Extraits d'un entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, à Direct 8 le 20 décembre 2005, sur le budget communautaire,la PAC, le "moteur franco-allemand", l'avenir du Traité constitutionnel, la directive Bokelstein et sur la sensibilisation des Français à l'Europe.

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Média : Direct 8

Texte intégral

Q - Bonsoir Catherine Colonna. Il paraît? on ne va pas vous faire faire le test ce soir, mais il paraît que vous savez traire les vaches, est-ce que c'est vrai ?
R - Oui, c'est vrai, et faire le perdreau aussi, mais je ne le ferai pas non plus ce soir, si vous permettez !
Q - Ah, alors là, c'est deux scoops, pour commencer !
R - ?Merci de me l'épargner !
Q - ?on ne va pas faire, mais on va préciser pourquoi : parce que vous avez tout simplement grandi dans la ferme de vos parents, qui étaient agriculteurs, en Indre-et-Loire.
R - Je suis née à la campagne, près de Loches ? je dis ça pour ceux qui connaissent bien la Touraine ?, et j'y ai vécu jusqu'à l'âge de vingt ans. D'où les vaches, et les chèvres, et d'autres choses que je pourrais vous raconter.
Q - Mais vous n'avez pas eu envie de reprendre, vous, la ferme. Vous avez fait des études, beaucoup d'études : Sciences Po, l'ENA. A la sortie vous n'avez pas hésité, vous avez choisi la diplomatie, le monde est devenu votre espace vert à vous, votre ferme géante. Et puis vous avez commencé à Washington, et là vous avez fait une rencontre qui a peut-être un peu modifié le cours de votre vie : Dominique de Villepin?
R - C'est exact.
Q - ?puisque c'est lui qui a glissé votre nom à Jacques Chirac le jour où ce dernier a été élu président de la République, et il a suggéré de faire de vous sa porte-parole.
R - Quelques années plus tard.
Q - Quelques années plus tard. Vous avez hésité, et puis finalement vous avez accepté. L'aventure chiraquienne a duré neuf ans. Et puis on ne sait pas ce qui s'est passé, peut-être avez-vous eu envie de voler de vos propres ailes, vous êtes devenue directrice du Centre national du cinéma ? on va en parler à la fin de l'émission.
R - Oui.
Q - Et puis on se demande si finalement c'était bien mal connaître Chirac que de penser qu'il allait vous laisser partir comme ça, parce qu'il vous a rappelée, pour faire de vous la ministre des Affaires européennes. Voilà. Et aujourd'hui, vous recommencez à sillonner l'Europe. Alors Catherine Colonna, vous rentrez de Bruxelles?
R - Après un référendum négatif, donc vous voyez, c'était une gageure.
Q - C'était effectivement un vrai chantier et une vraie gageure à relever. Vous rentrez de Bruxelles, là aussi c'était quelque chose de difficile. Le budget a été adopté, le montant n'est pas celui que vous espériez. Est-ce que vous n'êtes pas un peu déçue, vous l'Européenne convaincue, de ce budget qui peut paraître étriqué ?
R - Non, pas du tout. Honnêtement, quand ça marche, il faut avoir la simplicité aussi de dire que les choses marchent. Là, ça a été un bon Conseil européen, enfin une décision sur le budget, et, en plus, qui est un bon budget. Qui est un bon budget pour l'Europe, parce qu'on a suffisamment pour financer des politiques communes, et puis se montrer solidaires avec nos nouveaux partenaires de l'élargissement, et suffisamment aussi pour développer un certain nombre de nouvelles politiques que nous voulons voir monter en puissance. Donc un bon résultat. Au passage, je le dis, tout le monde y pense aussi, un bon résultat pour la France : nous avons pu atteindre nos objectifs. Le "chèque" britannique a été réformé, les engagements de 2002 sur la Politique agricole commune sont respectés, et c'est une Europe solidaire, et une Europe qui a les moyens de ses ambitions, que nous avons pu mettre sur les rails.
Q- Enfin, il y a des déceptions, notamment quand on regarde de près, en détail, ce budget : la partie éducation, jeunesse perd 45 % de son budget précédent. Est-ce que ça ce n'est pas une véritable peau de chagrin ?
R - Un budget qui était modeste au demeurant, et qu'il aurait mieux valu augmenter que diminuer, qui perd effectivement?
Q - Voilà, qui passe de six milliards à trois milliards environ.
R - Qui perd un milliard, heureusement pas 45 %?
Q - Ce n'est pas les chiffres donnés par le Parlement européen.
R - ?il perd un milliard et même moins. Mais on verra d'ailleurs si le Parlement européen, qui a son mot à dire, et qui peut faire des ajustements, fera sur ce point des ajustements. Education, jeunesse, culture ont souffert d'une contrainte budgétaire plus lourde que celle que nous avions acceptée au mois de juin. Alors, la quasi totalité des Etats membres avaient accepté le projet de la présidence luxembourgeoise, la présidence de l'époque, quelques pays entraînés par le Royaume-Uni avaient refusé, donc on a dû refaire le budget. On a néanmoins un bon résultat, et une Europe qui pourra marcher. C'est surtout ça qui est important : à nouveau, on se met tout de même en marche avant.
Q - Est-ce que la presse britannique a raison de dire de son Premier ministre qu'on a rarement vu quelqu'un faire autant de concessions en échange de si peu ? Un peu ?
R - Cela dépend de quelle presse britannique vous parlez. Toute la presse attendait bien sûr de très près, et surveillait ce que le Premier ministre britannique, en tant que président de l'Union, devait faire comme gestes d'efforts, comme gestes de compromis. Il a eu la sagesse, et je dois dire, le courage ? le courage, parce que politiquement, certainement, ça n'était pas une décision facile ? de reconnaître que le Royaume-Uni, comme les autres pays, devait prendre sa part des dépenses d'élargissement. D'ailleurs, je ne vois pas bien comment le Royaume-Uni, qui a voulu l'élargissement, comme nous tous, n'aurait pas dû prendre sa part de l'élargissement. Il a fait ce geste, tant mieux. Honnêtement, ne le critiquons pas.
Q - Madame Colonna, vous savez, comme vous avez été porte-parole de Jacques Chirac pendant plusieurs années, vous savez fort bien ce qui se passe à chaque sommet européen : il y a en fait autant de sommets qu'il y a de participants, qu'il y a de pays. C'est-à-dire que, juste à la fin du sommet, chaque porte-parole justement raconte le sommet tel qu'il le voit. J'ai regardé ce qu'a dit Tony Blair quand le sommet s'est terminé. Il a dit notamment, pour préparer son opinion publique : vous savez, la France va payer autant que nous en termes de contribution, on est à égalité. Et donc, la France n'est pas gagnante?
R - Mais ça ce n'est pas un résultat du sommet : aujourd'hui, la France paie autant que le Royaume-Uni. En pourcentage de notre PIB, nous payons aujourd'hui en 2005 exactement la même chose. Et demain, en payant un peu plus, puisque l'Europe s'est élargie et les budgets ont augmenté, nous serons également à des niveaux comparables.
Q - Chez nous, il y a quelqu'un d'autre qui l'a dit encore plus fermement, c'est l'ancien président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, il a dit : on ne peut pas dire que la France est gagnante ; elle n'est pas perdante, mais elle n'est pas gagnante, et elle va payer plus que la Grande-Bretagne pour l'élargissement.
R - Alors on va, sans ennuyer ceux qui nous regardent?
Q - Non, c'est pour ça que je ne cite aucun chiffre.
R - ?revenir un peu sur les chiffres. Je ne voudrais pas du tout m'opposer au président Giscard d'Estaing, à sa sagesse et à sa compétence. Partons de la situation d'aujourd'hui. Aujourd'hui, la France, le Royaume-Uni, huit ou dix autres pays sont contributeurs au budget européen, donc payent davantage qu'ils ne reçoivent ; et il y a des pays qui reçoivent davantage qu'ils ne payent ? c'est comme ça que marche l'Europe, sinon ce n'est pas la peine de la faire, c'est la solidarité. Nous sommes au même niveau : 0,21 %, pour être précise, de notre PIB ? pardon, on va être ennuyeux, très, très vite ? sont consacrés à cet effort européen. Demain, il faudra que les pays qui contribuent contribuent un peu plus, puisque le budget à 25 est plus gros que le budget à 15. Et donc nous paierons davantage les uns et les autres : 0,38 % de notre PIB, ou 37. La seule chose sur laquelle les partenaires du Royaume-Uni ont fait un petit geste, c'est que, une fois acquis le mécanisme nouveau pour calculer le rabais britannique, le "chèque" britannique, à la baisse, on lui a consenti une progressivité, pour que l'effort qu'il devait faire ne se fasse pas d'un coup mais progressivement entre 2007 et 2013. Mais enfin, c'est quand même dix milliards de plus que le Royaume-Uni doit consacrer à l'Europe.
Q ? Catherine Colonna, puisqu'on parle du perdant, Tony Blair, la gagnante, on a parlé d'Angela Merkel?
R - L'Europe ! La gagnante : l'Europe. Je n'ai pas dit : Tony Blair, perdant.
Q - L'Europe ! C'est sans doute ce qu'on attendait de la ministre des Affaires européennes comme réponse. Mais tout de même, Angela Merkel, elle s'est révélée au cours de ce sommet. C'est votre avis ? Est-ce qu'elle a sauvé le sommet de Bruxelles ?
R - Je pense que le couple franco-allemand a beaucoup fait pour le succès du sommet de Bruxelles.
Q - Qu'est-ce que vous avez fait, concrètement, ensemble, pour préparer ce sommet ?
R - Concrètement, c'est une démarche qui avait été préparée par le président de la République et par Mme Merkel une semaine avant le sommet, lors d'une rencontre qu'ils avaient eue ensemble à Berlin, le jeudi précédant le sommet. Et ensuite, nous avons fait des propositions concrètes en proposant, dès le vendredi matin à la présidence britannique à la fois d'augmenter un peu l'enveloppe budgétaire, parce qu'il fallait se montrer plus solidaires vis-à-vis des nouveaux Etats membres ? et l'Europe ça doit marcher sur la solidarité, il faut aussi suffisamment de fonds pour pouvoir mener les politiques que l'on veut mener ?, et d'autre part, en proposant au Royaume-Uni un mécanisme nouveau de calcul du rabais britannique, pour que le Royaume-Uni prenne sa part de l'élargissement, comme c'était normal.
Q - Mais alors, entre vous, vous aviez décidé que ça serait la chancelière qui ferait la proposition, à telle heure, pendant le sommet ? Vous l'avez rédigée, avant que s'ouvre le sommet ?
R - Un texte a été rédigé dans la soirée, présenté le matin, d'abord par Mme Merkel à M. Blair, puis, quelques minutes après, par le président de la République. Avec Mme Merkel, ils se sont vus à plusieurs reprises à trois, pendant le sommet. Et je crois que le couple franco-allemand non seulement a bien fonctionné, et vraiment c'était des propositions conjointes, mais a pu aussi entraîner nos autres partenaires. Et, au fil des heures, on a vu la présidence précédente ? le Luxembourg ?, la présidence suivante ? l'Autriche ?, puis de grands pays ? l'Espagne, l'Italie, la Pologne ? nous rejoindre sur nos positions, et donc on a pu comme ça avancer, au fil des heures, et puis finalement emporter la conviction de tout le monde. Il n'y aurait pas eu d'accord, je vais le redire, si le Royaume-Uni avait dit non. M. Blair a eu le courage de faire un choix européen, de dire oui, il faut le remercier. C'est pour ça que je ne dis pas qu'il est perdant.
Q - Mais tout de même, puisque vous n'avez pas répondu entièrement à la question, est-ce qu'Angela Merkel s'est révélée au cours de ce Conseil européen ?
R - C'était son premier Conseil européen, donc toujours un moment qui est une épreuve nouvelle. Elle "l'a joué" à la perfection, y compris dans la relation franco-allemande, et moi j'ai pris beaucoup de plaisir, y compris sur le plan politique, à constater que le couple franco-allemand fonctionnait, même si quelques semaines d'expérience seulement nous avaient permis de poser les premiers jalons.
Q - Mais pourtant, le moteur franco-allemand est contesté par certaines personnes, certains responsables politiques, je cite par exemple le président de la délégation européenne de l'Assemblée nationale qui propose maintenant d'instiller plus de ce "Triangle de Weimar" : la France, l'Allemagne et la Pologne, qu'il faut aujourd'hui associer ce grand pays systématiquement dans les propositions et les décisions. Est-ce que ça a un sens de se suffire du moteur franco-allemand ?
R - C'est ce que nous avons fait à Bruxelles, et je crois que c'est pour ça que ça a marché. Je le disais tout à l'heure : à partir d'une entente franco-allemande, il faut bâtir. On ne fait pas l'Europe à deux, on ne fait pas l'Europe pour les autres, on ne la fait pas dans notre coin. Le moteur, d'ailleurs, n'a d'intérêt que s'il entraîne la machine, et si on peut, sur des positions franco-allemandes, progresser et convaincre les autres. C'est exactement ce qui s'est passé. Là aussi, si nous n'avions pas pu, au fil de la journée, acquérir des soutiens, l'entente franco-allemande serait restée une entente franco-allemande, sans utilité européenne. Là, le fait d'avoir pu convaincre heure après heure, et faire qu'à la fin de la journée nous étions pratiquement tous convaincus que c'était la bonne formule, ça a marché.
Q - La Pologne, elle n'a pas eu la victoire modeste. Son Premier ministre a dit : ça c'est le sommet polonais?
R - Il y avait quelques milliards d'euros à la clé !
Q - Mais quand on dit, comme il l'a dit : "c'est formidable, parce que pour un euro qu'on va donner à l'Europe, on va en avoir 3,5", est-ce que vous ne redoutez pas que ce genre de discours fasse qu'on reparle, dans les mois à venir, du "plombier polonais", enfin, est-ce que vous ne craignez pas ça ?
R - L'Europe c'est très bien parce que tout le monde y gagne, et que précisément il n'y a pas un vainqueur, un vaincu, des vainqueurs et des vaincus. Bon. Les Etats qui sont les plus riches consacrent une partie de leur richesse à la cause commune, et donc, oui, il y a des transferts financiers de solidarité vers les plus pauvres. Ça a toujours marché comme ça, et c'est pour ça que ça marche. Sinon, on reste dans son coin, tout tranquillement, et on coule, tranquillement, de la même façon. Regardez le cas de l'Espagne, du Portugal, de la Grèce, de l'Irlande. Lorsque l'Irlande est entrée dans l'Union européenne, c'était un pays pauvre, un pays attardé, formidable, attachant, mais parmi les plus pauvres de l'Europe. Aujourd'hui, les Irlandais sont en tête de l'Europe. C'est le deuxième PIB par habitant en Europe ? à part le Luxembourg, mais les statistiques bancaires faussent un peu les choses. Donc ils ont reçu des fonds européens. Ils les ont bien utilisés. Les Polonais, et les autres nouveaux partenaires qui sont les nôtres, recevront des fonds européens, tant mieux. Alors vous dites : le plombier polonais. Mais il aura?
Q - Là ce n'est plus le plombier polonais, ce sont les dirigeants polonais qui commencent à?
R - "Est-ce que vous ne craignez pas les plombiers polonais ?", disait Dominique Souchier.
Q - En termes comptables, il y a le côté : nous, on profite bien de l'Europe. Il le dit, il l'affiche, il le proclame.
R - Mais tout le monde en profite, parce que nous, nous profitons du fait qu'ils en profitent. Le fait qu'il y ait ces transferts de solidarité fait que ces pays ont un niveau de vie qui monte, que nous leur vendons des choses, que le différentiel fiscal, social, environnemental, économique, s'amenuise, et que, petit à petit, nous nous rejoignons. Est-ce que vous savez par exemple que depuis dix ans la France ? je ne parle que de la France ? a vendu pour des dizaines de milliards d'exportations dans les pays qu'on appelait anciennement "les pays de l'Est" ? Nos exportations ont été multipliées par 4, 4,5 en dix ans. Croyez-moi, ce n'est pas quelques emplois que ça représente, c'est des dizaines de milliers d'emplois déjà gagnés pour la France.
Q - Mais Catherine Colonna, quand on entend chacun rentrer dans son pays en criant victoire sur la peau de l'Europe, est-ce que? on peut se demander si, au fond, l'esprit européen n'est pas définitivement mort, puisque chacun maintenant cherche son propre intérêt ?
R - Mais l'intérêt de chacun peut permettre de se retrouver dans l'intérêt collectif européen. Moi, ça ne me choque pas du tout que tel ou tel pays dise qu'il a bénéficié de l'accord qui vient d'être conclu à Bruxelles ; tant mieux, c'est comme ça que ça marche, pour le bénéfice de tout le monde. Et que chacun en fasse une lecture positive n'exclut pas qu'il y ait une lecture collectivement positive. De même que je vous ai expliqué tout à l'heure que l'élargissement bénéficie aux pays de l'élargissement, à nos anciens pays de l'Europe des 15, et à l'Europe tout entière.
Q - Est-ce qu'une des raisons pour lesquelles Tony Blair a accepté, ce n'est pas parce qu'il assurait en ce moment la présidence ? Le Premier ministre britannique refusait, et le président en exercice a semblé interroger le Premier ministre. Est-ce que vous pensez que c'est une des explications ?
R - C'est possible. Il est vrai que cela aurait été une contradiction entre sa responsabilité de présidence et puis son comportement, si par hypothèse il avait refusé. Mais comme ça n'est pas le cas, encore une fois, rendons-lui hommage?
Q - Non mais, ça, ça veut dire que finalement les présidences successives, qui changent tous les six mois, ça a du bon ? Parce que si les Luxembourgeois avaient continué à assurer la présidence, il n'y a aucune raison pour que Tony Blair ait changé de position.
R - Ce n'est pas la preuve par neuf non plus, parce que?
Q - Voilà, comme on avait vu à Berlin en 99 ?
Q - Non, non, mais puisque ça avait été débattu au moment du référendum, on dit : c'est une idiotie de changer de président tous les six mois. Et en fait, on s'aperçoit que ces présidences qui changent rapidement peuvent permettre de débloquer une situation qu'on croyait dans l'impasse ?
R - Ces présidences qui s'alternent les unes après les autres ont leurs vertus, elles ont aussi des inconvénients. Mais, dans le cas particulier, vous savez, les termes de l'accord de Bruxelles de vendredi soir, de la nuit de vendredi à samedi, ne sont pas très différents de ceux que l'on aurait pu conclure six mois auparavant à Bruxelles.
Q - Ils sont inférieurs, tout de même. Le montant est inférieur.
Q - Le Premier ministre du Luxembourg disait :"il faut une jumelle pour bien regarder ce qu'il y a de différent entre les deux".
R - Il y a dans les deux cas une réduction du "chèque" britannique, et c'était nécessaire.
Q - Dans le cadre de cet accord, il y a justement une clause de révision en 2008-2009. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que ce budget peut être remis en cause dans deux ans ?
R - Ca veut dire que ce budget est fait pour la période 2007-2013, donc sept ans, et sept ans de visibilité, et il y a maintenant presque une vingtaine d'années que nous avons des budgets pluriannuels, pour pouvoir programmer des réformes, et que les Européens sachent où ils vont. Il faudra ensuite un autre budget, après 2013. Et donc nous nous sommes mis d'accord sur les principes d'une réforme profonde du budget ? elle est nécessaire ?, pour qu'on mette à plat, avant 2013, et qu'on en parle tous ensemble, aussi bien toute la structure des dépenses que la structure des recettes, et que sur la base d'un rapport qui sera fait par la Commission européenne, sans doute en 2008-2009, le Conseil européen, s'il le veut, prenne des décisions de réforme ? je les crois nécessaires ?, mais les prenne avant 2013, pour prise d'effet pour le budget suivant. Donc jusqu'en 2013 nous avons le budget qui vient d'être conclu, et ensuite il faudra évoluer.
Q - Et il pourrait y avoir des réformes, si les chefs d'Etat et de gouvernement le décident à l'unanimité, il pourrait y avoir des réformes dans les dépenses avant 2013 ?
R - Il faudrait une unanimité, et comme ça n'est pas notre point de vue, ni de celui de la plupart de nos partenaires?
Q - Vous bloquerez toute réforme sur les dépenses avant 2013 ?
R - Il ne s'agit même pas de ça. Il peut y avoir des décisions avant 2013. Je pense même qu'il serait bon que l'on sache avant 2013 quelles sont les grandes directions du futur budget. Mais nous ne serons pas les seuls, croyez-moi, pour demander que la mise en ?uvre se fasse après seulement.
Q - Prenons l'exemple d'un des sujets les plus délicats, qui est celui de la Politique agricole commune (PAC). Jusqu'à quand est-elle assurée d'être, dans cette condition, dans le budget ?
Q - Jusqu'en 2013.
R - Jusqu'en 2013.
Q - Oui, mais ça veut dire qu'en 2013 la PAC c'est fini ? Vous, la fille d'agricultrice, vous y êtes sensible à cette question ?
R - Ca veut dire qu'en 2013 les choses seront revues. Là, nous avons conclu en 2002, et par anticipation sur ces discussions budgétaires actuelles, une réforme qui va jusqu'en 2013. Donc ensuite, nous verrons. Tout sera envisagé?
Q - Ça, j'ai bien compris, mais est-ce que ça veut dire qu'elle a été sauvée, là, peut-être sans doute aussi par la volonté de Jacques Chirac, elle a été sauvée cette fois-ci, mais ce sera fini pour la fois d'après ?
R - Il y a eu un accord unanime. La France avait joué un grand rôle, c'est vrai, mais à l'unanimité le Conseil européen en 2002 avait accepté de consacrer telle enveloppe, et selon tel mécanisme, à la Politique agricole commune jusqu'en 2013. Après, il faudra sans doute qu'elle évolue. Vous savez, ça n'est pas la première fois que la PAC se réforme. Elle a été réformée en 2003, après l'accord de 2002, elle l'avait été en 92, en 99, et elle le sera certainement demain. Mais je veux simplement dire que c'est une politique qui marche. La PAC n'est pas un problème pour l'Europe, c'est une des réussites de l'Europe.
Q - Nous sommes en 2005, nous allons entrer en 2006, l'Europe ne changera pas avant 2013 ; c'est ça que vous dites, quand même ?
R - L'Europe change beaucoup. La part de la Politique agricole commune, par exemple, est en diminution relative, en pourcentage dans le budget?
Q - Oui, mais c'est programmé, ça.
R - ?oui. La part des fonds qui vont à la recherche et à l'innovation augmente. Il n'y avait pas pratiquement pas de politique de justice et d'affaires intérieures : 60% d'augmentation des financements dans ce budget. Donc les choses évoluent. Il ne faut pas décrire l'Europe comme immobile, ça n'est pas vrai. Elle s'adapte, d'ailleurs c'est son principal mérite et son principal talent, elle s'adapte aux réalités. Nous avons un certain nombre de grandes orientations nouvelles. Et regardez, quelle est la vraie grande différence entre ce budget-ci et le budget précédent ? Nous sommes 25, 27 en fait, on a fait un budget pour 27 pays. Donc il fallait financer cet élargissement, il fallait des transferts financiers. Nous les faisons : les pays de l'élargissement recevront un peu plus de 150 milliards d'euros sur la période.
Q ? Catherine Colonna, on a bien vu que donc le budget c'est fait, c'est adopté, même si ça peut bouger un petit peu au Parlement européen. Reste maintenant à trouver une solution pour le cadre institutionnel. Le président de la République a fait savoir qu'il ferait des propositions, sans doute lors de ses voeux. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur ces propositions ?
Q - Qu'il ferait dès 2006 des propositions qu'il a lui-même qualifiées d'ambitieuses.
Q - Oui, et il va lever un coin de voile lors de ses voeux.
R - 2006 commence en janvier, c'est vrai, mais se poursuit?
Q - On va commencer à lever un coin du voile maintenant, là.
R - Alors il faut, je crois, d'abord commencer par le commencement. L'Europe a besoin d'institutions rénovées, plus efficaces, plus adaptées à l'élargissement, tout simplement, puisque aujourd'hui nous sommes plus nombreux. Il y avait pour ça un projet, c'est le traité constitutionnel. Il n'est pas en vigueur aujourd'hui?
Q - Est-ce qu'il est mort ? Est-ce que le traité est mort ?
R - Je ne le crois pas. Rien ne permet de le dire. Il y a eu deux référendums négatifs, mais il y a tout de même 13 pays, c'est-à-dire une majorité des pays membres, qui l'ont ratifié, bientôt un 14ème, la Belgique. Et puis, une période de réflexion que les chefs d'Etat et de gouvernement ont décidée en juin dernier, qui va jusqu'en juin 2006. Alors d'ici là, ça ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire, au contraire. La première des priorités, c'était un peu de remettre l'Europe en marche, puisque depuis quelques mois, ça patinait un petit peu, tout de même. C'est fait, tant mieux, grâce au Conseil européen de Bruxelles. Et ensuite, il faut envisager d'autres étapes, c'est ce que le président de la République a proposé. Nous le ferons d'abord et avant tout en concertation avec notre partenaire allemand, en concertation avec la présidence autrichienne?
Q - C'est déjà avec l'Allemagne, c'est déjà largement fait, non ?
R - On en parle avec la présidence autrichienne, et même avec la présidence suivante, qui est la présidence finlandaise?
Q - Je voulais parler de l'Europe (?) de l'Allemagne, quand il dit : c'est déjà fait avec Angela Merkel.
R - ?et il faudra bâtir ces propositions tous ensemble, en réfléchissant ? nous n'imposerons rien. Mais on sait quelles sont les grandes directions. D'abord, il faut que l'Europe serve davantage de cadre pour le développement économique et social. Les citoyens nous l'ont dit clairement le 29 mai.
Q - Alors là, arrêtons-nous là-dessus, parce que ça?
Q - Et ensuite on reparlera des institutions.
Q - ?oui, parce que vous? non mais, sur ce point, vous avez déjà fait, vous avez souhaité, par exemple vous avez fait des propositions : vous dites que ça serait bien que les chefs d'Etat et de gouvernement des pays qui participent à l'euro se voient régulièrement. Est-ce que ça, ça peut faire partie justement des propositions ?
R - Tout à fait. Il y a plusieurs possibilités. Renforcer la coordination des politiques économiques est une nécessité. Nous plaidons, nous Français, depuis longtemps pour cela. Et je crois qu'il faut le faire à la fois tous ensemble, à 25, mais aussi dans le cadre de l'Eurogroupe, qui regroupe des pays dont les politiques et les volontés d'intégration sont peut-être plus fortes. Mais nous pouvons faire autre chose?
Q - C'est-à-dire, vous pouvez montrer, là, pour être concret, ce serait une façon de montrer à la Banque centrale européenne qu'elle n'est pas la seule à faire les décisions, que les chefs d'Etat et de gouvernement ont leur mot à dire ?
R - Elle est indépendante, ne comptez pas sur moi pour dire autre chose. Elle est indépendante, par les traités, comme toutes les banques centrales, la Banque de France ou la Federal Reserve aux Etats-Unis, ou la Banque d'Angleterre. Les banques centrales sont indépendantes, c'est normal, elles ne peuvent pas dépendre du pouvoir politique. Néanmoins, il faut un dialogue. Il faut un dialogue avec les autorités politiques, élues et responsables devant leur peuple. Il existe déjà, de façon informelle. Nous pensons qu'on peut le renforcer, qu'on peut l'étendre aussi à d'autres sujets. Alors, coordination des politiques économiques, politiques orientées davantage?
Q - Ça c'est ce qui peut être sauvé, c'est ça, du traité, ce que vous êtes en train de nous dire, qui peut être proposé ?
R - C'est ce qui peut être fait, même par une décision volontaire des Etats. Il est vrai que le traité prévoit des mécanismes de coordination renforcée. On peut néanmoins décider d'un commun accord, volontairement, entre pays de l'Eurogroupe par exemple, de faire davantage ensemble, de se parler davantage de nos politiques économiques.
Q - C'est-à-dire, on peut instituer qu'on se retrouve par exemple tous les trois mois ou tous les six mois, ou? on peut instituer ça ?
R - Et y compris qu'on dialogue avec la Banque centrale européenne, et y compris qu'on n'y parle pas que de sujets économiques, mais aussi de sujets sociaux. Alors, il y a beaucoup d'autres choses à faire dans le cadre des traités actuels, cela fera l'objet de cette réflexion que la France va mener à partir du mois de janvier. Le président de la République verra Mme Merkel à Paris sans doute le 23 janvier, puisque la Journée franco-allemande, qui est traditionnellement le 22, tombe cette année un dimanche. Et donc ils auront un premier échange de vues. Je pense qu'on pourra ensuite poursuivre et proposer d'autres idées à nos partenaires.
Q - Est-ce que vous croyez toujours à votre idée d'une avant-garde politique au sein de l'Europe ?
R - Je crois en effet que les coopérations renforcées existent dans les textes, qu'elles existent aussi dans la réalité. Comment s'est fait Airbus ? Comment s'est fait Schengen ? Un petit groupe d'Etats au départ, cinq, beaucoup plus aujourd'hui, et même la Suisse, qui pourtant n'est pas dans l'Union européenne. Comment se fait l'euro ? Nous n'y sommes pas tous, pas encore. Et pourtant, tout le monde a vocation à rejoindre cette avant-garde. Je pense qu'il faut simplement?
Q - Oui, mais vous disiez : une avant-garde politique, ça pourrait faire l'objet d'un traité particulier ?
R - Je ne l'ai jamais dit, et je ne crois pas qu'il faille le dire. Ce serait?
Q - Ah. On l'a entendu dans la bouche du ministre des Affaires étrangères.
R - Mais pas de la mienne, pas de celle du chef de l'Etat non plus, si ma mémoire est bonne, et ça n'est pas ce que nous pensons le plus utile, puisqu'il faut que ces avant-gardes, qui tracent un peu la voie pour les autres, soient ouvertes à tous ceux qui sont volontaires pour les rejoindre, et aptes à les rejoindre. C'est important, je crois, de ne pas diviser, de ne pas casser l'Europe en plusieurs groupes.
Q - Catherine Colonna, je vous posais la question sur le traité constitutionnel : est-il mort ? Vous dites : "non". Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'après 2007 la France pourrait voter, revoter ce traité, ou un traité ressemblant ?
R - Ça veut dire que son avenir aujourd'hui, pour parler un langage de vérité, est un avenir incertain, mais que rien ne permet de conclure qu'il est mort. Il y a, encore une fois, une majorité de pays, qui représentent une majorité de citoyens européens, qui l'ont ratifié, soit par référendum, soit par procédure parlementaire. Il y a d'autres pays qui veulent poursuivre, et il y a deux référendums négatifs, un en France et un aux Pays-Bas. Alors moi je ne vois pas comment, bien sûr, on pourrait soumettre le même texte aux Français une deuxième fois, parce que si on le faisait ? ce qu'ils ne comprendraient pas forcément, au demeurant ?, on est certain de la réponse, et la réponse serait à nouveau négative. Je sais qu'il faudrait 25 ratifications pour que le traité entre en vigueur, donc je n'ai pas aujourd'hui la solution. Les chefs d'Etat et de gouvernement ne l'avaient pas non plus au mois de juin, et ?
Q - ?On ne voit pas très bien, parce que vous dites qu'il n'est pas mort, et vous dites qu'en même temps ce n'est pas possible de revoter le même texte?
R - ?et donc au mois de juin, ils ont pris une décision très sage, en disant : "retrouvons-nous dans un an". Il y a une période de réflexion entre juin 2005 et juin 2006, et, en attendant, travaillons ; en attendant, remettons l'Europe en marche. On a pu le faire grâce à ce Conseil européen. Six mois de doutes et d'incertitudes dont on est sorti, fort heureusement. Et je crois que l'accord qui s'est fait vendredi au Conseil européen, non seulement dote l'Europe d'un budget, mais permet une relance européenne. Ça n'aurait pas eu de sens d'avoir des projets fantastiques tant qu'on n'était même pas capable de se mettre d'accord pour un budget. C'est fait, c'est derrière nous, on va maintenant pouvoir alimenter la machine avec quelques projets.
Q - Et est-ce que ce n'est pas à celui qui sera élu président de la République lors de la prochaine élection de dire quelle est la vision française de l'Europe ?
R - Rendez-vous déjà en juin 2006, conformément aux conclusions du Conseil européen de juin 2005, il y aura une évaluation de la situation. En attendant, il y a beaucoup de choses à faire, et nous ferons des propositions.
Q - Et là, vous ne nous avez pas tout dit, vous nous avez dit ce qui pourrait être fait, ce qui ne sera pas fait?
R - On ne décide pas tout seuls, non plus, si vous avez remarqué !
Q - ?est-ce que par exemple on pourrait dès maintenant, à 25, décider qu'il y a un ministre européen des Affaires étrangères ? Est-ce que ça, ça fait partie des propositions qui pourraient être faites par Jacques Chirac ?
R - Juridiquement, les traités actuels ne permettent pas ce qu'on entendait par "ministre des Affaires étrangères" dans le traité constitutionnel, c'est-à-dire le mariage des fonctions actuelles de Haut-Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune ? Javier Solana ? et les moyens qui vont avec ? Mme Ferrero-Waldner, si je peux l'appeler "moyens" ? qui sont les moyens de la Commission. Alors on peut confier davantage de missions au Haut-Représentant. On peut aussi, peut-être, grâce à lui, montrer que l'Union européenne a une voix qui est entendue dans le monde. Mais on ne peut pas changer le traité, ?jusqu'à ce qu'on le change.
Q - Donc la création d'un ministre des Affaires étrangères, ça ce n'est pas possible, parce que? ?
Q - Encore quelque chose qu'on ne pourra pas faire dès 2006.
R - Si on peut donner quelques pistes, à traité constant, comme disent les juristes, donc sans modifier le traité, ou en attendant que l'on ait un traité en vigueur, on peut faire des choses dans le domaine de la coordination des politiques économiques, on peut aussi volontairement décider d'un certain nombre de coopérations renforcées, donc qu'un certain nombre de pays se regroupent sur une politique donnée?
Q - Ça c'est des projets concrets ?
R - Ce sont des projets concrets. Et je crois que c'est ça dont l'Europe a besoin.
Q - Donc il faut les lancer, ces projets ?
R - Les premiers jalons ont été posés à Hampton Court fin octobre : l'énergie, la démographie, la recherche, la part que l'on consacre à l'investissement, dans l'éducation ?
Q - Vous n'arrêtez pas de dire : l'énergie. Alors ça pourrait être quoi, concrètement, l'énergie ?
R - L'Europe n'a pas de politique énergétique aujourd'hui. Il serait avisé qu'elle se dote d'une politique énergétique. Je crois, quand on regarde les prix du pétrole, qui ne sont pas véritablement à la baisse, quand on sait aussi que?
Q - Elle achèterait les barils de pétrole ensemble, l'Europe ? Ça, on peut le concevoir, ça ?
R - ?les ressources fossiles sont appelées à s'épuiser, pas à terme proche ? du moins je l'espère. Mais il serait bon que l'Europe se dote d'une vraie politique énergétique, et peut-être regroupe une partie de ses moyens. Mais ce n'est qu'un exemple.
Q - Elle pourrait acheter les barils de pétrole ensemble, l'Europe ?
R - Non, mais elle pourrait produire plus dans certains pays, que les autres en bénéficient. Elle pourrait aussi avoir un plan pour des économies d'énergie, de façon coordonnée plus qu'aujourd'hui.
Q - C'est déjà envisagé, tout ça, c'est déjà lancé ?
R - Oui, les premiers jalons sont posés, il reste à le traduire maintenant dans une vraie politique. Il y a beaucoup d'autres exemples : dans le domaine de l'éducation, dans le domaine de la recherche. Nous avons fait des propositions, il n'y a plus qu'à faire ? eh bien, faisons.
(...)
Q - Bon, on reparle de l'Europe?
R - Allons-y !
Q - ?on annonce pour bientôt le retour de la directive Bolkestein. Est-ce que vous l'empêcherez ?
R - J'ai d'abord envie de dire une chose qu'on n'a jamais dite dans la campagne, en tout cas pas les propagandistes du non, c'est que la directive Bolkestein, elle n'a jamais existé. Ça a été la "non-directive Bolkestein", parce que s'il y avait une proposition de directive, il n'y a jamais eu de directive. Donc, aujourd'hui, quelle est la situation ? Il n'y a pas de directive Bolkestein, et, en plus, Frits Bolkestein n'est plus commissaire européen. Il a été remplacé par un autre commissaire européen, qui s'appelle monsieur Mc Creevy, qui est irlandais.
Q - Parlons du fond : cette idée que quand quelqu'un va travailler, un travailleur va travailler dans un autre pays?
R - Mais que quelque chose existe ou n'existe pas, c'est aussi le fond ; la directive Bolkestein n'existait pas. Il y a un objectif, qui est la libéralisation, l'unification du marché des services. C'est l'un des principes du fonctionnement de la Communauté économique européenne ? je remonte à 1957, pour vous dire que c'est dans les principes de fonctionnement de l'Union. Nous avons d'ailleurs à y gagner. La France se défend très bien dans le domaine des services : 70 % de notre richesse vient de l'économie des services, on est les deuxièmes exportateurs de services en Europe, donc on n'est pas du tout en défensive là-dessus. Ce dont on ne veut pas, c'est d'une Europe au rabais, d'une Europe du moins-disant social. L'Europe, c'est l'harmonisation, ça n'est pas le dumping social ? ou le dumping fiscal, d'ailleurs, pour parler d'autres dossiers. Et donc, nous nous battons, et nous progressons, pour que ce soit le droit du travail français qui s'applique en France, et le droit du travail allemand qui s'applique en Allemagne.
Q - Le droit français qui s'applique en France, à tous les travailleurs, d'où qu'ils viennent en Europe ?
R - Voilà. Ce sera le cas. Cette proposition de directive est en train d'être examinée et profondément remaniée, par le Parlement européen?
Q - Eh oui, parce qu'il y a des articles qui disaient le contraire.
R - ?et il y a ces articles qui ont disparu. Et ensuite, la Commission devra réécrire une proposition, refaire une proposition sur la base de ce qu'elle aura entendu des Etats et de ce qu'elle aura entendu du Parlement européen. Alors, j'espère que la deuxième proposition sera meilleure que la première, qui n'était franchement pas parfaite, tout en soulignant que nous avons à gagner à l'unification du marché des services.
Q - Mais vous n'avez pas peur que tout ça relance le débat, comme ça a eu lieu pendant la campagne ?
R - Si on a éliminé de ce texte ce qu'il fallait éliminer, et c'est en train de se faire, non, bien sûr que non.
Q - Est-ce que vous trouvez meilleure la Commission européenne, depuis trois mois ?
R - Depuis quelques semaines, oui !
Q - Ah, depuis quelques semaines seulement !
R - Non, vous savez, on a tous dit que?
Q - Il faut rappeler que le président de la République l'avait critiquée directement, notamment pour ne pas avoir réagi au moment des licenciements de Hewlett Packard.
R - Sur Hewlett Packard, on a entretenu depuis un bon dialogue avec la Commission, donc ça n'était pas forcément inutile. Mais ce que je voulais dire, c'est qu'on a tous souligné que l'Europe marche bien quand chacune des institutions européennes marche bien, quand les Etats jouent leur rôle et que le Conseil est capable de prendre des décisions. Et depuis six mois, il faut le dire, on avait une difficulté à prendre des décisions en commun. Quand la Commission joue son rôle d'impulsion et de proposition, et on ne l'avait peut-être pas suffisamment entendue sur un certain nombre de grandes questions : les institutions, le budget, la politique industrielle. Fort heureusement ? et je n'oublie pas le Parlement, mais je viens d'en parler, pour la ''non-directive'' Bolkestein ?, la Commission, plus récemment, au mois d'octobre, a eu un sursaut, tant mieux : un projet pour la politique industrielle, une stratégie pour l'Afrique ? parce qu'on n'a pas parlé de l'Afrique, mais c'était un sujet important du Conseil européen ?, et puis des propositions sur le budget au moment d'Hampton Court. Tant mieux, il le faut. Quand la Commission joue ce rôle, ça nous aide?
Q - Elle fait des progrès, quoi ?
R - Depuis quelques semaines les choses vont mieux, alors autant le dire !
Q - Le président de la République a demandé à Dominique de Villepin et à vous-même de lui faire des propositions pour réconcilier les Français avec l'Europe. Alors ça en est où, et comment vous comptez faire pour réconcilier les Français avec l'Europe ?
R - D'abord, je crois qu'il y a un gros besoin. Si nous ne l'avions pas vu -mais je pense que c'était évident même avant le 29 mai- le 29 mai a montré qu'il fallait faire l'Europe autrement, comme on dit. Nous avons pris déjà des décisions pour mieux associer, mieux informer le Parlement français. C'est la représentation nationale, c'est normal, c'était la priorité?
Q - Mais en quoi le citoyen lambda va y trouver son compte ?
R - ?et une fois cette décision prise, maintenant, le deuxième temps, c'est de mieux associer tous les Français qui le souhaitent au dialogue sur l'Europe. Je ne veux pas qu'il y ait un silence qui s'instaure après le référendum, ou bien que seuls les anti-Européens s'expriment. Donc le président de la République a demandé au Premier ministre de lui faire des propositions. J'ai fait au Premier ministre des propositions assez complètes pour créer des sites Internet, pour, au-delà du Parlement, associer les collectivités locales, les associations d'élus, avoir des forums de dialogue, rencontrer les syndicats. Regardez, dans mon travail, dans mes fonctions, on ne rencontrait pas les syndicats ; c'est absurde ! Quand j'allais en déplacement au Danemark pour voir ce qu'est le modèle danois, je rencontrais les syndicats danois, et pas en France ! Alors je vous rassure tout de suite, je l'ai fait, sans attendre le plan d'ensemble. Les partis politiques aussi doivent être consultés, et à bien d'autres niveaux que le mien. Moi je veux qu'on entretienne à tous les niveaux de la société un dialogue sur l'Europe, parce que c'est cela qui a manqué, alors qu'à l'inverse je crois que l'Europe n'a rien à craindre d'un vrai débat, et rien à craindre d'un dialogue démocratique. Donc parlons-en, au contraire, parlons-en.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 décembre 2005