Tribune de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, dans La Tribune le 5 décembre 2005, intitulée "La France veut un succès à Hong Kong" dans le cadre des négociations à l'OMC.

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Média : La Tribune

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Dans huit jours, 149 acteurs du commerce international se réuniront à Hong Kong pour tenter de trouver un accord sur les droits de douane et les règles qui organisent les échanges dans le monde. On a pu dire que la France menait un combat d'arrière-garde, les yeux rivés sur ses intérêts agricoles. Notre position ne correspond ni à un réflexe d'autodéfense, ni à une attitude frileuse. Il s'agit de promouvoir une vision du monde et de l'équilibre Nord-Sud.
Pour cela, l'Union européenne doit parler d'une seule voix. Cessons de croire que l'Europe existe sans volonté partagée et sans capacité à dialoguer. L'Union est la première puissance commerciale du monde. Dans les discussions, son négociateur pèse bien plus que ne le ferait chaque Etat membre pris isolément. Ma conviction est simple : plus l'Europe sera unie, plus les intérêts commerciaux de la France y gagneront.
Jusqu'à l'ouverture de la conférence de Hong Kong, nous entendons, avec Christine Lagarde, ministre déléguée au Commerce extérieur, contribuer à restaurer la confiance entre la France et la Commission européenne, à rétablir la solidité des positions européennes.
Nous devons cesser d'afficher nos divergences. Pour la Commission, cela implique davantage de transparence. Pour les Etats membres, la volonté de prendre en compte les intérêts de chacun. L'Europe doit retrouver une position forte dans les négociations. J'entends pour ma part m'y employer, au nom d'une certaine idée de l'Europe.
Soyons clairs : Hong Kong n'est qu'une étape dans un processus plus long, le cycle de Doha, commencé en 2001, qui doit s'achever au mieux à la fin de l'année 2006. Ce cycle, aux yeux de la France, doit être celui du développement équilibré de la planète et du rééquilibrage en faveur des pays les plus pauvres.
La France a tout à gagner à un accord qui régule la mondialisation et ouvre des marchés en forte croissance. Des droits de douane très élevés empêchent nos entreprises d'y pénétrer. Certains pays émergents réclament à l'Europe des concessions tarifaires mais ils ferment dans le même temps leurs marchés à nos exportations. On ne peut se satisfaire d'une situation qui soumet les échanges économiques internationaux à la loi du plus fort et entraîne d'importants déséquilibres.
Si la France souhaite des progrès à Hong Kong, ce n'est pas à n'importe quel prix. Si les marchés agricoles sont ouverts de manière non maîtrisée, cela profitera aux agricultures des pays émergents, comme le Brésil ou l'Argentine. Un abaissement brutal des barrières européennes marquera la fin de la possibilité d'une autosuffisance pour les pays les plus pauvres et la mort assurée des agricultures vivrières. Peut-on l'accepter ? Je ne le pense pas.
C'est plus qu'une exigence morale ; c'est un choix stratégique qui engage les grands équilibres de la planète. Si l'on veut lutter contre le terrorisme, les grandes pandémies, les flux croissants d'immigration clandestine, il faut agir sur le développement économique. L'Afrique représentait 10 % des échanges commerciaux il y a dix ans, aujourd'hui 2 %. Ceux qui affirment qu'une baisse des droits de douane aidera le développement des exportations dans les pays les moins avancés se trompent.
N'ayons pas peur de défendre ce que George W. Bush nomme le "pouvoir vert". Du fait de l'évolution de la démographie mondiale, n'oublions pas l'importance pour un continent d'être autosuffisant mais aussi capable d'exporter. N'oublions pas non plus l'importance de la sécurité sanitaire au moment où se propagent tant d'endémies.
A ceux qui disent que la France ne peut à la fois défendre la PAC et les pays pauvres, je souhaite également répondre. Grâce à la réforme de la PAC, l'Union européenne a déjà quasiment annulé les droits de douane des pays du Sud. Elle reçoit 85 % des exportations des produits agricoles des pays pauvres ; leur baisse aiderait certes les pays émergents mais elle ne profiterait pas à ceux qui en ont le plus besoin.
En 2003, l'Europe a mis en place une réforme qui a permis de diminuer de manière significative les aides liées à la production. Elle a été saluée par tous nos partenaires. Le récent accord sur le marché du sucre a montré la détermination de l'Union à aller de l'avant. Il est donc normal que la Commission ait reçu mandat de s'en tenir aux engagements pris. Il n'y a aucun malentendu sur ce point entre le gouvernement français, le président de la Commission européenne et le commissaire Peter Mandelson. Il s'agit de respecter tout le mandat et de n'appliquer que le mandat. Une décision prise à l'unanimité ne saurait être mise en cause par la volonté de quelques-uns.
Enfin, nous voulons un accord équilibré qui permette de favoriser l'expansion du commerce dans le domaine des industries et des services. La France et l'Union européenne sont prêtes à travailler dans ce sens avec leurs partenaires. En contrepartie des efforts dans le domaine agricole, il est nécessaire que nous obtenions des concessions, notamment de la part des pays émergents, afin de garantir l'accès de nos entreprises et de développer l'emploi. Sans ces avancées, sans un accord acceptable pour tous, la route de Doha ne mènera nulle part.
La France est prête à contribuer à ce succès mais elle ne peut agir seule. Chacun doit faire sa part du chemin. Sa voix ne sera pas celle d'un protectionnisme calculé, mais celle d'un libéralisme raisonné.(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 2005)