Interview de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, dans l'émission d'information de l'ARD "Tagesthemen" le 18 janvier 2006, sur l'avenir du traité constitutionnel, la fiscalité européenne, la politique énergétique et les projets franco-allemands en matière de sécurité, d'immigration, d'éducation et de recherche.

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Circonstance : Voyage de M. de Villepin à Berlin le 18 janvier 2006

Média : ARD

Texte intégral

Question : Ce soir, à Berlin, vous avez parlé d'Europe. Toutefois, le grand projet de traité constitutionnel a échoué du fait des Français, alors que l'Allemagne l'a approuvé. Ce traité a-t-il encore un avenir ?
Réponse : C'est une question importante à laquelle nous devrons dans les prochains mois apporter une réponse. Les Français n'ont pas dit non à l'Europe, j'en suis convaincu. Nous prenons naturellement acte du fait que treize Etats ont déjà accepté le projet de Constitution. Et je sais très bien la valeur que l'on attache ici à ce texte. Ce qui est pour moi important, c'est que nous travaillions ensemble au cours des prochains mois. C'est aussi l'engagement ferme du président de la République, Jacques Chirac. Et il y aura de très nombreuses occasions, des rendez-vous importants. En mai et surtout en juin sera posée la question de l'avenir de la Constitution et des institutions européennes. Je crois que les différentes options à cet égard doivent être examinées en profondeur. Bien sûr, nous devrons prendre en compte les souhaits des différents Etats, mais aussi ceux des peuples qui se sont exprimés sur ce sujet. Et cela vaut en particulier pour la France. Nous devons chercher à avancer ensemble, en faisant preuve de patience, mais aussi d'imagination.
Question : Le Parlement européen a rejeté aujourd'hui le compromis financier de Bruxelles. Que convient-il de faire maintenant ?
Réponse : Il appartient aux gouvernements de travailler ensemble, de concert avec le Parlement et la Commission, pour engager une phase nécessaire de consultations, afin d'apporter une réponse aux réserves qui viennent de s'exprimer.
Question : Ne serait-il pas de bon sens d'introduire un impôt européen ?
Réponse : Ce concept, cette idée revient régulièrement. Et je dois dire que compte tenu du montant des dépenses réalisées au niveau européen, cela pourrait apparaître comme une solution possible. Nous préférons en ce domaine nous en tenir à la responsabilité collective. Cela signifie qu'il faut que les dépenses publiques en Europe puissent être contrôlées par les différents Etats membres. Mais cela n'interdit pas de réfléchir à un nouveau système, pour autant que des progrès soient encore réalisés dans les différents Etats membres. Et cela nous devons le faire ensemble. Nos relations avec l'Allemagne constituent à cet égard un cadre à privilégier. L'idée d'un gouvernement économique et social développé au sein de la zone euro permettrait certainement de faire avancer la réflexion.
Question : La France a annoncé un mémorandum sur la politique énergétique européenne. Etes-vous en faveur d'un recours plus large à l'énergie nucléaire ?
Réponse : Vous connaissez la position française. Nous avons sans cesse cherché à assurer notre indépendance énergétique. Les développements récents semblent nous donner raison, mais bien sûr, nous respectons à 100% la souveraineté de chaque Etat dans ce domaine. A mon avis, cela fait partie des questions que tous les pays européens devraient se poser : comment établir les bases d'une politique énergétique commune ? L'énergie nucléaire est naturellement une des options. Nous voulons d'ailleurs développer une nouvelle génération de réacteurs. L'énergie nucléaire doit devenir plus sûre, plus performante et plus respectueuse de l'environnement. A cet égard, il est important de partager nos connaissances et nos expériences. Il est important de rechercher les meilleures solutions pour couvrir nos approvisionnements énergétiques et garantir l'indépendance de l'Europe.
Question : De nombreuses initiatives franco-allemandes ont permis à l'Europe d'avancer. Voyez-vous un nouveau projet franco-allemand susceptible d'avoir le même effet ?
Réponse : Je crois qu'il y a de nombreux projets de ce type. C'est la raison pour laquelle nous parlons si souvent en France - en particulier le président de la République - d'une « Europe des projets ». Prenons quelques exemples concrets : la sécurité, domaine dans lequel nous avons toujours travaillé de concert. Pourquoi ne pas passer à l'étape supérieure, à savoir une véritable police des frontières européenne ? Nos deux pays pourraient donner l'exemple avec une police franco-allemande aux frontières. Prenons l'exemple de l'immigration : pourquoi ne pas diffuser et partager plus largement nos expériences en matière de regroupement familial et de droit d'asile ? Dans tous ces domaines, nous pouvons faire plus, de même que dans celui de la santé, au moment où la menace de la grippe aviaire se précise. Dans le cadre d'une « force d'intervention commune », la France et l'Allemagne pourraient envoyer leurs experts dans des pays voisins particulièrement menacés par la grippe aviaire. Prenons l'exemple de l'éducation et de la recherche : nos établissements supérieurs ont besoin de se rapprocher. Si nous voulons compter à l'échelle mondiale, nous devons faire plus concernant l'harmonisation et la mise en commun de nos efforts. Cela vaut naturellement aussi pour la recherche et l'innovation. Vous le voyez, il y a beaucoup de domaines dans lesquels nous pouvons faire plus ensemble. Bien entendu, nous collaborons déjà étroitement et nous avons besoin de la contribution de tous, dans le respect et la confiance mutuels.