Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, dans "20 minutes" le 28 novembre 2005, sur la proposition de loi visant à supprimer la référence positive à la période coloniale dans la loi sur les rapatriés, et sur les liens éventuels avec la violence dans les banlieues.

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Q - Les députés examinent demain une proposition de loi du PS visant à supprimer une mention sur « le rôle positif des colonies » d'une loi sur les rapatriés. Pourquoi cette initiative ?
R - L'article que nous voulons abroger est une faute politique et une aberration éducative. Il n'aide pas notre pays à regarder lucidement son histoire. Il réhabilite « le bon vieux temps de la coloniale » et occulte les violences, les exactions. Il y a eu des avancées à cette époque, mais l'essence de la colonisation est un système de domination d'un peuple sur d'autres, en contradiction avec les valeurs de la République d'aujourd'hui.
Q - Vous intervenez tard, la loi a été promulguée en février...
R - Nous avons manqué de vigilance lors du vote. Nous avons ensuite écrit au Premier ministre : il nous a renvoyés à une commission qui n'a toujours pas été mise en place. Le gouvernement veut plaire à certains députés, à une partie de son électorat. Pour autant, des députés de la majorité sont conscients de l'erreur commise avec cet article.
Q - Voyez-vous un lien avec la situation en banlieue ?
R - Il faut arrêter de culpabiliser nos concitoyens en raison de leurs origines. La France traverse une grave crise d'identité. L'unité de la nation, c'est aussi une mémoire partagée. L'histoire de France n'est pas en noir ou blanc. Il faut célébrer les pages glorieuses et comprendre les pages sombres. Occulter l'histoire, c'est oublier que les tirailleurs sénégalais étaient en première ligne au Chemin des Dames. Il a fallu du temps pour le reconnaître. Je ne fais pas la leçon : tous les gouvernements successifs portent une responsabilité. Notre initiative n'est ni un règlement de compte, ni une arrière-pensée électoraliste.
Q - Certains habitants de banlieue décrivent leur vie comme celle de « colonisés »...
R - C'est le discours d'une minorité. Je le désapprouve parce qu'il est faux. Tout n'est pas parfait, mais notre nation accueille des hommes et des femmes depuis toujours et leur donne les mêmes droits et les mêmes devoirs. La France ne va pas vivre dans la repentance permanente. Les habitants des quartiers populaires se sentent des Français comme les autres. Ils ne demandent pas d'excuses mais que leur vie soit meilleure.
Q - La droite dénonce la polygamie et les rappeurs comme sources des émeutes...
R - Il y a eu les mots « racaille », « Kärcher ». Maintenant on cible le rap, la polygamie. Ça suffit. On vise des problèmes marginaux contre lesquels existent déjà des lois. Il est absurde d'en faire les responsables de nos maux. Le rap fait partie de nos expressions culturelles et a droit de cité. Les fondements de la crise, c'est la misère sociale, les inégalités, les discriminations. Si l'on ne veut pas qu'elles s'enracinent, il faut agir. La République des droits ne doit pas être seulement inscrite sur les frontons de nos écoles. Elle doit être une réalité vécue.
Recueilli par Arnaud Sagnard
(Source http://www.deputessocialistes.fr, le 28 novembre 2005)