Texte intégral
Monsieur le Président,
Cher monsieur Pernis (phon)
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Permettez-moi d'abord de commencer et d'introduire mon bref
discours en vous disant tout le plaisir que j'ai d'être ici, à Berlin, qui
est la ville symbole d'une Europe réconciliée et tournée vers l'avenir.
Permettez-moi également de vous dire le plaisir que j'ai, et
l'honneur, d'être devant vous dans cette grande université placée
sous la figure ou les figures tutélaires de Wilhelm, mais aussi
d'Alexandre de Humboldt, vous l'avez dit, monsieur le président,
savant, voyageur, diplomate qui, entre Berlin et Paris, incarne à lui
tout seul un véritable idéal européen.
Le nom même d'Humboldt est très associé - je vous livre ceci en
guise de souvenir personnel - à ma vie d'enfant, puisque, quand
j'avais sept ans, j'habitais à Caracas, en Amérique latine, et la ville
de Caracas est une ville qui est au fond d'une vallée, entourée de
montagnes. Et sur la plus haute de ces montagnes, il y a un hôtel
qui s'appelle l'hôtel Humboldt et on accède à l'hôtel Humboldt
uniquement par un téléphérique. Et pour moi tout enfant,
Humboldt était déjà associé au pic, le pic de la connaissance, celui
que vous avez la chance, au quotidien, de découvrir, ce pic
merveilleux qui fait que tous les jours, des hommes et des
femmes, comme vous, s'attellent à chercher à apprendre plus, et
surtout, à devenir meilleurs. C'est bien l'objectif que nous nous
fixons, tous, comme Européens.
Encore ce matin en Conseil des ministres, le Président de la
République, qui a récemment reçu votre Chancelière, Angela
MERKEL, a insisté sur l'importance de la relation entre nos deux
Etats, entre nos deux peuples, qui, vous le savez, sont au c?ur de
notre construction européenne. Et il m'a redit avant de venir ici
vous rencontrer tout le rôle que nos deux pays devaient jouer face
aux défis actuels.
Car nous sommes tous témoins, acteurs, d'un temps de grand
changement, un temps de questions mais aussi d'interrogations
profondes. Je ne suis donc pas venu - et en vous écoutant,
monsieur Pernis, je me réjouissais d'avoir fait un choix... Je ne
suis pas venu, dans la tradition cartésienne, je ne suis pas venu
avec une vision achevée de l'Europe ; je ne suis pas venu avec le
maigre bagage qui est le mien de juriste, très humblement et avec
beaucoup de souci de pragmatisme, pour avancer avec vous,
partager avec vous quelques questions et quelques convictions.
Aujourd'hui - et c'est ma première conviction -, nous avons moins
besoin d'un esprit de système en Europe que de persévérance,
d'humilité et peut-être aussi d'imagination.
En effet, notre horizon européen est troublé
En moins de cinq ans, notre continent a connu trois chocs successifs
:
La division des Etats lors de la crise irakienne, qui a mis en
évidence les limites politiques de l'Europe face à une grande crise
internationale. Et cela a été une épreuve pour nous tous.
Deuxième défi, deuxième choc, le terrorisme islamiste, qui a
frappé Madrid puis Londres et qui a souligné notre vulnérabilité
face à une menace nouvelle.
Et puis, le rejet du projet de Constitution par deux pays
fondateurs, la France et les Pays-Bas.
Ces chocs ont été ressentis d'autant plus durement que l'Europe a,
dans le même temps, connu des changements profonds :
Elle a été profondément secouée par la mondialisation. Les
délocalisations rapides d'un certain nombre de nos industries, la
tendance à l'uniformisation de nos modes de vie, la remise en cause
de nos équilibres sociaux : voilà les défis importants auxquels nous
faisons face. Nous vivions dans l'idée, dans l'espoir peut-être, d'une
coopération toujours plus grande entre les nations et entre les
peuples. Et nous constatons que nous ne sommes pas sortis de la
concurrence entre les Etats.
Et bien sûr l'Europe a dû assimiler un élargissement sans précédent
qui lui permettait de retrouver enfin son unité, mais qui
représentait également un véritable pari économique, un pari
social, un pari culturel. Ici, à Berlin, chacun d'entre nous peut
mesurer ce que représentent les années de réconciliation et de
courage que nous venons de vivre.
Tous ces changements, tous ces défis, ont nourri à la fois des
interrogations et des doutes :
Des interrogations sur la place de l'Europe dans le monde : est-elle
encore en mesure de jouer un rôle majeur face à des ensembles
régionaux qui affirment chaque jour davantage leur puissance ?
A-t-elle, cette Europe, véritablement un caractère singulier et des
valeurs propres à défendre ?
Mais il y a aussi des interrogations sur le fonctionnement même de
notre Europe : comment l'Europe peut-elle répondre aux attentes
de citoyens qui, pour la première fois, semblent marquer leur
scepticisme et leur doute face à la construction européenne ?
Comment peut-elle garantir la légitimité de décisions qui semblent
toujours plus complexes, et parfois même éloignées des
préoccupations concrètes des peuples ?
Et enfin, il y a des doutes sur un élargissement qui progresse à un
rythme plus rapide que l'approfondissement, et notamment
l'approfondissement institutionnel, si bien que l'Europe donne le
sentiment de croître, de s'agrandir, sans avoir les moyens
institutionnels d'agir et de décider.
Ces questions, elles sont communes à tous les peuples européens ou
en tout cas à bien des peuples européens. Mais elles se sont posées,
c'est vrai, avec une acuité particulière dans mon pays, en France.
Nous défendons un modèle économique équilibré, un modèle qui
repose à la fois sur une industrie compétitive, sur une agriculture
moderne et sur le développement des services. L'impression a
dominé, en France, que l'Europe ne nous protégeait pas
suffisamment contre les conséquences de la mondialisation. Les
délocalisations, les fermetures d'usines, les licenciements sont
apparus comme une fatalité à laquelle l'Europe n'apportait pas assez
de réponse.
Nous avons également des exigences sociales fortes, des exigences
que les Français ont craint de voir fragilisées ; je pense en
particulier au niveau de protection des salariés, mais aussi aux
services publics. Vous me permettrez d'insister un peu sur ce
dernier point. Les services publics ne sont pas pour nous un mode
de gestion des activités comme un autre. Ils représentent une
garantie d'impartialité et de défense de l'intérêt général auquel
nous sommes attachés. Ils ont évolué, nous ne cessons de les
moderniser, mais ils restent une part essentielle de notre identité
nationale.
Comme tous les peuples européens, nous sommes un peuple
politique : rien n'est plus important à nos yeux que la légitimité
démocratique des décisions qui engagent la vie de chacun. Or
depuis plusieurs années, nombre de décisions européennes n'ont pas
toujours été bien comprises. Qui décide, au nom de quels
principes, avec quel objectif, voilà les questions récurrentes
auxquelles il faudra désormais répondre.
Enfin, la France est très attachée à l'idée de nation : elle a une
mémoire, elle a une histoire, dont elle a pu craindre qu'elles ne
s'effacent dans un ensemble européen aux contours trop imprécis.
Cette crainte particulière a cristallisé les doutes de notre pays et
produit en grande partie le vote du 29 mai. La France - c'est ma
conviction - n'a pas dit "non" à l'Europe. Elle a dit "non" à une
Europe dont elle ne comprenait plus la vocation et où elle ne savait
plus imaginer ni son rôle, ni sa place.
Alors, pour retrouver un cap, nous avons aujourd'hui des choix
communs à faire
Il y a d'abord le choix d'une ambition, à laquelle nous devons être
fidèles :
L'ambition politique européenne est immense : trouver l'équilibre
entre des mémoires multiples et un devenir commun. En Europe,
les racines de chacun doivent s'accorder avec la volonté de tous, les
nations singulières doivent entrer dans un projet politique partagé.
Et par un étrange paradoxe - ou ce que les philosophes allemands
que vous étudiez appelleraient une ruse de l'histoire - l'un des plus
vieux des continents du monde a fait le choix d'une aventure
politique d'une modernité sans précédent. Ce choix de l'invention,
de l'audace, est à l'origine de toute l'aventure européenne : il vaut
ordre de mission pour les décennies à venir. En effet, conjuguer
chacune des nations de l'Europe, chacun des États de l'Europe, avec
un projet commun, c'est une entreprise qui n'a jamais été engagée
nulle part dans le monde. Nous ne sommes pas dans une fédération
classique, nous ne sommes pas dans une confédération classique, il
s'agit bien d'Etats constitués, d'Etats souverains qui décident, à un
moment donné d'unir leurs volontés, de partager certaines
souverainetés et de défendre un idéal commun. Cette histoire-là,
elle n'a jamais été écrite et c'est cella que nous voulons écrire
ensemble. Et je crois que si nous ne mesurons pas l'incroyable
ambition que cela constitue, nous ne pouvons comprendre le
nombre et l'importance des obstacles qui peuvent surgir sur le
chemin, mais aussi la volonté dont nous devons faire preuve au
quotidien.
Nous ne réussirons que si nous nous appuyons sur des nations fortes
et confiantes en elles-mêmes. Ce sont elles qui constituent le
premier pilier démocratique de notre Union. Nous devons donc
définir une nouvelle relation entre l'Europe et les nations qui la
composent. Avec la fédération des États Nations, nous disposons
sans doute du cadre le plus approprié pour avancer dans un partage
raisonnable des souverainetés nationales.
Il y a aussi le choix, compliqué, des frontières, que nous avons trop
longtemps repoussé :
Il y a aujourd'hui trois critères essentiels à l'adhésion :
l'appartenance européenne des pays candidats, la reprise des
valeurs et des règles de l'Union, mais aussi la capacité d'absorption
de l'Europe. Ce dernier critère permet d'affirmer que l'Union n'a pas
aujourd'hui vocation à s'étendre indéfiniment. Regardons donc
sereinement où nous en sommes aujourd'hui.
Pour ce qui est de la Bulgarie et de la Roumanie, nous souhaitons
qu'elles nous rejoignent le plus vite possible sur la base des
prochaines recommandations de la Commission. Les Balkans ont
toujours été à la charnière entre l'Orient et l'Occident. Ils ont
toujours été un lieu de passage et de rencontre, mais aussi un lieu
de tensions et d'instabilité pour l'Europe. Le choix que nous avons
fait et que nous devons maintenir, c'est que les Balkans entrent
dans l'Union sous réserve du respect scrupuleux des conditions de
l'adhésion. Pour les autres, chacun au rythme qui devra être le sien,
la perspective de l'adhésion facilitera la stabilité et les réformes.
En ce qui concerne la Turquie, l'ouverture des négociations
d'adhésion est une décision politique majeure qui prend acte des
changements géostratégiques de la région et des efforts de la
Turquie. C'est un décision qui doit être maîtrisée à chaque étape :
les citoyens européens devront être tenus informés régulièrement
de l'évolution des négociations. C'est une décision qui doit être
conditionnée au respect des critères fixés par la Conseil européen
et à la capacité de l'Union, et à cet égard, je me réjouis que le
Parlement européen ait réaffirmé qu'il ne pourrait y avoir d'autres
élargissements tant que nos institutions n'auront pas été adaptées.
C'est une décision enfin dont l'issue doit rester ouverte jusqu'au
terme des négociations. En France, vous le savez, par la décision
du président de la République, le dernier mot reviendra aux
Français par voie de référendum.
Plus généralement, nous devons engager rapidement une réflexion
sur la stratégie globale d'élargissement de l'Union, sur son rythme
et ses conditions. Il n'existe aucun droit naturel, aucun droit
historique à entrer dans l'Union. Et la promesse de l'élargissement
ne peut pas être le seul instrument de stabilisation des régions
voisines de l'Europe. En revanche, il est de son devoir de proposer
aux pays voisins des partenariats ambitieux et généreux, qui ne se
limitent pas à de simples accords de libre échange.
Enfin, il y a le choix d'une volonté. Car pour tous les citoyens
européens, la question est bien : que peut et que veut faire
l'Europe aujourd'hui et dans les années à venir ? Pour ma part, je
voudrais vous faire part de trois convictions simples.
Ma première conviction, c'est qu'il existe un devoir européen. Face
aux crises régionales actuelles, aux risques de pandémie, aux
menaces sur la paix et sur le droit, l'Europe ne peut pas attendre.
Aucun autre Etat, aucun autre ensemble régional ne prendra cette
responsabilité à notre place : la défense de l'environnement,
l'engagement dans la crise nucléaire iranienne, la bataille pour la
non-prolifération, l'aide aux populations les plus pauvres, en Afrique
et ailleurs, voilà autant de défis sur lesquels l'Europe est en
première ligne et les enjeux sont immenses. C'est notre honneur d'y
répondre ensemble. Et pour cela, nous devons nous appuyer sur des
relations approfondies et renouvelées avec nos grands partenaires :
les Etats-Unis bien sûr, mais aussi la Russie, la Chine, l'Inde ou le
Brésil.
Ma deuxième conviction, c'est que l'Europe a un modèle social et
économique à défendre face à la mondialisation. Par-delà nos
différences, il y a bien une spécificité européenne : l'importance
accordée à la protection des salariés, l'équilibre entre dynamisme
économique et solidarité, la défense de l'accès pour tous à la santé
et à l'éducation. Ces valeurs, elles sont au c?ur de nos traditions
sociales, et ce depuis les systèmes de sécurité sociale lancés par
BISMARCK et développés par BEVERIDGE. A nous trouver le moyen
de les adapter à un nouveau contexte économique. C'est comme
cela que nous mettrons sur pied une véritable doctrine européenne
de la mondialisation, que les autres peuples attendent.
Enfin, troisième conviction : l'Europe doit mieux défendre les
intérêts de ses citoyens et de ses entreprises. Et c'est pour cela,
même si le terme est parfois mal compris, que j'insiste sur la
nécessité d'un véritable patriotisme européen : il ne s'agit pas de se
replier derrière un protectionnisme qui est bien sûr dépassé. Il
s'agit au contraire de rassembler nos forces, d'unir nos efforts pour
aller dans le même sens et affirmer sans faiblesse nos intérêts dans
le monde. La préférence européenne, qui est un des principes
fondateurs de l'Europe, a encore un sens : elle nous rappelle à nos
devoirs à l'égard de chacun de nos concitoyens.
En faisant ces choix, nous ferons davantage que retrouver un cap :
nous affirmerons une identité européenne. Car oui, c'est ma
conviction, l'Europe a des racines. Oui, il y a et il existe un
humanisme européen. Oui, il existe des valeurs européennes : nous
en sommes les porteurs et les dépositaires.
La diversité de notre civilisation fait sa richesse : de l'antiquité
grecque nous avons hérité l'attachement au rationalisme, de Rome
une certaine vision de l'organisation politique et du droit ; de la
Renaissance et des Lumières, nous avons hérité le goût de la
tolérance, de l'innovation et de la découverte. Et je n'oublie pas cet
espace dessiné par nos cathédrales, romanes, gothiques, baroques.
Je n'oublie pas les universités qui, de Bologne à Paris, de
Salamanque à Prague et à Uppsala, ont dessiné les contours de
l'Europe. Monde religieux, monde séculier : les deux imbriqués,
tissent une même étoffe, et pourtant distincts dans leurs pratiques
et leurs prérogatives.
L'apprentissage historique de l'Europe a été celui de la séparation
du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Contre la tentation de
confondre les deux ordres dans un pouvoir absolu, chacun de nos
pays a trouvé une voie pour séparer deux idéaux, celui de la Cité
de Dieu et celui de la cité des hommes. C'est ce qui a permis aux
autres religions que le christianisme, notamment le judaïsme et
l'islam, de trouver leur place. C'est ce qui permet aujourd'hui à
chaque citoyen notre Europe, de pratiquer sa religion avec la même
liberté et dans le même respect de l'ordre public.
L'Europe doit être aussi capable de regarder son histoire en face :
notre mémoire portera à jamais le souvenir des tranchées de
1914-1918 et des camps de la mort. Que cela soit une incitation à
nous tourner sans cesse vers le meilleur de l'esprit européen : la
capacité à avancer toujours, animés par le doute et par l'esprit
critique, la volonté de s'ouvrir aux autres, de nouer des liens avec
tous les continents. En 1934, lorsque Thomas Mann perd l'un de ses
meilleurs amis, Sammi Fischer, qui était également son éditeur, il
se rappelle une conversation qu'il avait eue avec lui sur une tierce
personne : « Ce n'est pas un Européen » lui avait dit Fischer. « Pas
un Européen ? » s'était étonné Thomas Mann. « Il ne comprend rien
aux grandes idées humaines » lui avait répondu Fischer.
3. Forts de ces choix, que nous avons faits historiquement et que
nous faisons au quotidien, nous avons aujourd'hui une chance
européenne à saisir
Nous avons des atouts que nous ne devons pas oublier :
L'Europe a toujours été capable de surmonter les crises qu'elle a
connues. Lorsque le projet de Communauté européenne de défense
échoue en 1954, plus personne ne parie sur l'Europe : et pourtant
elle se reconstruit, comme par surprise, sur une base économique.
Lorsque le Royaume-Uni intègre la Communauté européenne,
beaucoup estiment que les ambitions politiques de l'Europe vont s'en
trouver amoindries : et pourtant quelques années plus tard, sous
l'impulsion de Tony BLAIR, le Royaume-Uni se retrouve avec la
France à l'origine d'une avancée majeure dans le domaine de la
défense européenne. Lorsque les pays du sud rejoignent la
Communauté européenne au début des années 80, chacun redoute
un appauvrissement de l'ensemble des Etats membres : et pourtant
l'Espagne, le Portugal, la Grèce participent aujourd'hui pleinement
au dynamisme économique de l'Union. Cette capacité à déjouer les
prévisions, à créer la surprise, cette perpétuelle insatisfaction
créatrice qui pousse toujours l'Europe vers l'avant, c'est aussi notre
Europe.
Et puis, nous venons de faire ensemble des avancées concrètes :
nous avons réussi à nous mettre d'accord sur le budget de l'Union,
en particulier sur le financement de l'élargissement. Les nouveaux
pays membres font partie, pleinement partie de notre famille
européenne. Les aider à s'y intégrer rapidement et pleinement c'est
dans l'intérêt de tous. Et c'est bien cette conviction qui l'a emporté
sur les considérations économiques et sur les contraintes
budgétaires. Je sais que la présidence autrichienne est d'ores et
déjà mobilisée autour de Wolfgang SCHUSSEL, pour organiser le
rendez-vous essentiel du Conseil européen de juin prochain. Comme
l'a souhaité le Président de la République, ce sera l'occasion
d'avancer sur l'avenir de l'Europe et de ses institutions, ainsi que sur
l'élargissement. La France fera tout pour que cette échéance se
traduise par des avancées concrètes pour l'Europe.
Enfin l'Europe continue de marquer des points : parce qu'elle a
défendu ses intérêts de manière unie, elle accueille le centre de
recherche ITER qui permet d'explorer le développement de l'énergie
du futur. Il y a quelques semaines, nous avons lancé un projet
essentiel pour l'indépendance et la force de notre continent :
Galileo. Avec lui, l'Europe va disposer de son propre système de
satellite de navigation. C'est la preuve que l'Europe peut marquer
des points dans les grands domaines d'avenir.
Nous devons maintenant trouver le meilleur moyen d'avancer à
Vingt-Cinq.
Quel sera l'avenir du Traité ? Cette question nous concerne tous.
Autant que le vote des Néerlandais et des Français, nous devons
bien sûr prendre en compte le vote des 13 Etats qui ont déjà ratifié
le texte. Je comprends Angela MERKEL qui ne souhaite pas
renoncer à un traité que le Bundestag et le Bundesrat ont ratifié.
Nombreuses sont les questions posées. Comment devons-nous
avancer sur le plan institutionnel ? Jusqu'où devons-nous aller dans
une ambition constitutionnelle éventuellement enrichie ? L'urgence,
c'est que l'Europe puisse se doter des institutions qui lui
permettront de fonctionner correctement à 25. En 2006, nous
devons aller le plus loin possible dans la réflexion et prendre toutes
les décisions nécessaires. Soyons exigeants, soyons ambitieux. Mais
soyons pragmatiques, soucieux de défendre l'intérêt général
européen. La France, sous l'autorité du Président de la République,
Jacques CHIRAC, prendra bien sûr toutes ses responsabilités dans ce
domaine. Il nous faut naturellement prendre en compte les
contraintes et les volontés des différents Etats, respecter les
aspirations de nos peuples. Cela exige, vous l'imaginez, beaucoup
de travail, mais aussi de l'imagination. Nous avons des rendez-vous
importants au cours des prochains mois : le 23 janvier le Président
de la République accueillera la Chancelière à Versailles, le 14 mars
se tiendra à Berlin le Conseil franco-allemand avant les Conseils
européens de mars et de juin. Et le travail se poursuivra en 2007
sous l'impulsion de la présidence allemande : la France et
l'Allemagne ont joué, vous l'avez rappelé, Monsieur Pernis (phon) un
rôle décisif dans l'élaboration du projet de Constitution, préparé
sous l'impulsion du Président Giscard d'Estaing. Cela restera le cas
dans cette nouvelle étape.
Quelle que soit la solution que nous retiendrons, elle devra à mon
sens respecter trois principes essentiels :
Le premier principe c'est de préserver l'originalité des institutions
communautaires, institutions qui ont fait leurs preuves, après plus
de 50 ans de fonctionnement. Cela implique en particulier que
l'Europe n'intervienne que lorsqu'elle peut faire mieux que chacun
des Etats seul dans tel ou tel domaine.
Le deuxième principe c'est de renforcer le rôle des Parlements
nationaux : ils ne doivent pas devenir de simples chambres
d'enregistrement pour les textes européens. Nous devons davantage
les associer au débat.
Le troisième principe, c'est d'accroître notre capacité à peser sur le
jeu international. C'était tout le sens des avancées proposées par le
projet de constitution, notamment avec la désignation d'un Ministre
Européen des Affaires Etrangères. Dans le cadre des traités
existants, donnons-nous les moyens d'une politique étrangère
européenne plus forte. Choisissons des zones prioritaires pour son
action, y compris dans le domaine de la défense : les Balkans, le
Moyen-Orient, autant d'exemples. Mutualisons nos moyens, par
exemple dans le domaine de la protection consulaire.
4. Pour avancer dans cette direction, nous pouvons nous appuyer
sur le socle franco-allemand
Depuis le temps du chancelier ADENAUER et du général de GAULLE,
depuis le traité de l'Elysée, la relation franco-allemande a toujours
été au c?ur des avancées européennes. A travers une politique
dynamique d'échanges, soutenue par l'Office franco-allemand de la
Jeunesse, la France et l'Allemagne ont contribué à faire naître une
conscience européenne. Nos villes, nos écoles, nos universités, nos
entreprises, nos grandes institutions culturelles n'ont cessé de tisser
des liens de plus en plus forts. A travers leur étroite collaboration,
nos deux pays ont ?uvré pour construire une Europe plus juste et
plus unie. La relation franco-allemande a toujours joué un rôle
moteur dans la construction européenne. Elle doit continuer à le
jouer, dans l'esprit de communauté qui anime désormais nos deux
peuples.
Mais dans une Europe élargie, nous devons aller plus loin. Nous
devons renouer avec le pragmatisme et relever les grands défis à
venir : c'est en donnant au projet Européen un visage concret,
tangible accessible à tous que nous pourrons avancer. Ce projet
doit être ouvert à tous. C'est comme cela que nous pourrons
convaincre, associer et entraîner tous les autres Etats qui font
aujourd'hui la richesse et la force de notre projet politique : je
pense en particulier à tous les pays qui nous ont rejoints
récemment et dont l'imagination et la détermination sont autant
d'atouts pour l'Europe.
La France et l'Allemagne doivent donc être au coeur d'une véritable
Europe des projets :
Dans le domaine de la sécurité d'abord : la France, l'Allemagne,
l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni unissent déjà leurs efforts pour
lutter contre les trafics, l'immigration clandestine ou encore le
terrorisme. C'est une première étape qui pourrait être étendue à
d'autres pays, et notamment la Pologne. Pourquoi ne pas aller plus
loin, vers une vraie police européenne ? L'Allemagne et la France
pourraient ainsi avancer les premières en créant une police
franco-allemande des frontières. Des moyens identifiés de chaque
côté seraient mobilisables sans délai en cas de crise, par exemple
face à un afflux soudain d'immigrants irréguliers. Pour la définition
d'une liste des pays sûrs, pour le regroupement familial, pour les
reconduites à la frontière, pourquoi ne pas davantage partager nos
expériences ?
Dans le domaine universitaire : nous faisons déjà beaucoup,
notamment à travers l'université franco-allemande. Mais il faut aller
plus loin. En France, nous avons déjà réfléchi à de nouvelles formes
de coopération scientifique. Choisissons de resserrer nos liens et de
renforcer nos coopérations pour obtenir la taille critique dont nous
avons besoin face aux autres grandes puissances. Pourquoi ne pas
envisager, dans le cadre de l'université franco-allemande, de
mettre en réseau nos capacités de recherche, pour créer un pôle
franco-allemand de technologie ? Par ailleurs, nous devons favoriser
les échanges entre étudiants, davantage. Pourquoi ne pas se fixer
comme objectif que tous les étudiants européens aient la possibilité
d'effectuer une année d'études dans un autre pays de l'Union ? A
plus court terme, pourquoi ne pas doubler le nombre des bourses
Erasmus ?
Dans le domaine économique : l'Europe doit redevenir l'un des
moteurs de la croissance mondiale. La France et l'Allemagne ont
fait le choix de maintenir une industrie forte à l'heure où certains
pays se concentrent quasi exclusivement sur le secteur des services.
Aujourd'hui nous devons conserver et moderniser nos atouts dans ce
domaine. Concertons-nous sur nos priorités et sur les
rapprochements possibles. Ce sera l'un des axes du prochain conseil
franco-allemand. Cela implique également de créer un
environnement toujours plus favorable aux entreprises : et c'est
pourquoi nous souhaitons que le travail engagé sur une base
harmonisée de l'impôt sur les sociétés puisse aboutir rapidement à
des décisions concrètes, si possible sous présidence autrichienne,
entre les Etats membres les plus déterminés. Cela implique aussi de
rassembler davantage nos capacités afin de peser face à la
concurrence internationale. Cela suppose enfin que les acteurs
publics se mobilisent pour favoriser les projets les plus stratégiques.
Surtout, nous devons nous concerter davantage, compte tenu des
exigences de la nouvelle gouvernance économique et sociale. Nous
avons une monnaie commune. Nous avons des liens commerciaux
forts. Nous avons des intérêts communs. Nous faisons face aux
mêmes défis : comment renouer avec une croissance plus
dynamique ? Comment financer notre système de protection sociale
? Rencontrons-nous régulièrement pour mieux coordonner les choix
que nous faisons.
Dans le domaine de la santé : l'Europe doit se protéger face aux
risques d'épidémie, et notamment aujourd'hui la grippe aviaire qui
est arrivée à ses portes. Pour mettre en ?uvre le principe de
précaution et pour protéger nos concitoyens, nous devons être
capables d'adopter rapidement les mesures de prévention
nécessaires reposant sur des avis scientifiques. C'est pourquoi je
propose que l'Europe se dote d'une véritable force d'intervention
"grippe aviaire", avec des experts toujours disponibles, prêts à se
rendre sans délai sur les nouveaux foyers, en liaison avec les
organisations internationales compétentes, pour expertiser la
menace et pour recommander les mesures propres à éviter la
propagation. Commençons par établir une première réserve
d'experts français et allemands : nous proposerons à nos
partenaires européens de s'y associer.
Enfin, l'Europe doit relever deux défis essentiels pour son avenir :
Le défi de l'après-pétrole. Les tensions récentes entre la Russie et
l'Ukraine, la situation de l'Iran nous rappellent que nous devons plus
que jamais garantir l'indépendance énergétique de l'Union. Nous
devons avoir une vraie politique énergétique européenne.
Concertons-nous sur les meilleurs instruments d'une telle politique.
Nous présenterons prochainement un mémorandum français sur
l'énergie, conformément à ce qu'avait annoncé le Président Chirac à
Hampton Court.
Le défi de la recherche ensuite : notre objectif doit être de devenir
le premier espace de recherche et d'innovation dans le monde.
Nous devons proposer de nouvelles solutions pour trouver des
ressources complémentaires destinées à la recherche, à l'innovation
ou au développement, par exemple par le moyen d'un emprunt de
la Banque européenne d'investissement. Une facilité de 10 milliards
d'euros a été décidée en décembre. Mettons-la en ?uvre le plus
rapidement possible. Dans les domaines d'avenir comme le
numérique, l'Europe doit anticiper les grands enjeux. C'est pourquoi
le projet de bibliothèque numérique européenne constitue un
chantier majeur pour préserver l'indépendance de notre continent.
Misons sur une numérisation qui se fera dans la diversité de nos
langues. Dans ce nouveau contexte, il est de bon sens de penser
que la mise en ligne des ?uvres de Victor Hugo doit être faite par
les Français, celles de Goethe par les Allemands et celles de
Cervantès par les Espagnols.
Je propose que nous nous retrouvions afin de définir les projets que
la France et l'Allemagne pourraient lancer ensemble pour les
proposer ensuite à leurs partenaires.
Mesdames, Messieurs, Chars amis,
Le moteur de l'Europe a toujours été l'audace : qu'il s'agisse de la
réconciliation franco-allemande, qu'il s'agisse de la construction
d'une forme politique nouvelle et inédite, ou encore de la mise en
place d'une monnaie unique, l'Europe n'a cessé d'inventer,
d'imaginer et de recomposer la réalité. Elle a su le faire grâce à ce
mélange de pragmatisme et d'utopie qui a toujours caractérisé le
projet européen.
Malgré les obstacles auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés,
l'histoire européenne n'est pas terminée. Tout simplement parce
l'idéal dont nous sommes les porteurs est plus que jamais
d'actualité. Dans un monde en plein bouleversement, nous avons la
chance d'avoir des valeurs, des repères, des exigences que nous
portons depuis plusieurs siècles :
L'exigence de solidarité, dans un monde où les écarts entre riches
et pauvre se creusent et deviennent facteur d'insécurité.
L'exigence d'équilibre entre croissance économique et justice
sociale.
L'exigence du droit international et du multilatéralisme, comme
seul fondement possible des relations entre les Etats.
L'exigence du respect des peuples et des identités, qui s'affirment
de plus en plus, à mesure que la mondialisation tend à uniformiser
les cultures.
Une conscience universelle est en train de naître : vous le savez
mieux que quiconque, vous qui partagez avec la jeunesse du monde
entier les mêmes inquiétudes sur l'avenir de notre planète, mais
aussi les mêmes aspirations à la paix, au dialogue et à la justice.
Ces aspirations, l'Europe a une responsabilité particulière pour les
défendre et les faire vivre. Car elles sont au coeur du rêve
européen qui vit en chacun de nous.
A nous de savoir nous rassembler pour franchir une nouvelle étape
dans la construction européenne. Pas une étape de plus, car il
s?agit bien de réconcilier le projet européen avec les attentes de
nos concitoyens. A nous de construire, comme le dit l'un de vos
grands intellectuels, Peter SLOTERDIJK "une Europe capable de
saisir les possibilités que lui offre le monde à cet instant près, une
Europe qui croit son imagination politique en mesure d'accomplir ce
geste historique et fondateur". A nous de mettre notre expérience
et notre conscience européenne au service de l'humanité. Je vous remercie.
Cher monsieur Pernis (phon)
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Permettez-moi d'abord de commencer et d'introduire mon bref
discours en vous disant tout le plaisir que j'ai d'être ici, à Berlin, qui
est la ville symbole d'une Europe réconciliée et tournée vers l'avenir.
Permettez-moi également de vous dire le plaisir que j'ai, et
l'honneur, d'être devant vous dans cette grande université placée
sous la figure ou les figures tutélaires de Wilhelm, mais aussi
d'Alexandre de Humboldt, vous l'avez dit, monsieur le président,
savant, voyageur, diplomate qui, entre Berlin et Paris, incarne à lui
tout seul un véritable idéal européen.
Le nom même d'Humboldt est très associé - je vous livre ceci en
guise de souvenir personnel - à ma vie d'enfant, puisque, quand
j'avais sept ans, j'habitais à Caracas, en Amérique latine, et la ville
de Caracas est une ville qui est au fond d'une vallée, entourée de
montagnes. Et sur la plus haute de ces montagnes, il y a un hôtel
qui s'appelle l'hôtel Humboldt et on accède à l'hôtel Humboldt
uniquement par un téléphérique. Et pour moi tout enfant,
Humboldt était déjà associé au pic, le pic de la connaissance, celui
que vous avez la chance, au quotidien, de découvrir, ce pic
merveilleux qui fait que tous les jours, des hommes et des
femmes, comme vous, s'attellent à chercher à apprendre plus, et
surtout, à devenir meilleurs. C'est bien l'objectif que nous nous
fixons, tous, comme Européens.
Encore ce matin en Conseil des ministres, le Président de la
République, qui a récemment reçu votre Chancelière, Angela
MERKEL, a insisté sur l'importance de la relation entre nos deux
Etats, entre nos deux peuples, qui, vous le savez, sont au c?ur de
notre construction européenne. Et il m'a redit avant de venir ici
vous rencontrer tout le rôle que nos deux pays devaient jouer face
aux défis actuels.
Car nous sommes tous témoins, acteurs, d'un temps de grand
changement, un temps de questions mais aussi d'interrogations
profondes. Je ne suis donc pas venu - et en vous écoutant,
monsieur Pernis, je me réjouissais d'avoir fait un choix... Je ne
suis pas venu, dans la tradition cartésienne, je ne suis pas venu
avec une vision achevée de l'Europe ; je ne suis pas venu avec le
maigre bagage qui est le mien de juriste, très humblement et avec
beaucoup de souci de pragmatisme, pour avancer avec vous,
partager avec vous quelques questions et quelques convictions.
Aujourd'hui - et c'est ma première conviction -, nous avons moins
besoin d'un esprit de système en Europe que de persévérance,
d'humilité et peut-être aussi d'imagination.
En effet, notre horizon européen est troublé
En moins de cinq ans, notre continent a connu trois chocs successifs
:
La division des Etats lors de la crise irakienne, qui a mis en
évidence les limites politiques de l'Europe face à une grande crise
internationale. Et cela a été une épreuve pour nous tous.
Deuxième défi, deuxième choc, le terrorisme islamiste, qui a
frappé Madrid puis Londres et qui a souligné notre vulnérabilité
face à une menace nouvelle.
Et puis, le rejet du projet de Constitution par deux pays
fondateurs, la France et les Pays-Bas.
Ces chocs ont été ressentis d'autant plus durement que l'Europe a,
dans le même temps, connu des changements profonds :
Elle a été profondément secouée par la mondialisation. Les
délocalisations rapides d'un certain nombre de nos industries, la
tendance à l'uniformisation de nos modes de vie, la remise en cause
de nos équilibres sociaux : voilà les défis importants auxquels nous
faisons face. Nous vivions dans l'idée, dans l'espoir peut-être, d'une
coopération toujours plus grande entre les nations et entre les
peuples. Et nous constatons que nous ne sommes pas sortis de la
concurrence entre les Etats.
Et bien sûr l'Europe a dû assimiler un élargissement sans précédent
qui lui permettait de retrouver enfin son unité, mais qui
représentait également un véritable pari économique, un pari
social, un pari culturel. Ici, à Berlin, chacun d'entre nous peut
mesurer ce que représentent les années de réconciliation et de
courage que nous venons de vivre.
Tous ces changements, tous ces défis, ont nourri à la fois des
interrogations et des doutes :
Des interrogations sur la place de l'Europe dans le monde : est-elle
encore en mesure de jouer un rôle majeur face à des ensembles
régionaux qui affirment chaque jour davantage leur puissance ?
A-t-elle, cette Europe, véritablement un caractère singulier et des
valeurs propres à défendre ?
Mais il y a aussi des interrogations sur le fonctionnement même de
notre Europe : comment l'Europe peut-elle répondre aux attentes
de citoyens qui, pour la première fois, semblent marquer leur
scepticisme et leur doute face à la construction européenne ?
Comment peut-elle garantir la légitimité de décisions qui semblent
toujours plus complexes, et parfois même éloignées des
préoccupations concrètes des peuples ?
Et enfin, il y a des doutes sur un élargissement qui progresse à un
rythme plus rapide que l'approfondissement, et notamment
l'approfondissement institutionnel, si bien que l'Europe donne le
sentiment de croître, de s'agrandir, sans avoir les moyens
institutionnels d'agir et de décider.
Ces questions, elles sont communes à tous les peuples européens ou
en tout cas à bien des peuples européens. Mais elles se sont posées,
c'est vrai, avec une acuité particulière dans mon pays, en France.
Nous défendons un modèle économique équilibré, un modèle qui
repose à la fois sur une industrie compétitive, sur une agriculture
moderne et sur le développement des services. L'impression a
dominé, en France, que l'Europe ne nous protégeait pas
suffisamment contre les conséquences de la mondialisation. Les
délocalisations, les fermetures d'usines, les licenciements sont
apparus comme une fatalité à laquelle l'Europe n'apportait pas assez
de réponse.
Nous avons également des exigences sociales fortes, des exigences
que les Français ont craint de voir fragilisées ; je pense en
particulier au niveau de protection des salariés, mais aussi aux
services publics. Vous me permettrez d'insister un peu sur ce
dernier point. Les services publics ne sont pas pour nous un mode
de gestion des activités comme un autre. Ils représentent une
garantie d'impartialité et de défense de l'intérêt général auquel
nous sommes attachés. Ils ont évolué, nous ne cessons de les
moderniser, mais ils restent une part essentielle de notre identité
nationale.
Comme tous les peuples européens, nous sommes un peuple
politique : rien n'est plus important à nos yeux que la légitimité
démocratique des décisions qui engagent la vie de chacun. Or
depuis plusieurs années, nombre de décisions européennes n'ont pas
toujours été bien comprises. Qui décide, au nom de quels
principes, avec quel objectif, voilà les questions récurrentes
auxquelles il faudra désormais répondre.
Enfin, la France est très attachée à l'idée de nation : elle a une
mémoire, elle a une histoire, dont elle a pu craindre qu'elles ne
s'effacent dans un ensemble européen aux contours trop imprécis.
Cette crainte particulière a cristallisé les doutes de notre pays et
produit en grande partie le vote du 29 mai. La France - c'est ma
conviction - n'a pas dit "non" à l'Europe. Elle a dit "non" à une
Europe dont elle ne comprenait plus la vocation et où elle ne savait
plus imaginer ni son rôle, ni sa place.
Alors, pour retrouver un cap, nous avons aujourd'hui des choix
communs à faire
Il y a d'abord le choix d'une ambition, à laquelle nous devons être
fidèles :
L'ambition politique européenne est immense : trouver l'équilibre
entre des mémoires multiples et un devenir commun. En Europe,
les racines de chacun doivent s'accorder avec la volonté de tous, les
nations singulières doivent entrer dans un projet politique partagé.
Et par un étrange paradoxe - ou ce que les philosophes allemands
que vous étudiez appelleraient une ruse de l'histoire - l'un des plus
vieux des continents du monde a fait le choix d'une aventure
politique d'une modernité sans précédent. Ce choix de l'invention,
de l'audace, est à l'origine de toute l'aventure européenne : il vaut
ordre de mission pour les décennies à venir. En effet, conjuguer
chacune des nations de l'Europe, chacun des États de l'Europe, avec
un projet commun, c'est une entreprise qui n'a jamais été engagée
nulle part dans le monde. Nous ne sommes pas dans une fédération
classique, nous ne sommes pas dans une confédération classique, il
s'agit bien d'Etats constitués, d'Etats souverains qui décident, à un
moment donné d'unir leurs volontés, de partager certaines
souverainetés et de défendre un idéal commun. Cette histoire-là,
elle n'a jamais été écrite et c'est cella que nous voulons écrire
ensemble. Et je crois que si nous ne mesurons pas l'incroyable
ambition que cela constitue, nous ne pouvons comprendre le
nombre et l'importance des obstacles qui peuvent surgir sur le
chemin, mais aussi la volonté dont nous devons faire preuve au
quotidien.
Nous ne réussirons que si nous nous appuyons sur des nations fortes
et confiantes en elles-mêmes. Ce sont elles qui constituent le
premier pilier démocratique de notre Union. Nous devons donc
définir une nouvelle relation entre l'Europe et les nations qui la
composent. Avec la fédération des États Nations, nous disposons
sans doute du cadre le plus approprié pour avancer dans un partage
raisonnable des souverainetés nationales.
Il y a aussi le choix, compliqué, des frontières, que nous avons trop
longtemps repoussé :
Il y a aujourd'hui trois critères essentiels à l'adhésion :
l'appartenance européenne des pays candidats, la reprise des
valeurs et des règles de l'Union, mais aussi la capacité d'absorption
de l'Europe. Ce dernier critère permet d'affirmer que l'Union n'a pas
aujourd'hui vocation à s'étendre indéfiniment. Regardons donc
sereinement où nous en sommes aujourd'hui.
Pour ce qui est de la Bulgarie et de la Roumanie, nous souhaitons
qu'elles nous rejoignent le plus vite possible sur la base des
prochaines recommandations de la Commission. Les Balkans ont
toujours été à la charnière entre l'Orient et l'Occident. Ils ont
toujours été un lieu de passage et de rencontre, mais aussi un lieu
de tensions et d'instabilité pour l'Europe. Le choix que nous avons
fait et que nous devons maintenir, c'est que les Balkans entrent
dans l'Union sous réserve du respect scrupuleux des conditions de
l'adhésion. Pour les autres, chacun au rythme qui devra être le sien,
la perspective de l'adhésion facilitera la stabilité et les réformes.
En ce qui concerne la Turquie, l'ouverture des négociations
d'adhésion est une décision politique majeure qui prend acte des
changements géostratégiques de la région et des efforts de la
Turquie. C'est un décision qui doit être maîtrisée à chaque étape :
les citoyens européens devront être tenus informés régulièrement
de l'évolution des négociations. C'est une décision qui doit être
conditionnée au respect des critères fixés par la Conseil européen
et à la capacité de l'Union, et à cet égard, je me réjouis que le
Parlement européen ait réaffirmé qu'il ne pourrait y avoir d'autres
élargissements tant que nos institutions n'auront pas été adaptées.
C'est une décision enfin dont l'issue doit rester ouverte jusqu'au
terme des négociations. En France, vous le savez, par la décision
du président de la République, le dernier mot reviendra aux
Français par voie de référendum.
Plus généralement, nous devons engager rapidement une réflexion
sur la stratégie globale d'élargissement de l'Union, sur son rythme
et ses conditions. Il n'existe aucun droit naturel, aucun droit
historique à entrer dans l'Union. Et la promesse de l'élargissement
ne peut pas être le seul instrument de stabilisation des régions
voisines de l'Europe. En revanche, il est de son devoir de proposer
aux pays voisins des partenariats ambitieux et généreux, qui ne se
limitent pas à de simples accords de libre échange.
Enfin, il y a le choix d'une volonté. Car pour tous les citoyens
européens, la question est bien : que peut et que veut faire
l'Europe aujourd'hui et dans les années à venir ? Pour ma part, je
voudrais vous faire part de trois convictions simples.
Ma première conviction, c'est qu'il existe un devoir européen. Face
aux crises régionales actuelles, aux risques de pandémie, aux
menaces sur la paix et sur le droit, l'Europe ne peut pas attendre.
Aucun autre Etat, aucun autre ensemble régional ne prendra cette
responsabilité à notre place : la défense de l'environnement,
l'engagement dans la crise nucléaire iranienne, la bataille pour la
non-prolifération, l'aide aux populations les plus pauvres, en Afrique
et ailleurs, voilà autant de défis sur lesquels l'Europe est en
première ligne et les enjeux sont immenses. C'est notre honneur d'y
répondre ensemble. Et pour cela, nous devons nous appuyer sur des
relations approfondies et renouvelées avec nos grands partenaires :
les Etats-Unis bien sûr, mais aussi la Russie, la Chine, l'Inde ou le
Brésil.
Ma deuxième conviction, c'est que l'Europe a un modèle social et
économique à défendre face à la mondialisation. Par-delà nos
différences, il y a bien une spécificité européenne : l'importance
accordée à la protection des salariés, l'équilibre entre dynamisme
économique et solidarité, la défense de l'accès pour tous à la santé
et à l'éducation. Ces valeurs, elles sont au c?ur de nos traditions
sociales, et ce depuis les systèmes de sécurité sociale lancés par
BISMARCK et développés par BEVERIDGE. A nous trouver le moyen
de les adapter à un nouveau contexte économique. C'est comme
cela que nous mettrons sur pied une véritable doctrine européenne
de la mondialisation, que les autres peuples attendent.
Enfin, troisième conviction : l'Europe doit mieux défendre les
intérêts de ses citoyens et de ses entreprises. Et c'est pour cela,
même si le terme est parfois mal compris, que j'insiste sur la
nécessité d'un véritable patriotisme européen : il ne s'agit pas de se
replier derrière un protectionnisme qui est bien sûr dépassé. Il
s'agit au contraire de rassembler nos forces, d'unir nos efforts pour
aller dans le même sens et affirmer sans faiblesse nos intérêts dans
le monde. La préférence européenne, qui est un des principes
fondateurs de l'Europe, a encore un sens : elle nous rappelle à nos
devoirs à l'égard de chacun de nos concitoyens.
En faisant ces choix, nous ferons davantage que retrouver un cap :
nous affirmerons une identité européenne. Car oui, c'est ma
conviction, l'Europe a des racines. Oui, il y a et il existe un
humanisme européen. Oui, il existe des valeurs européennes : nous
en sommes les porteurs et les dépositaires.
La diversité de notre civilisation fait sa richesse : de l'antiquité
grecque nous avons hérité l'attachement au rationalisme, de Rome
une certaine vision de l'organisation politique et du droit ; de la
Renaissance et des Lumières, nous avons hérité le goût de la
tolérance, de l'innovation et de la découverte. Et je n'oublie pas cet
espace dessiné par nos cathédrales, romanes, gothiques, baroques.
Je n'oublie pas les universités qui, de Bologne à Paris, de
Salamanque à Prague et à Uppsala, ont dessiné les contours de
l'Europe. Monde religieux, monde séculier : les deux imbriqués,
tissent une même étoffe, et pourtant distincts dans leurs pratiques
et leurs prérogatives.
L'apprentissage historique de l'Europe a été celui de la séparation
du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Contre la tentation de
confondre les deux ordres dans un pouvoir absolu, chacun de nos
pays a trouvé une voie pour séparer deux idéaux, celui de la Cité
de Dieu et celui de la cité des hommes. C'est ce qui a permis aux
autres religions que le christianisme, notamment le judaïsme et
l'islam, de trouver leur place. C'est ce qui permet aujourd'hui à
chaque citoyen notre Europe, de pratiquer sa religion avec la même
liberté et dans le même respect de l'ordre public.
L'Europe doit être aussi capable de regarder son histoire en face :
notre mémoire portera à jamais le souvenir des tranchées de
1914-1918 et des camps de la mort. Que cela soit une incitation à
nous tourner sans cesse vers le meilleur de l'esprit européen : la
capacité à avancer toujours, animés par le doute et par l'esprit
critique, la volonté de s'ouvrir aux autres, de nouer des liens avec
tous les continents. En 1934, lorsque Thomas Mann perd l'un de ses
meilleurs amis, Sammi Fischer, qui était également son éditeur, il
se rappelle une conversation qu'il avait eue avec lui sur une tierce
personne : « Ce n'est pas un Européen » lui avait dit Fischer. « Pas
un Européen ? » s'était étonné Thomas Mann. « Il ne comprend rien
aux grandes idées humaines » lui avait répondu Fischer.
3. Forts de ces choix, que nous avons faits historiquement et que
nous faisons au quotidien, nous avons aujourd'hui une chance
européenne à saisir
Nous avons des atouts que nous ne devons pas oublier :
L'Europe a toujours été capable de surmonter les crises qu'elle a
connues. Lorsque le projet de Communauté européenne de défense
échoue en 1954, plus personne ne parie sur l'Europe : et pourtant
elle se reconstruit, comme par surprise, sur une base économique.
Lorsque le Royaume-Uni intègre la Communauté européenne,
beaucoup estiment que les ambitions politiques de l'Europe vont s'en
trouver amoindries : et pourtant quelques années plus tard, sous
l'impulsion de Tony BLAIR, le Royaume-Uni se retrouve avec la
France à l'origine d'une avancée majeure dans le domaine de la
défense européenne. Lorsque les pays du sud rejoignent la
Communauté européenne au début des années 80, chacun redoute
un appauvrissement de l'ensemble des Etats membres : et pourtant
l'Espagne, le Portugal, la Grèce participent aujourd'hui pleinement
au dynamisme économique de l'Union. Cette capacité à déjouer les
prévisions, à créer la surprise, cette perpétuelle insatisfaction
créatrice qui pousse toujours l'Europe vers l'avant, c'est aussi notre
Europe.
Et puis, nous venons de faire ensemble des avancées concrètes :
nous avons réussi à nous mettre d'accord sur le budget de l'Union,
en particulier sur le financement de l'élargissement. Les nouveaux
pays membres font partie, pleinement partie de notre famille
européenne. Les aider à s'y intégrer rapidement et pleinement c'est
dans l'intérêt de tous. Et c'est bien cette conviction qui l'a emporté
sur les considérations économiques et sur les contraintes
budgétaires. Je sais que la présidence autrichienne est d'ores et
déjà mobilisée autour de Wolfgang SCHUSSEL, pour organiser le
rendez-vous essentiel du Conseil européen de juin prochain. Comme
l'a souhaité le Président de la République, ce sera l'occasion
d'avancer sur l'avenir de l'Europe et de ses institutions, ainsi que sur
l'élargissement. La France fera tout pour que cette échéance se
traduise par des avancées concrètes pour l'Europe.
Enfin l'Europe continue de marquer des points : parce qu'elle a
défendu ses intérêts de manière unie, elle accueille le centre de
recherche ITER qui permet d'explorer le développement de l'énergie
du futur. Il y a quelques semaines, nous avons lancé un projet
essentiel pour l'indépendance et la force de notre continent :
Galileo. Avec lui, l'Europe va disposer de son propre système de
satellite de navigation. C'est la preuve que l'Europe peut marquer
des points dans les grands domaines d'avenir.
Nous devons maintenant trouver le meilleur moyen d'avancer à
Vingt-Cinq.
Quel sera l'avenir du Traité ? Cette question nous concerne tous.
Autant que le vote des Néerlandais et des Français, nous devons
bien sûr prendre en compte le vote des 13 Etats qui ont déjà ratifié
le texte. Je comprends Angela MERKEL qui ne souhaite pas
renoncer à un traité que le Bundestag et le Bundesrat ont ratifié.
Nombreuses sont les questions posées. Comment devons-nous
avancer sur le plan institutionnel ? Jusqu'où devons-nous aller dans
une ambition constitutionnelle éventuellement enrichie ? L'urgence,
c'est que l'Europe puisse se doter des institutions qui lui
permettront de fonctionner correctement à 25. En 2006, nous
devons aller le plus loin possible dans la réflexion et prendre toutes
les décisions nécessaires. Soyons exigeants, soyons ambitieux. Mais
soyons pragmatiques, soucieux de défendre l'intérêt général
européen. La France, sous l'autorité du Président de la République,
Jacques CHIRAC, prendra bien sûr toutes ses responsabilités dans ce
domaine. Il nous faut naturellement prendre en compte les
contraintes et les volontés des différents Etats, respecter les
aspirations de nos peuples. Cela exige, vous l'imaginez, beaucoup
de travail, mais aussi de l'imagination. Nous avons des rendez-vous
importants au cours des prochains mois : le 23 janvier le Président
de la République accueillera la Chancelière à Versailles, le 14 mars
se tiendra à Berlin le Conseil franco-allemand avant les Conseils
européens de mars et de juin. Et le travail se poursuivra en 2007
sous l'impulsion de la présidence allemande : la France et
l'Allemagne ont joué, vous l'avez rappelé, Monsieur Pernis (phon) un
rôle décisif dans l'élaboration du projet de Constitution, préparé
sous l'impulsion du Président Giscard d'Estaing. Cela restera le cas
dans cette nouvelle étape.
Quelle que soit la solution que nous retiendrons, elle devra à mon
sens respecter trois principes essentiels :
Le premier principe c'est de préserver l'originalité des institutions
communautaires, institutions qui ont fait leurs preuves, après plus
de 50 ans de fonctionnement. Cela implique en particulier que
l'Europe n'intervienne que lorsqu'elle peut faire mieux que chacun
des Etats seul dans tel ou tel domaine.
Le deuxième principe c'est de renforcer le rôle des Parlements
nationaux : ils ne doivent pas devenir de simples chambres
d'enregistrement pour les textes européens. Nous devons davantage
les associer au débat.
Le troisième principe, c'est d'accroître notre capacité à peser sur le
jeu international. C'était tout le sens des avancées proposées par le
projet de constitution, notamment avec la désignation d'un Ministre
Européen des Affaires Etrangères. Dans le cadre des traités
existants, donnons-nous les moyens d'une politique étrangère
européenne plus forte. Choisissons des zones prioritaires pour son
action, y compris dans le domaine de la défense : les Balkans, le
Moyen-Orient, autant d'exemples. Mutualisons nos moyens, par
exemple dans le domaine de la protection consulaire.
4. Pour avancer dans cette direction, nous pouvons nous appuyer
sur le socle franco-allemand
Depuis le temps du chancelier ADENAUER et du général de GAULLE,
depuis le traité de l'Elysée, la relation franco-allemande a toujours
été au c?ur des avancées européennes. A travers une politique
dynamique d'échanges, soutenue par l'Office franco-allemand de la
Jeunesse, la France et l'Allemagne ont contribué à faire naître une
conscience européenne. Nos villes, nos écoles, nos universités, nos
entreprises, nos grandes institutions culturelles n'ont cessé de tisser
des liens de plus en plus forts. A travers leur étroite collaboration,
nos deux pays ont ?uvré pour construire une Europe plus juste et
plus unie. La relation franco-allemande a toujours joué un rôle
moteur dans la construction européenne. Elle doit continuer à le
jouer, dans l'esprit de communauté qui anime désormais nos deux
peuples.
Mais dans une Europe élargie, nous devons aller plus loin. Nous
devons renouer avec le pragmatisme et relever les grands défis à
venir : c'est en donnant au projet Européen un visage concret,
tangible accessible à tous que nous pourrons avancer. Ce projet
doit être ouvert à tous. C'est comme cela que nous pourrons
convaincre, associer et entraîner tous les autres Etats qui font
aujourd'hui la richesse et la force de notre projet politique : je
pense en particulier à tous les pays qui nous ont rejoints
récemment et dont l'imagination et la détermination sont autant
d'atouts pour l'Europe.
La France et l'Allemagne doivent donc être au coeur d'une véritable
Europe des projets :
Dans le domaine de la sécurité d'abord : la France, l'Allemagne,
l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni unissent déjà leurs efforts pour
lutter contre les trafics, l'immigration clandestine ou encore le
terrorisme. C'est une première étape qui pourrait être étendue à
d'autres pays, et notamment la Pologne. Pourquoi ne pas aller plus
loin, vers une vraie police européenne ? L'Allemagne et la France
pourraient ainsi avancer les premières en créant une police
franco-allemande des frontières. Des moyens identifiés de chaque
côté seraient mobilisables sans délai en cas de crise, par exemple
face à un afflux soudain d'immigrants irréguliers. Pour la définition
d'une liste des pays sûrs, pour le regroupement familial, pour les
reconduites à la frontière, pourquoi ne pas davantage partager nos
expériences ?
Dans le domaine universitaire : nous faisons déjà beaucoup,
notamment à travers l'université franco-allemande. Mais il faut aller
plus loin. En France, nous avons déjà réfléchi à de nouvelles formes
de coopération scientifique. Choisissons de resserrer nos liens et de
renforcer nos coopérations pour obtenir la taille critique dont nous
avons besoin face aux autres grandes puissances. Pourquoi ne pas
envisager, dans le cadre de l'université franco-allemande, de
mettre en réseau nos capacités de recherche, pour créer un pôle
franco-allemand de technologie ? Par ailleurs, nous devons favoriser
les échanges entre étudiants, davantage. Pourquoi ne pas se fixer
comme objectif que tous les étudiants européens aient la possibilité
d'effectuer une année d'études dans un autre pays de l'Union ? A
plus court terme, pourquoi ne pas doubler le nombre des bourses
Erasmus ?
Dans le domaine économique : l'Europe doit redevenir l'un des
moteurs de la croissance mondiale. La France et l'Allemagne ont
fait le choix de maintenir une industrie forte à l'heure où certains
pays se concentrent quasi exclusivement sur le secteur des services.
Aujourd'hui nous devons conserver et moderniser nos atouts dans ce
domaine. Concertons-nous sur nos priorités et sur les
rapprochements possibles. Ce sera l'un des axes du prochain conseil
franco-allemand. Cela implique également de créer un
environnement toujours plus favorable aux entreprises : et c'est
pourquoi nous souhaitons que le travail engagé sur une base
harmonisée de l'impôt sur les sociétés puisse aboutir rapidement à
des décisions concrètes, si possible sous présidence autrichienne,
entre les Etats membres les plus déterminés. Cela implique aussi de
rassembler davantage nos capacités afin de peser face à la
concurrence internationale. Cela suppose enfin que les acteurs
publics se mobilisent pour favoriser les projets les plus stratégiques.
Surtout, nous devons nous concerter davantage, compte tenu des
exigences de la nouvelle gouvernance économique et sociale. Nous
avons une monnaie commune. Nous avons des liens commerciaux
forts. Nous avons des intérêts communs. Nous faisons face aux
mêmes défis : comment renouer avec une croissance plus
dynamique ? Comment financer notre système de protection sociale
? Rencontrons-nous régulièrement pour mieux coordonner les choix
que nous faisons.
Dans le domaine de la santé : l'Europe doit se protéger face aux
risques d'épidémie, et notamment aujourd'hui la grippe aviaire qui
est arrivée à ses portes. Pour mettre en ?uvre le principe de
précaution et pour protéger nos concitoyens, nous devons être
capables d'adopter rapidement les mesures de prévention
nécessaires reposant sur des avis scientifiques. C'est pourquoi je
propose que l'Europe se dote d'une véritable force d'intervention
"grippe aviaire", avec des experts toujours disponibles, prêts à se
rendre sans délai sur les nouveaux foyers, en liaison avec les
organisations internationales compétentes, pour expertiser la
menace et pour recommander les mesures propres à éviter la
propagation. Commençons par établir une première réserve
d'experts français et allemands : nous proposerons à nos
partenaires européens de s'y associer.
Enfin, l'Europe doit relever deux défis essentiels pour son avenir :
Le défi de l'après-pétrole. Les tensions récentes entre la Russie et
l'Ukraine, la situation de l'Iran nous rappellent que nous devons plus
que jamais garantir l'indépendance énergétique de l'Union. Nous
devons avoir une vraie politique énergétique européenne.
Concertons-nous sur les meilleurs instruments d'une telle politique.
Nous présenterons prochainement un mémorandum français sur
l'énergie, conformément à ce qu'avait annoncé le Président Chirac à
Hampton Court.
Le défi de la recherche ensuite : notre objectif doit être de devenir
le premier espace de recherche et d'innovation dans le monde.
Nous devons proposer de nouvelles solutions pour trouver des
ressources complémentaires destinées à la recherche, à l'innovation
ou au développement, par exemple par le moyen d'un emprunt de
la Banque européenne d'investissement. Une facilité de 10 milliards
d'euros a été décidée en décembre. Mettons-la en ?uvre le plus
rapidement possible. Dans les domaines d'avenir comme le
numérique, l'Europe doit anticiper les grands enjeux. C'est pourquoi
le projet de bibliothèque numérique européenne constitue un
chantier majeur pour préserver l'indépendance de notre continent.
Misons sur une numérisation qui se fera dans la diversité de nos
langues. Dans ce nouveau contexte, il est de bon sens de penser
que la mise en ligne des ?uvres de Victor Hugo doit être faite par
les Français, celles de Goethe par les Allemands et celles de
Cervantès par les Espagnols.
Je propose que nous nous retrouvions afin de définir les projets que
la France et l'Allemagne pourraient lancer ensemble pour les
proposer ensuite à leurs partenaires.
Mesdames, Messieurs, Chars amis,
Le moteur de l'Europe a toujours été l'audace : qu'il s'agisse de la
réconciliation franco-allemande, qu'il s'agisse de la construction
d'une forme politique nouvelle et inédite, ou encore de la mise en
place d'une monnaie unique, l'Europe n'a cessé d'inventer,
d'imaginer et de recomposer la réalité. Elle a su le faire grâce à ce
mélange de pragmatisme et d'utopie qui a toujours caractérisé le
projet européen.
Malgré les obstacles auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés,
l'histoire européenne n'est pas terminée. Tout simplement parce
l'idéal dont nous sommes les porteurs est plus que jamais
d'actualité. Dans un monde en plein bouleversement, nous avons la
chance d'avoir des valeurs, des repères, des exigences que nous
portons depuis plusieurs siècles :
L'exigence de solidarité, dans un monde où les écarts entre riches
et pauvre se creusent et deviennent facteur d'insécurité.
L'exigence d'équilibre entre croissance économique et justice
sociale.
L'exigence du droit international et du multilatéralisme, comme
seul fondement possible des relations entre les Etats.
L'exigence du respect des peuples et des identités, qui s'affirment
de plus en plus, à mesure que la mondialisation tend à uniformiser
les cultures.
Une conscience universelle est en train de naître : vous le savez
mieux que quiconque, vous qui partagez avec la jeunesse du monde
entier les mêmes inquiétudes sur l'avenir de notre planète, mais
aussi les mêmes aspirations à la paix, au dialogue et à la justice.
Ces aspirations, l'Europe a une responsabilité particulière pour les
défendre et les faire vivre. Car elles sont au coeur du rêve
européen qui vit en chacun de nous.
A nous de savoir nous rassembler pour franchir une nouvelle étape
dans la construction européenne. Pas une étape de plus, car il
s?agit bien de réconcilier le projet européen avec les attentes de
nos concitoyens. A nous de construire, comme le dit l'un de vos
grands intellectuels, Peter SLOTERDIJK "une Europe capable de
saisir les possibilités que lui offre le monde à cet instant près, une
Europe qui croit son imagination politique en mesure d'accomplir ce
geste historique et fondateur". A nous de mettre notre expérience
et notre conscience européenne au service de l'humanité. Je vous remercie.