Discours de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la politique de développement de l'Union européenne, la lutte contre la pauvreté dans les pays les moins avancés et le commerce entre les pays du Nord et les pays du groupe ACP, Londres, le 19 mars 2001.

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Circonstance : Table ronde ministérielle sur le commerce et la pauvreté dans les pays les moins avancés (PMA), à Londres, le 19 mars 2001

Texte intégral

L'approche globale du commerce et du développement :
une ambition pour l'Union européenne
Clare,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaite tout d'abord rendre hommage à notre collègue britannique pour avoir pris l'initiative de cette table ronde qui arrive à point nommé. La phase finale de préparation de la troisième conférence des Nations unies sur les PMA que l'Union européenne aura l'occasion d'accueillir à Bruxelles, en mai prochain, est désormais engagée. Les discussions en cours font clairement apparaître le caractère essentiel de la problématique du commerce et du développement et la volonté, aussi bien de nos partenaires du Sud que des bailleurs de fonds, de trouver une meilleure équation pour que ces deux facteurs interagissent au service de la lutte contre la pauvreté.
Il n'y a pas si longtemps la mode était plutôt à opposer commerce et développement. Vous vous souviendrez du fameux slogan "trade but not aid". Nous avons tout lieu de nous réjouir que cette étape soit dépassée, tout au moins dans le discours. Il faut bien reconnaître en effet que l'ouverture des marchés se poursuit, sans que les flux d'aide publique ne suivent une tendance aussi favorable. Nous sommes bien placés, nous ministres du Développement, pour savoir combien ce combat est difficile, notamment avec nos collègues des Finances. Ce n'est pas pour autant qu'il nous faut baisser les bras.
Au risque de revenir en arrière, il ne me paraît pas inutile de souligner les travers de certains raisonnements. Le démantèlement des barrières tarifaires ne serait qu'un premier pas qui devrait s'accompagner de la suppression de toute une série de mesures entravant la capacité des pays en développement à exporter vers le Nord. Cette logique conduit directement au "tout marché" et au bradage d'un certain modèle de société, centré sur la personne humaine.
Prenons garde à ne pas instrumentaliser les pays en développement pour régler des querelles entre pays développés. Les pays du Sud sont demandeurs de régulation, pas forcément d'une libéralisation à tout crin.
Dans ce contexte, l'Union européenne a un rôle particulier à jouer, en raison de son double statut de premier partenaire commercial des pays les moins avancés et de premier pourvoyeur d'aide. Le lien entre commerce et développement est une composante essentielle du partenariat intégré qu'elle s'efforce de mettre en place avec les pays en développement.
Ce lien figure au cur de la nouvelle politique de la Communauté, telle que définie dans la déclaration adoptée par les Quinze et la Commission européenne, le 10 novembre dernier. L'Accord de Cotonou, qui refonde le partenariat entre l'Europe et le groupe ACP, intègre largement cette dimension.
L'ambition est bien de mettre en place une approche globale qui permette à l'Union d'accompagner ses partenaires dans la voie de l'intégration dans l'économie mondiale et de les aider à tirer le meilleur parti de cette intégration à des fins de réduction de la pauvreté.
La nouvelle politique de développement de la Communauté repose sur la lutte contre la pauvreté, selon des modalités qui prévoient une mise en oeuvre cohérente des différents moyens d'action de l'Union en faveur de stratégies intégrant les dimensions économique et commerciale, politique et institutionnelle, sociale, culturelle et environnementale du développement.
Le lien entre commerce et développement fait partie des six domaines dans lesquels il a été convenu de recentrer les activités de la Communauté. Un contenu précis a été donné à cet axe prioritaire : cohérence entre les politiques commerciales mises en oeuvre par les pays en développement et leurs propres stratégies ; respect d'un rythme d'ouverture des marchés tenant compte de la fragilité de leurs économies ; attention portée à l'impact social de cette ouverture ; prise en compte des contraintes de l'offre ; coopération renforcée dans tous les domaines liés au commerce.
L'Union s'est donc dotée d'un plan de travail ambitieux. C'est chacun de ces thèmes qui doit désormais donner lieu à la mise en place d'actions appropriées, pour faire en sorte que nos partenaires en développement soient en mesure de bénéficier de l'amélioration de l'accès au marché, que nous leur accordons, mais qui ne suffit pas. Il faut que l'aide vienne en appui du commerce.
A cet égard, les programmes de renforcement des capacités d'offre et d'exportation me paraissent constituer une dimension clé d'une stratégie de liaison entre commerce et développement.
Il convient en effet de veiller à ne pas faire le jeu exclusif d'acteurs ayant pour seul objectif de tirer avantage d'une concession tarifaire dans une perspective de profit à court terme, pour promouvoir l'essor d'activités économiques durables enracinées dans le tissu social du pays partenaire.
L'aide à la commercialisation offre un vaste champ de coopération directement complémentaire du volet commercial de notre politique envers les pays en développement. Il pourrait être envisagé de réorienter une partie de l'assistance technique vers ce type de soutiens, de favoriser une meilleure information commerciale et de populariser les nouvelles techniques utilisables dans ce domaine.
Les infrastructures de transport et de communication, essentielles au développement économique et social, doivent également faire l'objet d'une attention particulière. Elles figurent d'ailleurs parmi les secteurs de concentration de l'aide communautaire, identifiés par la déclaration du 10 novembre 2000.
Dans la mise en oeuvre de cette politique, il est possible de s'inspirer des principes qui ont présidé à la construction européenne.
Sur notre continent, les mesures de libéralisation et d'ouverture ont toujours été assorties d'un effort simultané de solidarité et de coopération. C'est bien là l'esprit des politiques communes qui ont été progressivement mises en place. Cette méthode peut rendre compatibles la libéralisation du commerce et la réduction de la pauvreté, si nous veillons à soutenir les efforts de nos partenaires du Sud pour intégrer, bien entendu avec notre appui, cette préoccupation constante de la régulation dans leurs stratégies de développement.
Ce mode d'organisation des échanges, qui reflète des choix de société, peut être à l'origine d'une nouvelle approche de la solidarité internationale. Avec la déclaration du 10 novembre, nous l'avons précisé et avons ainsi contribué à affirmer une identité européenne dans le domaine du développement.
Le nouvel accord de partenariat entre l'Union européenne et les soixante dix sept pays ACP apparaît comme le principal instrument au service de cette politique.
Je ne peux que vous inciter à relire l'Accord de Cotonou et notamment sa partie consacrée aux stratégies de coopération.
En matière économique et commerciale, la volonté est bien de substituer à un système fondé sur l'accès au marché une approche globale, reposant sur des mesures en faveur du développement des échanges et de la compétitivité, la promotion de l'intégration régionale et la coopération dans tous les domaines liés au commerce, qu'il s'agisse des politiques de concurrence, de la propriété intellectuelle, de la normalisation ou de la certification, de l'environnement, des normes sociales ou de la protection des consommateurs.
Comme vous le savez, sur la base des mesures transitoires adoptées en juillet dernier, la programmation de la coopération au titre du 9ème Fonds européen de développement a été engagée par la Commission européenne, en partenariat avec les pays ACP et en concertation avec les Etats membres. Il est essentiel que ce dialogue soit l'occasion de favoriser la prise en compte de la dimension commerciale dans les stratégies de développement de nos partenaires et d'adapter notre coopération financière au titre du FED en conséquence.
Les futurs accords de partenariat économique, fondés sur les initiatives d'intégration régionale entre Etats ACP, constituent incontestablement la clé de ce dispositif.
Ils permettront à ces pays de répondre aux handicaps auxquels sont confrontées leurs économies : exiguïté des marchés, cloisonnement au détriment du potentiel offert par l'essor du commerce Sud-Sud ; difficulté à parvenir, dans ces conditions, à une réelle compétitivité.
Les trente neuf pays les moins avancés du groupe ACP sont pleinement concernés par ce nouveau cadre commercial. Leur intérêt est bien de s'arrimer à cette dynamique régionale, qui rompt avec la simple logique des préférences, dont nous savons tous qu'elle n'a pas suffi. La prise en compte des contraintes spécifiques des PMA se traduira naturellement par un accompagnement particulier de la transition vers les nouveaux accords commerciaux. Nous en sommes convenus. Une action déterminée en faveur d'un accès équitable aux services sociaux de base constituera un volet indispensable de cette approche globale du commerce et du développement.
La négociation de l'Accord de Cotonou a été longue et difficile. Son aboutissement, dans le contexte troublé de l'échec de Seattle, a validé une méthode propre à l'Union et au groupe ACP. Il importe de préserver ce mouvement de renouveau et de solidarité qui nous a animés de part et d'autre et qui nous engage pour les vingt ans à venir.
Au cours du second semestre 2000, j'ai eu l'occasion de souligner l'urgence qui s'attachait à la mise en oeuvre de notre partenariat. J'y reviens à nouveau aujourd'hui, dans le cadre de cette table ronde. L'enjeu de la réduction de la pauvreté dans les PMA justifie une mobilisation générale en faveur de la réalisation des objectifs que nous nous sommes fixés d'un commun accord.
Dans cette intervention, j'ai insisté à plusieurs reprises sur les interactions entre le commerce et une certaine conception de la société. La problématique des normes sociales, qui a été à l'origine de nombreux malentendus dans notre dialogue avec les pays en développement, mérite de faire l'objet d'une réflexion approfondie. Mon pays entend pleinement y contribuer.
En mettant en place un régime spécial d'encouragement au respect des règles de l'Organisation internationale du travail, dans le cadre des schémas de préférences généralisées communautaires, l'Union s'est efforcée de développer une approche exclusivement fondée sur l'incitation. Dans un contexte où les normes s'inscrivent trop souvent dans une perspective de conditionnalité, les intentions européennes ont été mal comprises. Nous ne pouvons que le déplorer et espérer pouvoir dissiper ce malentendu.
Un autre chantier reste à explorer : celui du commerce équitable. Là encore, l'objectif ne doit pas consister à empêcher les pays en développement de tirer parti d'un avantage comparatif ou à créer un "logo" susceptible de faire payer le prix fort aux consommateurs du Nord.
Il s'agit au contraire de voir comment par des appuis appropriés les bailleurs de fonds peuvent contribuer à la viabilité des activités économiques des producteurs locaux, en les aidant notamment à fédérer leurs efforts. Une action de formation en direction des groupements de paysans peut certainement favoriser l'émergence d'un commerce respectueux des équilibres sociaux des pays du Sud et apporter une contribution à la réduction de la pauvreté.
Ce type d'actions pourrait parfaitement s'insérer dans la politique de l'Union en faveur du lien entre commerce et développement.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mars 2001)