les banques prennent des commissions exorbitantes, ce n'est plus le cas.
R - Qu'il y ait eu un brouhaha, ce n'est pas mal, cela prouve que les débats sont animés ! On a donné les chiffres tout à l'heure, non, l'Europe ne coûte pas cher. Elle ne coûte pas cher aux Européens et elle ne coûte pas cher aux Français. Si on doit regarder ce que nous donnons au budget européen et ce que nous en recevons, bien que je n'aime pas beaucoup ce raisonnement parce que si on doit investir un euro pour récupérer un euro, ce n'est pas la peine de s'ennuyer à discuter tous ensemble, autant rester dans son coin et couler tranquillement tout seul? Néanmoins, quand on fait ce calcul comptable - qui n'est pas le bon critère - l'Europe nous coûte environ 50 euros par an et par Français : le prix d'un dîner pour deux au restaurant. Tout cela pour la paix, la stabilité. Ce n'est pas rien. Ne l'oublions pas. Et pour des avantages économiques réels.
Oui, Jean Pisani-Ferry a eu raison de dire que l'Europe a réussi ses élargissements. Comme beaucoup d'autres choses qu'elle fait et qu'elle réussit, mais on ne le dit pas suffisamment. Nous pouvons continuer à regarder des choses en face, sereinement. Moi, ce que je redoute par-dessus tout, c'est qu'on ne parle pas d'Europe. C'est le silence qui est le pire ennemi de l'Europe. Quand on a un vrai débat, je suis prête à en parler longuement, l'Europe n'a rien à craindre en réalité.
Q - Madame Colonna, quelques précisions. On a l'impression qu'il y a un gros coup de frein sur l'élargissement. Vous confirmez ce frein ?
R - J'espère que non. Si je disais en début d'émission qu'un bon budget était un budget qui permettait de financer des politiques communes, d'en développer certaines et de tenir nos engagements pour nos nouveaux partenaires, c'est parce que c'est capital dans le monde d'aujourd'hui. Nous sommes tous ensemble, nous avons un avenir commun, nous avons intérêt à ce que ces pays effectuent leur rattrapage économique, social, fiscal, environnemental, on pourrait citer bien d'autres exemples. Nous bénéficions d'ores et déjà, nous, Français, de l'élargissement. On ne l'a jamais suffisamment dit. Je le regrette.
Q - Malgré les plombiers polonais ?
R - Quand on cherche à la loupe, on en trouve pas mal en Angleterre, semble-t-il, mais en France, on ne les a pas beaucoup trouvés. Ce qu'on a trouvé, en revanche, ce sont des dizaines de milliers d'emplois qui ont été créés en France grâce à l'élargissement. Les exportations françaises dans les dix nouveaux Etats membres, depuis dix ans, ont été multipliées par quatre. Vous voyez ce que cela représente d'activités supplémentaires, d'exportations, d'emplois. Au passage, je réponds à Benoît Hamon : la baisse de la TVA sur les travaux à 5,5 %?
Q -? Moi, je parlais de l'hôtellerie.
R - Je le sais, mais je vous donne un exemple, puisque je suis dans le réel, contrairement à vous. Cela a été 40.000 emplois créés en France. Voilà.
Q - Je vous demandais si c'était le coup de frein sur l'élargissement, vous me répondez que cela marche très bien, l'élargissement, et que tout le monde en profite. C'est très bien, mais on a quand même l'impression qu'il y a un coup de frein général.
R - Il faut le financer et donc on retombe sur les discussions du début.
Q ? Est-ce que parmi les autres coups de frein, il y en a un, c'est le peuple français et en l'occurrence néerlandais, qui ont mis un coup de frein sur les institutions. Plus personne n'en parle. On en reparlera un jour, ou vous, par exemple, en tant que ministre des Affaires européennes, c'est une question qui est" zappée" ?
R - Pas du tout. C'est une question importante et notre avenir en dépend en grande partie. Je vous dirai deux choses. Premièrement, le besoin d'institutions rénovées demeure dans une Europe élargie?
Q - Quand ? Il y a un chantier qui va s'ouvrir, ou est-ce qu'on attend 2007, 2008, quoi ?
R - En vous écoutant je pense à une troisième chose. Le besoin d'institutions rénovées demeure. Nous ne pourrons fonctionner durablement avec le seul Traité de Nice?
Q - Quel horizon ?
R - Les chefs d'Etat ou de gouvernement, au Conseil européen de juin ont pris dans les circonstances qui étaient celles du mois de juin, la meilleure décision possible : se donner rendez-vous un an plus tard pour évaluer la situation et, en attendant, travailler. Travailler et remettre l'Europe en marche. Voilà ce qu'il faut faire.
Q - Bon, bah, je n'ai pas de chance.
R - Troisièmement, nous verrons donc plus tard. Le sujet demeure, il est réel, mais la priorité est de remettre l'Europe en marche, c'est évident.
Q - Oui, j'ai entendu votre message : remettre l'Europe en marche. On a l'impression que, soit il manque du carburant, soit toutes les bielles ont été coulées?
R - Il va falloir faire quelques réparations?
Q - ? Je vois bien comment la remise en marche va se faire? Alors, l'agriculture française est en vedette, dans le monde entier. C'est l'un des sujets en ce qui concerne le budget européen, et c'est le sujet aussi à Hong Kong.
R - C'est l'un des sujets. Ce n'est pas "le" sujet.
Q - C'est quand même formidable ! Est-ce que vous vous êtes trompés du point de vue du calendrier ? On a l'impression que quelque chose n'a pas été prévu de se retrouver avec un effet de ciseaux, comme cela, sur ces 20 % d'agriculteurs français qui reçoivent 80 % de la contribution de la PAC.
R - Peut-on parler un instant, sans être trop technique, de l'Organisation mondiale du Commerce ? Ce n'est pas l'agriculture française, c'est l'agriculture européenne. C'est une différence fondamentale. En tout cas, ce n'est pas le sujet, et de loin, le seul sujet de la négociation. Je voudrais juste dire pourquoi après avoir souligné que nous souhaitons qu'il y ait un accord pour le cycle de Doha et que se serait une bonne chose. Ce serait créateur de richesses et donc d'emplois. La négociation comprend plusieurs volets : l'agriculture, les services, l'industrie. Il n'y aura d'accord que si l'accord est global. Jusqu'ici, l'Europe a fait des propositions sur l'agriculture, c'est d'ailleurs la seule. C'est aussi l'ensemble le plus ouvert aux productions des pays les plus pauvres. Je souhaiterais qu'avant de lui donner des leçons, nos partenaires fassent peut-être un peu mieux.
Q - Il ne faut pas produire du beurre en Afrique.
R - Ils n'ont pas fait d'offres à hauteur des propositions européennes qui sont sur la table et qui sont conditionnelles. Sur l'industrie et les services, nous n'avons rien vu avancer. Je vais, pour une fois, me référer à Peter Mandelson?
Q - Le commissaire européen au Commerce.
R - Il représente l'Union européenne dans ces négociations qui ont commencé aujourd'hui. Il a clairement dit que la balle était dans le camp des partenaires de l'Union européenne parce que c'est l'Union européenne qui était allée le plus loin dans ses propositions.
Q - Tout à l'heure, dans la discussion, j'ai eu le sentiment que vous étiez prête à esquisser le compromis possible sur le budget européen. M. Mc Shane disait qu'il faut un petit geste français ; on fait un petit geste britannique, on y arrive. Vous avez?
R - C'est un accord global et pas un sujet franco-britannique. Mais, en effet, il y a évidemment une solution possible dans le cadre des contraintes que nous connaissons tous, qui sont réelles et qui s'imposent aujourd'hui à tous les Etats, même si, un jour, il faudra faire un budget certainement bien différent. Si nous montons un peu le niveau du budget pour redonner à nos nouveaux partenaires les fonds de solidarité dont ils ont besoin - c'est aussi dans notre intérêt, je le répète - d'une part, la négociation nous dira jusqu'où il faut la remonter, mais si nous le faisons, et nous devons le faire, et si d'autre part le chèque britannique est réformé dans son mécanisme, au lieu de grignoter des marges comme il le fait aujourd'hui, jour après jour, pour permettre de financer les politiques de l'Union, nous pouvons arriver à une solution. Avec une clause de révision qui nous permettrait de prendre le temps nécessaire, mais sans tarder, pour se mettre au travail, pour faire le budget suivant, nous pourrions, sans doute, avoir un accord au Conseil européen. Tout dépendra de la base que nous propose la présidence, nous ne le savons pas encore, c'est prévu pour demain. Ce sera, soit une bonne proposition, soit une mauvaise proposition. Je souhaite que ce soit une bonne proposition.
Q - Il y a un malade très célèbre dans un hôpital français depuis très longtemps maintenant, qui est le président algérien. C'est mystérieux, ça ?
R - Il y a un malade, et il y a surtout un secret médical et je le respecterai.
Q - Vous savez comment il va ?
R - Au demeurant, je n'ai pas d'information privilégiée, mais je souhaite surtout que l'on respecte le secret médical et le respect que l'on doit à tous les malades. Je lui souhaite aussi un bon rétablissement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 décembre 2005