Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à "France 2" le 12 janvier 2006, sur son plan quinquennal pour résorber une partie de la dette de l'Etat.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

Q- Vous avez réuni dans votre ministère la fine fleur du Gouvernement et des décideurs. C'est la première fois qu'une conférence de cette importance se tient...
R- Oui, c'est la première fois, effectivement que nous réunissons une conférence nationale des Finances publiques. C'est-à-dire qu'autour de la table, il y avait hier l'ensemble de tous ceux qui participent à un degré divers, à la dépense publique. La dépense publique est une bonne chose pour la Nation, cela nous permet de vivre ensemble, c'est la cohésion, c'est aussi l'investissement. Mais c'est aussi - et j'ai voulu le dire aux Françaises et aux Français - devenu la dette. Donc, il faut s'en occuper, il faut s'en préoccuper. C'est ce que nous avons fait hier avec le Premier ministre.
Q- C'est aussi une sorte de pédagogie, de prise de conscience de façon un peu symbolique ?
R- C'est une prise de conscience, et je pense qu'on a réussi la prise de conscience. C'est vraiment le rôle du ministre de l'Economie et des Finances, en particulier de l'économie, que je suis, de faire en sorte de poser les débats pour ma Nation lorsque ces débats pèsent trop sur notre l'avenir. Et la dette, évidemment, c'était le cas. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité confier à M. Pébereau, dès l'année dernière, une mission globale pour expliquer aux Françaises et aux Français, sans esprit partisan, ce qu'est cette dette. Vingt-cinq ans de déficits cumulés, c'est une dette de plus de 1.000 milliards, il faut s'en préoccuper aujourd'hui. C'est ce que nous avons fait à bras le corps avec le Premier ministre et tous ceux qui contribuent à la dépense.
Q- J'en profite pour signaler que sort aujourd'hui un ouvrage qui reprend les travaux de la commission Pébereau, avec tous les détails de chiffres qui ont parfois suscité la polémique, mais en vingt-cinq ans, le poids de la dette a triplé...
R- Comme par exemple celui des charges et des intérêts. Les Français savent ce que sont les intérêts : quand on a une dette, on paye les intérêts, et les intérêts, uniquement, de cette dette, aujourd'hui, c'est l'équivalent de ce que l'on paye en tant qu'impôt sur le revenu. L'impôt sur le revenu que nous payons aujourd'hui, tous les ans, qui, du reste, pèse pour les ménages, sert uniquement à payer la dette du passé. Donc, on ne peut en rester là. C'est pour cela qu'on a décidé, de façon très déterminée, à s'attaquer à ce problème.
Q- Chaque Français qui naît a déjà sur ses frêles épaules une partie de la dette qu'il devra rembourser demain en travaillant...
R- Oui, mais la bonne nouvelle, c'est que j'ai proposé un plan qui fasse que l'on puisse maintenant, en cinq ans, revenir à un équilibre normal. Cinq ans, ce n'est pas très long.
Q- Avec des mesures qui vont parfois être difficiles : pas de baisse d'impôt, un déficit ramené à zéro en cinq ans, des administrations publiques qui devront faire 50 milliards d'économies. Est-ce réaliste ?
R- Aujourd'hui, l'Etat dépense, uniquement pour son fonctionnement, un peu moins de 300 milliards d'euros. Donc, 50 milliards d'économies sur cinq ans, cela fait 10 milliards pour 300 milliards. Ce n'est quand même pas infaisable ! D'autant que tout le monde sait, les Français le savent bien, qu'il y a des économies à faire un peu partout. Mais on ne fait pas des économies uniquement pour le plaisir, c'est tout simplement pour préserver notre avenir. Vous disiez tout à l'heure que le Premier ministre a indiqué que dans le plan à cinq que nous avons proposé hier, et que nous allons débattre au Parlement au mois de juin, c'est-à-dire que ce ne sont pas des paroles en l'air - je le dis, parce que peut-être que cela n'a pas été perçu... Hier, nous nous sommes réunis et nous avons discuté de l'engagement que nous prenons parce que je dois, moi-même, en tant que ministre de l'Economie, en faire part à Bruxelles dans la cadre du pacte de stabilité, mais surtout, on a décidé de travailler jusqu'au mois de juin pour proposer ce plan quinquennal - un plan à cinq ans -, où, dans cinq ans, la France va revenir progressivement à enfin une nation équilibrée, c'est-à-dire que l'on va arrêter de dépenser plus qu'on ne gagne, et puis surtout, on va revenir à une nation qui a complètement maîtrisé sa dette. Cinq ans, ce n'est pas long. La bonne nouvelle, c'est que c'est faisable et que cela va être un débat engagé devant le Parlement. Le Premier ministre a indiqué que l'on va s'engager devant le Parlement pour les cinq ans qui viennent.
Q- Avec les discussions sur les augmentations de salaires pour les fonctionnaires, on les sent attentifs, un peu inquiets de voir qu'il n'y aurait pas d'augmentations. Est-ce qu'on peut demander aux administrations publiques de faire des économies et ne pas susciter un peu trop de grogne sociale ?
R- Encore une fois, le monde change. Je prends l'exemple de Bercy : à
Bercy, on fait évoluer les choses, on fait avancer les choses ; on a dit
très clairement, sur les fonctionnaires, à partir du moment où ne
remplace qu'un fonctionnaire sur deux - celui qui part à la retraite.
Q- Il y aura de faux départs à la retraite ?
R- Oui. Mais à partir du moment où la productivité augmente, ce que j'ai décidé, c'est tout simplement que les fonctionnaires soient un peu payés, qu'ils aient des primes par rapport aux évolutions. Donc il y a différents moyens pour augmenter le niveau de vie, croyez-moi, il n'y a pas uniquement le point d'indice, il y a aussi les primes spécifiques, l'évolution dans la carrière. Globalement, la masse salariale de l'Etat augmente de près de 4 % par an, sans augmenter les fonctionnaires. Cela veut donc dire qu'il y a des primes, il y a l'évolution. Quand vous progressez - et tout le monde progresse - donc, vous changez d'échelle, vous augmentez votre salaire. Il y a un tas de façons pour poursuivre l'augmentation salariale, ce qui est normal.
Q- Est-ce que le mal français n'est pas aussi d'empiler souvent les structures - ce qui est d'ailleurs parfois démontré dans le rapport Pébereau ? Cela consiste, quand on a fait la décentralisation, à garder la structure nationale, quand on fait une structure - je dis n'importe quoi - qui s'occupe de l'environnement par exemple, il y en a quatre autres qui existent et on garde les quatre autres, parce qu'on ne veut fâcher personne... Et au fond, on a une espèce de corps qui grossit et dont on ne sait plus bien par où il faut commencer le régime...
R- Vous avez raison. Et c'est pour cela que j'ai souhaité, au mois de juin, poser ce débat, faire en sorte que la France soit au courant... La dette, pour moi, c'est un formidable livre d'économie. C'est un peu comme des couches géologiques. On voit depuis vingt-cinq ans ce qui s'est passé. Il n'y a pas d'erreur gratuite en économie. Quand, par exemple, on décide de passer l'âge de la retraite de 65 ans à 60 ans, alors que la durée de vie augmente, eh bien, cela va coûter cher dans la dette. Quand on décide aussi les 35 heures de façon unilatérale, cela va coûter cher...
Q- Vous citez des décisions de la gauche, mais la droite aussi a été maladroite.
R- Oui, la droite aussi, quand elle décide, par exemple, de déplafonner l'ISF, il y a un nombre très important de Français qui quittent le territoire, avec leur argent, leur esprit d'entreprise, et cela coûte aussi à l'économie française et cela accroît la dette. Donc toutes ces petites erreurs, qui semblent être des petites erreurs au début, peuvent se traduire à la fin par de grands déficits. Il faut donc corriger tout cela.
Q- Deux critiques, une de droite, une de gauche ! A gauche, on dit que c'est une dramatisation excessive, dans le meilleur des cas ; certains, au PS, parlent de désinformation et l'on dit que T. Breton nous prépare un plan de rigueur. Et d'autres disent que si c'est si grave que cela, pourquoi ne pas y aller tout de suite, maintenant, pourquoi avoir décidé des baisses d'impôts ?
R- D'abord, si c'est si grave que cela, pourquoi ne pas y aller maintenant ? C'est une situation qui dure depuis longtemps. Il fallait faire deux choses : premièrement, il fallait remettre la France dans le bon sens.C'est ce qu'a fait le Gouvernement de J.-P. Raffarin, en corrigeant précisément les 35 heures, en corrigeant l'âge de la retraite, en corrigeant également les déficits de la Sécurité sociale, il a fallu trois ans... Maintenant que la France est dans le bon sens, on peut accélérer vers un retour normal. Et c'est pour cela qu'il fallait ces deux temps. On n'a pas perdu de temps, vous savez. M. Pébereau nous a remis son rapport le 18 décembre ; le 11 janvier, avec D. de Villepin, on avait le
plan d'action, pour tout de suite et sur cinq ans - cinq ans, dont dix-huit mois qui sont maintenant jusqu'aux échéances de 2007, et puis le reste - , un plan d'action qui va être discuté avec la nation, avec tous...
Q- Et ce n'est pas un plan de rigueur ?
R- C'est un plan de vertu, je dirais, plus que de rigueur. Il faut revenir à la vertu budgétaire. C'est le rôle du grand argentier que je suis de le dire, mais c'est le rôle aussi de se donner les moyens de le faire. C'est ce que nous avons fait hier. Alors, faut-il dramatiser ou pas ? Non, on ne dramatise pas. Vous savez, les Français sont bien conscients de cela. Ce qu'ils refusent aujourd'hui, c'est qu'on ne leur dise pas la vérité. On leur a dit la vérité...
Q- Y a-t-il un risque de casser la croissance ? Certains économistes disent que si on serre trop les vis, on peut peut-être aussi arrêter la machine...
R- On a dit la vérité aux Français : la vérité, c'est le retour à la confiance. Or la croissance, c'est d'abord la confiance. Il n'y a aucun risque de casser la croissance, au contraire. Le fait que l'on pose le problème, que l'on explique ce que l'on va faire collectivement... Je rappelle que la mission Pébereau est une mission pluraliste ; il y avait des gens de gauche, il y avait des gens de droite, donc on n'a pas voulu être alarmiste dans cette mission. On a expliqué le constat et maintenant, surtout, l'action, l'action, l'action !
Q- Un dernier mot sur les soldes. On a eu le sentiment qu'il y avait parfois des divergences entre R. Dutreil, ministre des PME, et vous ? Vous dites qu'il en fait plusieurs dans l'année, lui dit que deux périodes de soldes suffisent...
R- Je pose les débats, c'est mon rôle de ministre de l'économie et ministre des consommateurs. On a décidé d'avoir une grande réunion début février, avec l'ensemble des acteurs, les associations de consommateurs mais également tous ceux qui participent aux soldes, parce que c'est vrai qu'aujourd'hui, on est l'un des derniers pays au monde à ne pas avoir posé le problème des soldes. Il est vrai qu'aujourd'hui, on consomme différemment, on est dans un monde beaucoup plus fluide, beaucoup plus rapide. Donc pourquoi pas, effectivement ? Et c'est ce que j'ai souhaité pour, là aussi, moderniser un peu notre économie. On va discuter. Et des discussions sort toujours l'intérêt pour les consommateurs et pour les distributeurs.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 janvier 2006