Texte intégral
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je suis très heureuse de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de m'exprimer en clôture du colloque "Faim et pandémies en Afrique : comment en finir avec ces tragédies ?"
Je tiens à remercier l'initiateur de cette rencontre, le président Hervé de Charrette qui a créé en 1997 l'Institut euro-méditerranéen dont nous apprécions tous l'éminente contribution aux débats sur le développement.
La question posée par le colloque - comment en finir avec ces tragédies ? - est cruciale non seulement pour l'Afrique elle-même, mais aussi pour l'ensemble des pays développés dont la croissance et la sécurité dépendent directement ou indirectement de la stabilité et du développement de l'Afrique. Nous avons tous à l'esprit le symbole de ces images bouleversantes des migrants africains aux portes de Ceuta et Melilla.
J'ajouterai qu'il y a aussi une exigence morale à mettre fin au scandale du sous-développement et de la malnutrition, dans un monde où nous avons les moyens de faire face à ces défis, et où nous savons de manière pratiquement instantanée ce qui se passe dans n'importe quelle région grâce aux moyens modernes de communication.
Vous avez, au cours de six tables rondes, travaillé sur les différents aspects des pandémies - sida, paludisme et tuberculose - et de la malnutrition qui affectent l'Afrique. Je voudrais pour ma part mettre en exergue et en perspective les principaux axes de la politique qu'entend mener la France sur les sujets dont vous avez débattu.
Je soulignerai tout d'abord plusieurs points de méthode :
- tout d'abord, l'absolue nécessité de mettre en synergie ? comme la composition de votre assemblée en donne si bien l'exemple - l'ensemble des acteurs publics et privés, les Etats, les organisations internationales, le secteur privé, les instituts de recherche et les ONG ;
- ensuite, la dimension culturelle du développement.
Trop souvent, en effet, on a pensé que le développement n'était que la résultante des facteurs physiques et financiers mis en oeuvre. C'est une grave erreur que de faire l'impasse sur l'appropriation intellectuelle et culturelle du développement par les populations auxquelles s'adressent les programmes de développement.
- enfin, la définition du cadre général et des moyens de notre action.
La France a défini sept secteurs d'intervention prioritaires, correspondant aux Objectifs du Millénaire, au premier rang desquels figurent la santé, l'agriculture et la sécurité alimentaire.
Les moyens doivent suivre : vous le savez, la France a pris l'engagement de consacrer 0,5 % de son revenu national brut à l'aide publique au développement en 2007, puis 0,7 % en 2012.
Permettez-moi, toutefois, de souligner que l'aide publique ne saurait suffire pour induire un véritable développement. La croissance économique et le développement des échanges sont en effet les moteurs indispensables pour lutter contre la pauvreté. Il faut aussi mettre en place des mécanismes de financement nouveaux. J'y reviendrai dans un instant.
J'en viens maintenant aux questions pertinentes que vous vous êtes posées.
- "L'aide alimentaire est-elle efficace ?" Je serais tentée de reformuler la question en demandant d'abord si elle est nécessaire. La réponse est claire : cette aide alimentaire doit être mobilisée quand on se trouve en situation de crise alimentaire liée à des aléas climatiques ou ? comme c'est hélas souvent le cas - à des conflits. En revanche, il me semble que l'aide alimentaire a des effets tout à fait pervers et négatifs quand elle entre en concurrence avec les productions vivrières locales qu'elle déstabilise économiquement et financièrement. L'aide alimentaire reste un instrument d'intervention coûteux, difficile à cibler, et agissant plus sur les conséquences des crises que sur les causes. Ce n'est donc que dans les situations d'urgence, que cette aide doit être mobilisée.
La capacité du continent africain à se nourrir par lui-même ne fait pas de doute, même si la situation peut varier d'une sous-région à l'autre du fait de multiples facteurs : qualité des sols ; fragilité des écosystèmes ; régime pluviométrique ; niveau de développement et de mécanisation des pratiques culturales ; capacités de stockage et de transport. Nous avons l'expérience de la "révolution verte" en Inde qui a montré à quel point une action cohérente d'ensemble peut répondre au problème de la malnutrition et des famines récurrentes.
Enfin, se nourrir, ce n'est pas uniquement auto-consommer sa production, c'est aussi développer les échanges, et générer des revenus. Or l'insertion de la plupart des pays africains dans les marchés régionaux ou internationaux n'est malheureusement pas satisfaisante. Tous, nous avons les yeux tournés vers Hong Kong où se déroule l'importante réunion de l'OMC dont les enjeux sont fondamentaux pour l'Afrique. J'espère que les positions avancées par l'Union européenne permettront de préserver les intérêts des pays en développement. N'oublions pas que cette réunion de Hong Kong est l'aboutissement du "cycle du développement de Doha". Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement des concessions douanières et tarifaires mais l'objectif central de réduction et d'éradication de la pauvreté.
Au-delà de la réunion de l'OMC, il conviendra de tout mettre en ?uvre pour renforcer l'organisation du monde agricole en Afrique, afin de développer la productivité et la compétitivité des filières agricoles africaines. Je mentionne à cet égard la création récente, à l'initiative du président de la République, de la Fondation FARM (Fondation pour l'Agriculture et la Ruralité dans le monde) qui réunit l'AFD, le Crédit agricole et plusieurs autres entreprises privées et organisations professionnelles françaises et européennes du secteur agricole. Sa vocation est d'apporter un appui technique aux pays les plus pauvres et d'organiser la réflexion sur les stratégies agricoles de développement. A cet égard, la crise récente au Niger doit nous inciter à aller encore plus loin sur plusieurs points : la meilleure organisation du stockage des céréales, l'augmentation de la productivité agricole en recourant aux engrais, l'amélioration des techniques d'irrigation. En outre, cette crise a révélé la nécessité d'agir sur un problème structurel de santé liée à la malnutrition infantile dont les causes sont multiples et vont au-delà du seul développement agricole. Elles émanent en effet tout autant de l'éducation, de la culture et la démographie.
- Pour ce qui concerne la santé et les pandémies en Afrique, le défi est d'une ampleur tout aussi grande.
La communauté internationale a pris ces dernières années des engagements ambitieux en matière de santé et d'accès aux traitements contre le sida dans les pays en voie de développement. A Gleneagles, en juillet 2005, les pays du G8 se sont engagés à "parvenir, dans toute la mesure du possible, à un accès universel au traitement d'ici 2010 pour tous ceux qui en ont besoin". La lutte contre les maladies transmissibles est un enjeu pour les pays riches comme pour les pays pauvres, même si ceux-ci sont plus particulièrement vulnérables.
Le sida, la tuberculose et le paludisme, à elles seules, entraînent de six à sept millions de décès par an dans le monde en développement et représentent la première cause de mortalité prématurée en Afrique. Là où les taux de prévalence sont les plus élevés, le tissu social et familial est déstructuré, et le coût économique gigantesque pour des pays déjà fragiles. Ces pandémies enferment de nombreux pays dans le cercle vicieux de la pauvreté en détruisant leur capital humain, qui est la clef du développement. Comment bâtir une stratégie de développement dans un pays comme la République centrafricaine où l'espérance de vie est tombée à 39 ans, où 30 % des fonctionnaires meurent du sida ?
Cette réalité a conduit la France à faire du sida et de la lutte contre les maladies transmissibles la première priorité de sa coopération dans le domaine de la santé. Ces dernières années, 30 % à 40 % des crédits de la coopération affectés à ce secteur ont été mobilisés pour la lutte contre le sida.
Face à l'ampleur des défis à relever, nous plaidons par ailleurs en faveur d'une mobilisation internationale. La contribution de l'Union européenne, au travers des canaux bi- ou multilatéraux, est également déterminante pour donner aux pays bénéficiaires de l'aide la possibilité de mettre en place des réponses adaptées.
A l'occasion de la reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le président de la République a décidé de doubler la contribution française pour la porter en 2007 à 300 millions d'euros. Notre pays est ainsi devenu l'un des tout premiers contributeurs mondiaux de ce fonds.
Le Fonds mondial représente 23 % des financements extérieurs alloués à la lutte contre le sida, 45 % pour le paludisme et plus de 50 % pour la tuberculose.
Mais ces efforts sont encore insuffisants, en volume comme en prévisibilité. L'accès aux traitements de tous les malades qui en ont besoin, grâce en particulier à la promotion des médicaments génériques par l'Organisation mondiale de la Santé, implique de mobiliser d'importants moyens financiers supplémentaires. Pour que des programmes de prévention et de traitement soient à la hauteur des enjeux, il faut, en effet, leur assurer des financements qui soient suffisants, stables et prévisibles, à l'instar des deux mécanismes innovants que sont la "Facilité financière internationale concernant les vaccinations/IFFIm" et la "Contribution de solidarité internationale sur les billets d'avion".
- La Facilité financière internationale concernant les vaccinations (IFFIm) sera mise en ?uvre par l'intermédiaire de l'Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI). De 2005 à 2015, on estime que ce programme d'un montant de 4 milliards de dollars permettra de sauver la vie à plus de 5 millions d'enfants de moins de 5 ans et à autant d'adultes. La France a décidé de contribuer à hauteur de 25 % à cette initiative, soit un versement annuel moyen de 93 millions de dollars sur une période de 20 ans.
- La "Contribution de solidarité internationale sur les billets d'avion" proposée par le président de la République contribuera également à la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme qui exige des efforts constants pour en couvrir les coûts récurrents et permettre le financement des programmes d'accès aux traitements à vie par antirétroviraux. Nous poursuivons nos efforts pour convaincre les pays développés de se joindre à cette initiative dont nous mettrons au point toutes les modalités lors d'une conférence internationale qui se tiendra à Paris fin février 2006.
Sans prétendre conclure le débat sur ces questions graves pour l'avenir de l'Afrique, je voudrais vous faire part de quelques réflexions et de quelques espoirs.
Depuis de longues années, la France, sous l'impulsion du président de la République, plaide en faveur du développement et de l'Afrique en particulier, dans un contexte, il faut le reconnaître, de grande indifférence générale. Or les choses sont fort heureusement en train de changer. La communauté internationale semble enfin prendre conscience de la nécessité urgente de développement du Sud pour lutter efficacement contre l'immigration clandestine, le terrorisme, et les grandes pandémies. Dans le monde développé, chacun commence à comprendre que le développement du Sud, correspond non seulement à un acte de générosité et de solidarité indispensable, mais aussi à l'intérêt des pays du Nord. Un sondage récent indiquait que les Français plaçaient au 3ème rang de leurs préoccupations la lutte contre la faim et la misère dans le monde et qu'ils considéraient que l'on pouvait éradiquer ces fléaux par une forte volonté politique.
Cette année 2005 aura vu l'Afrique au coeur de l'agenda international : le sommet du G8 de Gleneagles et les engagements en matière de traitement du sida, la Conférence du Fonds mondial en septembre, le Sommet des Nations unies de New York de septembre consacré au développement et toutes les initiatives comme celle qui nous réunit aujourd'hui et que je tiens à saluer.
C'est le témoignage d'une nouvelle prise de conscience d'un destin commun et partagé. La France se sent aujourd'hui moins seule pour défendre et aider l'Afrique. Il faut que cet élan ne s'essouffle pas mais qu'au contraire, il se renforce.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 décembre 2005