Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec LCI le 3 janvier 2006, sur le différend entre l'Ukraine et la Russie lié au prix du gaz et ses retombées sur l'approvisionnement des pays de l'Union européenne, l'avenir du projet institutionnel européen, la poursuite du processus électoral au Proche-Orient, la mobilisation de la France pour la libération des otages en Irak et en Colombie.

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Q - La crise gazière entre l'Ukraine et la Russie, de votre point de vue, et nous en resterons à l'analyse pour le moment, est-ce une affaire économique ou une affaire politique ? Autrement dit, avez-vous le sentiment que Vladimir Poutine veut punir l'Ukraine de sa révolution orange ?
R - C'est justement tout l'enjeu. Ce sont des rapports commerciaux bilatéraux qui doivent être réglés comme tels, et surtout, qui ne doivent pas évoluer vers un problème politique.
Aujourd'hui, nous appelons à la reprise des négociations entre Kiev et Moscou. Il faut que les choses se règlent dans un climat de sérénité, sous aucune tension, que cela n'évolue pas vers un processus politique.
Q - De votre point de vue, il n'y a aucune arrière-pensée politique dans la démarche de Vladimir Poutine lorsqu'il demande brutalement à l'Ukraine de payer le gaz au prix du marché.
R - Il y a eu, comme vous le savez, une évolution dans le statut économique de l'Ukraine considérée, récemment, comme un pays qui entrait dans le monde du capitalisme et de l'économie de marché. A ce moment-là, la Russie a décidé d'augmenter ses prix.
Nous disons qu'il faut que la négociation recommence, qu'il y ait un compromis et que les choses s'apaisent. Car, au-delà des différends bilatéraux, il y a l'Union européenne qui est derrière aussi et qui va subir des conséquences, pas aujourd'hui. La France n'importe que 18 % de son gaz de la Russie. Nous avons des contrats de garanties d'approvisionnement et nous avons également de multiples sources de gaz. Mais enfin, il ne faut pas qu'il puisse y avoir, au niveau européen, des conséquences de ce différend.
C'est la raison pour laquelle Javier Solana, le Haut Représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère est en discussion étroite avec Kiev, avec Moscou. Demain, des experts de très haut niveau se réuniront pour savoir ce que l'Union européenne doit faire.
En tout cas, il y a une conclusion, je le dis ce matin à ce micro : l'Union européenne doit se doter le plus vite possible, en terme de vision géostratégique, d'une politique énergétique. Il n'est pas possible de continuer à créer une union politique s'il n'y a pas de composante énergétique, élément majeur aujourd'hui.
Q - Lorsque vous parlez de se doter d'une politique énergétique, cela passe par la diversification ?
R - Cela veut dire à la fois la diversification, le stockage, savoir quel pays n'a pas de stockage, quelles seraient les procédures s'il y avait un problème d'approvisionnement dans tel ou tel pays de l'Union européenne. Il me paraît très important, pour les Européens, d'éviter de monter l'Ukraine contre la Russie, comme certains peuvent le faire aujourd'hui.
Nous avons tout à perdre à cela, ce n'est pas le problème des Européens, nous devons créer autour de nous un espace de liberté, de démocratie et de stabilité.
Q - Lorsque je vous entends, j'ai l'impression que vous regrettez que certains se soient un peu précipités à se faire les militants de la révolution orange dans l'Union européenne ?
R - Pour tout vous dire, j'écoutais ce matin sur les radios, y compris votre chaîne de télévision, que nous avions aidé l'Ukraine et qu'en même temps nous étions amis avec la Russie.
Q ? C'est un peu le cas, non ?
R - Oui, mais les choses ne se posent pas de cette façon. Nous avons aidé l'Ukraine et c'est formidable. Je suis allé dans ce pays récemment, j'ai vu le président Iouchtchenko, j'ai vu l'ancien Premier ministre et son successeur. Il y a des élections au mois de mars, mais il n'y a aucune possibilité de retour en arrière en Ukraine. La démocratie est installée et c'est une très bonne chose pour nous.
Et puis, arrêtons de faire croire qu'il peut y avoir une stabilité de l'Union européenne s'il n'y a pas une stabilité de la Russie. Nous avons intérêt aussi à avoir des relations apaisées et amicales avec la Russie, c'est le cas d'ailleurs.
Q - L'année 2005 n'a pas été une bonne année pour l'Union européenne, la recherche institutionnelle est en panne et, d'autre part, le budget auquel vous êtes parvenus - je parle des 25 membres - est un peu un budget au rabais. Alors, qu'attendez-vous en deux mots, de la présidence autrichienne et du rôle que pourrait jouer la France ?
R ? Il y a d'un côté, les projets concrets, les projets de la vie quotidienne et les projets institutionnels.
Concernant les projets concrets, en tant que président de l'agglomération du "Grand Toulouse", je ne peux pas vous cacher ma joie de voir Galileo à Toulouse. Galileo, c'est la vie quotidienne, c'est une manière de guider votre voiture, puis l'avion et le portable. Ce sont vraiment des choses concrètes et là, en effet, j'attends de la présidence autrichienne des avancées en terme de gouvernement économique, en particulier dans la zone euro, des avancées dans le domaine de la recherche en biotechnologie, nanotechnologie, infotechnologie. Il n'y a aucune raison que les Américains, les Indiens, les Chinois se mettent ensemble pour construire ces programmes et que nous ne soyons pas capables de le faire nous-mêmes. Ensuite, il y a tout ce que j'appelle l'éducation universitaire et enfin la politique étrangère. Pourquoi l'Europe n'est-elle pas unie pour parler en Afrique, en Iran, c'est le cas, en Haïti ou au Proche-Orient ? C'est quelque chose de majeur évidemment.
Deuxièmement, le projet institutionnel. Moi, je souhaite que l'on puisse, durant les six mois de la présidence autrichienne, et en particulier au Conseil européen de juin prochain, faire des propositions institutionnelles en accord avec nos partenaires.
Q - Mais la France n'est-elle pas mal placée pour inspirer ces propositions, après l'échec du référendum ?
R ? Non, arrêtons comme toujours de nous flageller. Il y a cette Constitution européenne que plusieurs pays ont votée. Il ne s'agit absolument pas pour nous de remettre en question la Constitution européenne même si nous ne l'avons pas votée. Par contre, pour vivre à 25 pays, il faut que nous ayons des règles du jeu communes et ces règles doivent, petit à petit, nous permettre de les adopter à 25.
Tout le rôle de la France aujourd'hui est de reprendre, au contraire, sa campagne pour améliorer les institutions de l'Europe, mais avec les Allemands, les Italiens, les Espagnols et les autres.
Q - Un mot sur le Proche-Orient, deux mots plus exactement car il y a à la fois l'affaire palestino-israélienne avec les élections qui auront lieu en Palestine peut-être le 25 janvier. Vous avez appelé les Palestiniens à ne pas favoriser le réveil des groupes armés. Appelez-vous aussi Israël à cesser le développement des colonisations en Cisjordanie ?
R - Bien sûr, ce sont les deux. Et notre but, c'est d'avoir un Etat au niveau des territoires palestiniens en paix, stable, avec un Etat d'Israël vivant à côté en toute sécurité.
Vous savez, il y a peut-être une fenêtre totalement historique qui peut s'ouvrir dans quelques semaines. D'abord, parce qu'il y a des élections palestiniennes et j'espère comme vous, moi aussi, que le 25 janvier elles auront lieu, comme M. Mahmoud Abbas, et nous le soutenons dans son action pour réunifier les différentes factions palestiniennes, en particulier dans son propre parti.
Ensuite, il y a les élections israéliennes. Il y a, parce que je suis allé là-bas et que je vais y revenir prochainement, on le sent bien, une confiance mutuelle entre le chef palestinien et le Premier ministre israélien pour la première fois depuis peut-être 40 ans. Evidemment, il y a des milliers de gens qui sont extrémistes et qui ne veulent pas de cette confiance entre les deux hommes. Mais il y a là une fenêtre. Il faut que l'Union européenne qui joue, pour la première fois, une carte politique majeure à Rafah, entre l'Egypte et Gaza, joue toutes ses cartes.
Q - Deux mots rapidement sur les otages : vous avez lancé un appel pour la libération de M. Planche en Irak. Depuis le 29 décembre, date où vous aviez fait ce geste, avez-vous eu quelques signes d'une possible libération ?
R - Aujourd'hui, je ne peux absolument rien vous dire, sauf que ce qu'ont demandé les ravisseurs est évidemment totalement?
Q - ...inacceptable ?
R - ...inacceptable, car nous n'avons évidemment pas de présence militaire en Irak. Je redis donc ce matin aux ravisseurs qu'il est inacceptable qu'ils gardent M. Planche et qu'il faut évidemment le libérer le plus vite possible. Ce qu'ils ont demandé est impossible et la France est très ferme là-dessus.
Q - Même chose pour les revendications des FARC en Colombie pour Ingrid Betancourt ?
R - Oui, il y a deux côtés, M. Uribe d'un côté, le gouvernement de la Colombie, et de l'autre côté les FARC. Je me rendrai prochainement en Colombie car, au nom des Droits de l'Homme, il est absolument impossible de penser un seul instant que l'on laisse encore cette femme dans ces conditions. La seule chose que je puisse vous dire, c'est que la discrétion est peut-être la chose la plus importante en matière d'otage. Il y a aussi une détermination. Sachez qu'elle est totale.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 janvier 2006