Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur la recherche de financements innovants pour la santé publique, notamment le lancement d'une Facilité internationale d'achat de médicaments, pour lutter contre les pandémies dans les pays en développement, Paris le 28 février 2006.

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Circonstance : Conférence de Paris "Solidarité et mondialisation:financements innovants pour le développement et contre les pandémies" les 28 février et 1er mars 2006 à Paris : intervention de Ph. Douste-Blazy sur les financements innovants pour la santé publique le 28

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,

Les échanges de cette matinée, comme la première session plénière qui vient de s'achever ont été riches d'enseignements et ont apporté des réponses à la hauteur de l'enjeu. Je remercie Celso Amorim du talent et de l'efficacité avec lesquels il a assuré la présidence de notre première séance plénière.
Devant les Objectifs du Millénaire, un impératif s'impose à nous : l'imagination. Une exigence doit guider notre action : le courage de l'innovation. L'avenir de la planète et ses grands équilibres reposent sur notre capacité à définir cette "nouvelle frontière" de l'action internationale.
L'enjeu est clair. Il s'agit de mobiliser des ressources supplémentaires au bénéfice des pays pauvres, des ressources qui soient à la fois plus stables et plus prévisibles. Ces ressources existent : ce sont les sources innovantes de financement. Nous en avons identifiées certaines. Ces nouveaux mécanismes, nous le savons, sont nécessaires. Ils sont également justes et peuvent être rendus opérationnels rapidement.
Aujourd'hui, face à l'ampleur des besoins, notamment en Afrique sub-saharienne, nous ne pouvons plus être spectateurs passifs, mais des acteurs exigeants. C'est l'objet de cette deuxième séance plénière. Elle nous invite à explorer les mesures concrètes pour mettre en oeuvre ces ressources nouvelles pour le développement.
Nous connaissons aujourd'hui les défis les plus urgents, notamment la "fracture sanitaire" qui fragilise le développement autant qu'elle mine la stabilité des sociétés et la paix entre les Etats. L'accès à la santé, on ne le dira jamais assez, est une condition préalable au développement durable, santé et développement c'est la même chose et dans de nombreux pays, l'insuffisance sanitaire handicape lourdement le potentiel de développement, quand elle n'aggrave pas considérablement les effets des catastrophes naturelles et les risques liés aux catastrophes alimentaires. On ne peut penser le développement, on ne peut penser l'action multilatérale sans prendre en considération la démocratisation de l'accès aux soins. Dans certaines régions du monde, l'enjeu sanitaire doit être au coeur de toute action politique.
C'est pour répondre à ce défi majeur que la France a décidé de consacrer en partie le produit de sa contribution de solidarité sur les billets d'avion à la lutte contre les trois pandémies majeures que sont le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme.
Pour atteindre les Objectifs du Millénaire qui concernent la santé, la communauté internationale devrait doubler, en 2007, les moyens effectivement mobilisés, à ce jour, dans la lutte contre ces maladies et apporter des ressources régulières aux pays en développement.
La France, pour sa part, a d'ores et déjà augmenté à deux reprises sa contribution au Fonds mondial. Pour les années 2006 et 2007, celle-ci atteindra 525 millions d'euros.
Selon nos estimations, notre contribution de solidarité sur les billets d'avion devrait permettre de prélever dans notre pays jusqu'à 200 millions d'euros supplémentaires qui seront consacrés, chaque année, à la lutte contre ces trois pandémies.
Je voudrais maintenant évoquer concrètement le fonctionnement de notre dispositif. Celui-ci ne prétend nullement être une réponse toute faite aux questions cruciales du développement : il nous engage tous à la responsabilité, il exige de chacun d'être pragmatique et efficace.
La contribution internationale de solidarité sur les billets d'avion présente trois séries d'avantages.
Le premier de ses atouts, par rapport à d'autres types de prélèvements internationaux, c'est son extrême simplicité.
Il n'existe, en effet, aucun obstacle juridique à la création d'une contribution forfaitaire sur les billets d'avion. Pour le passager, la contribution est acquittée au moment où il achète son billet, comme pour toutes les autres taxes d'aéroport. Aucune formalité, je tiens à le préciser, ne lui est imposée. Au regard de l'expérience des pays mettant déjà en oeuvre un prélèvement de ce type, comme le Royaume-Uni, le coût du recouvrement est par conséquent très faible.
Deuxième atout : cette contribution peut être mise en oeuvre sans préjudice économique pour les pays concernés.
Ni le transport aérien, ni l'industrie touristique, qui sont des secteurs extrêmement dynamiques profitant pleinement de la mondialisation des échanges, n'en seront affectés. Fixée à un taux faible, au regard du prix d'un billet et d'un séjour touristique, une contribution de quelques euros ne dissuadera personne de prendre l'avion. La contribution sera appliquée quel que soit l'endroit où le billet aura été acheté, et quelle que soit la compagnie aérienne. Il n'y a donc pas d'atteinte à la concurrence, pas plus qu'à la compétitivité des plate-formes aéroportuaires, les hubs, puisque les passagers en transit en seront exonérés.
Enfin, troisième atout : ce mécanisme se distingue par sa très grande souplesse.
Les pays qui l'adoptent peuvent faire varier les taux de la contribution selon les classes de voyage (1ère classe, classe affaires et classe économique), en faisant notamment participer davantage, bien sûr, les passagers des classes affaires et première.
De même, chaque pays est naturellement libre de taxer moins lourdement ou d'exonérer les vols intérieurs, en fonction de sa situation géographique particulière.
La contribution de solidarité sur les billets d'avion entrera en vigueur dans notre pays, en France, le 1er juillet 2006. Elle prendra la forme d'une augmentation des taux de la taxe d'aviation civile. Le surplus de recette ainsi produit sera acheminé vers un fonds spécifique destiné à financer des programmes de développement dans le domaine de la santé.
A cette date, la contribution devrait s'élever à 1 euro pour chaque passager voyageant en classe économique à destination de la France ou d'un pays de l'Espace économique européen. Si le passager voyage en classe affaires ou en première, il pourrait acquitter 10 euros. Nous prévoyons également que ces taux soient multipliés par quatre pour les vols à destination d'un pays non-européen.
Nous souhaitons, naturellement, que le plus grand nombre de pays adopte ce mécanisme clair, fiable et souple, dans la mesure où chaque pays peut l'adapter comme il le souhaite. Permettez-moi, Mesdames et Messieurs les Ministres et les Ambassadeurs, d'être clair : il ne s'agit en aucune façon de créer un système supranational. La contribution sur les billets d'avion laisse à chaque pays la maîtrise totale du prélèvement. Ce que nous préconisons, en revanche, c'est une coordination internationale du revenu de ce prélèvement. Il en va de la cohérence et, surtout, de l'efficacité de l'aide. Il en va bien sûr de l'enjeu qui engage l'avenir de la planète, laquelle ne saurait faire l'impasse sur la force du multilatéralisme.
Une fois cette contribution sur les billets d'avion adoptée, la seule question qui va se poser est celle de son affectation et son utilité.
La France, le Brésil et le Chili proposent de lancer une Facilité Internationale d'Achat de Médicaments (FIAM). Grâce à ces prélèvements nouveaux, un fond d'achat de médicaments pourrait en effet être créé, qui nous servirait à lutter efficacement contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme.
Ces trois pandémies touchent tous les pays, mais elles frappent durement, vous le savez mieux que moi, tous les pays du Sud. Elles grèvent durablement leurs capacités de développement.
Comment ignorer que chaque année, le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme tuent près de six millions de personnes ?
Comment nier que les progrès réalisés par certains pays, au cours de ces dernières décennies, se trouvent réduits à néant par la persistance de ces pandémies, et que l'espérance de vie a déjà reculé de 15 ans en Afrique dans les pays les plus touchés ?
Comment ne pas voir les ravages humains mais aussi économiques induits par le VIH/sida, quand cette pandémie tue massivement les 15-49 ans ?
Les faits sont là : ils exigent une réponse forte, ils supposent une action de très grande ampleur. Notre mobilisation aujourd'hui à Paris s'inscrit dans cette ambition pour la planète et pour les hommes. La communauté internationale s'est d'ailleurs engagée, d'ici à 2010, à garantir l'accès universel aux traitements contre le VIH/sida.

Nous ne tiendrons pas cet engagement si nous ne réglons pas trois questions majeures.

  • La première, c'est l'augmentation nécessaire et massive des ressources allouées à la santé, dont nous devons améliorer à la fois la prévisibilité et la pérennité.
  • La seconde, c'est le renforcement des systèmes de santé des pays du Sud, notamment en matière d'infrastructures et de personnels de santé. Il ne sert à rien de donner des médicaments si personne n'est là pour les distribuer.
  • Le troisième de ces défis consiste à promouvoir un meilleur accès aux médicaments pour les pays du Sud. Sur un marché aujourd'hui mondialisé, nous devons favoriser une forte augmentation de la production, et ceci à moindre coût. Nous devons aussi être capables de mettre à disposition de ces pays des produits mieux adaptés à leurs besoins ? je pense en particulier à la formule pédiatrique et aux combinaisons à doses fixes qui permettent une seule prise.

La Facilité Internationale d'Achat de Médicaments que j'évoquais tout à l'heure nous offrira ces moyens innovants permettant de répondre à des défis qui exigent une large mobilisation. En partant des expériences existantes, la Facilité nous permettrait d'utiliser de nouveaux types d'interventions, en fonction de la situation du marché et, surtout, de la demande des pays bénéficiaires.
Je ne ferai pas ici une liste exhaustive des modes d'interventions qui pourraient être ceux de la Facilité. Permettez-moi toutefois d'en citer quelques-uns. Je pense en particulier aux achats groupés, aux négociations globales de prix plafonds qu'elle pourrait mener, à la mise en place de "stocks tampons", au programme de pré-qualification de l'OMS que cette Facilité Internationale d'Achat de Médicaments pourrait soutenir avec efficacité.
Tout cela, bien sûr, doit s'inscrire dans le respect du principe de complémentarité : la Facilité Internationale d'Achat de Médicaments devra agir, demain, là où existent des lacunes aujourd'hui.
A cet égard, son champ d'intervention est considérable. Elle pourrait être la première à offrir des financements pérennes pour sécuriser et renforcer l'approvisionnement durable des pays du Sud en médicaments. Une bonne coordination, nous le savons, est dans ce domaine une nécessité absolue. C'est la raison pour laquelle la Facilité ne doit, en aucun cas, devenir une nouvelle bureaucratie ; elle doit être une structure légère, qui pourrait être adossée à une ou plusieurs des institutions internationales déjà existantes. Il ne s'agit pas de refaire l'OMS, le Fonds mondial ou ONUSIDA. Elles existent déjà et c'est très bien. LA FIAM n'est là que pour s'occuper d'achat de médicaments.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais vous dire sur la contribution de solidarité sur les billets d'avion et la Facilité Internationale d'Achat de Médicaments que nous comptons financer.
La France et le Brésil mettent aujourd'hui sur la table une proposition ouverte. Je vous en ai tracé le cadre général, mais les détails doivent être l'objet d'une concertation approfondie avec l'ensemble des parties prenantes intéressées, qu'il s'agisse des Etats, ceux du Nord comme ceux du Sud, qu'il s'agisse des organisations internationales compétentes, ou encore du secteur privé, ou encore et surtout de la société civile.
Pour l'heure, je forme le voeu que le groupe de travail international qui sera créé à l'issue de cette conférence permette de nouer rapidement un dialogue avec toutes les parties prenantes. La situation sanitaire actuelle exige de nous tous, me semble t-il, un grand sens des responsabilités et une volonté politique sans faille.
Je tiens aussi à remercier solennellement les Etats qui ont d'ores et déjà fait le choix de créer et d'adopter une contribution de solidarité sur les billets d'avion. Des annonces ont été faites. Je pense à la Norvège, au Brésil, au Chili. Nous avons écouté Gordon Brown tout à l'heure dans un discours fort. Des annonces seront faites dans ce sens pendant notre conférence. Je tiens ici à les saluer. Les pays qui vont rejoindre le groupe pilote de travail international contribueront à donner vie, de manière tangible, à cette mondialisation solidaire évoquée, ce matin, par le président de la République.
Nous étions, lors du déjeuner, avec nos amis chinois et indiens. Nous pourrions être les premiers dans l'histoire de l'humanité à décider une aide financière non pas pour nos pays mais pour l'ensemble de la planète. Cela n'a jamais été fait.
D'autres pays vont leur emboîter le pas. Parmi eux se trouvent des pays en développement. Je parlais tout à l'heure d'une logique d'intérêt mutuel, qui repose sur l'engagement de tous. Je veux à présent rendre un hommage particulier à ces pays, à leur volonté de prendre en mains l'avenir de leur développement. Leur décision est un geste d'une grande portée ! Elle doit être saluée à sa juste mesure et nous oblige pour l'avenir.
A l'issue de cette Conférence ministérielle, un groupe pilote sur les contributions de solidarité en faveur du développement sera donc créé. Il réunira les pays qui ont décidé de mettre en oeuvre une contribution sur les billets d'avion, aux côtés d'autres Etats qui ne se sont pas engagés dans cette voie, mais qui sont disposés à poursuivre la réflexion collective. Je veux lever toutes les craintes et toutes les préventions : l'adhésion au groupe n'implique nullement de mettre en place un système de prélèvement sur les billets d'avion. Ces pays travailleront à la fois sur les différents types de prélèvements de solidarité, il peut y en avoir d'autres, ainsi que sur les modalités d'affectation des recettes, notamment la FIAM.
Je remercie d'ores et déjà le Brésil et la Norvège d'avoir bien voulu assurer les deux premières présidences tournantes de ce groupe pilote pour l'année à venir.
La France, quant à elle, assurera le secrétariat permanent de ce groupe. Elle le fera avec exigence, dans un esprit de responsabilité et d'efficacité. J'invite ceux qui souhaitent l'intégrer à prendre contact, ici même, avec la délégation française. Je veillerai personnellement à ces engagements, afin que chacun soit en mesure d'apporter sa contribution à la réflexion d'ensemble.
Ce qui se joue aujourd'hui, dans cette enceinte, c'est notre capacité à inventer un futur pour la planète que nous avons en partage, c'est notre volonté de faire de l'engagement multilatéral un levier majeur du développement, c'est aussi notre ambition de faire entendre la voix d'une communauté internationale rassemblée autour d'objectifs partagés.
Le débat, l'échange d'idées et d'expériences, le dialogue sont indispensables à la constitution d'un large consensus international autour des financements innovants.
Aussi, je laisse à présent la parole aux "intervenants" qui se trouvent à mes côtés et en premier lieu à M. Stoere, ministre des Affaires étrangères de Norvège.
Je vous remercie de votre attention et de votre présence.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 2006