Déclaration de M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, sur la politique d'innovation en France et au Japon, et notamment sur la coopération internationale des pôles de compétitivité, Tokyo le 28 novembre 2005.

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Circonstance : Symposium Politiques d'innovation à Tokyo, le 28 novembre 2005

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi d'abord de remercier les organisateurs pour la tenue de cette manifestation particulièrement intéressante qui met l'accent sur les politiques d'innovation de nos deux grands pays industrialisés et me permet ainsi de vous exposer la nouvelle politique engagée par le gouvernement français en la matière.

I. Quelle place est faite au juste à l'innovation en France et au Japon ?
L'innovation est la clef de notre croissance future. C'est ce qui a amené la Commission Européenne à fixer un objectif de 3% du PIB consacré à la recherche et développement à l'horizon 2010, objectif dit de Lisbonne. Les objectifs fixés par le gouvernement français sont, bien entendu, alignés sur cet objectif européen, et la France a fait sien ce chiffre de 3% du PIB affecté à l'innovation.
Notre pays est aujourd'hui parmi les premiers des grands pays européens par l'effort qu'il consacre à la recherche et développement et à l'innovation. Nettement au dessus de la moyenne européenne, avec 2,2% de son PIB dédié à cette activité, il se classe second mais reste cependant en deçà de l'objectif des 3%. Le classement de la France à l'échelle européenne s'explique par le fait qu'elle possède des centres de recherche mondialement réputés, des équipes de pointe et des entreprises fortement innovantes. Des exemples tels que Airbus, avec le très gros porteur A380, ARIANESPACE ou le TGV le démontrent, mais également nombre de petites et moyennes entreprises qui ont aujourd'hui intégré le fait que leur avenir dépend d'une recherche et développement efficace, ouverte et tournée vers les applications à forte valeur ajoutée.
Du chemin reste cependant encore à faire pour atteindre les 3%, et nous pouvons, nous devons faire mieux. Le Japon est pour nous en ce sens un exemple significatif à suivre.
Le Japon est d'abord un pays qui présente de nombreuses similitudes avec la France : pays doté d'une longue et riche histoire, pays assis sur une industrie puissante et pays résolument tourné vers la recherche et développement. Aujourd'hui ce sont plus de 3% du PIB qui y sont consacré.
Le Japon est ensuite un pays qui su mener une profonde réforme des structures de recherche et développement. Une politique volontariste visant à faire que le Japon demeure, dans les années à venir, un des leaders mondiaux en matière d'innovation, a été en effet engagée sous l'impulsion du premier ministre Koizumi. La France a pris en compte cet exemple dans ses réflexions récentes pour faire évoluer ses propres politiques.

II. Quels processus avons-nous ressenti comme importants pour favoriser l'innovation en France ?
L'innovation n'est pas seulement une affaire d'investissements industriels, c'est aussi et d'abord une question d'état d'esprit. Aussi convient-il que l'ensemble des acteurs au sein d'un pays soient résolument tournés vers cet objectif et que le gouvernement soutienne pleinement une telle politique.
L'expérience a montré que l'innovation gagne fortement en efficacité lorsqu'elle résulte de collaborations entre entreprises, en coopération avec des laboratoires publics. Ces collaborations sont très largement facilitées par la concentration géographique des acteurs, concentration qui, en outre, donne une visibilité internationale et contribue à attirer de nouveaux partenaires, comme le démontrent les exemples de la Silicon Valley, ou, en France, celui de Crolles, dans les Alpes, autour des nanotechnologies.
Les statistiques nous montrent ensuite que 80 % de la recherche industrielle est menée par les grandes entreprises. Aussi convient-il de favoriser la mise en oeuvre de grands projets industriels qui entraîneront dans leur sillage le travail de nombreux laboratoires et PME.
L'innovation c'est aussi une prise de risque et la capacité à travailler sur des technologies très en amont, et il faut donc pouvoir mobiliser des équipes de chercheurs sur des thématiques très pointues.
L'innovation implique enfin une question de financement, plus particulièrement pour les PME, et d'accompagnement des processus de maturation qui permettent de passer de l'idée au produit.
De tous ces éléments il fallait construire une politique, c'est ce que nous avons fait.

III. La nouvelle politique du gouvernement français en faveur de l'innovation
Face à tous ces constats la France s'est dotée, à partir de 2004, de nouveaux outils performants au service de l'innovation.
Elle a d'abord créé le statut de la Jeune Entreprise Innovante, reconnu par l'OCDE comme le mécanisme offrant le régime de financement le plus favorable au niveau mondial pour les PME. Les entreprises de moins de 8 ans et consacrant plus de 15% de leurs dépenses à la recherche et développement peuvent ainsi bénéficier d'exemptions massives de taxes et de contributions sociales. En 2004, plus de mille entreprises ont ainsi bénéficié de cette mesure.
2005 a été ensuite une année particulièrement riche pour le ministère de l'industrie, avec quatre actions majeures qui ont structuré le paysage de l'innovation en France : la création d'OSEO, celle de l'Agence Nationale de la Recherche, puis celle de l'Agence de l'Innovation Industrielle, et enfin le lancement de la politique des pôles de compétitivité.
- L'Agence Nationale de la Recherche a pour vocation de soutenir le développement de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée, de promouvoir le partenariat Public/Privé en matière d'innovation et les transferts technologiques. L'Agence Nationale de la Recherche finance ainsi les projets de recherche coopératifs, entre centres de recherche publics et grandes ou petites entreprises, mais également entre entreprises, quelle que soit leur taille. Elle est dotée, pour ce faire, d'un budget annuel de 750 millions d'euros.
- En août 2005, le gouvernement a annoncé la création de l'Agence pour l'Innovation Industrielle, placée sous ma tutelle. La mission de cette agence est d'améliorer les capacités industrielles de notre pays et le potentiel technologique des entreprises françaises. L'agence initiera, sélectionnera et cofinancera, à parité avec les entreprises industrielles, de grands projets structurants de recherche et développement industriel. Pour ce faire, elle sera dotée d'un budget annuel de 1 milliard d'euros.
- Le gouvernement a ensuite souhaité donner une plus grande lisibilité à sa politique vis à vis des PME et a ainsi décidé de fusionner l'Agence Nationale pour la Valorisation de la Recherche (ANVAR), spécialisée dans le financement sur la base d'avances remboursables, des projets coopératifs ou individuels des entreprises innovantes de moins de 2000 salariés et la Banque de Financement des PME (BDPME), dans un organisme unique qui a pris le nom d'OSEO. Par cette action, le gouvernement entend regrouper, dans un même organisme les principaux acteurs de la politique vis-à-vis des PME, et de ce fait, permettre à ces dernières un accès plus aisé à l'ensemble des ressources susceptibles de favoriser leur développement, par l'accompagnement et le financement de l'innovation et de la croissance.
- Mais l'événement majeur de l'année 2005 a bien entendu été la mise en place de la politique des pôles de compétitivité, concrétisée par l'annonce, le 12 juillet, par monsieur de Villepin, Premier ministre, de la sélection de 67 pôles. Ceux-ci ont été choisis après un appel d'offre national qui avait rencontré un immense succès, puisqu'il avait recueilli 105 propositions. Un pôle de compétitivité est défini comme la mobilisation, dans un espace géographique limité, d'entreprises, de laboratoires et d'organismes de formation, autour de projets coopératifs innovants, avec le soutien des collectivités territoriales. Il s'agit de faire germer des idées dans les laboratoires de recherche pour les transférer rapidement dans des produits fabriqués par les entreprises et que ces dernières s'appuient sur les compétences des personnes issus des organismes de formation spécialisés du pôle pour les mettre en oeuvre.
1, 5 milliards d'euros seront consacrés aux pôles de compétitivité par le gouvernement dans les trois ans à venir.

IV. Les pôles de compétitivité et la dimension internationale
Le critère de visibilité internationale a été l'un des critères de choix déterminants dans la sélection des pôles finalement retenus par le gouvernement. Sur les 67 pôles labellisés par le gouvernement, 15 ont d'ores et déjà une envergure internationale. Et vous en connaissez certainement quelques uns. Je vais vous citer trois exemples :
Premièrement, dans le sud-ouest de la France, à cheval sur les régions Midi-Pyrénées et Aquitaine, et autour des grandes villes de Bordeaux et de Toulouse, nous avons un très grand pôle aéronautique. C'est là que sont construits les avions Airbus, fleurons de l'industrie européenne. Il s'agit de l'une des premières coopérations industrielles à dimension multinationale née en Europe, et toujours l'une des plus visibles. Des entreprises françaises y collaborent au quotidien avec des entreprises européennes et internationales.
Mais le pôle ne se limite pas à Airbus ; un pôle crée une dynamique et attire d'autres acteurs. D'autres entreprises s'en s'ont donc rapprochées dont les activités sont connexes : sous-traitants naturellement, mais aussi des entreprises qui utilisent les mêmes sous-traitants. C'est ainsi que participent au pôle aéronautique de Toulouse-Bordeaux, non seulement Airbus, mais aussi des leaders d'industries voisines : Dassault Aviation, qui fait des avions militaires et les fameux Falcon, jets très utilisés dans l'aviation privée, Eurocopter qui fabrique des hélicoptères, ou encore Astrium et Alcatel-Space qui fabriquent des satellites. Les fabricants de composants de ces industries sont naturellement présents : motoristes (Snecma), électroniciens (Thalès) ou sous-traitants plus spécialisés (Hutchinson, Messier-Dowty).
Le pôle ne se limite pas non plus à des entreprises françaises, de nombreux entreprises étrangères sont présentes : Siemens et Motorola sont les 3ème et 4ème employeurs de la région ; Mitsubishi participe au pôle de compétitivité. Le pôle totalise ainsi une centaine de milliers d'emplois.
Le pôle attire enfin les organismes de formation. Deux écoles renommées en France dans le domaine de l'aviation s'y sont implantées : Sup'Aéro et l'ENAC, ainsi que de nombreux organismes de recherche dans ce secteur, comme l'ONERA.
Un deuxième grand exemple de pôle à dimension internationale est celui de Grenoble dans la région Rhônes-Alpes, qui abrite une concentration très forte d'entreprises et de laboratoires, d'abord rassemblés dans les mêmes secteurs de l'électronique et de l'informatique (Schneider Electric, HP, Sun Microsystems ou Capgemini), puis plus récemment autour de la micro-électronique et des nanotechnologies (ST Microelectronics, CEA, Atmel).
On peut dire qu'un véritable écosystème de l'innovation s'est épanoui à Grenoble depuis 50 ans, plus particulièrement durant ces 5 dernières années par la relocalisation de la R&D de grands groupes industriels, et la création de nombreuses start-up. L'arrivée successive de grands groupes industriels mondiaux confirme l'attractivité de ce pôle.
Enfin, pour illustrer la coopération internationale des pôles de compétitivité, comment ne vous parlerais-je pas de l'Alsace, ma région, brillamment représentée ici par Alsace Biovalley. Ce pôle de compétitivité est axé sur l'innovation thérapeutique, tant dans son volet chimie/génomique que dans son volet instrumentation médicale. Outre les qualités intrinsèques de ce pôle, la raison qui me pousse à mentionner ce dernier devant vous aujourd'hui est qu'il s'inscrit dans un partenariat tripartite avec les régions frontalières allemande et suisse depuis 1996. Cette zone transfrontalière est ainsi, à l'évidence, un pôle de classe mondiale.
Les 52 autres pôles que nous avons labellisés, bien que ne bénéficiant pas encore à ce jour de cette reconnaissance internationale, n'en présentent pas moins des caractéristiques fortes en matière de compétences technologiques et présentent une solide base industrielle, qui leur permettront d'atteindre un tel niveau.

1. Le fait que le gouvernement ait sélectionné les pôles sur des critères de visibilité internationale signifie clairement qu'il entend inscrire sa politique de pôles dans une perspective de coopération internationale.
Les pôles sont basés avant tout sur l'innovation et c'est par la mobilisation de l'ensemble des acteurs autour de cette priorité que la politique des pôles réussira. Cette mobilisation est, certes, nationale, basée notamment sur le partenariat entre recherche publique et entreprises privées. Mais nous sommes persuadés que, dans la complexité du monde d'aujourd'hui, nul ne peut se prévaloir de posséder l'ensemble des connaissances, ni l'ensemble des moyens susceptibles de conduire à l'accélération souhaitée du processus d'innovation. La coopération internationale est donc une nécessité. Nous avons, pour notre part, une longue expérience de coopération internationale, notamment dans le cadre des programmes cadres européens de recherche et de développement ou dans le cadre d'initiatives intergouvernementales comme le programme Eureka.

2. Le choix d'un critère de visibilité internationale signifie que le gouvernement souhaite également inscrire les pôles dans une perspective d'attractivité pour les investissements internationaux.
C'est pourquoi, le gouvernement a demandé à l'AFII (Agence Française pour les Investissements Internationaux) de mener une action forte auprès des investisseurs étrangers, visant à faire valoir les facteurs d'attractivité spécifiques des pôles de compétitivité. Le présent séminaire est une illustration de cette volonté de démontrer que la politique des pôles de compétitivité est une politique qui réussira d'autant mieux que des partenaires étrangers puissants seront associés à l'évolution de ces pôles. Certains d'entre eux possèdent déjà, parmi leurs membres fondateurs, des filiales françaises d'entreprises étrangères, ce qui prouve que l'association des entreprises internationales est déjà une réalité.
Nous considérons en fait que le Japon, qui a structuré de son coté ses propres clusters, et qui est déjà, dans un certain nombre de cas, un partenaire important de certaines entreprises ou centres de recherche français, est au premier rang des pays avec lesquels nous souhaitons que des partenariats de pôle à pôle s'établissent.

Trois axes peuvent être envisagés pour ceux-ci :

  • 1. Des entreprises japonaises peuvent venir s'implanter sur des pôles de compétitivité français pour profiter en Europe de l'environnement ainsi offert;
  • 2. Des équipes internationales de chercheurs peuvent se mettre en place sur certaines thématiques à partir de couples de laboratoires français et japonais appartenant à des pôles de compétitivité et clusters qui travaillent sur des thématiques similaires;
  • 3. De même des entreprises japonaises et françaises appartenant à des pôles distincts peuvent se rapprocher en vue de mettre en ?uvre des nouveaux produits conjointement.

Les trois journées que je passe au Japon vont me permettre de présenter à de nombreux acteurs cette nouvelle politique. J'interviendrai notamment mercredi matin devant près de 700 responsables de clusters japonais réunis par le METI et le MEXT. Nous remettrons, comme nous le faisons ici, de la documentation à chacun.
Je souhaite vraiment que les acteurs de nos deux pays se rapprochent et renforcent encore davantage les coopérations technologiques, déjà nombreuses, que nous menons.
De mon côté, je vous promets de revenir au Japon l'année prochaine, accompagné de pôles de compétitivité français, pour faire avancer sur le terrain la coopération entre le Japon et la France dans ce domaine. Deux échéances importantes s'offrent à nous pour ce faire : en février 2006 dans le domaine des nanotechnologies, à l'occasion du salon NAOTECH 2006, et en septembre 2006 dans le domaine des biotechnologies, à l'occasion du salon BIOJAPAN. Deux occasions majeures pour développer les relations entre nos clusters !
Je vous remercie de votre attention.

(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 29 novembre 2005)