Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur ses propositions en matière de politique de promotion et de soutien à la diffusion du cinéma européen, Berlin le 10 février 2006.

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Circonstance : Réunion entre les professionnels français et allemands du cinéma, sur le thème des perspectives de coopération cinématographique franco-allemande, à Berlin le 10 février 2006.

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je suis très heureux de vous retrouver cet après-midi, aux côtés de mon collègue allemand Bernd Neumann, dans le cadre prestigieux de la Berlinale.
J'ai toujours été personnellement convaincu que l'Allemagne et la France, en raison de leur histoire commune, ont un rôle déterminant à jouer dans l'Europe d'aujourd'hui. L'élargissement récent de l'Europe ne diminue en rien cette conviction. Bien au contraire, il me semble la renforcer : nos pays ont le poids et l'énergie nécessaires pour faire des propositions communes à l'ensemble de leurs partenaires.
C'est le cas en particulier dans le domaine de la culture. Nous sommes nombreux à penser que la culture, loin d'être un sujet périphérique, est au c?ur de la construction européenne. Bien sûr, loin des divisions passées, l'Europe est maintenant unie autour de valeurs communes. Mais les peuples de l'Europe n'en sont pas moins en proie à un doute profond sur le sens (c'est-à-dire l'orientation et la signification) du projet commun décidé au lendemain de la guerre et confirmé lors de la chute du mur. Si un immense chemin a été parcouru depuis lors, il n'en reste pas moins à inventer l'Europe de demain, en fondant son identité sur la culture commune des 450 millions d'Européens qui la composent. Les rencontres organisées en 2004 à Berlin sur l'Europe de la culture avaient pour titre « Donner une âme à l'Europe » : c'est bien de cela qu'il s'agit. A Paris, lors des rencontres qui ont suivi et auxquelles nombre d'entre vous ont participé, le président de la Commission européenne, M. Barroso, a souligné que "la culture est à (ses) yeux au premier rang dans la hiérarchie des valeurs, devant l'économie". Plus que jamais, nous devons faire en sorte que les pays européens soient ouverts aux cultures des autres Etats membres, mais aussi à celles de pays situés hors de l'espace européen.
Le cinéma fait partie intégrante de la culture européenne, et au-delà de ses visées proprement artistiques et de son rôle légitime de divertissement, nous devons maintenir cette ambition, que je qualifierais volontiers de politique, pour le cinéma européen. A une époque où les flux d'images s'échangent sans discontinuer, il est de la responsabilité des ministres de la culture, avec le soutien des professionnels, de se battre pour que le cinéma, avec sa richesse, sa diversité, sa solidité, forme un pont entre les peuples. C'est toute l'ambition de la Convention sur la diversité culturelle adoptée le 20 octobre dernier par les Etats membres de l'UNESCO : ouvrir les sociétés aux autres cultures, tout en se donnant les moyens de faire connaître sa propre culture. Afin que le dialogue des cultures l'emporte sur le choc des cultures : Telle est la plus noble ambition, la plus haute exigence, de nos politiques culturelles. La Convention de l'UNESCO est un premier pas, un pas de géant. Elle doit être maintenant ratifiée au plus vite et nous ne devons pas relâcher nos efforts en ce sens.
Nous savons tous que les films européens ne circulent pas assez au sein de l'Europe. Le faible pourcentage de part de marché des films européens non nationaux n'est rien face aux 71 % du cinéma américain sur le sol européen. Soyons réalistes, soyons courageux et déterminés : nous pouvons, si nous en avons la volonté politique, faire valoir la force de la diversité culturelle face à une production de masse, qui représente 85 % des places de salle de cinéma vendues dans le monde, dont les coûts sont déjà amortis sur son territoire d'origine, et qui bénéficie de surcroît d'un réseau de distribution mondial sans équivalent. Il ne faut donc pas baisser les bras et je crois que plusieurs pistes, pour certaines déjà défrichées, méritent d'être approfondies.
En premier lieu, c'est une évidence ? mais il faut la rappeler -, il n'y a pas de cinéma en Europe sans cinématographies nationales, et il ne peut y avoir de cinémas nationaux sans aides publiques au cinéma. Nos marchés nationaux sont trop étroits pour que nos films soient économiquement rentables sur ces seuls marchés. Le soutien public au cinéma est donc essentiel à l'existence, voire à la survie de ces films. Nos systèmes font, et c'est normal, l'objet d'un examen régulier de la Commission européenne qui ne fait qu'appliquer le Traité. Il est indispensable que celle-ci prenne pleinement en compte les enjeux culturels, économiques, et territoriaux, de ces dispositifs. De ce point de vue-là, l'échéance de 2007 doit être l'objet de toute notre vigilance, car la Commission européenne n'a pas caché son intention de durcir les critères qu'elle applique à l'examen de ces aides. Nous devons faire comprendre à la Commission qu'elle prend le risque de faire disparaître, purement et simplement, le cinéma européen, et d'être ainsi accusée de jouer le jeu du cinéma américain.
Je sais que les « CNC européens » réfléchissent ensemble à ces questions, et je suis convaincu que le CNC et la FFA, dont les systèmes ont été examinés par la Commission récemment, peuvent être à la pointe de cette réflexion.
En deuxième lieu, nous devons tout faire pour favoriser la circulation des films en Europe.
Je vois donc deux pistes :
- tout d'abord, des initiatives comme Europa Cinemas doivent être encouragées, et poursuivies. A l'issue des rencontres de Paris, j'ai transmis à la Commission européenne plusieurs propositions, dont l'une concerne le cinéma. Il s'agit de promouvoir des semaines du cinéma européen qui se dérouleraient, entre autres, dans les salles du réseau Europa Cinémas. Il faut multiplier les initiatives concrètes comme celles-ci ;
- ensuite, il faut que l'Europe sache profiter des possibilités offertes par les nouvelles technologies, afin que les contenus européens trouvent leur place dans les nouveaux réseaux. Il s'agit tout à la fois de promouvoir des offres légales de contenus européens sur des sites de téléchargement, et de permettre aux Etats de soutenir les contenus européens au sein des nouveaux services dits « non linéaires ». C'est pourquoi la négociation qui s'ouvre sur la révision de la directive Télévision Sans Frontières est déterminante.
Les moyens nécessaires doivent donc être accordés au programme MEDIA pour qu'il remplisse sa mission première : améliorer la circulation du film européen. Certes, la Commission européenne a prévu une augmentation, à périmètre comparable, de 62 % du programme Media 2007. Mais le compromis trouvé par la présidence britannique le 17 décembre 2005 sur les perspectives financières ne fixe qu'un plafond pour la sous-rubrique « Citoyenneté » (culture, médias, jeunesse, santé et protection des consommateurs) et n'opère pas de répartition entre les différents programmes qui la composent. Nous devons unir nos efforts pour que cette répartition soit conforme aux engagements pris en faveur du programme MEDIA.
Enfin, notre ambition européenne doit aussi se porter au-delà de nos frontières. Lors de mes déplacements hors de l'Europe, je n'ai que trop souvent constaté que l'offre de cinéma était soit monolithique (le cinéma américain), soit dans quelques cas binaires (le cinéma américain et quelques films nationaux). Dans un petit nombre de pays, j'ai eu la fierté de voir le cinéma français réussir à se frayer une place à côté des superproductions américaines. Je suis convaincu que nous devons faire en sorte que le cinéma européen devienne une véritable proposition alternative au cinéma américain. Par sa diversité de genres et d'expressions, il a un rôle à jouer sur les écrans hors d'Europe.
Des initiatives comme European Film Promotion, qui s'attache à promouvoir les talents européens dans le monde, sont à cet égard très intéressantes, et je me félicite qu'elle soit soutenue tant par l'Allemagne que par la France.
En matière de cinéma, l'Allemagne et la France ont déjà accompli beaucoup ensemble. Depuis quatre ans, l'accord de coproduction et surtout le mini-traité ont permis de faire exister 30 projets communs, dont certains, comme Joyeux Noël, connaissent une belle carrière internationale. C'est forts de cette expérience partagée que nous pouvons maintenant avoir cette ambition commune pour l'Europe du cinéma que nous appelons de nos voeux, en échangeant nos points de vue sur l'avenir du cinéma et en imaginant des projets nouveaux, avec les 25 pays européens. Je vous fais confiance pour accompagner ces projets et leur donner vie. Vous pouvez compter sur moi pour vous y aider.
Je vous remercie.Source http://www.culture.gouv.fr, le 13 février 2006