Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
C'est un honneur pour moi d'ouvrir cette seconde journée de vos travaux consacrés aux liens entre migrations et développement. Plus encore, il s'agit d'un réel plaisir de pouvoir ainsi répondre à l'invitation formulée par mon homologue et ami Armand De Decker, que je veux remercier ici pour l'initiative prise d'organiser cette conférence, conjointement avec l'Organisation internationale pour les Migrations, la Commission européenne et la Banque mondiale.
L'initiative est heureuse, car le sujet - nous le voyons bien - revêt une acuité particulière, aussi bien pour les pays du Nord que pour ceux du Sud. Et c'est précisément cette rencontre des préoccupations des uns et des autres qui constitue l'élément nouveau qui peut nous faire croire en une nouvelle approche, plus partagée, des phénomènes migratoires internationaux.
D'emblée, je veux donc affirmer ici ma conviction que les politiques fondées sur le lien entre migrations et développement doivent reposer sur des principes de solidarité et d'intérêts partagés. C'est dans cet esprit que je voudrais orienter mon propos, afin de contribuer à la préparation du prochain dialogue de haut niveau des Nations unies, en partageant avec vous des pistes de réflexion et des idées de bonnes pratiques.
Mais il me paraît utile de rappeler en préalable que l'aide internationale doit viser, dans le cadre d'un partenariat multilatéral global, à lutter contre la pauvreté et à promouvoir le développement durable. C'est peut-être réaffirmer une évidence, mais c'est qu'il importe à mon sens que nos politiques migratoires ne prennent pas cette aide en otage : la politique de coopération n'a a priori ni l'objectif ni les moyens de maîtriser les mouvements de populations, et tenter d'empêcher l'immigration relèverait de l'illusion ; mais a contrario, ouvrir toutes ses frontières serait pour un Etat suicidaire. L'approche qui nous rassemble donc ici consiste - je crois - à rechercher les domaines d'intérêt partagé et les incitations qui sont de nature à faire des migrations une contribution au bien-être global.
Pour cela, je voudrais d'abord redire pourquoi, de mon point de vue, les migrants ne constituent pas une menace mais au contraire une opportunité, avant de présenter très brièvement les réponses françaises au lien entre migrations et développement.
1. En premier lieu, je souhaite rappeler combien le phénomène migratoire constitue une donnée durable, qu'il convient donc d'appréhender de telle sorte qu'elle puisse représenter une opportunité aussi bien pour les pays source que pour les pays d'accueil.
Le préalable à nos efforts conjoints, c'est que les migrants ne soient pas perçus comme une menace. Ils peuvent au contraire constituer une chance, et je le pense autant par convictions humanistes que par vision bien comprise de l'intérêt national.
Car aujourd'hui, les migrations sont une extension des marchés nationaux de l'emploi : le migrant quitte un marché qui ne lui convient pas, soit parce que la rémunération y est trop faible, soit parce qu'il est trop étroit, ou encore pour s'ouvrir de nouvelles perspectives de qualification. Mais à une échelle plus globale, tous ces échanges génèrent un gain, et ce faisant les migrations internationales contribuent à l'accroissement du bien-être général. Les chiffres sont là, incontestables : la Banque mondiale estime que la contribution des migrants à l'accroissement du revenu mondial avoisinera 772 milliards de dollars en 2025.
Bien entendu, il importe que ce gain global soit équitablement réparti entre le Nord et le Sud. C'est ce à quoi il nous faut travailler ensemble : je crois que pays du Nord comme pays du Sud doivent cesser de subir les migrations, et que nous pouvons utilement coopérer en ce sens :
- du côté des pays d'origine, tout d'abord, le débat se focalise sur les effets négatifs du départ des travailleurs qualifiés. Pourtant cette question me semble devoir faire l'objet d'une approche plus nuancée qu'elle ne l'est généralement :
- d'abord, parce qu'il faut bien admettre que la qualification acquise à l'étranger peut parfois ne pas trouver à s'exercer dans le pays d'origine ;
- et ensuite, parce qu'il existe un effet d'émulation sur la jeunesse restée sur place : certains analystes font ainsi observer que la réussite d'étudiants partis à l'étranger est une incitation à la formation pour les étudiants restés dans le pays d'origine, ce qui génère un effet bénéfique sur le système éducatif.
Pour autant, il est toujours préférable qu'un étudiant qui acquiert à l'étranger un diplôme de haut niveau puisse mettre cette compétence au service de son pays d'origine. Il reste donc probablement à développer dans les pays d'accueil des filières de formation ou des disciplines qui correspondent mieux aux besoins spécifiques des pays d'origine, dans le domaine sanitaire par exemple. Il y a là, sans doute, une voie à explorer entre nous.
- Du côté des pays d'accueil, ensuite, et plus particulièrement de l'Europe, je pense que nous devrions nous mettre en position d'attirer les migrants dont nous avons le plus besoin. Pour ce faire, nous devons supprimer la véritable course d'obstacles qu'ils doivent actuellement mener, en leur réservant un accueil respectueux et valorisant, en leur offrant un véritable "parcours de mobilité", indispensable si l'on veut que le migrant ne soit pas perdu pour son pays d'origine. Les pistes existent ; elles portent d'abord sur les signaux que les pays d'accueil peuvent émettre en informant sur leurs conditions d'accueil. Celles-ci sont en effet déterminées par les marchés de l'emploi et du logement, autant que par les politiques publiques. Il s'agit pour moi d'un préalable.
2. Après avoir ainsi posé quelques éléments de cadrage général, permettez-moi à présent d'en venir à l'expérience qu'a la France de la gestion des flux migratoires, et aux orientations nouvelles qu'elle entend donner à la politique qu'elle mène en la matière, afin qu'elle soit davantage axée sur le partenariat et la mobilité.
La migration doit se penser comme un phénomène réversible, au moins partiellement ; je fais référence au développement probable de ce que j'appelle des "migrations-projets", c'est-à-dire des migrations conçues comme un moment de parcours personnel et professionnel, avec parfois un deuxième pays de destination, et d'éventuels moments d'activité dans le pays d'origine. C'est en partie à ce type de migration que s'adonnent les populations les plus qualifiées des pays développés. Une telle évolution correspond d'ailleurs à la nouvelle donne des marchés de l'emploi, l'emploi à vie étant désormais révolu, et la mobilité géographique s'imposant peu à peu à tous pour concevoir des parcours véritablement qualifiants.
A partir de ce constat, et en tenant compte des interactions entre les migrations et le développement, la France a commencé à travailler dans deux directions :
- d'abord, elle s'efforce de mieux concentrer son aide, afin d'améliorer les conditions de vie dans les zones d'émigration identifiées. En effet, c'est bien la volonté de fuir la pauvreté qui constitue la motivation principale de l'immigration clandestine. Il nous faut donc veiller à concentrer notre aide sur le financement de projets créateurs d'emplois, susceptibles de retenir les populations sur place.
C'est ainsi que le Mali et les Comores ont été identifiés comme pays pilotes en fonction de la pression migratoire qu'exercent leurs ressortissants sur tout ou partie de notre territoire national. Ces pays ont donc bénéficié entre 2003 et 2006 de programmes d'aménagement local, d'aides à la création de micro-entreprises, ou encore de projets de réinsertion individuelle.
L'expérience enseigne cependant qu'un effort portant sur le seul environnement matériel immédiat ne suffit pas à réduire notablement les motivations d'émigration. L'aide au développement, y compris sur les causes des migrations, buttera toujours in fine sur l'environnement social et politique global. Ce qu'on appelle la bonne gouvernance d'un pays, et qui constitue un axe incontournable de toute politique d'aide au développement, est la seule garantie d'une gestion bien maîtrisée des mouvements de population.
- Mais c'est surtout sur le 2ème axe de notre politique que je souhaite insister aujourd'hui devant vous, car il est au coeur des thèmes inscrits à l'ordre du jour de vos travaux des deux sessions qui vont suivre. La France est en effet l'un des premiers pays à avoir mis en place des actions visant à associer les migrants installés sur son territoire au développement économique de leur pays d'origine. Tel est ce que l'on nomme désormais "codéveloppement".
Par codéveloppement, nous entendons "toute action d'aide au développement, quelle qu'en soit la nature et le secteur d'intervention, à laquelle participent des migrants vivant en France. Cette participation peut être diverse, et intervenir à un stade ou à un autre du processus".
L'association de migrants à des projets de développement a évolué au fil du temps. Alors qu'elle s'inscrivait à l'origine dans une démarche de maîtrise des flux migratoires, elle relève désormais d'une pleine logique de coopération pour le développement. Le codéveloppement est ainsi devenu l'un des axes de la politique française de coopération, et il vise à participer à part entière au développement des pays d'émigration.
Certes, sa place et son rôle sont encore modestes. Néanmoins, le concept reçoit un accueil de plus en plus favorable des communautés de migrants, en ce qu'il dépasse la préoccupation d'incitation à un retour au pays. En outre, il répond au souci des migrants de garder un lien étroit avec leur pays d'origine.
Dans cet esprit, la politique de codéveloppement s'articule autour de deux objectifs majeurs :
- d'abord, il s'agit de canaliser l'épargne des migrants vers l'investissement productif dans leur pays d'origine. Ceci constitue un enjeu majeur : on estime ainsi qu'à travers les seuls canaux formels, ce sont quelque 7 milliards d'euros qui sont transférés chaque année depuis l'Europe vers les pays méditerranéens, voisins et partenaires de l'Union européenne. Cette épargne qui, d'une façon générale, constitue une source essentielle de financement pour les pays concernés, plus importante que l'aide au développement, présente cependant deux défauts : tous les pays n'en bénéficient pas en fonction de leurs besoins ; et l'on estime par ailleurs que seuls 10 % de son montant sont utilisés à des investissements productifs. C'est pourquoi nos politiques doivent viser, en ce domaine, le double objectif d'augmenter les flux d'épargne là où le besoin est le plus fort, et d'améliorer l'efficacité de ces transferts.
Mener ces deux actions suppose notamment d'établir un lien étroit avec les systèmes financiers dans les pays de destination de l'épargne des migrants. Ainsi, les opérations de transfert peuvent, conjointement à des actions Nord-Sud associant les migrants, être l'occasion de renforcer les capacités de prêts des institutions bancaires ou de microfinance des pays africains.
Pour plus de clarté, j'évoquerai quelques exemples de projets concrets :
- ainsi, un projet du Crédit mutuel et de l'Agence française de Développement qui démarre au Sénégal et au Mali, permettra prochainement aux caisses de micro-crédit de consentir des prêts plus importants que ceux qu'elles sont actuellement en mesure de réaliser ;
- de même, au Maroc, un fonds a été mis en place pour y aider à la création d'entreprises par des Marocains résidant en France. Dans le même esprit, un projet de création de gîtes ruraux en région touristique est en voie de réalisation. Ces gîtes sont financés par des Marocains de France : certains d'entre eux rentreront pour gérer l'équipement, d'autres resteront en France et en confieront la gestion à un membre de leur famille ;
- autre exemple concret, l'appui à la réinsertion de migrants désireux de retourner au pays pour y créer une petite activité pérenne. Il peut s'agir d'y créer un petit commerce, de l'agriculture vivrière, ou toute autre entreprise. Ces volontaires bénéficient d'une aide de 4 à 7 000 euros en fonction de la qualité du projet, mesurée selon des critères tels que l'apport personnel, le caractère innovant, ou le nombre d'emplois créés. Outre cette aide financière, les bénéficiaires reçoivent un appui à la formalisation de leur projet, et bénéficient durant au moins un an d'une aide technique dans la phase de démarrage. Cet accompagnement local s'avère d'ailleurs essentiel au succès du projet.
Le deuxième objectif de notre politique de codéveloppement consiste à mobiliser les diasporas qualifiées, dans une perspective de mobilité des compétences.
Les élites des diasporas, qu'il s'agisse d'enseignants, de médecins, de chercheurs, d'ingénieurs, ou encore d'informaticiens, représentent en France plusieurs milliers de personnes de haut niveau, formées dans nos universités et nos grandes écoles. Elles ont le plus souvent gardé un attachement à leurs pays d'origine, mais n'envisagent pas de s'y réinstaller. Au travers du codéveloppement, elles sont donc incitées à oeuvrer plus directement pour le développement de leur pays ou région d'origine. Les transferts ainsi recherchés s'effectuent dans des domaines et sur des thématiques définies avec les autorités locales et la diaspora. Notre préoccupation, en effet, est d'assurer une bonne articulation avec les stratégies nationales de développement.
Le codéveloppement apporte un appui à leur mobilisation, par le financement de missions de courte et moyenne durée dans leur pays de départ. Dans ce cadre, je citerai trois exemples :
- d'abord, un programme mis en place à destination de la diaspora scientifique, technique et économique de sept pays francophones (Maroc, Algérie, Tunisie, Liban, Vietnam, Cambodge, Laos) ;
- ensuite, nous travaillons à un projet intitulé "INTER PARES" de doubles chaires, permettant à des universitaires du Sud et de la diaspora de travailler alternativement sur la même chaire en France et en Afrique. Cette action favorisera le retour des compétences et la consolidation de l'enseignement supérieur africain, par les Africains eux-mêmes ;
- enfin, d'autres actions visent à renforcer les écoles régionales africaines. La France soutient résolument le projet de création d'un Institut africain des sciences et technologies. Cette initiative devra pouvoir s'appuyer, au Nord, sur des partenariats scientifiques et industriels, et au Sud sur des établissements régionaux d'excellence fonctionnant selon les mêmes principes et en complémentarité, avec le concours de migrants qualifiés.
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Telles sont donc les quelques pistes de réflexion que je souhaitais évoquer devant vous ce matin, en insistant plus particulièrement sur ce concept de codéveloppement qui embrasse - je le sais - beaucoup des préoccupations qui nous sont communes.
Il s'agit, je crois, d'une politique réellement novatrice et fédératrice, dont le socle est le partage entre les pays d'origine, les pays de transit et les pays d'accueil. Je souhaite donc qu'elle puisse devenir une passerelle entre nous, une passerelle entre nos peuples, par-delà les frontières de nos différentes nations.
Je vous remercie pour votre attention, et vous souhaite surtout d'excellents travaux et de fructueux échanges au cours des différentes sessions qui vont suivre./.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mars 2006