Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, dans le quotidien estonien "Postimees" du 31 mars 2006, notamment sur la directive sur les services, la libre circulation des travailleurs, l'avenir du Traité constitutionnel, la politique énergétique européenne, et les relations entre l'Union européenne et la Russie.

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Circonstance : Déplacement en Lettonie et en Estonie, les 30 et 31 mars 2006

Média : Postimees

Texte intégral

Q - En dépit des protestations des syndicats français et allemands, le Parlement européen a adopté en février la directive sur les services, qui va à présent être débattue au sein du Conseil de l'Union européenne. Quelle est la position de la France sur ce texte ?
R - Il faut rappeler certaines choses. La France est une économie de services et est même le troisième exportateur européen de services : elle est donc favorable à une législation européenne en matière de libre circulation des services. Mais la proposition initiale de la Commission n'était pas acceptable. Depuis, un gros travail a été fait, notamment par le Parlement européen qui a adopté, le 16 février dernier, un texte équilibré avec l'accord de ses deux principales forces politiques. Le texte, que le Conseil européen de la semaine dernière a salué à l'unanimité, permet désormais une amélioration du marché des services en Europe tout en préservant les droits sociaux. Il revient maintenant à la Commission d'élaborer une nouvelle proposition sur la base de ce vote très majoritaire du Parlement européen. Si tel est le cas, nous pourrions rapidement avoir un accord. C'est ce que je souhaite. Mais si la Commission s'écarte trop de ce point d'équilibre, nous repartirions pour des mois, peut-être des années de discussions et de divisions pour l'Europe? Le moment est donc venu de faire preuve de réalisme et de pragmatisme.
Q - Un certain nombre de "vieux" Etats membres, comme la Finlande ou l'Espagne, ont annoncé qu'ils cesseraient d'appliquer les restrictions à la libre circulation de la main-d'oeuvre en provenance des nouveaux Etats membres. Que va faire la France ?
R - La libre circulation des travailleurs est l'un des principes fondateurs du marché commun. Nous connaissons l'importance que votre pays attache à cette question et nous le comprenons pleinement. Certains partenaires ont décidé d'ouvrir complètement leur marché du travail, d'autres de maintenir entièrement les restrictions en vigueur. La France a pris la décision d'ouvrir progressivement son marché du travail. D'ici au 1er mai 2006, le gouvernement français va consulter les partenaires sociaux et identifier les professions pour lesquelles les salariés de tous les pays européens pourront venir travailler en France. C'est un geste d'ouverture important. Nous souhaitons que cela s'accompagne dans le même temps d'un renforcement de la lutte commune contre le travail illégal. L'ouverture progressive et maîtrisée de notre marché à vos ressortissants renforcera nos liens en permettant plus d'échanges entre nous, étant entendu que l'objectif est à terme l'application pleine et entière de la libre circulation des personnes.
Q - L'Union européenne est confrontée à la crise du traité constitutionnel. Que peut-on faire à ce sujet ? Certains avancent que l'on pourrait mettre en oeuvre certaines parties de ce traité, ou encore le relancer dans sa totalité d'ici quelques années.
R - En juin dernier, les chefs d'Etat ou de gouvernement ont pris la décision la plus sage en se donnant rendez-vous à la fin du premier semestre 2006 pour convenir de la suite. Aujourd'hui, 14 Etats ont d'ores et déjà ratifié le texte, ne l'oublions pas. Le processus de ratification est en cours en Estonie et nous nous en réjouissons ! Une chose est sûre : l'Europe élargie a besoin d'institutions rénovées. Pour sortir du statu quo, la France propose d'améliorer le système actuel en commençant par partir du cadre des traités existants. Nous avons identifié trois domaines prioritaires : la sécurité intérieure et la justice, l'action extérieure et la défense et une meilleure association des parlements nationaux aux processus de décision européens. En ce qui concerne ces derniers, nous avons déjà pris des mesures au niveau national; ainsi les Conseils européens sont désormais précédés d'un débat au Parlement français, plus de textes européens sont soumis aux parlementaires et j'ai mis en place des sessions de sensibilisation aux questions européennes en emmenant des délégations de l'Assemblée nationale et du Sénat à Bruxelles et à Strasbourg. Faisons d'abord fonctionner l'Europe plus efficacement avant de revenir sur les débats institutionnels.
Q - Que pensez-vous de la proposition d'instituer un impôt européen commun ?
R - Il ne s'agit pas de créer de nouveaux impôts, mais de tirer les conséquences de ce que nous sommes dans un espace de solidarité. L'accord obtenu en décembre dernier sur le budget de l'Union européenne pour la période 2007/2013 l'a montré. Quant aux recettes futures de l'Union, ce sera une question importante pour l'après 2013, dans le cadre de la réflexion que la Commission lancera dès 2008/2009 sur les politiques communes et leur financement. Ce qui est sûr c'est qu'un impôt européen renforcerait le sentiment d'appartenance des citoyens à l'Union européenne ainsi que la transparence des financements européens en simplifiant les mécanismes existants. C'est une piste qu'il faut donc étudier.
Q - La Commission européenne a présenté un Livre vert sur la politique énergétique commune. Dans quelle mesure est-il urgent pour l'Union européenne de définir une politique commune dans ce domaine ?
R - La question de la politique européenne de l'énergie est un sujet essentiel et urgent : c'est pourquoi la France avait présenté des propositions dès janvier qui ont largement été reprises depuis par la Commission européenne dans son Livre vert paru en mars et par le Conseil européen la semaine dernière. L'Europe doit parler de manière plus unie sur cette question essentielle pour son indépendance et sa compétitivité. Nous avons trois grands objectifs : la sécurité des approvisionnements, la compétitivité de nos entreprises, et le respect de l'environnement. Pour assurer ses approvisionnements, l'Europe doit parler d'une seule voix et être une puissance mondiale dans le secteur. Les pays membres doivent être solidaires pour faire face aux menaces sur leur sécurité énergétique et nous devons coordonner nos investissements à moyen et long termes notamment en matière d'interconnexions.
Q - L'évolution de la Russie est à plusieurs égards un sujet de préoccupation pour la communauté internationale. Vu d'Estonie, toutefois, on a l'impression que l'Union européenne manque parfois d'une politique commune à l'égard de la Russie. Qu'en pensez-vous ?
R - L'Union européenne et la Russie approfondissent leur relation dans le cadre d'un partenariat stratégique. Des résultats encourageants ont été constatés au dernier sommet UE/Russie à Londres en octobre 2005, même si beaucoup reste encore à faire. Il est effectivement important que les Etats membres parlent d'une seule voix vis-à-vis de la Russie. Nous devons mettre à profit la négociation d'un nouvel accord entre l'Union européenne et la Russie pour renforcer encore davantage l'efficacité et la cohérence de la politique de l'Union européenne à l'égard de la Russie.
Q - L'Estonie s'efforce de rejoindre la zone euro en 2007. De jour en jour, cependant, nous prenons de plus en plus conscience du fait que cela risque de ne pas être possible à cause d'un taux d'inflation trop élevé. Serait-ce une catastrophe si l'Estonie n'adhérait pas en 2007 à la zone euro ?
R - Nous avons une vision ouverte et active de la zone euro. Pour rejoindre cette zone, un certain nombre de critères doivent être respectés. Tous sont importants, y compris celui concernant l'inflation. C'est une discipline qui concerne tout le monde et je souhaite que l'Estonie trouve les moyens de poursuivre sa belle croissance économique tout en maîtrisant mieux son inflation. C'est ainsi que le moment venu, les enceintes européennes pourront décider de la date ?? laquelle l'Estonie pourra rejoindre la zone euro. Nous espérons que l'Estonie sera en mesure de respecter tous les critères le plus rapidement possible.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 avril 2006