Texte intégral
Hervé MORIN. - Mesdames et Messieurs, je ne sais pas si je dois vous appeler docteurs, professeurs, toujours est-il que, comme au début de toute bonne réunion, nous avons pris une demi-heure de retard. Je vais réduire mon propos introductif, afin de laisser le plus de temps possible aux quatre tables rondes de la journée.
Je voudrais notamment féliciter et remercier les parlementaires du groupe qui sont médecins pour le travail que nous avons commencé depuis six mois autour des questions de santé. Nous avons une équipe médicale assez importante parmi les députés UDF, à laquelle appartient Jean-Luc Préel, député de la Vendée, que vous connaissez probablement. Il est notre porte-parole et a défendu notre position concernant toutes ces questions avec la vigueur, la pertinence et surtout la rigueur qui le caractérisent, notamment durant les longues nuits du débat sur la loi de financement de la Sécurité Sociale.
Nous comptons également parmi nous Olivier Jardé, député de la Somme, orthopédiste qui réalise un travail important.
Nous avons dans le Groupe un autre orthopédiste qui n'est pas encore arrivé, Claude Leteurtre. Si vous avez un problème de hanche ou de genou, n'hésitez pas ! Ils vous feront une consultation immédiatement.
Nous avons décidé d'organiser ces rencontres de la reconstruction suite au questionnaire auquel vous avez répondu, ce qui nous a incités à vous inviter aujourd'hui. Il va vous être présenté par Bruno Jeanbart qui représente le CSA, l'institut chargé du dépouillement des 14 000 réponses retournées suite aux 130 000 questionnaires envoyés aux médecins inscrits au Conseil de l'ordre. Le CSA nous indiquait qu'à sa connaissance un questionnaire n'avait jamais connu un tel taux de réponse.
Par ailleurs, vous ne vous êtes pas simplement évertués à cocher en cinq minutes les cases proposées. Au contraire, vos questionnaires étaient extrêmement riches et complets. Certains d'entre vous ont pris le temps d'y consacrer une demi-heure, une heure, d'y apporter des commentaires, d'y ajouter quelques pages supplémentaires, afin de faire part de leurs observations, critiques ou propositions. Nous avons trouvé cela extrêmement intéressant et nous nous sommes dit : "Puisqu'il existe une vraie volonté de dialogue, d'être entendu et écouté, nous allons continuer par une journée où nous rencontrerons les médecins et les professionnels de santé, afin d'aborder ces questions".
J'ai retiré au moins trois observations de ce questionnaire. La première est la grande cohésion de vos réponses, notamment concernant la réforme annoncée et présentée par le gouvernement. Que vous soyez spécialistes ou généralistes, libéraux ou hospitaliers, médecins des villes ou des champs, les taux d'opinions favorables ou défavorables sur chacune des questions posées sont les mêmes à quelques exceptions près. Pourtant, nous aurions pu nous attendre à des disparités importantes, car lorsque l'on rencontre les syndicats de médecins on se dit que c'est un monde éclaté et difficile à appréhender dans sa globalité.
Ma deuxième observation, qui est extrêmement importante, est votre grand scepticisme concernant les mesures actuelles. Seulement 14 % des 14 000 médecins ayant répondu considèrent que le plan Douste-Blazy est définitif et permettra à la Sécurité Sociale et l'Assurance maladie de bien se porter dans les années qui viennent. Pour 65 %, il s'agit d'un xème plan de plus de la Sécurité Sociale.
Troisièmement, vous trouvez un certain nombre d'éléments positifs, comme le dossier médical non pas partagé, mais personnel. Entre 70 et 75 % des professionnels de santé estiment que mettre en place ce genre d'action va dans le bon sens. Cependant, il ressort surtout de vos commentaires une grande attente : donner les moyens de pouvoir mettre en place les clés de la responsabilité des acteurs. Cela reprend une formule que Jean-Luc Préel rappelle en permanence dans les débats à l'Assemblée nationale.
Afin de camper le décor, je voudrais vous livrer quelques-unes de mes analyses bien que je ne sois ni médecin ni un praticien habituel de ces questions de santé. Le premier point que je note, en examinant de très haut le système de la Sécurité Sociale et de l'Assurance maladie en France, est qu'il n'existe pas de gouvernance. Il n'y a pas de pilote dans l'avion ou, plutôt, il y en a une multitude, ce qui revient au même. Notamment depuis le plan Juppé en 1995, une plus grande place a été donnée à la démocratie politique à travers le vote de la loi de financement de la Sécurité Sociale. Il a été créé l'ONDAM, les agences régionales d'hospitalisation. Un certain nombre d'éléments donnés en 1945 aux partenaires sociaux ont été réétatisés, mais sans en tirer toutes les conséquences. Nous avons donné plus de responsabilité aux acteurs politiques tout en laissant le système tel qu'il était en 1945 avec le système de la CNAM, des CPAM, etc. Tout ceci est d'une grande incohérence.
Cette absence de gouvernance de la Sécurité Sociale et de l'Assurance maladie est également induite par l'empilement ahurissant des structures dans lesquelles nous nous situons. Il en est exactement de même en matière de démocratie locale. Les collectivités locales ont été multipliées, alors que cela coûte extrêmement cher et reste source de déresponsabilité et de lenteur.
Je me suis amusé à recenser l'ensemble des organismes participant à la gestion de ce système. Rien qu'au niveau régional, vous avez les URCAM, les ARH, les DRASS, les ORS et CRAM. Il faut y ajouter l'échelon départemental et le fait que, dans un certain nombre de secteurs, les collectivités locales interviennent car cela relève du médicosocial ou de la politique du handicap tout en ayant des conséquences sur le système d'assurance maladie. En France, nous sommes dans un système ahurissant où il existe une multiplicité d'acteurs aboutissant à une absence de gouvernance. Il faudrait un système permettant d'avoir une vision stratégique de la question et ayant une gouvernance bien articulée.
Ma deuxième analyse concerne la fameuse question de la croissance des dépenses de santé au regard de l'impossible équilibre, du gouffre permanent de la Sécurité Sociale et de l'Assurance maladie. J'ai deux ou trois observations arithmétiques et simples. Nous avons connu une évolution des structures de consommation. En 1950, les ménages consacraient à la santé à peu près 5 % de leurs ressources. Aujourd'hui, ils y consacrent 13 % de leurs ressources. Inversement, 9 % allaient à l'habillement par rapport à 3,5 % actuellement. Nous pourrions faire le même constat pour l'alimentation. Aujourd'hui en moyenne, les ménages consacrent mensuellement 500 ? à leur santé. En réalité, seulement 3 % est à leur charge directe. Les 10 % restants sont assumés par le système public.
Nous savons que des éléments absolument incontestables provoqueront une croissance des dépenses de santé. Je vous donne un seul chiffre car vous connaissez par c?ur le débat sur les nouvelles technologies, la technicité croissante, le coût des nouvelles molécules, etc. Il s'agit d'un élément démographique concernant le vieillissement de la population. En 1960, 16 % des personnes avaient plus de 60 ans, et il s'agissait aussi d'une tranche d'âge active. Aujourd'hui, au-delà de 60 ans, même avec la réforme des retraites, on ne l'est plus. Or, en 2040, 46 % de personnes auront plus de 60 ans. La conséquence directe de ce phénomène sera l'accroissement des dépenses de santé puisque, sur une base de 100, lorsque l'on a plus de 70 ans, on consomme 350 ?, c'est-à-dire six fois plus qu'une personne de 25 ou 30 ans.
En revanche, on parle toujours de la croissance des d??penses de santé liée à la consommation ou surconsommation médicale, mais on oublie les facteurs exogènes comme la mise en ?uvre des 35 heures qui a coûté cher, notamment au secteur hospitalier. Je ne crois pas que la clé première du rééquilibrage des dépenses de santé passe, d'abord et avant tout, par un contingentement ou une stabilisation des dépenses de santé, car cela ne correspond pas à l'évolution d'une société moderne pour laquelle bien être et santé sont définitivement liés. Elle repose sur la croissance des recettes qui ne dépend pas principalement des prélèvements obligatoires, mais d'une activité économique dynamique.
Je voudrais vous faire partager deux chiffres. Premièrement, en France, si grâce à l'activité économique deux millions de chômeurs sur les cinq millions existants, c'est-à-dire les trois millions officiels et les deux millions dans les stages parking, les formations ou qui ne s'inscrivent plus à l'ANPE, retrouvaient un emploi au salaire médian français, à savoir 1 500 ? par mois, rien qu'en cotisations sociales, patronales et CSG, nous obtiendrions 8 Md? de recettes supplémentaires. De 10 Md? de déficit de la Sécurité Sociale, nous n'en aurions plus que 2 Md?.
Deuxièmement, si au lieu d'avoir 1,4 % de taux croissance par an, qui est la moyenne des dix dernières années, nous en avions 2,5 %, cela nous placerait dans les niveaux de croissance des pays Européens. Je ne vous parle pas des Etats-Unis ou d'autres, mais des pays scandinaves, de la Hollande, de l'Espagne, etc. Nous aurions des rentrées budgétaires ou, tout du moins, de cotisations qui s'élèveraient au minimum à 5-6 Md? de plus que les 110 à 120 Md? que nous avons actuellement.
En réalité, la question du déficit de la Sécurité Sociale ne se poserait absolument pas dans les termes dramatiques dans lesquels elle se pose aujourd'hui, car il est totalement inacceptable et insupportable pour une société de faire payer ses feuilles de Sécurité Sociale à ses enfants et petits-enfants. En 1996, nous avons créé la CADES dans laquelle nous avions placé, à l'époque, les déficits de la Sécurité Sociale des années 1993 à 1996 qui s'élevaient à 20 Md?. Cela devait se terminer en 2013, mais à la suite des décisions Aubry, puis Douste-Blazy, cela a été reculé à 2021 ou 2022. Globalement, chaque jour, nous sommes en train de faire payer nos feuilles de Sécurité Sociale par nos enfants et petits-enfants. La première des réalités est donc que, si notre pays connaissait un niveau d'activité convenable, le problème de la Sécurité Sociale ne se poserait pas en ces termes.
Deuxièmement, est-ce que la croissance des dépenses de santé est un facteur de recul économique ou un frein à l'activité économique, à la croissance et à la prospérité d'un pays ? Tout d'abord, la santé en tant que telle est une activité économique à forte valeur ajoutée et non délocalisable. Ensuite, des pays consacrant plus que nous aux dépenses de santé ont, en dépit de cela, une activité et prospérité économiques extrêmement importantes. Les Etats-Unis consacrent près de 15 % de leur PIB à leur santé contre 10 ou 11 % chez nous et cela ne les empêche pas d'avoir un taux de croissance de plus de 3 % par an.
Enfin, nous voyons que ce n'est pas simple et que le système doit d'abord être remis sur ses pieds, car depuis une dizaine d'années il s'effiloche. Nos compatriotes ont le sentiment que la santé n'est plus assurée comme elle l'était il y a 15 ou 20 ans, mais je voudrais vous faire partager une idée jamais développée, et à laquelle je tiens pourtant. La santé pourrait devenir un secteur dont nous ferions un pôle d'excellence au niveau mondial. Je suis convaincu qu'une piste non négligeable est à creuser de ce côté, en termes de développement du pays.
D'après l'OMS, nous avons le meilleur système de santé du monde bien qu'il se dégrade sur bien des points. Si nous voulions produire les efforts nécessaires, nous pourrions avoir un système de santé extrêmement performant pour nos compatriotes et qui pourrait être, par ailleurs, un pôle d'excellence et de spécialisation au niveau mondial. Cela nous permettrait d'en faire un secteur de valeur ajoutée et de création de richesses extrêmement important. Si nous voulions nous en donner les moyens, nous pourrions faire de la France un système dans lequel les pays riches de l'occident, du Moyen-Orient, ou d'Asie viendraient se faire soigner, comme un certain nombre d'activité sont aujourd'hui réalisées ailleurs, car on y est meilleur.
Troisièmement, je voudrais aborder avec vous le thème d'une des tables rondes de cet après-midi, à savoir la dramatique question de la prévention. Je suis fasciné par l'incapacité de notre pays de mener des politiques de prévention, facteurs de réduction des dépenses de santé à moyen terme. Comme, en politique, on privilégie toujours l'instantané et l'immédiat par rapport au moyen ou long terme, la prévention est constamment abandonnée.
Nous aurons les meilleurs pour parler de ces questions cet après-midi. La Sécurité Sociale estime que les affections liées notamment à l'alcool coûtent environ 15 Md? par an. Si nous comparons ce coût pour la collectivité, par exemple, aux recettes de taxes qui s'élèvent à 3 Md?, nous voyons que, si la collectivité voulait faire un effort majeur, afin de mener des politiques d'éducation à la santé, d'éducation contre les addictions, nous aurions à terme des sources d'économies considérables, au-delà bien entendu du drame humain et personnel que cela représente à chaque fois.
Dans le secteur de la prévention, il existe un champ immense. D'ailleurs, je vous livre un exemple concret. En tant que président d'une Communauté de communes, j'ai essayé de mener une vraie politique d'éducation à la santé. Je n'ai eu aucun interlocuteur. Je me suis rendu au ministère de l'Education nationale et je leur ai demandé s'il existait un programme, une méthode d'éducation à la santé pouvant être développé sur plusieurs années, car j'étais prêt à y mettre les moyens nécessaires. Je me suis retrouvé au cabinet de Gilles de Robien avec au moins dix fonctionnaires, parmi les plus importants du ministère. Ils m'ont tous répondu qu'ils n'avaient aucun document en la matière. Je suis allé au ministère de la Santé et au Rectorat où j'ai obtenu la même réponse. Je me suis retrouvé élu dans une région où le problème de l'alcool est un problème majeur, et face à deux ou trois associations qui se débattent pour mettre en place des politiques à ce sujet. Mais, il n'existe aucune politique globale, coordonnée, afin de faire en sorte que des politiques de prévention convenables soient menées.
J'en arrive à ma dernière observation. Nous pouvons bien entendu mener des rationalisations et des optimisations en matière de dépenses de santé et réaliser des économies. Je me suis amusé à relire un certain nombre d'éléments chiffrés et concrets que je voudrais vous livrer. Concernant notre consommation de médicaments, c'est absolument formidable. Nous consommons 70 % de l'ensemble des veinotoniques produits dans le monde. Je ne connais pas leur utilité, mais je me dis que, si dans les autres pays ils ne sont pas consommés, c'est qu'en France cela ne doit pas bien aller. Notre consommation d'antibiotiques est également trois fois plus importante que celle des Allemands, ce qui représente la bagatelle de 650 M?. A moins que les Allemands soient mal soignés, si nous nous alignions sur eux, nous ferions 400 M? d'économie sur ce seul poste. Je ne vous parle ni des psychotropes que vous connaissez parfaitement ni des médicaments liés aux maladies cardio-vasculaires dont notre consommation revient à 800 M? par an et est beaucoup plus importante que celle des autres pays. Rien que sur les médicaments, nous avons donc des moyens d'optimiser et de rationaliser nos dépenses de santé.
Je n'évoquerai pas non plus la question de l'hôpital et celle de la gouvernance de la Sécurité Sociale. Si vous prenez le temps de lire un audit réalisé sur les CPAM, vous verrez que d'une caisse de Sécurité Sociale à l'autre, il existe des différences de productivité ahurissantes. A moins que les malades de l'Hérault soient profondément différents de ceux du Puy-de-Dôme, un salarié de la CPAM de l'Hérault traite deux fois plus de dossiers qu'un salarié de la CPAM du Puy-de-Dôme. J'ai le sentiment que, pour assurer une vraie gouvernance, nous avons des éléments à améliorer par rapport aux 100 000 salariés gérant l'ensemble du système d'assurance maladie.
Pour conclure cette introduction, je tiens à vous dire que le débat que nous débutons avec M. Bayrou et l'ensemble des parlementaires ici présents ne s'arrêtera pas aujourd'hui. Il ne fait que commencer, car nous sommes absolument persuadés que nous ne réformerons ou n'améliorerons pas le système de santé si nous le faisons contre les professionnels de santé. Nous ne pourrons mener un système optimisé où chaque euro sera dépensé le moins mal possible, pour ne pas dire le mieux possible, que si cela se réalise en collaboration avec eux.
Nous poursuivrons ce débat, cette écoute que nous venons d'engager tout au long de l'année 2006 au travers de rendez-vous réguliers, afin qu'à la fin de l'année nous puissions présenter un projet crédible, sérieux et concret à nos compatriotes.
Je vous remercie.
source http://www.udf.org, le 2 mars 2006
Je voudrais notamment féliciter et remercier les parlementaires du groupe qui sont médecins pour le travail que nous avons commencé depuis six mois autour des questions de santé. Nous avons une équipe médicale assez importante parmi les députés UDF, à laquelle appartient Jean-Luc Préel, député de la Vendée, que vous connaissez probablement. Il est notre porte-parole et a défendu notre position concernant toutes ces questions avec la vigueur, la pertinence et surtout la rigueur qui le caractérisent, notamment durant les longues nuits du débat sur la loi de financement de la Sécurité Sociale.
Nous comptons également parmi nous Olivier Jardé, député de la Somme, orthopédiste qui réalise un travail important.
Nous avons dans le Groupe un autre orthopédiste qui n'est pas encore arrivé, Claude Leteurtre. Si vous avez un problème de hanche ou de genou, n'hésitez pas ! Ils vous feront une consultation immédiatement.
Nous avons décidé d'organiser ces rencontres de la reconstruction suite au questionnaire auquel vous avez répondu, ce qui nous a incités à vous inviter aujourd'hui. Il va vous être présenté par Bruno Jeanbart qui représente le CSA, l'institut chargé du dépouillement des 14 000 réponses retournées suite aux 130 000 questionnaires envoyés aux médecins inscrits au Conseil de l'ordre. Le CSA nous indiquait qu'à sa connaissance un questionnaire n'avait jamais connu un tel taux de réponse.
Par ailleurs, vous ne vous êtes pas simplement évertués à cocher en cinq minutes les cases proposées. Au contraire, vos questionnaires étaient extrêmement riches et complets. Certains d'entre vous ont pris le temps d'y consacrer une demi-heure, une heure, d'y apporter des commentaires, d'y ajouter quelques pages supplémentaires, afin de faire part de leurs observations, critiques ou propositions. Nous avons trouvé cela extrêmement intéressant et nous nous sommes dit : "Puisqu'il existe une vraie volonté de dialogue, d'être entendu et écouté, nous allons continuer par une journée où nous rencontrerons les médecins et les professionnels de santé, afin d'aborder ces questions".
J'ai retiré au moins trois observations de ce questionnaire. La première est la grande cohésion de vos réponses, notamment concernant la réforme annoncée et présentée par le gouvernement. Que vous soyez spécialistes ou généralistes, libéraux ou hospitaliers, médecins des villes ou des champs, les taux d'opinions favorables ou défavorables sur chacune des questions posées sont les mêmes à quelques exceptions près. Pourtant, nous aurions pu nous attendre à des disparités importantes, car lorsque l'on rencontre les syndicats de médecins on se dit que c'est un monde éclaté et difficile à appréhender dans sa globalité.
Ma deuxième observation, qui est extrêmement importante, est votre grand scepticisme concernant les mesures actuelles. Seulement 14 % des 14 000 médecins ayant répondu considèrent que le plan Douste-Blazy est définitif et permettra à la Sécurité Sociale et l'Assurance maladie de bien se porter dans les années qui viennent. Pour 65 %, il s'agit d'un xème plan de plus de la Sécurité Sociale.
Troisièmement, vous trouvez un certain nombre d'éléments positifs, comme le dossier médical non pas partagé, mais personnel. Entre 70 et 75 % des professionnels de santé estiment que mettre en place ce genre d'action va dans le bon sens. Cependant, il ressort surtout de vos commentaires une grande attente : donner les moyens de pouvoir mettre en place les clés de la responsabilité des acteurs. Cela reprend une formule que Jean-Luc Préel rappelle en permanence dans les débats à l'Assemblée nationale.
Afin de camper le décor, je voudrais vous livrer quelques-unes de mes analyses bien que je ne sois ni médecin ni un praticien habituel de ces questions de santé. Le premier point que je note, en examinant de très haut le système de la Sécurité Sociale et de l'Assurance maladie en France, est qu'il n'existe pas de gouvernance. Il n'y a pas de pilote dans l'avion ou, plutôt, il y en a une multitude, ce qui revient au même. Notamment depuis le plan Juppé en 1995, une plus grande place a été donnée à la démocratie politique à travers le vote de la loi de financement de la Sécurité Sociale. Il a été créé l'ONDAM, les agences régionales d'hospitalisation. Un certain nombre d'éléments donnés en 1945 aux partenaires sociaux ont été réétatisés, mais sans en tirer toutes les conséquences. Nous avons donné plus de responsabilité aux acteurs politiques tout en laissant le système tel qu'il était en 1945 avec le système de la CNAM, des CPAM, etc. Tout ceci est d'une grande incohérence.
Cette absence de gouvernance de la Sécurité Sociale et de l'Assurance maladie est également induite par l'empilement ahurissant des structures dans lesquelles nous nous situons. Il en est exactement de même en matière de démocratie locale. Les collectivités locales ont été multipliées, alors que cela coûte extrêmement cher et reste source de déresponsabilité et de lenteur.
Je me suis amusé à recenser l'ensemble des organismes participant à la gestion de ce système. Rien qu'au niveau régional, vous avez les URCAM, les ARH, les DRASS, les ORS et CRAM. Il faut y ajouter l'échelon départemental et le fait que, dans un certain nombre de secteurs, les collectivités locales interviennent car cela relève du médicosocial ou de la politique du handicap tout en ayant des conséquences sur le système d'assurance maladie. En France, nous sommes dans un système ahurissant où il existe une multiplicité d'acteurs aboutissant à une absence de gouvernance. Il faudrait un système permettant d'avoir une vision stratégique de la question et ayant une gouvernance bien articulée.
Ma deuxième analyse concerne la fameuse question de la croissance des dépenses de santé au regard de l'impossible équilibre, du gouffre permanent de la Sécurité Sociale et de l'Assurance maladie. J'ai deux ou trois observations arithmétiques et simples. Nous avons connu une évolution des structures de consommation. En 1950, les ménages consacraient à la santé à peu près 5 % de leurs ressources. Aujourd'hui, ils y consacrent 13 % de leurs ressources. Inversement, 9 % allaient à l'habillement par rapport à 3,5 % actuellement. Nous pourrions faire le même constat pour l'alimentation. Aujourd'hui en moyenne, les ménages consacrent mensuellement 500 ? à leur santé. En réalité, seulement 3 % est à leur charge directe. Les 10 % restants sont assumés par le système public.
Nous savons que des éléments absolument incontestables provoqueront une croissance des dépenses de santé. Je vous donne un seul chiffre car vous connaissez par c?ur le débat sur les nouvelles technologies, la technicité croissante, le coût des nouvelles molécules, etc. Il s'agit d'un élément démographique concernant le vieillissement de la population. En 1960, 16 % des personnes avaient plus de 60 ans, et il s'agissait aussi d'une tranche d'âge active. Aujourd'hui, au-delà de 60 ans, même avec la réforme des retraites, on ne l'est plus. Or, en 2040, 46 % de personnes auront plus de 60 ans. La conséquence directe de ce phénomène sera l'accroissement des dépenses de santé puisque, sur une base de 100, lorsque l'on a plus de 70 ans, on consomme 350 ?, c'est-à-dire six fois plus qu'une personne de 25 ou 30 ans.
En revanche, on parle toujours de la croissance des d??penses de santé liée à la consommation ou surconsommation médicale, mais on oublie les facteurs exogènes comme la mise en ?uvre des 35 heures qui a coûté cher, notamment au secteur hospitalier. Je ne crois pas que la clé première du rééquilibrage des dépenses de santé passe, d'abord et avant tout, par un contingentement ou une stabilisation des dépenses de santé, car cela ne correspond pas à l'évolution d'une société moderne pour laquelle bien être et santé sont définitivement liés. Elle repose sur la croissance des recettes qui ne dépend pas principalement des prélèvements obligatoires, mais d'une activité économique dynamique.
Je voudrais vous faire partager deux chiffres. Premièrement, en France, si grâce à l'activité économique deux millions de chômeurs sur les cinq millions existants, c'est-à-dire les trois millions officiels et les deux millions dans les stages parking, les formations ou qui ne s'inscrivent plus à l'ANPE, retrouvaient un emploi au salaire médian français, à savoir 1 500 ? par mois, rien qu'en cotisations sociales, patronales et CSG, nous obtiendrions 8 Md? de recettes supplémentaires. De 10 Md? de déficit de la Sécurité Sociale, nous n'en aurions plus que 2 Md?.
Deuxièmement, si au lieu d'avoir 1,4 % de taux croissance par an, qui est la moyenne des dix dernières années, nous en avions 2,5 %, cela nous placerait dans les niveaux de croissance des pays Européens. Je ne vous parle pas des Etats-Unis ou d'autres, mais des pays scandinaves, de la Hollande, de l'Espagne, etc. Nous aurions des rentrées budgétaires ou, tout du moins, de cotisations qui s'élèveraient au minimum à 5-6 Md? de plus que les 110 à 120 Md? que nous avons actuellement.
En réalité, la question du déficit de la Sécurité Sociale ne se poserait absolument pas dans les termes dramatiques dans lesquels elle se pose aujourd'hui, car il est totalement inacceptable et insupportable pour une société de faire payer ses feuilles de Sécurité Sociale à ses enfants et petits-enfants. En 1996, nous avons créé la CADES dans laquelle nous avions placé, à l'époque, les déficits de la Sécurité Sociale des années 1993 à 1996 qui s'élevaient à 20 Md?. Cela devait se terminer en 2013, mais à la suite des décisions Aubry, puis Douste-Blazy, cela a été reculé à 2021 ou 2022. Globalement, chaque jour, nous sommes en train de faire payer nos feuilles de Sécurité Sociale par nos enfants et petits-enfants. La première des réalités est donc que, si notre pays connaissait un niveau d'activité convenable, le problème de la Sécurité Sociale ne se poserait pas en ces termes.
Deuxièmement, est-ce que la croissance des dépenses de santé est un facteur de recul économique ou un frein à l'activité économique, à la croissance et à la prospérité d'un pays ? Tout d'abord, la santé en tant que telle est une activité économique à forte valeur ajoutée et non délocalisable. Ensuite, des pays consacrant plus que nous aux dépenses de santé ont, en dépit de cela, une activité et prospérité économiques extrêmement importantes. Les Etats-Unis consacrent près de 15 % de leur PIB à leur santé contre 10 ou 11 % chez nous et cela ne les empêche pas d'avoir un taux de croissance de plus de 3 % par an.
Enfin, nous voyons que ce n'est pas simple et que le système doit d'abord être remis sur ses pieds, car depuis une dizaine d'années il s'effiloche. Nos compatriotes ont le sentiment que la santé n'est plus assurée comme elle l'était il y a 15 ou 20 ans, mais je voudrais vous faire partager une idée jamais développée, et à laquelle je tiens pourtant. La santé pourrait devenir un secteur dont nous ferions un pôle d'excellence au niveau mondial. Je suis convaincu qu'une piste non négligeable est à creuser de ce côté, en termes de développement du pays.
D'après l'OMS, nous avons le meilleur système de santé du monde bien qu'il se dégrade sur bien des points. Si nous voulions produire les efforts nécessaires, nous pourrions avoir un système de santé extrêmement performant pour nos compatriotes et qui pourrait être, par ailleurs, un pôle d'excellence et de spécialisation au niveau mondial. Cela nous permettrait d'en faire un secteur de valeur ajoutée et de création de richesses extrêmement important. Si nous voulions nous en donner les moyens, nous pourrions faire de la France un système dans lequel les pays riches de l'occident, du Moyen-Orient, ou d'Asie viendraient se faire soigner, comme un certain nombre d'activité sont aujourd'hui réalisées ailleurs, car on y est meilleur.
Troisièmement, je voudrais aborder avec vous le thème d'une des tables rondes de cet après-midi, à savoir la dramatique question de la prévention. Je suis fasciné par l'incapacité de notre pays de mener des politiques de prévention, facteurs de réduction des dépenses de santé à moyen terme. Comme, en politique, on privilégie toujours l'instantané et l'immédiat par rapport au moyen ou long terme, la prévention est constamment abandonnée.
Nous aurons les meilleurs pour parler de ces questions cet après-midi. La Sécurité Sociale estime que les affections liées notamment à l'alcool coûtent environ 15 Md? par an. Si nous comparons ce coût pour la collectivité, par exemple, aux recettes de taxes qui s'élèvent à 3 Md?, nous voyons que, si la collectivité voulait faire un effort majeur, afin de mener des politiques d'éducation à la santé, d'éducation contre les addictions, nous aurions à terme des sources d'économies considérables, au-delà bien entendu du drame humain et personnel que cela représente à chaque fois.
Dans le secteur de la prévention, il existe un champ immense. D'ailleurs, je vous livre un exemple concret. En tant que président d'une Communauté de communes, j'ai essayé de mener une vraie politique d'éducation à la santé. Je n'ai eu aucun interlocuteur. Je me suis rendu au ministère de l'Education nationale et je leur ai demandé s'il existait un programme, une méthode d'éducation à la santé pouvant être développé sur plusieurs années, car j'étais prêt à y mettre les moyens nécessaires. Je me suis retrouvé au cabinet de Gilles de Robien avec au moins dix fonctionnaires, parmi les plus importants du ministère. Ils m'ont tous répondu qu'ils n'avaient aucun document en la matière. Je suis allé au ministère de la Santé et au Rectorat où j'ai obtenu la même réponse. Je me suis retrouvé élu dans une région où le problème de l'alcool est un problème majeur, et face à deux ou trois associations qui se débattent pour mettre en place des politiques à ce sujet. Mais, il n'existe aucune politique globale, coordonnée, afin de faire en sorte que des politiques de prévention convenables soient menées.
J'en arrive à ma dernière observation. Nous pouvons bien entendu mener des rationalisations et des optimisations en matière de dépenses de santé et réaliser des économies. Je me suis amusé à relire un certain nombre d'éléments chiffrés et concrets que je voudrais vous livrer. Concernant notre consommation de médicaments, c'est absolument formidable. Nous consommons 70 % de l'ensemble des veinotoniques produits dans le monde. Je ne connais pas leur utilité, mais je me dis que, si dans les autres pays ils ne sont pas consommés, c'est qu'en France cela ne doit pas bien aller. Notre consommation d'antibiotiques est également trois fois plus importante que celle des Allemands, ce qui représente la bagatelle de 650 M?. A moins que les Allemands soient mal soignés, si nous nous alignions sur eux, nous ferions 400 M? d'économie sur ce seul poste. Je ne vous parle ni des psychotropes que vous connaissez parfaitement ni des médicaments liés aux maladies cardio-vasculaires dont notre consommation revient à 800 M? par an et est beaucoup plus importante que celle des autres pays. Rien que sur les médicaments, nous avons donc des moyens d'optimiser et de rationaliser nos dépenses de santé.
Je n'évoquerai pas non plus la question de l'hôpital et celle de la gouvernance de la Sécurité Sociale. Si vous prenez le temps de lire un audit réalisé sur les CPAM, vous verrez que d'une caisse de Sécurité Sociale à l'autre, il existe des différences de productivité ahurissantes. A moins que les malades de l'Hérault soient profondément différents de ceux du Puy-de-Dôme, un salarié de la CPAM de l'Hérault traite deux fois plus de dossiers qu'un salarié de la CPAM du Puy-de-Dôme. J'ai le sentiment que, pour assurer une vraie gouvernance, nous avons des éléments à améliorer par rapport aux 100 000 salariés gérant l'ensemble du système d'assurance maladie.
Pour conclure cette introduction, je tiens à vous dire que le débat que nous débutons avec M. Bayrou et l'ensemble des parlementaires ici présents ne s'arrêtera pas aujourd'hui. Il ne fait que commencer, car nous sommes absolument persuadés que nous ne réformerons ou n'améliorerons pas le système de santé si nous le faisons contre les professionnels de santé. Nous ne pourrons mener un système optimisé où chaque euro sera dépensé le moins mal possible, pour ne pas dire le mieux possible, que si cela se réalise en collaboration avec eux.
Nous poursuivrons ce débat, cette écoute que nous venons d'engager tout au long de l'année 2006 au travers de rendez-vous réguliers, afin qu'à la fin de l'année nous puissions présenter un projet crédible, sérieux et concret à nos compatriotes.
Je vous remercie.
source http://www.udf.org, le 2 mars 2006