Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, sur le maintien de l'ordre public et la promotion de l'égalité des chances, notamment en matière d'emploi, dans les quartiers sensibles, Le Havre le 19 janvier 2006.

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Circonstance : Rencontre avec les représentants d'associations dans le quartier de la Mare Rouge, au Havre le 19 janvier 2006

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Lorsque j'ai dit à Paris que je venais au Havre pour me rendre dans
des quartiers sensibles, on m'a rétorqué que le Havre était une ville
sans problèmes. Voilà bien la preuve que la France ne se connaît
pas toujours elle même. Les problèmes, vous les connaissez,
puisque vous les vivez, ici dans le quartier de la Mare Rouge.
Des incidents sérieux, graves, se sont encore déroulés ici l'année
dernière. Ce quartier a connu de vraies violences: agressions,
trafics, courses poursuite, incendies, et même un homicide.
La police a fait beaucoup de bon travail en interpellant à chaque
fois des individus, qui pour la plupart ont été écroués. Je crois
qu'on peut dire sans se tromper que la création d'un conseil local de
sécurité de prévention de la délinquance, au Havre, a aussi
permis de faire beaucoup de choses. Je veux le redire devant vous
à Antoine Rufenacht, sans doute l'un des maires qui a le mieux
compris son rôle en matière de prévention.
Mais on ne peut pas dire qu'il ne se passe rien à la Mare Rouge, ni
hélas qu'on y vit bien. On y vit trop souvent avec des vols de
véhicules, du trafic de stupéfiants, du recel, et toutes les violences
qui vont avec. Je ne pense pas que les choses peuvent s'arranger
toutes seules.
Je vous propose une autre démarche. Faire du positif, résolument
et ouvertement, pour tous ceux qui le veulent. Mais être très
ferme avec ceux qui ne veulent rien, et qui préfèrent vivre du
fruit de la violence sur les plus faibles.
Faire du positif, c'est tout l'objet de la prévention de la
délinquance. Depuis trois ans, il se fait déjà beaucoup de choses.
Ce que je veux aujourd'hui c'est apporter une aide supplémentaire
de l'Etat totalement justifiée par les difficultés rencontrées et les
efforts que vous faites.
Je vous propose trois séries de mesures.
La première porte sur le cadre de vie. Il faut absolument faire en
sorte que votre cadre de vie ne soit plus à lui seul une source de
violence potentielle : ni les habitations, ni les transports. C'est
décisif, et cela tient à des mesures très concrètes.
Ici on n'a pas hésité à prendre des mesures très concrètes, telles
que l' enlèvement systématique et rapide des épaves de véhicules,
par la fourrière, qu'elles soient sur la voie publique ou sur le
domaine d'un bailleur social; ou l' aménagement de conteneurs à
ordures sécurisés sur plusieurs quartiers pour prévenir les
incendies. Résultat : plus aucun incendie de conteneurs. La ville a
aussi mené, et je tiens à le saluer, parce que c'est un sujet
sensible et souvent contesté, une politique volontariste d'utilisation
de la vidéosurveillance.
Dans les transports collectifs, le réseau de transport public est
équipé, avec la contribution financière de l'Etat, de 140 bus de mini
caméras dont l'effet est dissuasif. Le résultat, c'est qu' aucun mot
d'ordre de grève pour des raisons de sécurité n'a été lancé chez le
personnel depuis l'installation de ces caméras.

Sur la voie publique : la Ville du Havre s'est engagée dans un
programme important d'équipement de plus de cinquante caméras
sur cinq secteurs, dont 4 sensibles. Le quartier de la Mare Rouge
est équipé depuis le 20 décembre.
L'Etat va accompagner cet effort. J'annonce aujourd'hui que j'ai pu
d'ores et déjà obtenir un financement de cet équipement à hauteur
de 300 000 euros.

Un autre problème, très concret, se pose : le recrutement des
gardiens d'immeubles par les bailleurs ; et là aussi je veux que l'on
aille plus loin.

Les gardiens ont un rôle de proximité essentiel, et leur présence
peut bien souvent s'avérer déterminante pour rassurer les
personnes les plus vulnérables qui habitent dans ces quartiers.
Les bailleurs doivent normalement assurer la présence d'au moins
un gardien d'immeuble pour 100 habitants, en contrepartie d'une
exonération de taxe foncière. Ici, dans le quartier de la Mare
rouge, ce ratio est de 1 pour 350. Pourquoi ? Hélas pour des
raisons simples : les gardiens ont souvent peur d'habiter sur le site,
ils ont conscience d'exercer un métier dangereux pour lequel ils ne
sont ni assez formés, ni assez soutenus : en clair ils ont peur des
représailles s'ils font des remarques ou s'ils dénoncent des pratiques.
Il faut trouver une solution et voici ce que je propose : le préfet,
le procureur général de la cour d'appel, les bailleurs et la Mairie
vont signer tout à l'heure une charte pour que chacun, à son
niveau, s?engage à régler le problème :
Le parquet s?engage à ce que les faits délictueux soient dénoncés
dans des conditions de confidentialité absolues par les gardiens
d?immeubles. Pour être clair, nous veillons ainsi à ce qu'il n'y ait
plus de représailles, puisque pour le moment c'est la peur qui
règne. Et puis les délais de réaction seront raccourcis en particulier
dans le cas d'actes de vandalisme, afin que cesse le sentiment
d'impunité pour les uns, qui crée le sentiment d'insécurité pour les
autres ;
Les bailleurs, à qui il revient de tout faire pour assurer la sécurité
des habitants, vont engager un effort significatif pour recruter des
gardiens assermentés dans les immeubles, et pour que soit
apportée une réponse en temps réel aux actes de vandalisme
quotidien dont les habitants de la Mare rouge sont les victimes : je
veux parler des tags, des salissures, ou encore des dégradations
des portes d?entrée. Avec la signature de cette charte, les
bailleurs s?engagent à assurer une meilleure formation de leur
personnel de sécurité, à une présence plus prolongée de celui-ci sur
les sites, et à les faire travailler en brigade.
Enfin, la mairie s?engage à développer des activités encadrées et à
favoriser l?ouverture des équipements publics en soirée, à
améliorer le renforcement de l?éclairage public et à développer la
vidéo surveillance sur ces mêmes territoires, avec le soutien
significatif de l?Etat.
Voici ce que je vous propose pour l'amélioration du cadre de vie.
Je veux aussi vous parler d'éducation.
Là aussi beaucoup de choses ont été faites. La ville du Havre est
précurseur dans le domaine de la prévention, avec plusieurs
dispositifs, qui vont de la lutte contre l'absentéisme jusqu'au soutien
aux élèves les plus motivés. C'est de la discrimination positive bien
comprise. On se tourne vers ceux qui ont le plus de difficultés et on
leur propose une aide concrète, pas de belles paroles.
On a mis en place un accompagnement individualisé, et c'est très
important, à travers un double tutorat, étudiant et professeur de
l'enseignement supérieur. C'est ainsi que l'on met en place des
programmes d'acquisition de connaissances, qui passe aussi, j'y
insiste, par la culture générale.
On va même plus loin avec 8 conventions qui doivent être signées
en février dont 4 entre des lycées du Havre et l?IUT du Havre et
une entre un lycée de Sotteville-lès-Rouen et Sup de Co associée à
l?UFR de Droit.
Et moi je propose d'aller plus loin encore. D'abord, très simplement
en proposant 100 places de stages aux élèves de troisième dans les
services déconcentrés de l'Etat, en priorité aux élèves des ZEP, qui
ont souvent du mal à trouver ces places de stage obligatoire en
3ème. Je vais signer à cet effet une convention dans quelques
instants.
Le recteur et le préfet mettront également en place, pour la
rentrée prochaine, un tutorat pour les élèves en collège de la Mare
rouge, et dans les lycées des zones sensibles du Havre, assurés par
les étudiants des grandes écoles. Un tutorat, c'est simple : c'est
deux fois plus de chances de réussir.
De même va être mise en place la réservation de places en classes
préparatoires, à l'Université et à l'IUT pour les meilleurs bacheliers .
Pourquoi ? Parce qu'il y a encore un pas à franchir très difficile
vers les études supérieures, même si on est un bon élève, tout
simplement si on n'est pas dans une classe ou un établissement
favorisé. Camille Galap, le président de l'Université nous indique
qu'au Havre 65% des lycéens accèdent à l'enseignement supérieur,
soit 17% de moins que le taux national.
Enfin, j'appuie le projet de signature d'une convention entre
l'institut d'études politiques de Paris et le lycée Robert Schuman du
Havre. Je ne veux plus que les études supérieures paraissent
totalement inaccessibles parce qu'elles se déroulent loin, et qu'on ne
connaît personne dans son entourage qui y ait eu accès. C'est
souvent à cela que tient le blocage, et je veux contribuer à le lever
en faisant les pas nécessaires.
Je veux aussi, et enfin, vous parler d'emploi. Nous connaissons ici
une situation de l'emploi très difficile. Juste deux chiffres : le taux
de chômage est supérieur à 27 % dans le quartier de la Mare
Rouge ; et presque 30% de ces chômeurs ont moins de 25 ans.
Parlons clair : il y a certainement une discrimination à l'embauche
pour les jeunes d'origine étrangère. Il serait malhonnête et absurde
de le nier La situation locale n?est pas différente de celle
rencontrée au niveau national, avec un taux de chômage 4 fois
supérieur à la moyenne nationale pour les jeunes d?origine
étrangère ayant suivi des études supérieures. Il y a un fait qui
semble incontestable : les recrutements importants effectués ces
dernières années ont très peu bénéficié aux jeunes des quartiers
sensibles.
Il est vrai que certaines entreprises jouent le jeu de l?intégration. Il
est vrai aussi que le service public de l'emploi fait des efforts.
Tout ceci est bien mais ne suffit pas, et on s'aperçoit que si l'Etat
ne se mobilise pas, la discrimination reste la plus forte. Et moi je
veux que l'on donne plus à ceux qui ont moins de moyens de réussir
que les autres. C'est le seul moyen de faire tomber des barrières
qui ne tomberont pas toutes seules. Alors que peut-on faire ?
Là encore du concret. Je vais signer tout à l'heure une convention
avec des présidents de fédérations professionnelles, pour l'emploi
des jeunes. Très précisément avec le président de la chambre de
commerce et industrie du Havre, avec le président de l'Union
maritime et portuaire, avec le président de la métallurgie, celui de
la fédération du BTP, celui du port autonome. Je les remercie tous
de leur engagement, car c'est beaucoup plus qu'un engagement de
principe. Cette convention, elle va viser trois objectifs précis :
- Sensibiliser et former les responsables et collaborateurs impliqués
dans le recrutement, la formation et la gestion des carrières aux
enjeux de la non discrimination et de la diversité,
- Satisfaire toutes les demandes des jeunes de stages en entreprise
dans les domaines du commerce, des services et de l'industrie,
- Privilégier en priorité les jeunes, déjà employés comme
intérimaires, pour accéder aux emplois ouverts dans les entreprises
dès lors qu'ils ont prouvé leur capacité à tenir ces emplois et leur
aptitude à s'y intégrer. En clair avec cette convention, nous sortons
de la fatalité de l'interim, que vous connaissez trop souvent.
Et enfin je suis heureux d'annoncer l'ouverture très attendue de la
maison de l'emploi du Havre, en centre ville, à la fin du mois de
février. Vous allez pouvoir bénéficier de ce dispositif, qui permet
de mettre en commun tous les moyens des acteurs économiques,
sociaux, publics et privés, pour orienter les demandeurs d'emploi de
manière utile et efficace. Et c'est important lorsqu'on sait qu'il y a
4500 offres d'emploi non satisfaites au Havre.
Voici, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire. Ce sont
des mesures concrètes, non pas des déclarations d'intention. Je
m'adresse à des interlocuteurs qui pratiquent déjà une politique
active de prévention de la délinquance.
Je veux généraliser cette politique, et donner une base légale à
tous les dispositifs que vous expérimentez, de l'aide à la parentalité
jusqu'au partage des informations par les travailleurs sociaux. Il
s'agit de considérer que nous voulons changer une réalité dont nous
ne voulons plus, une réalité où beaucoup voient leur avenir bloqué
par toutes sortes d'obstacles. Il ne sert à rien de décréter que ces
obstacles n'existent pas. Ca, c'est la politique de l'autruche et on a
vu ses résultats depuis des décennies. Il ne sert à rien non plus
d'adapter les objectifs aux obstacles existants. Ca c'est le
nivellement par le bas, c'est la négation de l'égalité des chances.
Ce qui est utile, même si c'est plus difficile, c'est de démonter les
obstacles un par un, pour libérer l'accès de tous à une vie normale.
Normale, c'est à dire celle que vous, comme moi, souhaitons pour
nous et pour nos enfants.
C'est selon ce principe que j'ai bâti un projet de loi sur la
prévention de la délinquance, constitué d'une centaine de mesures,
et qui sera examiné demain par un comité interministériel, présidé
par le Premier Ministre. J'y crois parce que je crois, comme vous à
la force de la volonté, et à elle seule, contre les lois naturelles de l'adversité. Je vous remercie.