Déclaration de M. François Goulard, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur les principales orientations de la politique de la recherche, notamment le décloisonnement des institutions de recherche et la carrière des chercheurs, Paris le 18 janvier 2006.

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Circonstance : Déjeuner annuel de l'Agence nationale de la recherche technique (ANRT) à Paris le 18 janvier 2006.

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Messieurs les Parlementaires, Mesdames et
Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs,
Vous me permettrez de saluer l'ANRT, de saluer ses travaux, de saluer son implication dans les RRIT (Réseaux de recherche et d'innovation technologique), dans la diffusion des contrats CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche) et dans les travaux de réflexion. Vous avez cité à plusieurs reprises FutuRIS, et j'associe naturellement FutuRIS à cet hommage.
L'ANRT est une vieille dame, je l'ai découvert récemment, puisqu'elle a exactement mon âge : elle est née en 1953. On dit avec insistance que le monde de la recherche publique, le monde de la recherche privée et le monde de l'entreprise ne se rencontrent pas, mais vous apportez un démenti immédiat. C'est une bonne nouvelle qui est constamment à l'ordre du jour dans votre association.
Monsieur le Président, j'ai le plus grand respect pour les chefs d'entreprise, pour les acteurs de l'économie privée et pour les personnes qui exercent des responsabilités dans la sphère publique. Ce que je me permets de vous dire, c'est que nous ne pouvons pas, avec une vision exclusivement économique ou exclusivement issue de l'expérience de l'entreprise, embrasser la totalité du problème politique, la totalité de ce qui est du ressort des pouvoirs publics.
Je me permets de le dire parce qu'il y a des considérations qui vont jouer un rôle majeur dans la réforme de la recherche, dans la réforme de l'enseignement supérieur, et qui échappent à la sphère économique. Elles échappent aux considérations économiques pour mieux respecter le rôle irremplaçable, essentiel, fondamental de l'économie, pour mieux dire que l'économie est faite par les entreprises et non pas, comme on le croyait autrefois, par des décisions étatiques souvent malheureuses, c'est ma conviction. Elles échappent à ces considérations pour mieux respecter votre rôle irremplaçable, votre responsabilité éminente et celle de tous ceux, femmes et hommes, qui travaillent dans vos entreprises. Il faut admettre cette vérité qu'il y a d'autres réalités qu'économiques, et la recherche en est une illustration.
La philosophie de la réforme que nous mettons en place et qui, vous l'avez dit, est largement engagée, dépasse en effet ce sujet pourtant central, pourtant essentiel, qui est celui de la compétitivité de nos économies à partir des résultats de la recherche, de l'innovation, de l'apport que la recherche peut avoir en matière économique. Je voudrais le dire d'entrée de jeu, parce que je crois que c'est important.
En plaçant les choses à leur niveau, j'ai la conviction, et cette conviction s'est renforcée au cours des quelques mois que j'ai passés au ministère de la Recherche, que le niveau scientifique d'un pays est le reflet direct du niveau de développement de sa société : il y a un lien entre la recherche, la performance scientifique et le niveau de développement social, le niveau auquel se situent l'ensemble du pays et l'ensemble de sa société.
Il n'est pas vain, même si ce n'est pas économiquement utile, de chercher constamment à accroître nos connaissances. Il n'est pas vain de mener des recherches, par exemple, en sciences humaines et sociales qui n'ont pas soit directement, soit même indirectement, des conséquences pour les entreprises. Il n'est pas vain de cultiver ce que l'on appelait autrefois les humanités. À chaque fois, c'est notre pays qui est en cause. C'est parfois son prestige sur le plan international et c'est l'image qu'il a de lui-même.
Cette image, et là je crois que nous pouvons partager une conviction, nous souhaitons qu'elle soit la plus haute possible. Nous souhaitons que les Françaises et les Français, aujourd'hui et peut-être plus qu'hier, croient davantage à leur pays, à ses chances, à sa position dans le monde, à sa capacité à être au premier rang dans tous les domaines et dans le domaine qui est probablement ? et là nous retrouvons aussi l'économie ? un des plus compétitifs, un des plus concurrentiels qui soient : celui de la science, celui de la recherche. Nous souhaitons vivement que le niveau scientifique augmente. Nous souhaitons vivement que la recherche française se développe et atteigne, dans tous les domaines où elle le pourra, un niveau d'excellence. C'est cela, notre projet.
C'est pour cela que nous mettons des moyens. C'est pour cela que nous tentons de mieux organiser le système de recherche français. C'est pour cela aussi que nous nous intéressons directement à l'enseignement supérieur, dont le lien avec la recherche est évident pour tous ceux qui savent ce qu'est l'enseignement supérieur. En relevant le niveau de la recherche en France, nous haussons aussi le niveau de l'enseignement supérieur, tant il est vrai qu'il n'y a pas d'enseignement supérieur digne de ce nom sans une recherche performante et sans une imbrication étroite entre la recherche et l'enseignement supérieur.
Je suis totalement d'accord avec votre analyse, Monsieur le Président, pour dire que la recherche doit être aussi au service de l'innovation, au service de l'entreprise, et que nous avons des progrès considérables à accomplir sous cet angle. C'est indispensable, toutes les données le montrent.
Nous avons une recherche qui est ce qu'elle est, qui n'est pas dans l'état catastrophique que certains se plaisent à décrire, mais qui peut mieux faire, qui peut avoir davantage de moyens et davantage d'efficacité. Nous avons un système d'articulation entre la recherche et l'entreprise, un système de transferts, un système d'interface, un système de partenariat entre recherche publique et recherche privée qui est incontestablement perfectible. Cela fait partie de notre travail, c'est un volet important du chantier que nous avons ouvert.
Un mot, peut-être, avant d'aborder le vif du sujet, et cela a été l'un de vos premiers propos : non, nous n'avons pas renoncé à faire évoluer l'université française. D'ailleurs, et je voudrais le dire devant vous, l'université française évolue tous les jours dans le bon sens, malgré ce que vous avez appelé un « carcan » et qui est, en effet, une loi désormais ancienne qui a des défauts.
La réforme de cette loi n'est pas à l'ordre du jour pour une raison extrêmement simple : sur un point aussi fondamental, aussi sensible et impliquant autant de personnes sur tous les points de notre territoire, il n'y a pas de réforme décrétée d'en haut, improvisée, imposée. Il y a des réformes qui se préparent. Il y a des débats qui s'organisent, qui se lancent et je crois pouvoir dire que le débat sur l'avenir de nos universités, sur leur gouvernance, sur leur organisation, est un débat utile qui devra probablement se développer au cours des prochains mois. Nous avons devant nous de grandes échéances politiques et, personnellement, je pense que l'avenir de l'enseignement supérieur, le statut des universités, peut faire partie des grands sujets dans le débat public au moment des échéances de 2007.
Je voudrais vous dire aussi que dans le cadre actuel, avec les lourdeurs du statut actuel, les universités ont énormément changé. Certains d'entre vous ne le savent sans doute pas, parce que l'université n'est pas toujours apte à communiquer au mieux sur ses transformations, sur ses progrès. Il était inconcevable, par exemple, il y a vingt ans, puisque c'est l'âge de la loi, d'avoir autant de formations professionnalisées. Il était inconcevable d'avoir des liens qui, sans doute, peuvent être renforcés, mais qui sont réels et qui sont une préoccupation constante des universitaires et des présidents d'université en particulier. Il était inconcevable d'avoir autant de relations avec les entreprises. Ces relations doivent s'améliorer, s'amplifier, mais elles existent. Il ne faut pas nier l'importance des transformations.
Vous disiez vous-même qu'une loi n'est pas tout et je vous rejoins totalement là-dessus ; la politique quotidienne, la politique des établissements publics sont également extrêmement importantes. Nous pouvons faire évoluer l'enseignement supérieur sans pour l'heure toucher à la loi de 1984.
Je reviens à la recherche. Vous avez évoqué beaucoup de thèmes, des thèmes majeurs. Vous l'avez fait avec une très grande franchise, avec un ton qui permet la discussion et qui l'ouvre d'emblée. Nous avons en effet besoin d'orientations pour la recherche.
Je sais qu'il y a des voix qui se font entendre, selon lesquelles il faudrait que l'État s'abstienne de donner la moindre orientation à la recherche et se borne à ce pour quoi il est fait aux yeux de certains, c'est-à-dire à payer. Je crois que c'est une profonde erreur, d'abord parce que ce n'est pas légitime et ensuite parce que ce n'est pas efficace. Ce n'est pas légitime parce que le politique, dans une démocratie, a ses droits et aussi ses devoirs. Ce n'est pas efficace parce qu'il ne faut pas attendre d'un État qui ne s'intéresserait pas à un secteur qu'il soit un financier généreux.
Ce n'est pas légitime, disais-je. Il suffit de se pencher sur ce que sont les orientations d'un système de recherche pour voir immédiatement qu'il y a, bien sûr, des considérations qui viennent de la science, qui viennent du monde de la recherche et qui doivent déterminer pour une part nos orientations. Nous sommes des ignorants ? je parle pour moi ? par rapport aux développements scientifiques qui vont avoir des conséquences sur tel axe retenu, tel axe considéré comme une priorité. Ce n'est pas aux politiques de dire ce qui est prometteur parce que les femmes et les hommes de science attendent des résultats probants dans telle ou telle direction. C'est à eux de nous le dire et c'est tout le rôle du Haut Conseil pour la science et la technologie (HCST), j'y reviendrai.
Mais il y a aussi, de la part du politique, des attentes, des exigences et des priorités qui sont les siennes. Une illustration évidente en est l'énergie. L'énergie est aujourd'hui une priorité pour notre système de recherche, pour des raisons qui sont économiques, qui sont géostratégiques et qui sont donc politiques. C'est aux pouvoirs politiques de dire qu'aujourd'hui, il faut faire de l'énergie sous toutes ses formes une priorité pour la recherche. C'est une évidence, mais elle illustre que le politique a ses droits et a le devoir de s'exprimer dans les orientations de la recherche.
S'agissant des recherches touchant à l'environnement, ce n'est pas le monde de la science lui-même qui nous dit quelle est l'importance des politiques de protection de l'environnement. C'est la société qui l'exprime, c'est l'attente de nos concitoyens qui l'indique et c'est aux politiques d'en faire la synthèse et de l'exprimer. C'est aux politiques de dire, et c'est ce que fait aujourd'hui la France, que toutes les recherches qui ont trait au climat, qui ont trait à l'avenir de la planète, qui ont trait à l'environnement, sont pour nous une priorité. C'est d'ailleurs également, et j'y reviendrai, une priorité pour l'ensemble des États européens.
Nous voyons donc, à travers ces exemples simples, et j'aurais pu prendre des exemples concernant la santé humaine, domaine qui vous est familier, que la politique que nous devrons insuffler dans le domaine de la recherche doit se décider dans la concertation. Elle doit résulter d'expressions qui viennent du monde de la science. Elle doit intégrer des choix qui sont politiques et, en définitive, c'est aux pouvoirs publics d'arrêter des choix.
Au demeurant, quand le pouvoir politique n'explicite pas ses choix, il les fait pourtant : doter tel ou tel organisme d'un budget en croissance, c'est un choix ; faire en sorte que l'INRA ou le CEA aient davantage de budgets, c'est un choix de politique de recherche. C'est privilégier tel ou tel domaine, tel ou tel thème, tel ou tel champ disciplinaire. Donc, n'ayons pas peur des mots, n'ayons pas peur des responsabilités : il y a des choix qui relèvent du politique, il doit y avoir une politique de la recherche.
Je sais que j'ai la réputation, l'image, et c'est d'ailleurs une réalité, d'être inspiré par des idées libérales. C'est un grand tort en France, on le sait. J'évite généralement de le rappeler. Néanmoins, c'est quelqu'un qui croit aux idées libérales qui vous dit qu'il n'y a pas de politique sans administration forte. Une administration forte, ce n'est pas une administration tatillonne. Ce n'est pas l'administration des prix d'autrefois. Ce ne sont pas des bataillons nombreux et généralement inefficaces de fonctionnaires qui ne savent pas quelle est leur mission ou leur vocation. Mais nous avons besoin, au meilleur sens du terme, d'une administration intelligente, de bon niveau, mobilisée, motivée, pour permettre aux pouvoirs publics de définir une politique et de la mettre en oeuvre.
Nous allons constituer, à partir de l'administration qui existe et qui est de qualité, une Direction générale de la recherche et de l'innovation. Cette DGRI aura pour tâche, avec les autres instruments que nous mettons en place à l'heure actuelle, d'aider les pouvoirs publics et donc le gouvernement, sous le contrôle du Parlement, à élaborer une politique de la recherche.
Le Haut Conseil de la science et de la technologie comprendra des hommes et des femmes de science du meilleur niveau, parce que personne ne nie que c'est l'excellence qui fait la différence dans le domaine scientifique. Et ce sont les meilleurs femmes et hommes de science de notre pays qu'il faut écouter d'abord sur les orientations à donner. Ils ne seront pas seuls. Il y aura avec eux des femmes et des hommes de science, mais qui, eux, viennent de l'entreprise. Dans le Haut Conseil de la science et de la technologie, nous avons l'intention d'avoir à la fois des représentants de la recherche publique et de la recherche privée, de sorte que la recherche, sous tous ses aspects, puisse être éclairée et les orientations facilitées.
Il y aura un travail de synthèse qui se fera au sein de l'administration, synthèse entre les travaux du Haut Conseil chargé des grandes orientations et les organismes de recherche qui ont chacun, en ce qui les concerne, une politique qui se décline, plus fine que celle relevant des grandes orientations. Aucune orientation ne sera adoptée sans une concertation qu'il faut organiser entre l'administration, le Haut Conseil et les organismes de recherche qui ont un rôle éminent dans notre pays. Nous le savons, l'organisation de la recherche en France est spécifique. Ce n'est pas pour cela que c'est moins bien. Je suis persuadé que, sans changer les structures, nous pouvons donner à la recherche du dynamisme et de l'efficacité. Il n'y a rien dans l'organisation de la recherche en France qui soit rédhibitoire.
Vous avez évoqué un thème qui est fort, celui du décloisonnement. Le décloisonnement vaut pour les institutions. Il vaut pour les disciplines. Et il vaut pour les équipes. Nous nous dotons dans la loi de moyens qui aideront au décloisonnement. Vous l'avez dit très justement, il ne s'agit que d'outils à la disposition des acteurs : à eux de faire preuve d'initiative, à nous de les mettre en situation de le faire, et j'y insiste.
Après ce travail de décloisonnement, avec cette recherche de coopération et de synergies, nous devrons assurer une association étroite entre les organes nouveaux, le Haut Conseil, l'Agence nationale de la recherche, l'Agence de l'évaluation et les grands organismes, et en particulier leurs dirigeants, pour définir dans les grands axes, dans l'application plus fine, la politique de recherche qui sera désormais la nôtre.
Voilà notre philosophie. C'est une philosophie qui ne repose pas sur une loi qui aurait tout écrit. Il est tout à fait exact qu'il est vain, dans beaucoup de domaines et dans celui de la recherche en particulier, de prétendre tout faire dépendre d'une loi. C'est une loi qui est au service de la recherche. C'est une loi qui fournit des outils et des instruments nouveaux. En effet, à nous de les faire vivre. En effet, à nous d'en assurer le pilotage stratégique. En effet, à nous de nous appuyer sur eux pour donner de l'efficacité à la recherche et à la science françaises.
L'Agence nationale de la recherche, vous l'avez évoquée. J'ai écouté vos propos, vous avez craint que cela ne devienne un « machin ». Dans notre pays, nous avons l'exemple de créations administratives qui sont, soit tout de suite, soit au bout d'un certain temps, devenues des « machins ». Vous me permettrez de dire qu'en l'occurrence, une création qui remonte au début de 2005 a permis, en quelques mois, un travail opérationnel. Sans doute ce travail appelle-t-il des critiques et peut-être connaîtra-t-il des évolutions, mais l'établissement a fait la preuve, en quelques mois et sans effectif pléthorique, de sa capacité à lancer des appels à projets, à en gérer l'examen, à faire des choix et à faire en sorte que les crédits parviennent aux laboratoires dès cet automne. L'Agence nationale de la recherche a engagé quelque 700 millions d'euros dans des conditions qui sont, aux yeux de toute la communauté, des conditions sûrement pas optimales mais, en tout cas, qui n'appellent pas de critiques fondamentales. Dans la sphère publique française, il y a peu d'exemples d'une réussite aussi rapide et d'une réactivité aussi parfaite.
Je voudrais que cette rapidité, cette mise en place et cette capacité à être opérationnel en quelques mois soient l'image de ce que nous ferons demain. Il s'agit en effet d'aller vite, non pas dans la précipitation, mais nous avons besoin, je le disais, que notre recherche prenne un nouvel élan. Nous avons besoin pour cela que tout ce qui est prévu dans la loi ou à côté de la loi, dans le règlement, soit mis en place rapidement. C'est non seulement un voeu que j'exprime, mais une résolution que nous avons de faire bouger le paysage et, nous l'espérons, dans le bon sens, très rapidement.
Vous avez évoqué d'autres aspects et notamment celui de l'évaluation qui est considérable. L'évaluation est un sujet sensible et délicat, mais fondamental si nous voulons affecter les moyens là où les équipes sont les plus performantes. De ce point de vue-là, nous avons en effet un devoir de responsabilité vis-à-vis du contribuable et vis-à-vis du pays, car nous devons affecter prioritairement les moyens aux équipes qui sont les plus performantes. Ce n'est pas à nous de dire quelles sont les équipes performantes. C'est aux scientifiques de juger leurs pairs et c'est à nous de mettre en oeuvre des procédures qui permettent de le faire dans des conditions d'objectivité et d'efficacité qui soient les meilleures.
Vous avez évoqué les carrières, et je vous rejoins là aussi totalement sur le fait que le point essentiel est notre capacité à attirer les jeunes vers les carrières scientifiques, qu'ils se destinent à la recherche publique ou à la recherche privée, qu'ils se destinent aux organismes, aux universités ou qu'ils se destinent aux entreprises. Beaucoup de ce qui sera plus tard se décide à ce moment-là. Nous faisons des efforts pour rendre les carrières plus attractives, efforts encore insuffisants qui devront être relayés, poursuivis, mais ce qui est fait est loin d'être négligeable.
Nous devons aller plus loin, et je l'évoquais avec certains d'entre vous ce matin, dans la mobilité. Il y a sans doute des chercheurs du secteur public qui auraient avantage à tenter l'aventure du privé. Certains le font dans la création d'entreprise. Il y a des succès absolument remarquables, même si le sujet du financement de l'innovation reste non pas entier, mais reste posé. Il faut également favoriser la mobilité par la voie du détachement pour réaliser une osmose plus intense entre le public et le privé.
Les écoles doctorales feront l'objet d'une réforme dans la première moitié de cette année. Elles ont un rôle déterminant à jouer. Les docteurs, en France, n'ont sans doute pas la reconnaissance qui devrait être la leur. Nous avons besoin, dans nos entreprises, de docteurs, c'est-à-dire d'hommes et de femmes qui ont été formés à la recherche. Il y a des qualités spécifiques qui sont celles de ceux qui ont connu, au moins dans le début de leur carrière, le monde de la recherche. Par rapport à d'autres pays, avec évidemment des différences suivant les branches d'activités, nous devrions avoir davantage de docteurs de l'université dans nos entreprises. Nous avons, là aussi, des mesures spécifiques qui permettront, nous l'espérons, d'amorcer un changement.
Vous avez fustigé les projets blancs. Vous avez, presque en face de vous, une physicienne qui pourrait vous expliquer que la lumière blanche peut se doter très vite de couleur. Il suffit d'un prisme pour cela. Les projets blancs sont extrêmement utiles. Il faut naturellement que nos organismes de recherche aient des financements permanents. Il faut de la stabilité dans la recherche comme dans d'autres domaines. Il faut de la stimulation et cela s'appelle des appels à projets. Beaucoup de ces appels à projets ont des thèmes qui sont précisés, et qui relèvent de la politique que j'évoquais tout à l'heure. Mais nous savons que la recherche n'est pas programmable et qu'elle comporte une part d'incertitude, d'initiative et d'originalité dans les conceptions. Pour cela, le fait que nous lancions des appels à projets en blanc, c'est-à-dire ouverts aux chercheurs, et en particulier aux jeunes chercheurs qui peuvent avoir des idées qui n'ont pas trouvé preneur dans les organisations traditionnelles, cette façon de faire que nous n'avons pas inventée, qui existe dans les grands pays de recherche comme les Etats-Unis, cette manière de faire est à mon avis parfaitement louable.
Les pôles de compétitivité, vaste sujet. D'abord, leur financement. Nous n'avons pas prévu en effet, et je pense que c'est une bonne décision, un guichet qui se serait appelé pôle de compétitivité et qui nous aurait amené à distribuer des crédits de manière indistincte à des projets de pôles dont certains seront de très grands succès et dont, nous le savons, certains autres ne verront même pas le jour. Nous avons préféré que les procédures de financement qui existent, et dont certaines sont très nouvelles, avec des moyens supplémentaires, (ce qui veut dire que l'État ne ment pas quand il dit qu'il affecte des moyens nouveaux aux pôles de compétitivité,) nous avons préféré que ces procédures jouent et qu'elles soient à la disposition des porteurs de projets.
Pour ce qui me concerne, c'est-à-dire pour l'Agence nationale de la recherche, nous avons eu le plaisir de constater que, dès 2005, de très nombreux projets liés aux pôles de compétitivité avaient été retenus par l'ANR, non pas seulement parce qu'ils étaient des projets des pôles de compétitivité, mais parce qu'ils étaient de bons projets de recherche. Ils ont été retenus par des commissions scientifiques. Il serait absurde de financer des projets de recherche pour la seule raison qu'ils relèvent de pôles de compétitivité. Mais qu'en revanche, nous les regardions avec une attention particulière et que leur qualité, parce qu'ils résultent d'une volonté conjointe des organismes de recherche et des entreprises, les fasse retenir plus que d'autres, c'est un vrai motif de satisfaction, et c'est, je crois, une bonne manière de fonctionner.
Il est vrai que tout ne marche pas pour le mieux dans la mise en oeuvre des pôles de compétitivité. Il est vrai que nous avons, en France, un défaut qui est de vouloir tout concevoir de manière interministérielle et, souvent, excessivement interministérielle. Nous ne savons pas toujours désigner un pilote et c'est ainsi que nous perdons parfois de la rapidité dans la mise en oeuvre de l'exécution. C'est ainsi qu'il y a des conflits de services et de ministères qui peuvent peser sur la rapidité de mise en oeuvre. Mais ces obstacles-là, je crois que nous pourrons les lever.
Je crois que l'idée force, l'idée majeure des pôles était de favoriser l'association entre le monde de la recherche, le monde de l'entreprise, le monde de l'enseignement supérieur et le monde de la formation en général. Le constat que nous avons fait, c'est que la France et que l'ensemble de nos régions y étaient prêtes. C'est que beaucoup de nos entreprises, grandes ou plus petites, y étaient disposées. C'est que nos organismes de recherche, trop souvent à tort décriés, étaient très mobilisés par des projets comme ceux-là.
Les instituts Carnot. Ces instituts sont un exemple intelligent d'inspiration trouvée à l'étranger. Toute la littérature concernant l'innovation et la recherche de partenariats publicprivé nous dit que les Fraunhofer, en Allemagne, constituent un modèle. Nous avons voulu très simplement faire quelque chose d'analogue. C'est également une manière qui est nouvelle. Nous avons souhaité, comme pour les pôles de compétitivité et comme, d'une certaine manière, dans les appels à projets de l'ANR, que les initiatives se manifestent. Nous avons voulu que ce label Carnot, qui est à la fois une reconnaissance, une visibilité et des financements particuliers qui viennent s'ajouter aux financements obtenus des entreprises, que ce label Carnot soit décerné à ceux qui le demandent et ceux qui présentent des projets ou des réalisations intéressantes. C'est ce qui est en train de se faire.
Nous aurons une quinzaine ou une vingtaine d'instituts Carnot venant du monde de la recherche dans son ensemble. Ils viendront des organismes, de ceux qui sont très spécialisés traditionnellement dans le travail avec les entreprises, de laboratoires du CNRS, dont on pouvait penser qu'ils étaient moins ouverts, ce qui n'est pas le cas, à la collaboration avec l'entreprise, d'universités, de grandes écoles associées à des universités. Bref, ils viendront de l'ensemble du monde de la recherche qui a compris l'intérêt de cette orientation nouvelle.
Le financement des PME innovantes, ce n'est pas ma responsabilité directe. Je crois que nous n'avons pas terminé la mise en place d'un dispositif parfaitement performant qui permettrait, à tous les stades de la croissance des entreprises, depuis le moment de la création jusqu'au développement et au moment où une petite entreprise devient une entreprise moyenne? Nous n'avons pas encore tous les outils qui nous permettraient de répondre à toutes les situations, mais c'est un autre thème.
L'Europe. Contrairement à ce que j'ai lu parfois et entendu souvent, l'Europe n'est pas absente, loin s'en faut, de nos préoccupations. On s'étonne de ne pas trouver l'Europe dans la loi, mais les lois françaises sont a priori destinées à organiser ce qui se passe sur notre sol et non pas à organiser la collaboration avec l'Union européenne, et encore moins à disposer pour autrui. La France, concentrée en effet sur la réforme de la recherche, n'est pas du tout absente des débats européens sur la recherche.
Nous avons pris une part déterminante dans la décision, arrêtée désormais, de créer une Agence européenne de la recherche fondamentale. La recherche fondamentale est nécessaire. Tous les grands pays de recherche nous le montrent. Nous sommes totalement impliqués dans la mise au point du septième PCRD, Programme cadre de recherche et développement en Europe, et nous allons, au mois de février, réagir aux propositions de la Commission. Nous avons été les promoteurs d'une augmentation forte du budget consacré à la recherche développement en Europe, notamment en mobilisant les financements de la BEI.
Comme nous avons une tendance certaine à l'auto-flagellation dans notre beau pays, je voudrais vous dire, Mesdames et Messieurs, une chose qui peut surprendre ou étonner certains d'entre vous. On dit parfois que nous sommes mauvais dans les appels d'offres européens, que d'autres sont plus forts que nous pour aller chercher des financements. On dit que la recherche française, de ce point de vue-là non plus, n'est pas bonne. Et bien, c'est tout le contraire, et une analyse récente me l'a confirmé. La France se situe très bien quant à l'implication dans les projets européens, quant à l'attribution des financements européens. Nous nous classons bons deuxièmes derrière le premier pays de recherche en Europe qui est l'Allemagne, et nous sommes devant le Royaume-Uni qui est aussi un des grands pays de recherche en Europe.
Je voudrais, pour conclure après un propos sinon décousu, du moins touchant à de très nombreux thèmes, vous dire que pour nous, c'est un sujet qui est, comme je vous l'ai dit, majeur pour notre avenir. La France, je crois, par instinct comme par expérience, sait qu'elle doit avoir une grande politique scientifique.
C'est une tradition. Cela l'a été dans un passé lointain. Cela l'a été à une époque, dans les années soixante et soixante-dix, où l'État n'hésitait pas à faire de grands choix pour la recherche, avec une administration alors forte. C'est aujourd'hui une nécessité qui est largement reconnue, qui est largement admise.
Sans doute est-ce en utilisant des formes différentes et des méthodes nouvelles, plus adaptées au monde contemporain, que nous agirons. Mais cette ambition scientifique est consubstantielle à notre nation. Nous avons besoin de la science. Nous avons besoin de croire à la science, et nous avons besoin de démontrer que la France est un grand pays de science. Je crois que cela compte aussi dans l'avenir de notre pays.
Nous en avons besoin, je l'ai dit, pour l'emploi. Le sous-emploi, qui est une forme de la sousactivité, qui est une forme de l'insuffisance de croissance que nous connaissons depuis fort longtemps, depuis au moins vingt-cinq ans, c'est la maladie de langueur de notre pays. Nous devons en sortir. Nous devons en sortir par tous les moyens à notre disposition. Nous devons en sortir en mobilisant l'ensemble de nos forces autour de cet objectif. Nous pouvons en sortir en tirant parti de ce que la recherche peut apporter à notre économie.
C'est une priorité essentielle. C'est un devoir du monde de la recherche qui en a d'autres, je l'ai rappelé, mais qui ne peut pas se désintéresser du monde dans lequel il vit, de la société dans laquelle il s'inscrit, de l'économie qui est la nôtre.
La bataille de l'emploi se joue aussi dans la recherche. Elle se joue dans la capacité d'innovation. Elle se joue dans l'articulation entre la recherche, l'innovation et l'entreprise. Elle se joue, en définitive, dans les organismes que vous représentez les uns et les autres. Elle se lit dans les débats qui sont les vôtres. Elle s'exprime dans les rapports que vous publiez régulièrement, et je voudrais très simplement, Mesdames et Messieurs, vous remercier d'y contribuer.Source http://www.anrt.asso.fr, le 17 février 2006