Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à Europe 1 le 10 février 2006, sur la politique de l'immigration "choisie", l'usage de l'article 49-3 à propos du projet de loi sur l'égalité des chances et l'Islam.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- D'abord, messieurs Villepin, Sarkozy, tout le gouvernement décide que l'immigration sera choisie et non plus subie, sont-ils sur la bonne voie ?
R- Non, je ne crois pas. Je crois qu'il faut dire "non" à l'immigration subie naturellement, "non" à l'immigration choisie. Je dirais plutôt "oui" à l'immigration tarie, à l'immigration stoppée avec des vraies mesures fortes...
Q- Mais c'est ce que le Gouvernement veut faire : d'un côté, la lutte contre l'immigration clandestine et illégale, et d'autre part, l'acceptation contrôlée, maîtrisée, d'une certaine forme d'immigration dont on peut avoir dans certains cas besoin en France pour certains métiers, par exemple.
R- Je vous réponds : je pense qu'il faut mettre fin au regroupement familial, il ne suffit pas de le durcir, il faut réformer le droit du sol, mettre fin à tous les avantages indus des sans papiers, c'est-à-dire une vraie politique d'immigration zéro. Le projet actuel contient quelques mesurettes que vous venez d'énumérer. Mais plus fondamentalement, il me paraît inefficace, parce qu'il consiste à ajouter une nouvelle vague d'immigration du travail à l'immigration de peuplement. Il est inacceptable pour tous les Français qui ont du mal à trouver du travail et qui vont voir leur passer sous le nez les ingénieurs chinois, les informaticiens indiens, les infirmières ivoiriennes, les bouchers et les boulanges béninois, etc.
Q- Mais vous avez noté que T. Breton disait qu'il y a onze métiers pour lesquels on a besoin de gens de l'extérieur, des ouvriers qualifiés de travaux publics, de l'hôtellerie, de la restauration, de la
mécanique, des infirmiers, des sages-femmes, des bouchers, des charcutiers...
R- Oui, mais on a 3 millions de chômeurs. Il y a deux problèmes : vis-à-vis de nous-mêmes, cela veut dire que l'on jette l'éponge plutôt que de former les gens qui, chez nous, voudraient avoir du travail et n'en ont pas. Il y a à peu près 10 millions de Français qui sont aujourd'hui dans la difficulté, qui voudraient changer de travail, qui n'ont pas la formation nécessaire. Qu'est-ce qu'on va faire ? On organise la pompe aspirante pour aller piller les forces vives des pays pauvres ! C'est ce qu'on appelle là-bas ?la traite des cerveaux?. J'ai été en Afrique, juste avant Noël, pour la nouvelle phase d'une coopération décentralisée entre la Vendée et le Bénin. On crée un réseau d'écoles, de formation professionnelle en alternance, un réseau d'hôpitaux, de centres de santé, de micro entreprises, et qu'est-ce que j'ai entendu là-bas...
Q- ...Tout faire pour qu'ils restent chez eux !
R- Voilà. Ce que j'ai entendu là-bas - c'est aussi vrai au Cameroun, au Togo, au Bénin - c'est : ?Ne nous prenez plus nos élites !?. Il y a deux fois plus de médecins béninois en Ile-de-France que dans tout le Bénin. On a laissé ces pays pauvres s'appauvrir davantage, on va leur piquer - si vous me passez l'expression - leurs forces vives, leurs élites, alors que nous-mêmes on connaît une véritable fuite des cerveaux, des sièges sociaux, des capitaux, parce qu'on a une chape fiscale et de réglementation à laquelle on ne veut pas toucher. Donc c'est une sorte de mouvement brownien qui est absurde.
Q- Oui, vous parlez un peu comme la sénatrice, E. Assassi, dont j'ai lu les déclarations : "c'est du racisme, dit-elle, on va faire son marché à l'étranger, c'est une forme d'esclavage moderne". Vous exagérez un peu, non ?
R- Cela a quelque chose d'indécent et d'ailleurs un certain nombre de chefs d'Etat africains, et non des moindres, dénoncent ce qu'ils appellent eux-mêmes ?la traite des cerveaux?. On est en train de faire exactement le contraire de ce qu'il faudrait faire. On fait preuve de générosité, là où il faudrait de la fermeté, dans la gestion de nos frontières, et on fait preuve de fermeté et de cécité là où il faudrait de la générosité avec un véritable plan de sauvetage pour fixer chez elles les élites des pays pauvres.
Q- On est dans le ?villiérisme? classique, on change de sujet...
R- Le villiérisme classique, vous savez, aujourd'hui, je crois qu'il est majoritaire, parce que les gens qui nous écoutent pensent que ce que je dis, c'est le bon sens.
Q- Le Premier ministre utilise l'article 49-3 ; J.-F. Copé disait à peu près tout à l'heure à V. Parizot que le Premier ministre cherche à accélérer une décision utile pour la cohésion sociale, l'égalité des chances et pour l'emploi. Est-ce que vous dites qu'il faut censurer le gouvernement Villepin ?
R- Non. Moi, je scrute autour de moi, toute la journée j'étais avec les viticulteurs, les arboriculteurs, etc., et les gens disaient, "il vaut mieux un emploi précaire que pas d'emploi du tout". Même s'ils ajoutaient : "on donne un cachet d'aspirine pour soigner une hémorragie". Je pense que ce qu'il faudrait pour une véritable politique de relance de la croissance, c'est à l'extérieur protéger et à l'intérieur libérer : moins d'impôts, moins de charges, moins de réglementations, ce que n'a pas fait le Gouvernement.
Q- Donc le débat au Parlement promettait de traîner, vous, vous ne critiquez pas le Gouvernement d'utiliser l'article 49-3, même si vous n'êtes pas à l'Assemblée ?
R- On parle de « coup de force », à tort à mon avis. Je ne suis pas à l'Assemblée, mais il y a une procédure, cet article il existe, ce n'est pas un coup de force s'il est dans la constitution. A partir du moment où le Premier ministre est persuadé que cette réforme est bonne... Et je crois que même si ce n'est pas l'idéal, c'est une réforme qui n'est pas mauvaise en soi pour les jeunes. Parce que beaucoup de jeunes restent à la porte, donc là, la porte s'entrouvre, donc moi je suis plutôt pour.
Q- Oui, l'ex-Premier ministre, L. Jospin, rappelait hier, à Toulouse, qu'en cinq ans, lui n'avait pas utilisé une seule fois le 49-3, et il dit que ce n'est pas un gage de confiance en soi.
R- Ah, ça c'est possible, mais c'est de la politique politicienne. Je laisse à L. Jospin le soin de choisir ses réapparitions.
Q- Les caricatures danoises de Mahomet : vous avez vu qu'elles ont déclenché une vague de protestations toutes orchestrées par les intégristes ou les Etats intégristes et que l'islam modéré a gardé ses distances ; qu'est-ce que vous en pensez ?
R- Je pense que chez nous, en Europe et en France, il y a une règle, c'est la liberté tempérée par la justice en cas d'excès. Avec les islamistes, il semble bien qu'il y ait une autre règle, c'est la liberté tempérée par le meurtre rituel, l'intimidation, la menace ou le chantage. Et moi je dis que c'est inacceptable ! Il faut aujourd'hui faire trois choses, et j'en appelle à tous les hommes politiques pour qu'ils sortent de leur lâcheté et qu'ils cessent d'avoir peur.
Q- Pourquoi dites-vous "lâcheté", pourquoi "peur" ? Quand on dit, la liberté d'expression doit s'exercer dans un esprit de responsabilité comme le disait le président de la République et qu'il ne faut pas blesser les convictions d'autrui...
R- Effectivement, le président de la République, il a installé 6 millions de musulmans chez nous, on constate aujourd'hui l'islamisation de la société française et il dit "respect", évidemment il se respecte lui-même mais il ne respecte pas la France J. Chirac ! Je vais vous dire ce que je pense, très exactement, au risque de vous faire bondir, mais je ne pense pas que cela soit autre chose qu'un artifice pour notre débat de ce matin : premièrement, il faut imposer notre conception de la liberté et pas celle des autres. Deuxièmement, il faut imposer notre mode de vie, le mode de vie à la française dans les cantines, dans les piscines, dans les hôpitaux, dans les cours d'histoire, dans les écoles. Puisque vous savez, par exemple, qu'on ne peut plus parler de Corneille tout simplement à cause du Cid, les Maures, etc. Dans la vie quotidienne, non à la polygamie, non au mariage forcé, etc. Et troisièmement, il faut soumettre la construction des mosquées, plutôt que de les faire financer par les contribuables, ce que propose N. Sarkozy, il faut les soumettre à une charte républicaine avec des contraintes fortes - l'égalité homme femme, la liberté de changer de religion, le respect de la laïcité et l'interdiction des financements étrangers. En d'autres termes, ce n'est pas à la France à s'adapter à l'islam, c'est à l'islam à s'adapter à la France.
Q- Est-ce qu'on respecte les convictions religieuses des autres ?
R- Mais bien sûr ! Simplement, vous savez très bien que dans l'islam il y a deux parties : une partie religieuse et une partie politique ; on ne peut pas accepter la partie politique. C'est ou la charia ou la République mais pas les deux.
Q- Donc on ne cède sur aucun principe de liberté, principe contre principe et la raison contre les fanatismes ?
R- Quand on regarde ce qui s'est passé aux Pays-Bas, ce qui s'est passé en Angleterre, ce qui s'est passé aux Etats-Unis, quand on voit l'islamisation progressive de la société française, y compris l'islamisation des esprits par la peur. Parce que beaucoup d'amis me disent, y compris des parlementaires : ?Mezzo voce, tu sais, tu prends des risques en disant ça".
Q- Vous avez vu qu'un journal iranien lance un concours international de dessins et caricatures sur l'Holocauste. Est-ce qu'il faut ou non, au nom d'une symétrie absurde, brûler les drapeaux, les ambassades d'Iran, de Syrie, du Pakistan ?
R- Non, justement. Ce qui est très frappant dans ce qu'on appelle "la guerre des caricatures", c'est l'incroyable disproportion entre, d'un côté, des caricatures qui sont plus ou moins de bon goût - c'est une question dont on peut discuter par ailleurs, je ne pense pas que cela soit très bien venu - mais la disproportion entre les caricatures et les menaces de mort et les ambassades qu'on brûle ! Là, on voit bien qu'on est devant un fossé culturel. Pourquoi ? Parce qu'effectivement, dans l'islam, la politique et la religion c'est la même chose. C'est-à-dire, il y a un caricaturiste qui s'exprime dans un journal danois, eh bien c'est le gouvernement danois qui est responsable ; à bas le Danemark, à bas l'Europe, à bas l'Occident ! Ce n'est pas possible !
Q- Vous avez acheté votre exemplaire de Charlie Hebdo ?
R- Non, pas encore. Je n'ai pas eu le temps et je ne suis pas un lecteur assidu de Charlie Hebdo.
Q- Donc ce que vous êtes en train de nous dire, c'est qu'il y a un face à- face inéluctable de deux civilisations, mais comment arrête-t-on cette escalade dangereuse ?
R- En mettant fin au communautarisme dans lequel la France est en train de glisser. Il n'y a qu'une seule riposte, c'est le patriotisme populaire. Aujourd'hui, il faut retricoter la France - si vous me passez l'expression - par le haut par rapport à l'Europe. Faire une Europe des patries, une Europe des nations qui coopèrent, mais qui garde nos libertés essentielles - on l'a vu en matière de TVA -, et retricoter la France par le bas, c'est-à-dire que la France n'est pas une juxtaposition de communautés multiples à caractère ethnique, sexuel, religieux, c'est une communauté unique de citoyens.
Q- Donc P. de Villiers s'est mis au tricot... Est-ce que ces questions de liberté, de laïcité, auront une place importante pour 2007 ?
R- Pour moi, c'est la question centrale de la présidentielle : la société multiculturelle est une société multiconflictuelle. Si on veut demain la paix civile, il faut retrouver l'idée de patrie et d'amour de la France.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 124 février 2006