Interview de M. François Baroin, ministre de l'Outre Mer, dans "Les Nouvelles calédoniennes" du 3 mars 2006, sur la procédure visant au gel du corps électoral, l'implantation de l'usine de traitement de nickel à Koniambo et la signature des contrats de développement entre l'Etat et le territoire.

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Média : Les Nouvelles calédoniennes

Texte intégral

Les Nouvelles calédoniennes :
Vous êtes ministre de l'Outre-Mer depuis huit mois, et les Calédoniens ont l'impression que vous avez un peu tardé à les rencontrer. Notre actualité était-elle trop « calme » ?
François Baroin :
J'ai retardé mon arrivée en Nouvelle-Calédonie en raison de la crise sanitaire majeure et hors norme qui touche la Réunion : le chikungunya. Je me suis rendu sur place la semaine dernière et j'ai prolongé ma visite du fait de la venue du Premier ministre, Dominique de Villepin. En tant que ministre de l'Outre-Mer, je me dois d'être sur le terrain aux côtés de nos compatriotes ultramarins lorsqu'un événement majeur survient. Lorsque l'on est ministre, il faut à la fois s'inscrire dans la durée et répondre aux urgences. S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, j'ai reçu très régulièrement l'ensemble des élus qui portent les projets de développement calédonien : Jacques Lafleur, Pierre Frogier, Simon Loueckhote, Philippe Gomès, Harold Martin, Paul Néaoutyine, Néko Hnépeune, Nidoish Naisseline et Pascal Naouna entre autres, sont venus au ministère. Nous étions dans la phase finale de l'application des accords de Bercy, pour lesquels je me suis investi personnellement et totalement. Car si l'on veut faire respecter un pacte de confiance, cela repose sur le respect de la parole donnée. Celle-ci avait été donnée par un autre gouvernement, celui de Lionel Jospin, j'ai mis un point d'honneur, sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, à ce que la parole de l'Etat soit respectée.
J'ai enfin réuni le 2 février le comité des signataires pour faire un point sur de nombreux sujets intéressant la Nouvelle-Calédonie.
Les Nouvelles calédoniennes :
Le Rassemblement-UMP va vous remettre une pétition de 11 000 signatures contre le gel du corps électoral. Pourquoi n'est-il pas soutenu par l'UMP nationale sur ce dossier ?
François Baroin :
Les engagements pris en juillet 2003 par le chef de l'Etat, de régler cette question d'ici la fin de son mandat, me paraissent devoir être tenus. C'est le même esprit qui nous anime aussi bien pour le respect des accords de Bercy que pour les engagements pris par Jacques Chirac. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a transmis en décembre, pour avis, au Conseil d'Etat, un projet de loi constitutionnelle consacré à cette seule question. Le moment venu, il appartiendra au Parlement, dans toutes ses composantes politiques, d'en débattre, comme il l'a d'ailleurs déjà fait en 1999.
Les Nouvelles calédoniennes :
Le député Pierre Frogier affirme que le gouvernement actuel gère de manière « socialiste et pro-indépendantiste » l'Accord de Nouméa et le dossier calédonien. Qu'en pensez-vous ?
François Baroin :
J'ai siégé sur les bancs de l'Assemblé nationale à partir de 1993, j'y ai connu Pierre Frogier, j'étais d'ailleurs le benjamin de l'Assemblée nationale et mon ami Simon Loueckhote celui du Sénat. Des liens d'amitié me lient aux deux depuis cette époque. Maintenant que je suis ministre de l'Outre-Mer, je porte une attention toute particulière à la manière dont ils défendent avec conviction les intérêts calédoniens. J'ai bien entendu ce que m'a dit Pierre. Dans le respect des engagements pris, le gouvernement de Dominique de Villepin applique l'Accord de Nouméa qui, je le rappelle, a valeur constitutionnelle et s'impose à tous, en toute transparence, équité et impartialité. C'est l'honneur de ce gouvernement de respecter et d'assumer les engagements pris au nom de l'Etat par un gouvernement issu d'une autre majorité. Je note d'ailleurs, et je m'en réjouis, que lors du dernier comité des signataires, tous les participants, signataires historiques comme représentants institutionnels invités, ont apposé leur signature sur le relevé de décisions, montrant ainsi un large consensus.
Les Nouvelles calédoniennes :
La famille loyaliste calédonienne est profondément divisée depuis les élections provinciales de 2004, mais les deux partis qui s'affrontent comptent dans leur rang des militants de l'UMP. Estimez-vous qu'une réconciliation soit souhaitable ?
François Baroin :
En 2002, le président de la République a pris des engagements clairs pour l'outre-mer, dont les gouvernements de Jean Pierre Raffarin, puis de Dominique de Villepin assurent la mise en ?uvre. Ce programme présidentiel, qui doit être soutenu par ceux qui s'en réclament, constitue, je n'en doute pas un instant, un socle d'accord commun pour de nombreux Calédoniens. Bien sûr, les divisions laissent des traces pendant un moment plus ou moins long. Quelle que soit notre volonté d'union au niveau national, c'est toujours aux acteurs locaux de définir la meilleure méthode ou le meilleur calendrier. Sur ce point comme sur beaucoup d'autres, la confiance est un élément essentiel. Il faudra pour les grandes échéances un moment se retrouver. Vous le savez, lorsque Nicolas Sarkozy était porte-parole d'Edouard Balladur aux présidentielles de 1995, j'étais moi-même porte-parole de Jacques Chirac. Aujourd'hui, sous l'autorité du président de la République, je suis ministre de Dominique de Villepin et conseiller politique du président de l'UMP ; Nicolas Sarkozy est président de l'UMP et ministre d'Etat et nous travaillons tous ensemble.
Les Nouvelles calédoniennes :
N'est-il pas prématuré de poser la première pierre de l'usine du nord alors que le dossier n'est pas bouclé, et que des doutes existent toujours, y compris dans les rangs du Rassemblement ?
François Baroin :
Il faut d'abord se féliciter de l'étape décisive franchie par le projet Koniambo fin 2005 avec, comme l'a constaté la justice dans son référé de décembre, la décision prise de construire l'usine du Nord. Le protocole de Bercy aura été respecté dans son esprit et sa forme, les conseils d'administration de Falconbridge et de la SMSP s'étant clairement prononcés pour le lancement du projet, qui est donc sur les rails. La société porteuse du projet, Koniambo Nickel SAS, a été créée, ses statuts ainsi que les procédures d'apports respectifs de Falconbridge et de la SMSP sont en voie de finalisation. Les différentes autorisations administratives sont également au stade de l'instruction ou de la décision.
Très concrètement, Falconbridge a déjà dépensé plus de 250 M$ (1) dans le projet à ce jour et va en engager autant en 2006, ce sont des montants considérables qui montrent l'engagement réel de ce partenaire. Ce sont près de 150 personnes qui travaillent sur le projet dans ses équipes de Nouméa, Brisbane et Toronto. Falconbridge a décidé, pour réduire les aléas de mettre l'accent sur les travaux d'ingénierie qui permettront de réduire la phase de qualification de l'usine, une fois construite. Elle vient d'ailleurs de choisir le consortium franco-canadien Technip-Hatch pour un contrat d'ingénierie très important qui s'élève à plus de 250 M$. Les premiers travaux de terrassement devraient pouvoir débuter en fin d'année ou début 2007 et ils concerneront naturellement d'abord les infrastructures, puisqu'il y a quasiment tout à créer.
Comme il l'a fait jusqu'ici, l'Etat veillera bien évidemment avec attention à ce que les engagements pris soient tenus. A ce stade, rien ne permet de douter de la volonté des acteurs de poursuivre cette formidable aventure industrielle et humaine et il apparaît donc tout à fait normal que l'Etat se joigne à cette manifestation inaugurale. Je m'y suis engagé auprès de Paul Néaoutyine.
Les Nouvelles calédoniennes :
Vous venez signer les contrats de développement de la génération 2006-2010, quelles ont été vos priorités lors de leur négociation ?
François Baroin :
J'ai souhaité que la participation de l'Etat aux contrats 2006-2010, qui se monte à 393,4 millions d'euros sur cinq ans, se fonde sur une plus grande lisibilité, notamment en faisant porter prioritairement son effort financier sur les problématiques de l'habitat, de la continuité territoriale et de la lutte contre le chômage et l'exclusion. Les priorités de ces contrats ont été définies en partenariat et recouvrent des enjeux majeurs pour les années à venir. Elles apparaissent de façon transversale dans l'ensemble des contrats. Il s'agit du soutien à la formation des jeunes et à la lutte contre l'échec scolaire, de l'accompagnement des projets métallurgiques en termes d'infrastructures et de politiques sociales, de l'appui aux politiques de protection des populations contre les risques majeurs, du soutien à la diversification économique (pêche, agriculture, tourisme) et aux pôles d'excellence et de recherche ainsi qu'à la valorisation des richesses naturelles et enfin, du renforcement de la cohésion sociale dans les domaines culturel et sportif, où de grands projets d'infrastructures sont lancés.
Les Nouvelles calédoniennes :
Après les feux qui ont ravagé la Nouvelle-Calédonie fin 2004 et fin 2005, allez-vous faire de nouvelles annonces en matière de sécurité civile ?
François Baroin :
L'ampleur des feux de brousse qu'a subis la Nouvelle-Calédonie ces deux dernières années a mis en évidence son retard en matière de sécurité civile, tant dans le domaine des moyens que dans celui de l'organisation. L'absence d'équivalent de service départemental d'incendie et de secours rend le dispositif opérationnel très morcelé, puisque chaque maire reste compétent dans sa commune et que la réponse publique à des phénomènes de grande ampleur repose sur une coordination difficile à établir entre services communaux.
Des améliorations importantes ont été apportées avec le renforcement du réseau radio et la mise en service d'un centre opérationnel au haut-commissariat. J'ai présenté au Conseil des ministres en février une importante ordonnance sur la sécurité civile en Nouvelle-Calédonie, qui vient clarifier les responsabilités de chacun des acteurs, poser les bases d'une organisation unifiée et renforcer la prévention. Je souhaite par ailleurs renforcer l'implication du service militaire adapté dans ce domaine. Outre sa participation occasionnelle comme unité de renfort à des opérations de lutte contre les feux, j'ai souhaité, comme me l'a demandé fort à propos le député Pierre Frogier, que le SMA dispense des modules de formation concernant la sécurité civile.
Les Nouvelles calédoniennes :
A 41 ans, vous incarnez une nouvelle génération d'hommes politiques. Vous êtes de plus le « fils spirituel » de Jacques Chirac. Considérez-vous le fait d'être ministre de l'Outre-Mer comme une simple étape sur un parcours que d'aucuns annoncent brillant ou, au contraire, ce portefeuille suscite-il chez vous un réel intérêt ?
François Baroin :
Plus qu'un intérêt, c'est une passion. C'est avant tout un grand honneur d'être ministre, l'outre-mer est une exigence particulière qui implique une mobilisation de tous les instants. On n'est pas ministre de l'Outre-Mer mais ministre des outre-mers, chaque territoire a son histoire, sa particularité. C'est ce qui rend ce ministère si différent des autres.

Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 7 mars 2006